Une identité incertaine

Léon Dion


Début du chapitre

UN NOM

UN TERRITOIRE

UNE HISTOIRE

UN STATUT POLITIQUE

L'ÉGLISE

LA LANGUE FRANÇAISE

UNE SOCIÉTÉ MODERNE

CONCLUSION

NOTES


Aucune représentation des êtres et des choses n'échappe aux deux catégories fondamentales de l'esprit, le temps et l'espace. Chacun vit dans le temps réel et imaginaire de son histoire et se meut dans les bornes qu'il fixe à son univers. Il lui arrive de figer ce temps et cet espace en les mythifiant. C'est dans le creuset de ces deux mythes qu'un individu ou une collectivité se forme une personnalité. « La vie d'un peuple comme celle d'un individu, ai-je écrit, s'accomplit dans le tracé de deux grands mythes: celui de l'origine et celui de la destinée1 ».

Toute collectivité qui naît, comme tout individu, reçoit un nom, aménage un espace, forge une histoire, acquiert une personnalité. Ses expériences, ses succès et ses déboires sont des maillons qui soudent la chaîne de sa vie. Peu à peu, émerge un individu, une classe, une nation, un peuple, s'épanouit un soi individuel ou un soi collectif, un soi en relation ou non avec autrui. Dans le parcours vers la maturité, ce soi reste en rapport à lui-même et aux autres, au temps, à l'espace. Il change, il grandit, il s'étale dans un environnement. Il repousse, grâce à l'imaginaire, jusqu'à l'inaccessible rêve, les bornes que la réalité lui impose. Une personnalité unique se projette dans le monde et poursuit jusqu'à la mort la recherche de son identité.

Se poser la question: quelle est l'identité de la société canadienne-française? oblige à la fois à un retour aux origines et à une plongée sur le possible destin.

Au soir de sa vie, muni d'inépuisables connaissances historiques, c'est en usant de mille précautions que Fernand Braudel entreprend de cerner l'identité de la France. Mieux que quiconque, il perçoit l'ambiguïté de ce concept d'identité: « [...] il est une série d'interrogations ; vous répondez à l'une, la suivante se présente aussitôt, et il n'y a pas de fin. » Et il s'interroge:

Alors qu'entendre par identité de la France? Sinon une sorte de superlatif, sinon une problématique centrale, sinon une prise en main de la France par elle-même, sinon le résultat vivant de ce que l'interminable passé a déposé patiemment par couches successives, comme le dépôt imperceptible de sédiments marins a créé, à force de durer, les puissantes assises de la couche terrestre? En somme un résidu, un amalgame, des additions, des mélanges. Un processus, un combat contre soi-même, destiné à se perpétuer. S'il s'interrompait, tout s'écroulerait. Une nation ne peut être qu'au prix de se chercher elle-même sans fin, de se transformer dans le sens de son évolution logique, de s'opposer à autrui sans défaillance, de s'identifier au meilleur, à l'essentiel de soi, conséquemment de se reconnaître au vu d'images de marque. [...] Se reconnaître à mille tests, croyances, discours, alibis, vaste inconscient sans rivages, obscures confluences, idéologies, mythes, fantasmes... En outre, toute identité nationale implique, forcément, une certaine unité nationale, elle en est comme le reflet, la transposition, la condition.

Et Braudel résume son beau livre en ces termes:

Dans le processus d'unification de la France sont ainsi à l'oeuvre toutes les forces mêlées de l'Histoire: celles de la société, celles de l'économie, celles de l'État, celles de la culture – la langue française (issue de l'Île-de-France), la langue du pouvoir, outil administratif de cette réduction à l'ordre2.

Écoutons maintenant mon camarade Fernand Dumont, que ce texte veut célébrer, ouvrant son maître ouvrage, Genèse de la société québécoise:

Où finit la genèse? On ne s'attend pas à ce que j'indique une date approximative. La genèse est achevée lorsque la référence est complétée: quand, à partir du sentiment d'une identité commune, on est passé aux conditions de la vie politique, au discours national, à des projets collectifs, à une mémoire historique, à l'institution d'une littérature. En d'autres termes, quand une collectivité est parvenue à la conscience historique. Certes, la genèse ainsi entendue n'est pas une implacable fatalité qui influera ensuite sur le cours de l'histoire. Elle n'en est pas moins la forme première d'un destin que les sociétés doivent assumer même quand elles songent à s'en affranchir.

