Marc-Adélard Tremblay : anthropologue et « spécimen » !

Frank G. Vallee


Des années après leur première rencontre, on croirait que deux amis pourraient mentionner des centaines d'exemples de retrouvailles passées. Et pourtant, malgré une amitié qui date de plus de trente ans, les occasions où Marc-Adélard Tremblay et moi nous sommes retrouvés face à face se résument à une vingtaine !

Cette rareté de contacts personnels s'explique en partie par les obstacles posés par les grandes distances, mais elle s'explique également par la dualité canadienne, les deux mondes socioculturels plutôt distincts, anglophone et francophone, qui la composent. Chacun de nous a habité le monde de l'autre durant des périodes de durée variable mais, tout compte fait, nous avons gravité l'un vers le monde anglophone, l'autre vers le monde francophone. Marc-Adélard est passé du côté du monde anglophone ou bilingue beaucoup plus souvent que je n'ai moi-même pénétré le monde francophone. Toutefois, il a été difficile de vaincre l'obstacle posé par la distance géographique.

Malgré nos contacts plutôt restreints, je connais Adé Tremblay et son oeuvre suffisamment bien pour être en mesure d'ajouter mon témoignage à ce « volume en hommage ». D'autres collaborateurs ont mis en évidence les multiples facettes de son curriculum vite et détaillé sa contribution à de nombreux domaines du savoir aussi bien qu'aux questions de politique et de recherche. Qui aurait pu prévoir, il y a une génération, que ce jeune homme originaire des Éboulements deviendrait une autorité dans autant de domaines, accéderait au poste de doyen de faculté à l'Université Laval ainsi qu'à la présidence de la Société royale du Canada et à celle du Conseil québécois de la recherche sociale ?

Il y aurait beaucoup à dire sur ses réussites présentes et passées, mais je ne me pencherai ici que sur celle qui m'a impressionné de façon particulière : comment il a su donner vie au concept anthropologique de culture dans son application à la complexe société québécoise. Je n'aurais pu faire cet énoncé lors de notre première rencontre, il y a une génération. À ce moment, si j'utilisais le concept de culture, c'était en relation avec des sociétés de dimensions restreintes ou des sous-groupes.

J'avais fait mes études postuniversitaires en Grande-Bretagne au moment où l'on parlait souvent de l'anthropologie sociale comme étant la sociologie comparative. Le travail analytique et descriptif portait sur les réseaux de relations, particulièrement ceux relevant des liens de parenté, du système économique et du régime politique. Nous utilisions le concept de culture d'une façon descriptive : la culture était tout d'abord un aboutissement, le résultat de l'interaction des forces avant tout économiques et politiques. À ce moment-là, pour certains d'entre nous, les études où la culture jouait comme variable indépendante étaient au nombre des avenues de recherche un peu suspectes, telles que la culture-personnalité et le caractère national, que nous considérions comme américaines ! Adé Tremblay aurait été enclin à donner un rôle central à la culture en raison de son expérience à Cornell mais aussi, et c'est là ce que je veux faire particulièrement ressortir ici, en vertu de l'expérience vécue qu'il a de ce qu'est une culture vivante et distincte, culture qu'il personnifie lui-même éloquemment !

Il est rare que l'anthropologue soit lui-même représentatif, un « spécimen » quoi, de la société dont il interprète les valeurs et le mode de vie. Le plus souvent, il est un étranger qui n'a pas grandi depuis l'enfance au sein de la culture en question, dont certains aspects sont le produit de plusieurs siècles. Il est rare également que l'anthropologue acquière l'identité culturelle des gens qu'il étudie. Adé Tremblay, de par ses études sur les Québécois et leurs « cousins germains » les Acadiens, représente cette rare exception.

Ayant fait la connaissance de certains membres de sa parenté aux Éboulements, terre ancestrale du rameau de la famille Tremblay dont il est issu, je puis apprécier jusqu'à quel point il a absorbé la diversité de la culture québécoise. Dans son réseau de liens de parenté, on trouve un reflet de tout ce que la société environnante comporte en fait de statut et d'orientation. C'est un peu comme si la société était une version amplifiée de son réseau familial. Naturellement, il s'agit là d'une exagération, mais il n'empêche qu'elle comporte une bonne part de vérité.

Dans les discussions portant sur la littérature et l'anthropologie, la question de « voix » figure d'importante façon, de même que celles de l'authenticité et des avantages ou des inconvénients que présente le détachement de l'observateur. Sans aborder ces importantes questions, qu'il me soit permis de dire que la voix par laquelle Marc-Adélard exprime de l'intérieur sa propre société, voix disciplinée par les règles de la méthode anthropologique, a beaucoup fait pour illuminer la culture québécoise au profit de ceux qui, comme moi, y étaient étrangers. Je lui en suis profondément reconnaissant.


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