Fernand Dumont: un ami, un collègue

Jean- Paul Montminy


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Fernand Dumont est un ami depuis les années 1940, un collègue depuis le début des années 1960.

S'il me fallait, à ces deux titres, situer brièvement Fernand Dumont, j'emprunterais à Shakespeare – Tout est bien qui finit bien – un passage vraiment significatif, caractérisant bien l'ami et le collègue que nous honorons dans cet ouvrage. « On dit qu'il n'y a plus de miracles, et nous avons nos philosophes pour rendre ordinaires et familières les choses surnaturelles et inexplicables. Voilà pourquoi nous nous gaussons de choses terribles, nous fortifiant dans une apparence de science, quand nous devrions nous soumettre au redoutable inconnu. » Fernand Dumont est un homme tourmenté au sens plénier du terme. Pour lui, la vie dans toutes ses dimensions se doit d'être prise très au sérieux. Pour lui, la vie est en quelque sorte tragique évoquant alors le beau livre de Jean-Marie Domenach.

J'ai connu l'ami Fernand à son entrée en Belles-Lettres au Séminaire de Québec. Il arrivait du cycle des études offert par les écoles supérieures publiques, voie « détournée » pour les candidats aux facultés de sciences n'ayant pas suivi le parcours reconnu des études du collège classique. Ce furent de très belles années pendant lesquelles notre groupe privilégié, l'Académie des sept, s'initiait à la poésie, à la musique, à la fréquentation des grands auteurs sous la direction ouverte de l'abbé Gérard Dumouchel. Ce fut l'époque de notre jeunesse, d'une jeunesse qui, à l'exemple des prédécesseurs et des successeurs, voulait changer le monde, et surtout le Québec. Ce fut la naissance d'une amitié.

Déjà en ces années, je découvrais chez Fernand Dumont un être d'une très grande sensibilité, une âme de poète. De nature plus que discrète, réservée, il ne prend que très rarement l'initiative de la rencontre. Une fois faits les premiers pas, se révèle alors une personne dévouée, accueillante, attentive à l'autre. On ne compte plus ceux et celles qu'il a aidés, supportés, accompagnés de ses conseils.

Avec insistance, je puis témoigner que Fernand Dumont est un ami fidèle. Des circonstances, surtout géographiques, ont fait pour un temps s'éloigner nos routes. En conséquence, les rencontres et les échanges ont été beaucoup plus rares. Lors de ma venue en sociologie, il y a eu reprise ou plutôt continuité de cette amitié déjà bien ancrée. Vinrent alors de longues heures de partage: direction de mes travaux de l'époque, conceptions et aménagements du département de Sociologie de Laval, mise en place des premières tentatives d'interdisciplinarité par la création de l'Institut supérieur des sciences humaines... Et puis, les conversations maintes fois reprises au sujet du religieux, de l'avenir du catholicisme québécois. Davantage, les rêveries communes propres à l'amitié réelle et profonde. Celles-ci restent, on le comprendra aisément, du domaine de l'intériorité réciproque qu'il serait plutôt indécent de rendre publiques.

Fernand Dumont, collègue, est un intellectuel au sens le plus complet du terme. Homme d'abord d'enseignement: « mon premier métier » comme il aime le répéter, il s'est toujours attaché à la transmission du savoir. Un savoir exceptionnel, bien sûr, mais, par la transmission de son savoir, il a voulu véhiculer une vision exigeante de l'existence, une conception de l'homme marquée au coin du sérieux de la vie, de l'engagement aussi bien social que chrétien. À ce dernier titre, Fernand Dumont est un croyant fier de son appartenance, un chrétien lié à sa foi, interrogé par elle et l'interrogeant sans relâche.

Sur le plan intellectuel, il y aurait pour qui regarde un peu superficiellement comme deux Dumont. Celui de la conceptualisation scientifique ; ainsi ses travaux poursuivis dans un même axe de réflexion sur l'épistémologie des sciences: anthropologie, économique, théologie, historiographie... Celui de l'être très enraciné dans sa mémoire et dans celle de son milieu immédiat. Il explicitera alors un exposé pas toujours facile à suivre de prime abord par une série d'exemples puisés à son expérience de travail dans les filatures de Montmorency ou à ses contacts familiaux et de voisinage avec des ouvriers d'usines. Alors, l'agencement des concepts, la construction logique d'un paradigme prennent tout leur éclairage et suscitent des échanges fort stimulants pour la poursuite de la réflexion et sa traduction dans l'action.

À cet égard, je trouve dans son ouvrage récent Genèse de la société québécoise une illustration fort éloquente de mon propos. Qui plus est, cette fois, « l'exemple » est fixé dans l'écriture. Résultat de la sagesse venue avec l'âge? Qu'importe. Il demeure que les rappels des événements bien réels survenus à Montmorency: la vie quotidienne, la vie religieuse de la paroisse, de l'usine nous font alors passer de ce vécu à une « ouverture sur la transcendance » (voir l'introduction de l'ouvrage: « Mise en scène »).

L'approche choisie par Fernand Dumont n'est pas fortuite ou plaisir que se permet l'auteur. Il veut d'abord et avant tout « inviter à resaisir la jeunesse d'une question qui risque de se perdre trop vite dans la théorie, alors qu'elle l'inaugure ». Là, à mon avis, se trouve fermement posée la suite, la ligne directrice de l'oeuvre. Place maintenant à l'analyse minutieuse, à la réflexion et à la construction théorique: la genèse de la société québécoise, les concepts centraux d'identité et de référence. Ce court exemple, auquel je me suis peut-être trop attardé, voulait tout simplement rappeler qu'à côté du Dumont l'intellectuel parfois austère, il y a le Dumont enraciné dans son milieu, le Dumont si attachant.

Me souvenant aujourd'hui de notre amitié ininterrompue depuis les temps de notre jeunesse, évoquant le compagnonnage enrichissant poursuivi depuis quarante ans, Fernand, je te salue ici avec une profonde émotion.


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