Et Dumont ferme son livre sur cette triste constatation:

Il est des peuples qui peuvent se reporter dans leur passé à quelque grande action fondatrice: une révolution, une déclaration d'indépendance, un virage éclatant qui entretient la certitude de leur grandeur. Dans la genèse de la société québécoise, rien de pareil. Seulement une longue résistance. [...] Pourquoi une si longue hibernation3?

Combien compatibles sont les objectifs liminaires des deux écrivains! Combien contrastées leurs conclusions à la fin de leur voyage dans le temps et l'espace de leur patrie respective! Tous deux cherchent des points d'ancrage, des référents sur la base desquels les personnages, les événements, les institutions, par- delà les drames et les ruptures et même parfois à la faveur des crises les plus éprouvantes, auraient enrichi la mémoire collective de diverses façons pour la fixer dans la durée. Braudel renoue sans peine le fil de la continuité. Dumont le cherche, il l'entrevoit, toujours il lui échappe et se rompt.

Jean-Charles Falardeau a écrit que le Canadien français est « un homme pluriel4 ». Il serait plus juste de dire qu'il est un homme indécis, incertain de son identité. La recherche de l'identité des Canadiens français est une entreprise complexe qui ne saurait jamais être élucidée sous tous ses aspects avec certitude. Cette complexité transparaît dès lors que l'on s'attache à les désigner, à délimiter leur espace, à scruter leur histoire, à fixer leur statut politique, à considérer le rôle de l'Église, à évaluer le statut et l'avenir de la langue française et à caractériser leur société dans les conditions de la modernité.

UN NOM

Pour une collectivité comme pour un individu, le fait initial, c'est le nom reçu ou choisi. Ce nom la désigne, il acquiert un sens à la mesure de ce qu'elle devient, il l'identifie. Or, les Canadiens français du Québec se cherchent aujourd'hui un nom qui les désigne à leurs propres yeux et aux yeux des autres. Sans nom précis et indiscuté, leur identité collective serait ambiguë et peu valorisante pour les individus et les collectivités particulières. Dans le village de mon enfance, ils se prénommaient Canadiens. Confrontés aux autres par suite de leur migration en ville, de l'industrialisation, des conditions de la Deuxième Grande Guerre, de l'immigration et de l'envahissement croissant du gouvernement fédéral dans leur vie quotidienne, ils devinrent des Canadiens français.

Au détour de la Révolution tranquille, la représentation de soi change. Pour plusieurs, Canadien français n'exprime plus la confiance et la fierté collectives acquises. Des intellectuels, des personnalités publiques, une fraction de la population éprouvent un malaise croissant à se dénommer et à s'entendre dénommer de ce terme générique qui s'applique à tous ceux qui parlent français au Canada. Ceux qui, précisément, cherchent pour le Québec un statut politique particulier – ou surtout l'indépendance – se sentent amoindris. Le nouveau soutien institutionnel public qui transforme en profondeur la recherche de l'identité culturelle, restreint l'univers de référence du terme Canadien français. À l'exception du régime fédéral, remis en question à des degrés divers, il n'y a pas de cadre institutionnel public qui relie les provinces les unes aux autres ni guère de liens formels entre les Français des provinces canadiennes. L'ancien sentiment de fraternité se perd, l'obligation que les Canadiens français du Québec ressentaient de protéger leurs frères de la diaspora s'émousse.

La recherche d'un nom propre à exprimer leur singularité a conduit nombre de Canadiens français du Québec à se désigner du terme Québécois. Paul Chamberland fut le premier à exposer clairement les raisons de ce choix:

Nous utilisons le terme Québec et Québécois, de préférence à ceux de Canada français et de Canadiens français. Le parti pris langagier recouvre une transformation des réalités. Québec ne sera plus une province mais un pays, le nom d'une totalité et non celui d'une partie honteuse d'un ensemble désorganisé. Québec constitue l'antithèse irréductible du Canada, du moins de ce qui a été le Canada jusqu'à maintenant. il y aura recouvrement, coïncidence entre le territoire, la nation, la patrie et la culture5.

