Trois métacultures de la modernité: chrétienne, gnostique, chtonienne

Edward A. Tiryakian


I

II

III

CONCLUSION

NOTES


I

Pour commencer, une observation banale: le monde a beaucoup changé, en cette fin de siècle, surtout avec l'effondrement inattendu en moins de cinq ans d'un empire communiste qui, il y a une génération à peine, se considérait comme l'ange exterminateur de la société bourgeoise. C'est aussi un intervalle de cinq ans, de 1914 à 1918, qui avait vu se produire, au début du siècle, des changements tout aussi considérables, dont la mort d'empires plusieurs fois centenaires, entraînant une importante évolution des moeurs et des modes de vie. Entre ces deux cadres historiques, toutefois, une différence majeure: les vastes transformations structurelles qui sous-tendent aujourd'hui le contexte politique et culturel ne sont pas à mettre au débit du triste bilan de la guerre1.

La sociologie, traditionnellement, a eu pour mission d'analyser et d'expliquer cette « bête sauvage » qu'est le changement, c'est-à-dire d'interpréter l'évolution historique de la société moderne à la lumière, entre autres fractures, des crises et des ruptures qu'elle a connues (des sociologues aussi différents que Comte, Marx, Weber et Spencer jusqu'à C. Wright Mills et Sorokin proposant des voies très diverses d'explications selon l'interprétation propre de chacun). Ces dernières années, pourtant, la nouvelle génération de sociologues n'a pas cherché à s'aventurer dans de grandes analyses de ce monde contemporain, en transformation, de l'après-guerre froide2. D'autres auteurs, cependant, se sont commis. Deux en particulier ont produit des textes qui donnent à réfléchir. Complémentaires l'un de l'autre, ceux-ci établissent le cadre des événements et servent de point de départ au présent article. Ce sont « The end of history? » de Francis Fukuyama, paru à l'été 1989, et « The clash of civilizations? » de Samuel Huntington, paru quatre ans plus tard3. Ces deux articles sont aujourd'hui célèbres, et je me contenterai ici d'en effleurer quelques éléments essentiels.

À la veille de la dissolution de l'Empire soviétique, Fukuyama soutenait que la guerre entre idéologies concurrentes – importants moteurs de l'évolution historique – s'était essoufflée, faisant du libéralisme occidental, tant politique qu'économique, le vainqueur mondial incontesté. C'était la fin de l'histoire en tant que combat entre idéologies incompatibles. Quatre ans plus tard, Huntington faisait revivre la notion de conflit global, en cette fin de XXe siècle, non pas, cette fois-ci, entre États-nations, mais entre civilisations. Plus particulièrement, le choc devait se faire entre la civilisation occidentale moderne (dont ferait partie le Japon), riche sur le plan économique, mais pauvre sur le plan démographique, et le reste du monde, spécialement les civilisations islamique et confucéenne, à forte densité de population. Ce scénario de la réorganisation des relations internationales en fonction de grands ensembles de civilisations concurrentes, notamment la vision d'un Occident opposé à l'Islam, trouve un écho immédiat dans l'analyse du célèbre spécialiste français des relations internationales Pierre Lellouche4.

Dans leur étude de la situation mondiale, Fukuyama et Huntington, indirectement, mettent la culture au premier plan, car la rencontre d'idéologies concurrentes aussi bien que le choc des civilisations ne sont, au fond, que de vastes conflits culturels. La scène culturelle constitue sans doute un terrain critique pour l'étude des grands changements sociaux (une perspective bien établie dans une filiation sociologique où se retrouvent Durkheim, Weber, Sorokin et, plus près de nous, Georges Balandier et Fernand Dumont5). À mes yeux, les analyses provocatrices de Fukuyama et de Huntington comportent leurs limitations relatives.

S'agissant de la vision néo-hégélienne de Fukuyama, selon laquelle la fin de l'idéologie signifie la fin de l'histoire, il faut rappeler que, même si nous avons connu de brèves périodes apparemment dominées par une seule idéologie, celles-ci ont toujours été suivies de l'arrivée de nouvelles idéologies ou, pour reprendre l'expression de Dumont, du « retour des réprimées6 ». Et tandis que Fukuyama parle de la disparition des idéologies concurrentes, on assiste depuis cinq ans à la renaissance mondiale du nationalisme et du fondamentalisme. De même, on se souviendra davantage des années 1960 pour l'apparition de nouvelles luttes idéologiques et le conflit des générations que pour le vaste consensus culturel qu'annonçait, quelques années auparavant, une analyse de « la fin de l'idéologie ». Si l'on remonte plus loin encore, on constate que l'Occident a assisté ainsi, de façon cyclique, à la fin de plusieurs idéologies – comme autrefois avec ces traités oecuméniques –, avant de voir surgir de nouvelles batailles idéologiques. Bref, un examen historique attentif révélerait qu'il ne faut pas voir dans la période actuelle de relative tranquillité idéologique « la fin de l'histoire », mais plutôt une « pause » que fait celle-ci.

Quant à Huntington, même si son analyse, qui voit dans les civilisations des blocs de relations internationales, constitue une importante innovation conceptuelle – une amélioration des macroanalyses plus simplistes et totalisatrices qui collent au modèle des États-nations multiples ou au système mondial unitaire - -, elle n'est pas non plus sans faiblesses. Pour Huntington, une civilisation, l'Occident par exemple, serait une entité relativement homonogène, comprise dans un territoire géographique limité. Mais alors, il ne tient pas compte du fait que les processus de mondialisation, entre autres, la migration internationale, l'accroissement des moyens de transport et de communication, la production en « chaînes mondiales de matières premières », etc., rendent les civilisations toujours plus « poreuses », plus perméables à l'interpénétration. Si le totalitarisme soviétique n'a pas su empêcher l'Ouest de s'immiscer, par la télévision, dans l'univers socialiste, comment les démocraties occidentales, en dépit des pressions nationalistes, pourront-elles empêcher l'Islam de progresser sur le territoire de la civilisation occidentale? Et il n'y a pas que les porteurs de la civilisation islamique qui pénètrent le territoire historique de l'Occident, mais aussi, en Amérique du Nord, les porteurs de la sinité, qui constituent depuis quelques années la principale vague d'immigrants (avec les porteurs de la civilisation latino- américaine, venus du Sud).

