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Line Rochefort, rencontre d’une donatrice

Line Rochefort

Entrevue avec Line Rochefort, donatrice à l’Herbier Louis-Marie
Professeure titulaire à la Faculté des sciences de l'agriculture et de l'alimentation, Département de phytologie

Par Véronique Hébert, directrice au développement philanthropique de la Bibliothèque
Septembre 2021

Mise en contexte:
Saviez-vous que l’Herbier Louis-Marie fait partie des collections sous la responsabilité de la Bibliothèque de l’Université Laval? J’ai fait la rencontre d’une donatrice passionnée qui contribue à l’Herbier depuis de nombreuses années.

Notre rencontre est prévue sur l’heure du midi; Line a des journées remplies et elle optimise bien son temps. Dès mon arrivée au restaurant, en la voyant, je réalise que je l’ai croisée dans plusieurs évènements du Cercle des ambassadeurs. La glace est brisée et déjà je sens l’énergie contagieuse et le dynamisme que dégage cette femme.

Ainée d’une famille de trois enfants, Line a grandi à Port-Alfred, maintenant appelé Saguenay. Elle passe ses étés au chalet familial à Sainte-Rose-du-Nord (Lac Rouge). Pour Line, la nature est un refuge, et elle adore être dans le bois, comme elle le précise.

L’éducation est une grande priorité pour ses parents qui souhaitent les meilleures études possible pour leurs enfants. Line me raconte ses longs trajets quotidiens en autobus scolaire dans les rangs de la campagne en direction du Lycée de Chicoutimi, une école privée de filles. «Mes parents ont aidé à la fondation de cette institution en 1973, précise-t-elle». Son trajet d’autobus est partagé avec quelques garçons qui fréquentent le Séminaire, et qui, à cette époque, avaient accès à des activités d’ornithologie, de botanique au camp des JeunesExplo. Line se fait donc rapidement un groupe d’amis passionnés de plantes et d’oiseaux. «Le camp a été fondé en 1955 par le Frère Léo Brassard, un enseignant naturaliste, pionnier de la vulgarisation et de l’éducation scientifique au Québec.», m’informe-t-elle.  J’écoute la suite avec intérêt: «Les activités d’ornithologie, encadrées par des frères des Clercs Saint-Viateur, dont Mgr Gérard Drainville, s’adressaient à de jeunes garçons ayant un fort intérêt pour la science. Mgr Drainville est un véritable pionnier dans le domaine océanographique et une partie de ses découvertes sur les organismes peuplant le Fjord du Saguenay ont été effectuées dans le cadre des camps des JeunesExplo.»

Line enviait beaucoup ces garçons, car les religieuses de son école n’offraient pas aux filles d’accès aux activités ni à aucune formation en sciences naturelles de ce type. Elle me confie avec détermination: «C'est de cette rigueur scientifique dont j'aurais tant voulu faire partie. L’approche préconisée consistait à effectuer des stages terrain portant sur certains domaines des sciences biologiques, tels que l’ornithologie, l’entomologie, l’ichtyologie, etc. Les observations et manipulations étaient rigoureusement compilées dans des carnets de terrain. Cette méthode a contribué à former plusieurs cohortes de scientifiques de haut niveau que l’on retrouve aujourd’hui dans diverses sphères de la recherche liées au milieu naturel.»

Line Rochefort
Intérêt de Line dès l’enfance pour l'histoire naturelle, dont la taxidermie – Cégep de Chicoutimi (circa 1980)

Durant l’été 1977, Line a la chance d’accompagner les parents de son copain pour une visite à un de ses fameux camps réservés aux garçons; elle participe alors à une sortie de cueillette de plantes… elle jubile! C’est au moment de ce récit qu’elle sort de son sac à main le tout premier livre qu’elle a reçu, datant de 1975: la première édition de la collection Fleurbec présentant les plantes sauvages des villes et des champs. Son livre d’excursions pendant bien des années. Un deuxième trésor suivra: son amoureux lui offre un cadeau de Noël extraordinaire, le livre La Flore laurentienne de Marie-Victorin. À 16 ans, déjà elle sait qu’elle veut travailler dans le domaine de la botanique. Elle suivra des cours en sciences pures au Cégep de Chicoutimi. Ses excellentes notes lui ouvrent les portes et Line est acceptée en médecine à l’Université de Montréal. Elle décide toutefois d’écouter son cœur et entame son bac en biologie à l’Université Laval. «Je ne me voyais pas du tout passer des journées entières dans un cabinet de médecin.» se rappelle-t-elle.

L’histoire d’amour avec la flore se poursuit. Ayant besoin de travailler pour payer ses études, à 19 ans, Line obtient un poste d’assistance de recherche à l’Herbier Louis-Marie. Elle y fera le montage de spécimens de plantes sur cartons avec les étiquettes d’identification. Que de belles rencontres survenues à cet endroit, dont celle avec un passionné des plantes: Bernard Boivin, qui travaille alors aussi en recherche biosystémique pour le Centre de recherche et de développement d'Ottawa.  