Ici, l'intention est clairement exprimée: elle est politique. Chamberland suppose que le Québec est devenu un pays et que la langue et la culture de ce territoire sont exclusivement françaises.

Quel débat passionné suscite ce choix d'une fraction de l'élite intellectuelle! De nombreuses personnalités publiques l'adoptent plus ou moins dans son sens premier. Fédéralistes et indépendantistes montent aux barricades pour faire triompher leurs versions respectives du sens du terme Québécois. Ils partent au combat pour la conquête des vrais et des faux Québécois. Un certain nombre d'indépendantistes prêtent à la désignation canadienne-française une connotation humiliante et proclament qu'elle n'a de sens que pour les fédéralistes à tous crins. Dans la mesure où un nom suffit pour fixer l'identité d'un peuple, ceux qui s'enferment de la sorte dans un carcan idéologique fracturent, sans en prendre conscience, notre histoire en deux parties: celle qui précède la Révolution tranquille et celle qui débute avec cette dernière. L'ardeur de certains à renouer avec les Patriotes de 1837-1838, dont des chefs finirent par rêver d'une République du Bas-Canada, manifeste le besoin d'un rattachement symbolique à une tranche, même malheureuse, du passé.

Jacques Godbout, auteur d'un article sur le thème de l'identité qui illustre le caractère passionné de ce débat en même temps que la difficulté de le trancher, subit l'assaut verbal de Serge Cantin. Jacques Godbout a osé écrire:

Qu'est-ce qu'un Québécois? Toute personne qui habite le territoire du Québec et entend participer à la vie collective. [...] Aux yeux du monde entier, s'il fallait établir un palmarès des réputations littéraires, c'est faire injure à personne que de reconnaître en Mordecaï Richler le plus grand écrivain québécois6.

Dans sa longue diatribe, Cantin reproche notamment à Godbout:

Entre Jacques Godbout et Robert Bourassa, [...] il y a surtout [...] le même profond et délétère attachement à une vision statique et minoritaire du Québec qui contredit le dynamisme de sa durée, [...] il ne suffit pas d'être né et de vivre à Montréal pour être un Québécois, à moins bien sûr d'escamoter la dimension historico- politique de la question et de vider le terme « québécois » de toute signification véritable. [...] Assurément, cette conception territoriale, étroitement positiviste, de la société et de la culture québécoises [...], s'inscrit-elle dans la plus pure tradition de l'individualisme libéral7.

La grande majorité des Canadiens français estiment, je pense, à l'instar de Jacques Godbout, que la seule qualité requise pour être québécois est d'habiter le Québec. Il est superflu et même potentiellement discriminatoire d'inclure une sorte de condition telle que « participer à sa vie collective » comme le propose Godbout, ou encore « désirer vivre au Québec » comme d'autres le suggèrent. Par contre, dans le régime politique actuel, tous les Québécois sont citoyens du Canada.

Jacques Godbout va plus loin. Il juxtapose à la dimension territoriale de l'identité une dimension culturelle et se dit prêt à reconnaître en Mordecaï Richler, de langue anglaise, « le plus grand écrivain québécois ». Pareille juxtaposition fait problème: comment, à la mesure du Québec comme « aux yeux du monde entier », peut-on affirmer que Richler qui écrit en anglais, la langue du continent nord-américain, est un plus grand écrivain québécois que Godbout lui-même, par exemple, qui écrit en français et dont la plupart des références relèvent de la culture canadienne-française? À supposer que Molière et Shakespeare, Balzac et Dostoïevski aient été, à la même époque, citoyens du même pays, aient habité la même ville, par quels procédés pourrait-on établir que l'un était supérieur à l'autre?

Choisir de se désigner Québécois est légitime. Toutefois, si la référence est à la langue et à la culture françaises, le terme est restrictif en raison du statut historique et social irrévocable de la langue et de la culture anglaises. Il est d'usage maintenant de désigner les uns de Québécois francophones et les autres de Québécois anglophones. Le terme francophones'applique à tous ceux qui parlent le français qu'ils soient d'origine française ou non. Il omet l'aspect essentiel de la référence à l'origine française que comprend l'expression Canadien français. Les expressions francophones de souche et francophones pure laine sont incongrues. Une désignation adéquate serait Québécois français8. Elle serait une réplique exacte du terme Canadien français. De la sorte, le risque d'une rupture de la continuité historique serait écarté. Cette désignation est elle-même restrictive, elle exclut les francophones d'élection, ceux qui parlent français mais ne sont pas d'origine française.