En fin de compte, la dynamique du changement qui a imprimé à la civilisation occidentale tellement de caractéristiques différentes et de facettes de la modernité comporte, de façon durable, une infrastructure culturelle fondamentale, qu'il faut étudier à l'intérieur et non pas à l'extérieur de l'Occident. Une infrastructure culturelle à plusieurs niveaux, dont certains s'expriment en termes de différenciation binaire, telle la distinction entre « grande » et « petite » culture (entre l'élite et le peuple), entre culture « établie » et culture « dispersée » ou, plus récemment, entre culture « mondiale » et culture « locale7 ». J'adopte le mot « niveaux » pour parler, comme Georges Gurvitch, de « sociologie des profondeurs ». Bien que ce ne soit pas ici le lieu de rendre compte des paliers de la culture, il peut être utile de suggérer qu'une première dimension de leur analyse serait de considérer la population impliquée dans leurs manifestations dans la vie quotidienne. Une autre dimension concerne le degré d'institutionnalisation, qui permettrait de distinguer les paliers où la culture peut être considérée comme légitime et ceux où la culture sert plutôt à légitimer le maintien d'un ordre social, en tout ou en partie. Le continuum sacré-profane constitue une troisième dimension, selon laquelle des objets ou des liens culturels sont traités comme valeurs fondamentales ou considérés comme accessoires (de simples commodités) pour l'identité des acteurs. On pourrait aussi invoquer une quatrième dimension, celle de la conscience collective, qui va de la prise de conscience globale (par exemple, le livre que je lis est une traduction anglaise d'un livre à succès d'un philosophe français) aux niveaux inférieurs de conscience (par exemple, celle qu'ont les habitants de Québec ou de Pékin de communiquer entre eux en français ou en chinois, respectivement).

Pour illustrer mon propos, je me servirai d'une métaphore empruntée au traitement de texte (et qui m'est sans doute venue du fait que je me sers d'un ordinateur pour écrire ce texte). Le bagage culturel des divers acteurs constituerait autant de « progiciels » distincts  ; la « réalité virtuelle » de l'univers informatique, que l'on découvre et que l'on explore, constitue une extension nouvelle et très importante de la sphère culturelle de l'« imaginaire » quand il s'agit de déterminer quelle réalité (sociale) engendre l'interaction entre les acteurs sociaux et leurs divers environnements.

La « métaculture », qui est le niveau culturel le plus profond sur le plan ontologique, est un ensemble de croyances et de symboles qui viennent d'un lointain passé et que renouvellent les générations successives d'acteurs. Cette métaculture, cet ensemble de croyances et de symboles lancés et disséminés par l'intermédiaire de l'homme, est pour l'essentiel à peu près invisible, mais sert de fondement et de cadre ultime à l'action. Comme métaphore, par conséquent, la métaculture devient le « système d'exploitation » de la civilisation (en anglais operating system). Quand nous nous servons d'un ordinateur, nous oublions vite le système d'exploitation qui fournit les « instructions de base », sans compter que nous ignorons tout des personnes qui ont conçu ce système. Mais ce dernier, de temps à autre, se laisse entrevoir, par exemple, quand, après l'utilisation de tel programme informatique, il offre la possibilité de « quitter » ou de « retourner » au système d'exploitation.

Il ne faut, bien sûr, pas exagérer les métaphores. Notre seule intention, ici, était de donner un aspect familier à la conceptualisation d'un niveau culturel dont on a fait à ce jour peu de cas. Au-delà de la simple métaphore, la civilisation occidentale présente une multitude de ces « systèmes d'exploitation », de ces métacultures, dont trois me semblent d'un intérêt particulier dans la dynamique de l'évolution de la civilisation, à savoir les métacultures que nous appellerons « chrétienne », « gnostique » et « chtonienne ». Alors que chacune d'entre elles cherche à exercer une domination, souvent totale, sur tous les aspects de la culture, l'histoire les montre en constante opposition, l'une ou l'autre, à tour de rôle, semblant disparaître dans telle conjoncture historique, pour ensuite réapparaître à une autre époque, dans une conjoncture identique. En dépit du conflit fondamental qui oppose ces trois métacultures, l'évolution historique de la civilisation occidentale révèle aussi des alliances et des compromis tacites, souvent – comme le soutient Simmel dans son étude de la triade8 –entre deux d'entre elles au détriment de la troisième. Et avec leurs principaux agents, ces métacultures croisent le fer dans l'arène publique, où elles se disputent territoires, adeptes et institutions. Cette forte interaction et jusqu'à un certain point cette interpénétration des métacultures (puisque les humains qui les transmettent sont exposés à divers éléments de chacune d'entre elles) se font de différentes manières, selon les époques.

II

Même s'il ne s'agit que d'une analyse préliminaire, je vais tenter ici de présenter, de façon idéale-typique, quelques traits essentiels de chacune de ces trois métacultures.

On associe habituellement la métaculture chrétienne à la civilisation occidentale. Au coeur du symbolisme chrétien, l'accent est mis sur le salut de l'âme par le sacrifice rédempteur de Jésus-Christ, le divin sauveur, qui est à la fois « Fils de Dieu » et « Fils de l'Homme ». Les multiples interprétations de ce symbolisme central ont donné lieu à diverses identités collectives, à des bases de légitimation et de motivation différentes, à des façons particulières de concevoir la communauté et de fonder l'appartenance, allant de la petite communauté « fraternelle » égalitaire à l'« Église » nationale et même universelle, « pan-humaine ».