Line croise aussi Jean-Paul Bernard, cet homme qui a perdu l’audition à l’âge de 10 ans et communique à peine. Il aura travaillé des milliers d’heures pour l’Herbier. C’est d’ailleurs lui qui a inventorié toutes les plantes vivant sur le campus de l’Université Laval. M. Bernard a fait soupirer bien des jardiniers: de chaque nouvel aménagement végétal, il arrachait toujours un spécimen pour l’ajouter aux collections de l’Herbier.

À l’été 1981, Line fait ses débuts comme assistante de recherche au CEN (Centre d’études nordiques) aux côtés de Serge Payette. Les trois étés de ses études au bac, elle les passera à se familiariser avec la flore de la taïga et de la toundra. En dernière année de biologie, elle pose sa candidature pour partir terminer sa formation en Californie. Anecdote amusante concernant son apprentissage de l’anglais en accéléré: sur 42 candidatures provenant de l’Université Laval, elle est la deuxième retenue sur trois, même si elle ne savait pas parler la langue. Ses premiers mois d’étude en biologie à l’Humbolt State University lui ont donné bien des maux de tête! Passionnée et autodidacte, cette femme, j’en ai encore la preuve…

Sur la route de retour vers le Canada, sur le pouce (eh oui), Line arrête à l’Université de l’Alberta pour évaluer les possibilités d’y faire une maitrise. Mais, avant d’entreprendre les études supérieures, elle décide de prendre une pause et part avec son copain sillonner l’Amérique du Sud.

Après une année à explorer d’autres pays, Line se voit proposer par son directeur de thèse, Dale Vitt, de qui elle parle avec admiration, deux projets de recherche. Le premier me semble enchanteur: l’étude des mousses aux îles Fidji! Elle choisira plutôt d’étudier les impacts des pluies acides sur les tourbières. Sa meilleure décision à vie, affirme-t-elle. Les apprentissages sont incroyables au sein de l’équipe d’ELA (Experimental Lakes Area), tant pour les outils de travail issus des recherches à l’échelle d’un écosystème que pour les habiletés développées à travailler en équipe multidisciplinaire.

Nous voilà en 1987, Line enchaine avec un doctorat à l’Université de Cambridge en Angleterre. Avec humilité, elle m’avoue que jamais elle ne pensait se rendre aussi loin dans sa scolarité, elle, la petite fille de Port-Alfred. Accompagnée de son conjoint qui poursuit lui aussi ses études de troisième cycle à Cambridge, elle étudiera un sujet de doctorat qui n’était pas son premier choix. Mais, le coût de la vie en Angleterre ne lui permet pas d’aller habiter dans une autre ville que son copain. Aux côtés d’Ian Woodward, elle explore donc les impacts de l’augmentation du CO2. Précisons que nous sommes à cette époque aux balbutiements des échanges concernant les changements climatiques et des tout premiers ordinateurs. Notre étudiante fera de nombreux allers-retours entre l’Université de Cambridge et l’Université d’Harvard à Boston où elle travaillera étroitement avec le professeur Fahkri Bazzaz. Grande voyageuse, elle repart en tour du monde en 1990 avec son amoureux. Au retour, elle postule pour un poste de professeure assistante à l’Université Laval.  Elle doit d’abord terminer son doctorat…  Elle me raconte avec fierté l’appel de l’Université Laval: elle est à Boston et on la convie pour une entrevue alors que la rédaction de sa thèse n’est même pas terminée! C’est ainsi que Line est revenue sur les terres du Québec.

Je pourrais écrire longuement sur la suite de sa carrière, sur ses livres, ses nombreuses implications, ses prestigieux prix de reconnaissance et son grand rayonnement, ici comme ailleurs dans le monde. Pour n’en nommer que quelques-uns:  l’ouvrage récent Les sphaignes de l’Est du Canada, le projet d’une vie, le prix Synergie en 2004 et la bourse de 25 000$ qui lui a permis de mettre en place la numérisation des spécimens et étiquettes pour les mousses de sphaigne de l’Herbier Louis-Marie.

Line Rochefort
Passionnée par l’étude des tourbières, Line à la Baie-James, 2015

Autre implication notable: elle est actuellement correspondante nationale pour le Canada au sein du Groupe d'évaluation scientifique et technique de la Convention de Ramsar, pour la protection des milieux humides. De plus, tout récemment, Line vient d’accepter un mandat de deux ans pour le Programme Global Peatlands Initiative (GPI) des Nations unies pour l’environnement (UNEP) afin d’établir un portrait de l’état de santé des tourbières à l’échelle mondiale. Une résidence de coordination et de travail est prévue au Kenya.

Femme engagée, Line a été juge de ski acrobatique, présidente du club de ski acrobatique de Stoneham et présidente de Skibec acrobatique pendant des années. La philanthropie pour elle, c’est un mode de vie. L’été, pour relaxer, elle pratique le kayak, le vélo de route et de montagne, et la natation. Une vie bien remplie et très active, celle de l’illustre professeure-chercheure Line Rochefort!

Merci, Line, de cette rencontre captivante et de ta grande générosité de cœur!


Vous aimeriez écrire à Line Rochefort?: line.rochefort@fsaa.ulaval.ca

Envie de contribuer à l’Herbier Louis-Marie?: https://www.ulaval.ca/fondation/donner/fonds/2911/