Toutes ces appellations sont adéquates dans la mesure où elles renvoient aux aspects de la réalité auxquels elles se rapportent. Dans le présent texte, je m'en tiendrai à l'expression traditionnelle de Canadiens français chaque fois que je désignerai les descendants des habitants de la Nouvelle-France vivant au Québec et ceux qui ici parlent leur langue, partagent leur culture et s'émeuvent de leur histoire. On doit reconnaître que l'absence d'un terme non équivoque pour désigner les Québécois révèle une identité ambiguë et incertaine. Andrée Fortin tire de son étude sur Les intellectuels québécois et leurs revues la conclusion suivante: « Quand le Nous québécois n'est pas bien défini, celui des intellectuels ne l'est pas non plus9. » Cette conclusion vaut non seulement pour les intellectuels mais pour toutes les catégories de la population.

UN TERRITOIRE

Un peuple se distingue également par l'espace, le territoire qu'il habite, qu'il cultive et qui le nourrit. Pour les Canadiens français, le Québec est leur territoire et ils proclament inaliénable chacune de ses parcelles. Depuis 1927, date de la partition du Labrador, le territoire du Québec n'a subi aucune modification mais les Canadiens français n'ont jamais eu conscience de le posséder ou de le maîtriser en plénitude. Au leitmotiv de Ludger Duvernay: « Emparons-nous du sol » a suivi celui de « Maîtres chez nous » d'Honoré Mercier, Maurice Duplessis, René Lévesque et bien d'autres.

Le statut de province limite le gouvernement du Québec à l'exercice des prérogatives politiques que détermine la Constitution canadienne et qu'un rapport variable des forces infléchit ou non en sa faveur. De nombreux Québécois d'origine britannique, qui ont absorbé la majorité des immigrants d'autres origines, enracinés et longtemps dominants, habitent des portions considérables du territoire. La langue et la culture anglaises bénéficient de droits intangibles que la majorité française se doit de respecter. En outre, depuis les débats constitutionnels de 1980-1982 et de 1990-1992 et la crise amérindienne d'Oka de 1990, les autochtones réclament une autonomie gouvernementale sur des tranches mal définies du territoire québécois. Cette demande est inquiétante, car ils exigent de ne relever que du seul gouvernement fédéral. La portée de ces revendications est d'autant plus significative que, pour eux, la notion de territoire transcende un caractère purement physique, prend valeur de symbole et confine au sacré10.

Chez les Canadiens français également, le territoire déborde le Québec. L'histoire et l'imaginaire le rattachent intimement et de multiples façons à la Nouvelle-France, au Canada français, à l'Amérique française et à la France contemporaine11.

Enfin, la zone d'influence de leur environnement s'étend bien au-delà des frontières du Québec. L'ouverture à un espace illimité, que la Révolution tranquille a entraînée, a accentué l'incertitude référentielle. Plusieurs, surtout parmi les indépendantistes, proclament néanmoins que le lieu de la conscience est le Québec et ils présentent au monde le salut de Terre- Québec. Affirmé avec passion, ce sentiment est vif chez plusieurs. En même temps, au cours de la Révolution tranquille, les Canadiens français s'imprègnent beaucoup plus qu'autrefois de l'Amérique. Henri Bourassa les définissait déjà comme des « Français d'Amérique12 ». Combien cette condition est plus aveuglante au cours des décennies récentes qu'elle ne l'était au début du siècle! Guy Rocher insiste sur ce fait: « Le Québec est terre d'Amérique et la culture canadienne- française, comme toutes les composantes de la société, subit directement et fortement l'influence des États-Unis13. » Daniel Latouche confirme: « Mettons tout de suite les choses au clair quant à la carte de visite des Québécois. Ce sont avant tout des Nord-Américains et, à ce titre, ils partagent bon nombre des valeurs, des habitudes, des idées de ceux qui ont, pour l'essentiel, imposé leur définition de l'américanité, c'est-à-dire: les Américains14. »