Comme toutes les traditions religieuses – et comme toutes les idéologies –, le christianisme a eu tendance, au fil des âges, à fixer ses doctrines et ses rituels. Mais la métaculture chrétienne s'est aussi donné des éléments ou des orientations qui favorisaient la modernité, au sens d'innovations culturelles, technologiques et sociales susceptibles de s'insérer dans un vaste éventail de cadres différents, même éloignés du lieu d'origine. Cette ouverture au modernisme s'est faite dans les premiers siècles (de l'ère moderne), avec la codification d'un « Nouveau » Testament, puis par l'adoption d'un calendrier tenant compte systématiquement du temps écoulé « ap. J.-C. », en remplacement des calendriers cycliques ou dynastiques. De même, l'universalisation paulinienne de la communauté, au-delà de toute démarcation ethnique, et l'obligation d'activisme religieux faite à tout fidèle, enjoignant de répandre « la bonne nouvelle » dans le monde entier, sont autant de facteurs qui ont contribué à la modernité.

Le personnage du Christ et à sa suite de nombreux disciples, facilement reconnaissables au fil des générations et dont la vie sur terre a été marquée par leur rencontre avec l'homme-Dieu ou avec ses proches, ont fourni à cette métaculture une puissante capacité de motivation et une armée de modèles à émuler. Le sacrifice, l'abnégation, l'altruisme et même le martyre sont autant de thèmes qui font partie du répertoire de motivation de la métaculture chrétienne. Dans cette veine, Parsons a déjà fait remarquer l'origine chrétienne, très importante, de l'éthique du « service », lequel est passé par diverses étapes successives d'interprétation et de laïcisation9. Si l'on pousse plus loin l'analyse de Parsons, cette orientation vers le service s'est aujourd'hui particulièrement renforcée en Amérique dans au moins deux domaines apparemment laïques: le « service public » et le bénévolat individuel, d'une part, et la dimension service du capitalisme américain. En fait, la « dîme » ou, de façon plus générale, la part de gains personnels versée à la transcendance ne date pas d'hier, et pas seulement en Occident, mais aussi dans d'autres civilisations. Mais ce qui frappe, dans l'Amérique moderne, c'est de voir jusqu'à quel point des capitalistes ayant connu le succès ont fourni des services à l'ensemble de la société, tant par leur engagement personnel que par des ressources matérielles telles que les bibliothèques, les musées et les universités.

De la même manière, la métaculture chrétienne est aussi l'occasion de restrictions ou de contraintes personnelles fondamentales. Celles-ci ont permis de renforcer le processus d'individualisation, par le développement de l'autonomie et la responsabilisation des individus, pas tellement à l'égard de l'entourage social immédiat qu'à l'endroit de la divinité intériorisée en chaque personne. Ce sont les contraintes de la « conscience », les restrictions du « péché » qui servent de frein intérieur dans la conduite de chacun. En un sens, la métaculture chrétienne, en particulier en Occident et surtout dans la société moderne, s'est développée selon une sorte de « pacte transcendantal » entre l'individu et la divinité. L'individu peut se déplacer, s'aventurer, devenir ce qu'il veut, tenter ses expériences, se développer au-delà des limites de son groupe social de base, mais l'ensemble de ses activités doit être évalué à court terme à la lumière de sa conscience, et déterminer à long terme (sur son lit de mort) si la vie qu'il a menée lui vaut le salut éternel, selon le jugement de Dieu lui-même. Il existe, dans la pensée chrétienne primitive, une « théologie de la libération », tacite et d'orientation mystique, selon laquelle Dieu rédempteur, qui s'est fait chair, a librement donné à chaque homme la possibilité de se libérer de la mort.

La métaculture chrétienne, il va sans dire, est bien plus que cela. Ainsi, j'ai omis certaines différenciations spatiales et temporelles. Et la description d'une métaculture chrétienne type se complique encore du fait que, dans la réalité du processus historique, cette culture s'est mélangée à d'autres grandes orientations culturelles, tant dans la civilisation occidentale que dans l'ensemble des civilisations.

La métaculture gnostique apparaît, sous certains rapports importants, plus évasive et plus obscure que le christianisme. Son aspect nébuleux, jusqu'à un certain point, tient à ses origines vagues et mystérieuses, qui remontent à l'Antiquité. Cette quasi- obscurité lui vient également d'abord de son implication avec le christianisme, puis de sa dénonciation par l'Église, désormais cristallisée autour d'un ensemble d'enseignements « orthodoxes » qui marginalisent et occultent le gnosticisme, dès lors considéré comme la plus dangereuse des hérésies. Un troisième facteur a contribué à dissimuler le gnosticisme, et c'est le fait que ses partisans modernes reconnus (les francs-maçons, théosophes, rosicruciens et adeptes de divers autres ordres) ont eu tendance à entourer de mystère et de secrets ses origines, ses pratiques et ses actions sociales. On constate aujourd'hui un regain d'intérêt « officiel » pour la culture gnostique, à laquelle ont désormais accès les scientifiques grâce à la découverte, il y a près de cinquante ans, des manuscrits de Nag Hamadi. Indépendamment de l'attrait exercé par ces documents sur les spécialistes de la Bible ou des origines de l'Église, soulignons ici la persistance d'une métaculture gnostique plus vaste et la signification de cette culture dans la dynamique de certains aspects de la modernité occidentale, particulièrement en tant que courant durable et important d'hétérodoxie10.

En tant qu'orientation, le gnosticisme est très ambivalent à l'égard de l'univers constitué. Selon l'analyse religieuse et historique traditionnelle, en effet, les gnostiques ressentent de la répugnance pour le monde créé à partir de la matière et cherchent le salut dans la « connaissance divine » des vérités cachées de l'univers. Les gnostiques ne sont pas à l'aise, dans le monde de la matière, ils s'y sentent étrangers11.

