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Frères des écoles chrétiennes. Nouvelle géographie illustrée à l’usage des écoles chrétiennes de la puissance du Canada. Montréal, 50, rue Cotté, 50, c1875. iv-94 p.

Arrivés de France à Montréal en novembre 1837, les Frères des écoles chrétiennes publient leur premier manuel au printemps 1838: Nouveau traité d’arithmétique: contenant toutes les opérations ordinaires du calcul, les fractions et les différentes réductions de fractions, les règles de trois, d’intérêt, de société, d’alliage, l’extraction des racines, les principes pour mesurer les surfaces et la solidité des corps: enrichi de 400 problèmes à résoudre, pour servir d’exercice aux élèves: à l’usage des écoles chrétiennes des frères. Cette première réalisation trace la voie à une double collaboration dont bénéficiera l’antenne québécoise de la communauté: modification - on remplace le système de mesures à la française par le système à l’anglaise - d’un texte paru initialement en France au moins en 1831 et qui y sera encore repris en 1914, et entente avec un imprimeur local pour la réalisation du projet car les frères n’ont alors aucune expérience dans l’édition.

Du printemps 1838 à la fin de 1868, les frères québécois rédigent mais surtout empruntent à leurs confrères de France pas moins de 18 titres, tous mis en marché par différents éditeurs laïcs. En 1869 un pas vers l’autonomie est franchi avec la réimpression de A new treatise of the duties of a christian dont la maison Sadlier avait assuré une première parution l’année précédente; les droits d’auteur sont enregistrés au nom d’un membre de la communauté, le frère Hoséa (Éphrem Gagnon), provincial du district de Montréal et premier canadien à occuper ce poste auquel il a accédé depuis à peine un an. Pour la première fois paraît un manuel rédigé par les frères dans lequel ne figure aucun nom de libraire ou de typographe: en lieu et place on retrouve au bas de la page de titre l’adresse de la maison du provincial sur la rue Côté; comme les frères n’ont pas encore d’imprimerie, ils ont fait appel à une collaboration extérieure qu’ils ne se sentent pas tenus d’identifier: ils ont pris tous les risques et en acceptent toutes les responsabilités. L’année suivante ils posent le même geste qui les identifie formellement comme éditeurs, mais cette fois avec un manuel rédigé au Québec et qui en est à sa première parution (Introduction au traité d’arithmétique commerciale, 1870).

L’adresse civique figurant sur un grand nombre de manuels fournit un second indice pour fixer la date à partir de laquelle la communauté s’affiche publiquement comme éditeur. Précisons d’abord que les frères occupent à Montréal depuis au moins 1841 un quadrilatère bordé par les rues Côté, Vitré, Chenneville et Lagauchetière et qui appartient aux Sulpiciens; ils y construisent, au fil des ans, un complexe abritant à la fois un pensionnat, un noviciat, une maison de retraite pour les frères âgés; on y retrouve également la résidence du provincial et une procure. Comme le terrain longe le versant ouest de la rue Côté, il se voit attribuer les numéros civiques pairs: la communauté utilise indifféremment 44 ou 50 jusqu’en 1927, et 984 par la suite lorsque la ville de Montréal modifie le système de numérotation. Timidité ou prudence? La communauté commence par indiquer, au bas de la page de titre, l’adresse civique de son siège social, sans mention de son nom: «50, Cotté street» pour A new compendium of sacred history (1869) ou «44, Côté street» pour A new treatise of the duties of a christian (également en 1869); il faut attendre 1871 pour pouvoir lire en toutes lettres le nom de l’éditeur: «Frères des écoles chrétiennes» au bas de la page de titre de Solutions des exercices et problèmes des traités d’arithmétique.

Au début de la décennie 1870, la communauté contrôle désormais deux étapes de la production de ses manuels: elle les rédige et les édite; l’impression lui échappe encore, mais pas pour longtemps. En 1877 elle achète de la corporation épiscopale de Montréal, pour un montant de 11 000.00$, un terrain avec construction situé à l’angle sud-est des rues Côté et Vitré, situé de biais par rapport à son siège social. Or, la même année ou au plus tard l’année suivante, l’imprimeur Joseph Chapleau, avec lequel elle a déjà fait affaire lorsqu’il logeait au 10 St-Charles Borromée (voir, entre autres, Nouvelle géographie illustrée, 1875), emménage dans l’édifice que les frères viennent d’acquérir et devient, de loin, leur principal imprimeur. On l’y retrouve, toujours d’après le Lovell’s Montreal Directory, jusqu’en 1888 ou 89; logé à deux pas de la procure des frères, ces derniers peuvent ainsi s’initier au métier d’imprimeur. L’édition de 1889-90 du Lovell’s nous apprend que l’occupant du 31 de la rue Côté n’est plus «Chapleau, J. & Fils, printers» mais «Christian Bros., printers». La boucle est bouclée: au début des années 1890, la communauté agit désormais comme auteur, éditeur, imprimeur et distributeur de manuels scolaires.

Pendant les 70 ans qui suivent, les Frères des écoles chrétiennes sont un des principaux joueurs dans le monde de l’édition pédagogique au Québec, que ce soit la Procure de Montréal ou le Centre pédagogique de Québec alors qu’au Canada anglophone les frères de Toronto publient un ou deux titres tout au plus. Au début de la décennie 1960, et devant l’ampleur que prennent les maisons d’édition laïques dans le champ pédagogique, la communauté tente de se redéfinir, notamment en adoptant une nouvelle raison sociale, Lidec (Librairie des écoles), visiblement inspirée du succès que connaissent à cette époque leurs confrères de France qui éditent sous le vocable Ligel (Librairie générale de l’enseignement libre). Finalement, en 1985, la communauté se retire complètement de ce secteur économique en vendant sa maison d’édition et son imprimerie à l’éditeur scolaire Guérin.

Pendant tout ce temps, les frères du Québec utilisent largement les publications de leurs confrères d’outre-mer: français (grammaire, lecture) et arithmétique notamment. Très importants au 19e siècle, ces emprunts diminuent au début du 20e siècle suite aux pressions des autorités gouvernementales demandant des produits locaux, mais connaissent une nouvelle flambée durant la deuxième guerre mondiale.

Voir Paul Aubin, Les communautés religieuses et l’édition du manuel scolaire au Québec - 1765-1964, Sherbrooke, Groupe de recherche sur l’édition littéraire au Québec, 2001, 131 p.

http://revista_roma.delasalle.edu.mx/numero_6/paul_aubin_fr_6.pdf

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