L'orientation fondamentale du gnosticisme, toutefois, est sans doute un peu plus complexe que le simple fait de chercher à connaître les « structures profondes » de l'univers, plus complexe aussi que l'aspect initiatique de l'acquisition d'une telle connaissance, bien que l'initiation soit souvent aussi importante que la connaissance à acquérir. À la base, l'un des aspects de l'orientation gnostique veut que l'ordre social courant, constitué d'une culture, de coutumes et de croyances traditionnelles ainsi que d'un cadre institutionnel destiné à cette culture, évolue dans le « noir » et ne peut être sauvé que par la lumière de la gnose et par ceux qui ont reçu cette lumière. L'« ordre social naturel » supposé devient ainsi une abomination, issue des forces du mal ou du Malin lui-même, à qui la communauté gnostique livre une bataille à finir, en cherchant à renverser cet ordre social établi et à le remplacer par un ordre social « nouveau ». Il y a là matière à révolution, particulièrement dans la vision eschatologique d'un monde matériel « maléfique », périssant dans une convulsion cosmique, universelle. En sociologie, toute modification à l'ordre social entraîne la transformation du système de stratification, et donc aussi des élites dirigeantes. Pour les gnostiques, les élites sont celles qui se reconnaissent membres d'une communauté privilégiée qui, grâce à l'acquisition (par le biais d'une formation spéciale) d'une connaissance supérieure des vérités virtuelles et cachées de la réalité, a le pouvoir et le droit d'altérer la réalité impure de l'univers constitué.

En somme, la métaculture gnostique occidentale12 est l'image inversée de la métaculture chrétienne. Toutes deux ont pour but de libérer l'homme de l'emprise de l'« ordre naturel ». Pour les gnostiques, cette libération ne peut s'accomplir que par l'institutionnalisation de l'intellectualisme, d'une manière ou d'une autre (grâce spécialement aux institutions juridique et scolaire). Les chrétiens, pour leur part, croient que la libération de l'individu et de l'humanité passe par les enseignements et l'exemple du Divin Sauveur13. En dépit de leur ambivalence respective face à l'univers, les deux métacultures ont toujours favorisé un activisme individuel fort. Chez les chrétiens, la tendance à la contemplation et au retrait des préoccupations de ce monde s'est heurtée à certaines contraintes: le prosélytisme et la propagation de la « bonne nouvelle » aux quatre coins du monde, de même que le fait d'avoir à jouer un rôle de « fiduciaires » dans la construction d'une communauté chrétienne (qu'elle soit nation, royaume ou empire). Chez les gnostiques, la tendance à fuir ou à répudier la création maléfique de la matière a aussi connu une orientation complémentaire: la reconstruction du monde matériel à partir d'un plan plus parfait, tel que formulé par des êtres humains guidés par une connaissance supérieure.

La troisième métaculture, que j'appelle chtonienne, est passablement différente des deux premières. Il serait tentant de la désigner sous le vocable, plus familier, de « païenne », mais ce mot a une connotation péjorative que je souhaite éviter. La métaculture « chtonienne » affirme, fondamentalement, que la terre est le siège de la réalité et des forces vitales, qu'il faut cultiver, mettre en valeur ou dompter, afin d'assurer la reproduction et la survie.

On retrouve la métaculture chtonienne partout en Occident, dans des civilisations archaïques et antiques (étrusque, celtique, etc.) particulières, mais confrontées à des problèmes d'adaptation structurellement semblables. Jusqu'à tout récemment, en effet, toutes les sociétés ont été conditionnées par les problèmes de survie que constituent les famines, les épidémies, les guerres, un environnement (physique ou social) méconnu, imprévisible, hostile. Contrairement aux deux précédentes, la métaculture chtonienne n'a pas pour but le salut de l'âme et ne se traduit pas par un mode de vie axé sur l'ascétisme ou le renoncement au monde. (En certaines époques, la culture chtonienne s'exprimait même par le fameux carpe diem, la jouissance du moment présent.) Elle est au contraire axée sur la vie terrestre collective, aussi précaire fût-elle. Sur le plan intellectuel, ce mode de vie peut sembler simpliste au regard de la pensée gnostique ou chrétienne, mais la métaculture chtonienne est riche en cultures populaires de toutes sortes et intègre facilement les rituels, coutumes et croyances qui ont permis aux communautés locales, au fil du temps, de s'adapter et de se perpétuer de génération en génération. C'est la « solidarité mécanique » de Durkheim que l'on retrouve ici fixée dans la culture chtonienne. La survie est affaire de collectivité, et les intérêts de l'individu sont donc subordonnés à ceux du groupe.

III

Nous avons vu comment les trois métacultures, chrétienne, gnostique et chtonienne, sont interactives et s'interpénètrent. Le contact des unes avec les autres, par l'immigration, les conquêtes, les mariages mixtes entre diverses populations, n'a pas engendré que conflits et affrontements, au cours des siècles, mais aussi une grande part d'adaptation, d'emprunts et même, à l'occasion, d'alliances entre les trois. Nous avons donc là une vaste interaction à l'intérieur d'une même civilisation, qui a énormément contribué à la dynamique de l'évolution culturelle de l'Occident. Voyons brièvement ce point.

La christianisation de l'Occident, au premier millénaire, s'est faite selon diverses stratégies permettant au christianisme de faire face aux deux principales cultures adverses. Face aux gnostiques, il s'agissait d'abord de combattre, puis de condamner, une stratégie qui semble avoir réussi en partie à soustraire le gnosticisme à l'attention publique. Après être entrée dans la clandestinité, toutefois, la culture gnostique est réapparue, d'abord aux XVe et XVIe siècles, avec l'humanisme et le néoplatonisme de la Renaissance, puis avec plus de force au XVIIIe siècle, le siècle des Lumières.

Entre Constantin Ier et le XVIe siècle, c'est la grande alliance entre une métaculture chrétienne naissante, puis dominante, et la métaculture chtonienne, l'Église des premiers siècles favorisant les compromis avec les influences chtoniennes, ce qui permettait de laïciser la vision religieuse – par exemple, en remplaçant le culte des déités et des puissances chtoniennes par le culte des saints et les jours de fête. La culture populaire s'en trouva considérablement modifiée, les moeurs étant généralement adoucies sous l'influence chrétienne dominante. La reproduction et la famille devinrent choses sacrées, à l'image de la Sainte Famille. Mais il faut bien dire, cependant, que cette alliance entre les cultures chrétienne et chtonienne n'était qu'un mariage de convenance, la seconde étant constamment sous la domination de la première, qui se défiait des impulsions « érotiques » ou « dionysiaques » du « monde de la chair » de la métaculture chtonienne. Max Weber dit correctement et succinctement:

La morale fraternelle de la religion salvatrice est en tension avec la plus grande force irrationnelle de la vie: l'amour sexuel. Plus la sexualité sera sublimée et la morale salvatrice de l'amour fraternel réglée par des principes et une logique implacable, plus la relation entre la sexualité et la religion sera tendue14.

On pourrait dire que l'alliance, ou l'interaction, entre les métacultures chrétienne et chtonienne fut le plus visible et le moins conflictuelle dans les pays qui demeurèrent catholiques après la Réforme ou, plus à l'est, dans les pays qui adoptèrent les rites orthodoxes15. Toujours selon Weber, le « désenchantement du monde », prépondérant après la Réforme, a préparé une place très importante à la rationalisation de la vie et de la conduite individuelle, rendant encore plus suspecte la culture chtonienne, perçue dès lors comme le berceau de l'irrationnel et le tombeau du catholicisme. La culture chtonienne fut alors chassée de la scène publique, réprimée ou étouffée par l'important effort d'industrialisation et d'urbanisation de l'époque victorienne.

Pour ce qui nous concerne ici, le principal cadre culturel de l'époque victorienne et de celles qui ont suivi (jusqu'à la fin des années 1960) aura été constitué d'une nouvelle alliance, plutôt difficile, entre le christianisme (libéral et protestant) et le gnosticisme, les deux métacultures se liant en un paradigme de progrès, au fur et à mesure que se succédaient les générations de libéralisme. Après une période de latence, le gnosticisme était réapparu au siècle des Lumières ; il a trouvé dans le domaine de la recherche, les institutions scientifiques et l'Université rénovée du XIXe siècle d'importants bastions d'adeptes et une légitimité nouvelle leur permettant de poursuivre la « gnose » pratiquement sans restriction. En plus de l'université et, plus tard, des instituts de recherche, tel le célèbre Princeton Institute of Advanced Studies16, l'espace gnostique s'élargissait aussi grâce à divers ordres et fraternités, sociétés initiatiques et secrètes, mais s'épanouissant dans l'atmosphère libérale universelle de l'ère industrielle.

La métaculture chrétienne, tout en subissant une forte pression de la part du gnosticisme, en cette époque de « laïcisation17 », a pu se développer géographiquement grâce au travail missionnaire, particulièrement dans les empires africains et asiatiques, mais aussi, paradoxalement, aux États-Unis. Chez ce nouveau géant industriel, en effet, les immigrants trouvaient dans l'appartenance religieuse une identité collective qui s'était effritée en Europe18.

La métaculture chtonienne, qui en Occident s'était retirée du domaine public, au XIXe siècle et dans la majeure partie du XXe, alors que ses adeptes naturels se faisaient déloger de la terre de leurs ancêtres par l'industrialisation, l'urbanisation et la modernisation de l'enseignement, n'en conservait pas moins une certaine influence culturelle. Mais l'influence de la culture chtonienne, en partie, fut jugée contraire à la « civilisation du progrès » précisément parce qu'on en faisait le domaine de l'« irrationnel », d'attitudes à l'égard de la vie qui entraient en contradiction avec la rationalité et la pondération de la bourgeoisie. Le mouvement romantique s'est largement inspiré de la culture chtonienne (reprenant, souvent, plusieurs de ses thèmes, telles la magie et la sorcellerie). Nietzsche s'est inspiré du « oui » à la vie de la métaculture chtonienne de la Grèce primitive pour rejeter la morale judéo-chrétienne occidentale du « non », dans laquelle il voyait une « mentalité d'esclave », alors que Wagner a su combiner dans ses grands opéras (la Tétralogie, Parsifal, Lohengrin, etc.) certains éléments des cultures chrétienne et chtonienne. Au début du siècle présent, un groupe florentin moderniste d'avant-garde proclamait dans un manifeste publié dans sa revue Leonardo: « Dans la vie, nous sommes païens et individualistes – amants de la beauté et de l'intelligence, adorateurs de la nature vierge et de la vie dans sa plénitude, ennemis de tout conformisme nazaréen et de toute servitude plébéienne19. » Et le Picasso de la période postcubique est sans doute, au XXe siècle, l'incarnation la plus frappante de la culture chtonienne chez les figuratifs.

Il semble que nous ayons, depuis quelques années, délaissé le terrain plus ou moins familier sur lequel évoluait la modernité, depuis le siècle des Lumières jusqu'aux années 1960, dans la civilisation occidentale. Tout comme la sociologie n'a pu, depuis, trouver de paradigme théorique central capable de remplacer le couple formé par la théorie de l'action de Parsons et le paradigme structurel-fonctionnel de l'après-guerre, de même avons-nous dû, à l'échelle, plus grande, des civilisations, nous passer de ces grandes métacultures et de leur bien nette domination.

La seule qui soit réapparue sous un jour nouveau dans le domaine public est la métaculture chtonienne, avec ses diverses branches, probablement toutes intimement liées. Pour cela il aura fallu la grande convergence du mouvement de libération de la femme et des divers mouvements « nouvel-âge » visant à donner aux femmes beaucoup plus de pouvoirs, non seulement à la maison et dans le domaine public, mais aussi dans la sphère symbolique des grandes religions officielles. Aux États-Unis et en Grande-Bretagne, ce défi à la domination mâle de la religion (où de nombreuses féministes voient la base de la justification du sexisme) s'est traduit en partie par le retour au culte de la « Wicca », de la sorcière, donnant aux femmes, dans une religion de la « nature20 », un rôle de prêtresses et de guérisseuses. Bien que cela ressemble à ce que Hobsbawm et Ranger ont appelé « l'invention de la tradition », ces images positives de la « mère Terre » et du « culte de la sorcière21 », inspirées du répertoire symbolique de la culture chtonienne, sont apparues plus tôt au début du siècle, grâce principalement à des personnages aussi contrastants que l'anthropologue Margaret Murray et l'anarchiste Emma Goldman22.

Une nouvelle évaluation positive de la culture chtonienne pourrait également avoir été stimulée par l'accueil croissant réservé à des pratiques traditionnelles telles que les « médecines alternatives », le recours à la sage- femme et l'allaitement au sein – des pratiques qui, il y a à peine une génération, apparaissaient toutes archaïques et moyenâgeuses, étrangères à la civilisation industrielle, moderne et rationnelle.

Bref, les hommes ne peuvent plus monopoliser la place au soleil, et il faudra peut-être désormais parler de la juste place réclamée par les femmes dans la revalorisation de la nature. En ce sens, le terme « écoféminisme », aussi nouveau soit-il, a le mérite d'établir un fort lien avec la métaculture chtonienne23, laquelle, faisant appel à un vaste éventail de traditions de la « Mère Terre », dont celles des Amérindiens24, pourrait bien constituer un nouvel univers symbolique démocratique.

La culture chtonienne revêt un autre aspect fort important: elle met davantage l'accent sur la sensualité et la sexualité, dans lesquelles elle voit le fondement de la conduite, sinon un idéal à suivre. Jusqu'à un certain point, cette tendance s'est nourrie, plus ou moins sciemment, de courants gnostiques des débuts de la psychanalyse (l'influence de Fliess sur Freud, par exemple) et du marxisme (particulièrement avec l'École de Francfort, qui tenta, dans les années 1920, d'amalgamer les deux). Mais le fait de voir dans la libération sexuelle un moyen de s'émanciper de l'ordre social établi trouve des racines encore plus profondes que la psychanalyse ou le marxisme. L'« anomie sexuelle » – ou, mieux, la gnose sexuelle en tant qu'orientation – remonte, dans l'histoire de la civilisation occidentale, à une avant-garde de libertinage et, plus loin encore, aux sectes antinomiennes, qui foulaient aux pieds les codes de conduite sexuelle pour renverser l'ordre universel créé par la divinité ennemie25.

Peu importe sa première caution moderne, la sexualité contemporaine, émancipée de la tutelle et des contraintes du christianisme aussi bien que du gnosticisme, qui l'avaient confinée dans le domaine de la vie privée, semble désormais proliférer, sinon dans la pratique, du moins dans les médias de culture populaire (tels le rock et le rap)26. Cette tendance s'étend même désormais à l'enseignement public, et jusqu'aux plus bas niveaux scolaires en certains endroits, où une nouvelle pédagogie « éclairée » vise à rendre les préadolescents encore mieux renseignés sur les rapports sexuels protégés. Les contraintes sexuelles, considérées il y a peu comme « naturelles », font aujourd'hui l'objet de débats publics visant à déterminer, justement, ce qui est « naturel ».

Il y a plusieurs autres dimensions de la culture chtonienne qui ont refait surface ou qui ont été réinventées et adaptées aux nouvelles orientations de la modernité. L'une d'entre elles est la vogue des aliments organiques exempts de tout pesticide, le retour aux aliments naturels prôné par les contre-mouvements des années 1960 et 1970 à l'encontre des productions de masse de l'industrie alimentaire. Les régimes alimentaires macrobiologiques sont un retour à ceux de nos lointains ancêtres que l'on peut observer dans les divers magasins d'alimentation écologique qui ont proliféré dans nos villes où l'on trouve, par exemple, des céréales telles que l'amarante ou le triticale consommées à l'ère précolombienne par les autochtones américains et les Aztèques, etc.

CONCLUSION

Que dire de cette analyse que nous venons de faire? J'ai d'abord examiné deux articles suggestifs, deux grandes interprétations d'ensemble de cette ère nouvelle de l'après-guerre froide, l'une posant la fin de l'idéologie, l'autre proposant une réinterprétation des relations internationales en termes de chocs de civilisations. Les deux méritent que s'y arrêtent sérieusement les sociologues qu'intéresse le domaine culturel en tant que secteur stratégique pour le changement. Bien que ces approches globales soient stimulantes, comme le sont, d'une part, les études axées sur le système mondial27 mettant en relief le développement de l'économie politique et, d'autre part, les études globalisantes axées sur le développement culturel de l'humanité, elles n'épuisent pas la connaissance de la réalité et du dynamisme des changements culturels dans la civilisation occidentale. L'hypothèse méthodologique de base du présent texte est que le changement culturel en cours n'est pas à négliger pour comprendre les changements structurels à l'oeuvre dans de grands ensembles tels que les civilisations ; il est, en fait, partie intégrante de ces changements structurels.

Le fait de voir dans les trois métacultures étudiées ici de grands « progiciels » de la civilisation occidentale rejoint également l'analyse, plus ancienne, de Sorokin et de ses trois supersystèmes culturels concurrents: sensualiste, idéationnel et idéaliste28. Bien qu'ils se chevauchent, la métaculture chrétienne et le supersystème idéationnel ne sont pas identiques, et la divergence entre la métaculture chtonienne et le supersystème sensualiste, de même qu'entre la métaculture gnostique et le supersystème idéaliste, est aussi marquée.

La perspective envisagée ici n'est pas, non plus, étrangère à l'analyse comparative de l'« âge axial » d'Eisenstadt29, laquelle relève judicieusement le rôle des « hétérodoxies », ou des visions sacrées alternatives d'arrangements symboliques et institutionnels, en tant que leviers de changement et de modernisation dans l'évolution de la société. Bien que l'on considère habituellement les religions déviantes ou marginales (telles les sectes protestantes du XVIe siècle) comme porteuses d'« hétérodoxie », je crois que les métacultures gnostique et chtonienne ont aussi joué ce rôle dans la civilisation occidentale « moderne30 ». Les interactions (conflits ou compromis) de ces hétérodoxies avec la métaculture « orthodoxe » du christianisme ont constitué, en dernière analyse, une importante source de contradictions internes, pour l'Occident, et favorisé le changement.

Difficile de dire si l'une ou l'autre des trois métacultures domine, aujourd'hui. Toutes trois se disputent l'espace et les ressources du domaine public, chacune a ses places fortes et compte de puissants appuis. Une nouvelle façon d'interpréter la présente période de transition serait peut-être alors de voir dans la poursuite de la concurrence et des alliances entre ces métacultures une caractéristique permanente de notre modernité.

NOTES

CIBLE.GIF1. Je ne cherche pas, ici, à nier ou à réduire l'importance d'autres changements, non pas moins profonds, mais moins étendus, qui se sont produits au XXe siècle, eux aussi sur de courtes périodes, dans certains pays en particulier ou dans certaines régions du globe. Je pense, par exemple, à la décolonisation de l'Afrique, à la fin des années 1950 et au début des années 1960, au mouvement de libération de la femme aux États-Unis, dans les années 1970 et 1980, ou encore à la Révolution tranquille du Québec, dans les années 1960.

CIBLE.GIF2. Le débat entourant le passage de la modernité à la postmodernité, qui a monopolisé l'attention, me semble ahistorique et constitue, tacitement, une négation de la facticité du monde. Pour ma part, j'admets avoir un parti pris « réaliste », sans toutefois favoriser aucune explication particulière du cours de l'histoire.

CIBLE.GIF3. Francis Fukuyama, « The end of history? », The National Interest, 16, été 1989, p. 3-18 ; Samuel P. Huntington, « The clash of civilizations? », Foreign Affairs, 72, été 1993, p. 22-49.

CIBLE.GIF4. Pierre Lellouche, Le Nouveau Monde. De l'ordre de Yalta au désordre des nations, Paris, Grasset, 1992.

CIBLE.GIF5. Puisqu'il s'agit ici de la culture en tant que facteur de changements sociaux à grande échelle, j'exclus de cette liste d'autres sociologues également réputés, qui s'intéressent principalement à la culture en tant que facteur de renforcement du pouvoir et de la hiérarchie.

CIBLE.GIF6. Fernand Dumont, Le sort de la culture, Montréal, L'Hexagone, 1987 ; Fernand Dumont, « Pouvoir sur la culture, pouvoir de la culture », dans: Raymond Hudon et Réjean Pelletier (sous la direction de), L'engagement intellectuel. Mélanges en l'honneur de Léon Dion, Sainte-Foy, Les Presses de l'Université Laval, 1991, p. 161-172.

CIBLE.GIF7. Voir, par exemple, Diana Crane, « High culture versus popular culture revisited: A reconceptualization of recorded cultures », dans: Michèle Lamont et Marcel Fournier (sous la direction de), Cultivating Differences. Symbolic Boundaries and the Making of Inequality, Chicago, University of Chicago Press, 1992, p. 58-74 ; Fernand Dumont, Le sort de la culture: Mike, Featherstone, « Global and local cultures », dans John Bird et al., Mapping the Futures: Local Cultures, Global Change, Londres et New York, Routledge, 1993, p. 169-187.

CIBLE.GIF8. Kurt H. Wolff (sous la direction de), The Sociology of Georg Simmel, New York, The Free Press, 1950.

CIBLE.GIF9. Talcott Parsons, « Service », Encyclopedia of the Social Sciences, vol. 13, New York, Macmillan, 1935, p. 672-674.

CIBLE.GIF10. J'ai déjà abordé ce sujet dans « Toward the sociology of esoteric culture », American Journal of Sociology, 78, 1972, p. 491-512.

CIBLE.GIF11. Pour une étude détaillée, voir l'ouvrage classique de Hans Jonas, The Gnostic Religion: The Message of the Alien God and the Beginnings of Christianity, Boston, Beacon Press, 1963.

CIBLE.GIF12. Il est important de préciser qu'il s'agit de la civilisation occidentale, car la métaculture gnostique est aussi présente dans d'autres grandes régions du monde, telle l'Asie, comme l'a si bien constaté Carl Jung (l'un des Occidentaux les plus sensibles à la métaculture gnostique).

CIBLE.GIF13. Voir l'analyse très pertinente de Max Weber, The Sociology of Religion, Boston, Beacon, 1963, p. 131 et suivantes.

CIBLE.GIF14. Max Weber, « Religious rejections of the world and their directions », dans: Hans Gerth et C.W. Mills (sous la direction de), From Max Weber: Essays in Sociology, New York, Oxford University Press, 1958, p. 343.

CIBLE.GIF15. Il faudrait, pour en fournir la preuve, beaucoup de temps et d'espace, ce que nous n'avons pas ici. Bien que la tradition catholique ait eu, concernant la sexualité, des enseignements aussi sévères que ceux des protestants, elle a sans doute fait preuve de plus de tolérance à l'égard des faiblesses humaines dans la poursuite de cet idéal. En permettant à l'individu de s'amender, par le sacrement de la confession et de la pénitence, elle a fait de la sexualité un domaine « sous surveillance », mais sans aller jusqu'à brandir la menace « pureté ou danger », comme l'a fait la tradition calviniste du protestantisme.

CIBLE.GIF16. Voir les fascinantes études de Raymond Ruyer, La Gnose de Princeton: des savants à la recherche d'une religion, Paris, Fayard, et Les cent prochains siècles: le destin historique de l'homme selon la nouvelle gnose américaine, Paris, Fayard, 1977. Coïncidence ou conformité à sa pensée gnostique, l'Institut de Princeton a, dans les années 1970, refusé le statut de professeur permanent à l'un des plus éminents spécialistes américains des sciences humaines, jugé trop « croyant » par certains membres de l'Institut.

CIBLE.GIF17. Voir: Owen Chadwick, The Secularization of the European Mind in the 19th Century, Cambridge et New York, Cambridge University Press, 1975.

CIBLE.GIF18. Le statut « exceptionnel » de la religion en Amérique, comparativement aux autres pays industrialisés, ne repose pas seulement sur la vitalité ou l'activisme ; il vient aussi de ce que la christianisation et la laïcisation ont évolué parallèlement dans l'histoire moderne des États-Unis, du moins jusqu'à tout récemment, alors que dans le contexte européen les deux processus divergent.

CIBLE.GIF19. Rosemary R. Ruether (sous la direction de), Religion and Sexism. Images of Woman in the Jewish and Christian Traditions, New York, Simon and Schuster, 1974.

CIBLE.GIF20. En Grande- Bretagne et aux États-Unis, aujourd'hui, la Wicca est la restauration ou la découverte de cette « religion de la terre », archaïque et préchrétienne, dont la figure centrale est la déesse Diane (Artémis) et dont les ministres du culte sont des femmes. La Wicca est considérée, par les sociologues spécialistes de la religion, comme l'un des nouveaux mouvements religieux de la contre-culture des grands pays industriels, depuis trois décennies. Voir à ce sujet: R. George Kirckpatrick, R. Rainey et K. Rubi, « An empirical study of Wiccan religion in postindustrial society », Sociological Analysis, 52, hiver 1991, p. 349-362 ; Eileen Barker, New Religious Movements: A Perspective for Understanding Society, New York, Edwin Mullen Press, 1982.

CIBLE.GIF21. Eric Hobsbawm et Terence Ranger (sous la direction de), The Invention of Tradition, Cambridge et New York, Cambridge University Press, 1992.

CIBLE.GIF22. Voir: Margaret A, Murray, The God of the Witches, nouvelle édition, Londres et New York, Oxford University Press, 1974 ; The Witch-cult in Western Europe, Oxford, Clarendon Press, 1967. Quant à Emma Goldman, elle a publié, à partir de 1906 et pendant plusieurs années, l'anarchique Mother Earth Bulletin, une publication qui « évoquait les anciennes déesses-mères de la fertilité pour témoigner de la pureté et de l'innocence originelles de la pulsion procréatrice, et pour témoigner de la nécessité de rapports sexuels libres » (cité par Richard Drinnon dans l'introduction à la reproduction Greenwood du Bulletin, New York, 1968).

CIBLE.GIF23. Carol J. Adams (sous la direction de), Ecofeminism and the Sacred, New York, Continuum, 1993 ; Bernice Marie- Daly, Ecofeminism: Sacred Matter/Sacred Mother, Chambersburg, PA, Anima Books, 1991.

CIBLE.GIF24. Ed McGaa, Mother Earth Spirituality: Native American Paths to Healing Ourselves and Our World, San Francisco, Harper, 1990.

CIBLE.GIF25. Edward A. Tiryakian, « Sexual anomie, social structure, societal change », Social Forces, 59, juin 1981, p. 1025-1053 ; E.A. Tiryakian, « L'anomie sexuelle en France avant la Révolution », Cahiers internationaux de sociologie, 76, 1984, p. 161-184.

CIBLE.GIF26. On retrouve, aux États-Unis, une contradiction intéressante concernant l'émergence de la sexualité dans le domaine public. Alors qu'on admet tacitement, aujourd'hui, que l'on puisse parler de sexualité et même montrer les organes sexuels (sans aller jusqu'à l'acte), il est aussi strictement interdit de pratiquer le harcèlement sexuel, au point même que des responsables politiques peuvent perdre réputation et fonction pour des peccadilles. La jouissance chtonienne des plaisirs de la chair se heurte encore à certaines limites puritaines.

CIBLE.GIF27. Le concept de « système mondial » a été élaboré dans une série d'ouvrages d'Immanuel Wallerstein, The Modern World-System (New York, Academic Press, 1974-1984) et a fait l'objet d'autres études, dont celles de Janet Abu-Lughod (Before European Hegemony: The World System A.D. 1250-1350, New York, Oxford University Press, 1989) et de Christopher Chase-Dunn et Thomas D. Hall (« Comparing world- systems: concepts and working hypotheses », Social Forces, 71, juin 1993, p. 851-886). L'accent mis sur la culture, à l'échelle de la planète, trouve son expression la plus juste dans divers écrits de Roland Robertson, particulièrement Globalization, Social Theory and Global Culture, Londres et Newbury Park, CA, Sage, 1992.

CIBLE.GIF28. Pitirim A. Sorokin, Social and Cultural Dynamics, quatre volumes, New York, The Bedminster Press, 1962.

CIBLE.GIF29. S.N. Eisenstadt, « Heterodoxies and dynamics of civilization », Proceedings of the American Philosophical Society, 128, 2, 1984, p. 104-113 ; S.N. Eisenstadt (sous la direction de), The Origins and Diversity of Axial Age Civilizations, New York, State University of New York Press, 1986.

CIBLE.GIF30. Le terme « moderne » peut s'appliquer à différents cadres historiques: à partir du siècle des Lumières, ou à partir de la Renaissance, ou encore, comme il se doit dans une étude de la culture, à partir de l'institutionnalisation du christianisme dans une Europe unifiée, un mouvement entrepris par Charlemagne et terminé cinq cents ans plus tard avec l'urbanisation et la création des universités en tant que lieux de formation.


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