Les Canadiens français qui ne renâclent pas à la définition, chère à de Gaulle, de Français du Canada semblent souvent flattés d'être appelés Français d'Amérique. Depuis les débuts, ils se préoccupent des effets sur le destin de la société canadienne- française de ces voisinages consentis ou subis. Anne Hébert exprime admirablement l'ambivalence de leurs sentiments: « La terre que nous habitons est terre du Nord et terre d'Amérique: nous lui appartenons biologiquement comme la flore et la faune. Le climat et le paysage nous ont façonnés aussi bien que toutes les contingences historiques, culturelles, linguistiques. » Mais, destin combien déchirant qu'une appartenance ressentie « comme une épine plantée au coeur du continent américain15 ».

À la fois terre d'ombres épaisses qui effraient et terre de lumières éclatantes qui éblouissent, les États-Unis demeurent pour la majorité des Canadiens français un vaste univers largement inconnu. Quelle est-elle cette Amérique? Terre de rêve ou de cauchemar? Les Canadiens français ont-ils la faculté de lui emprunter ce qui leur convient et de rejeter ce qui risque de dérouter leur poursuite de leur identité?

Malgré la distance que l'histoire a créée entre eux et la France, des liens de toute nature, plus nombreux et plus fermes que plusieurs ne l'estiment, rattachent les Canadiens français à leur ancienne mère-patrie: la langue d'abord, la culture (du moins en ce qui concerne le fonds ancien), l'afflux de nombreux religieux français au tournant du siècle, de nombreux immigrants, un certain sentiment réciproque d'une affinité à maints égards, des contacts croissants de diverses natures, la conscience qu'a la France d'une responsabilité à l'endroit de la francophonie. Les Canadiens français retirent un profit certain de ces liens. Ils erreraient, toutefois, s'ils se représentaient la France comme le « vieux pays » alors qu'elle se range parmi les peuples les plus modernes.

Je suis conscient du fait que l'environnement interne et externe qui enserre le Québec représente pour les Canadiens français des défis permanents et redoutables, sinon pour leur survie, du moins pour leur épanouissement. Ils ont le choix: s'ouvrir à cet environnement envahissant en déployant avec méthode toutes les énergies qu'ils peuvent mettre en oeuvre pour l'apprivoiser, refuser les éléments qui lui seraient nocifs, se nourrir de ses innombrables ressources enrichissantes ou, au contraire, se refermer sur eux-mêmes et s'étioler dans la médiocrité.

UNE HISTOIRE

Plus que l'espace encore, l'histoire représente pour les Canadiens français une référence majeure de leur recherche d'identité. Le poids du passé les pénètre de tous les pores de leur être et ils ont mis beaucoup d'ardeur, non seulement à le reconstituer dans sa réalité, mais encore, et peut-être davantage, à l'adapter afin qu'il soit conforme à leur appréciation du présent et à leurs aspirations pour l'avenir.

Je ne suis pas de ceux qui font dépendre l'ensemble de l'histoire canadienne-française de la conquête anglaise. Je ne m'apitoie pas sur notre ancienne déchéance, mais je constate qu'elle a provoqué une irréparable rupture. De la Nouvelle-France héroïque, des recommencements qui ont suivi la conquête anglaise, quelles références reste-t-il aux Canadiens français? « Société s'étant construite avant tout par en bas16 », « société préfabriquée17 », « utopie qui se nomme Nouvelle-France18 », quelle identité originelle les Canadiens français peuvent-ils retracer? Oui, les ancêtres apprivoisent l'hiver, trouent la forêt, fertilisent le sol de leurs sueurs, fondent des bourgades. Une nation naît, fragile encore mais se croyant promise à grandir en redoublant, sans relâche, d'efforts. Comme leurs parents avant eux et leurs enfants après eux, ils s'instruisent des faits et gestes de Samuel de Champlain, Paul de Chomedey de Maisonneuve, François de Montmorency Laval, Marie de l'Incarnation, Marguerite Bourgeoys, Jeanne Mance, Louis Hébert, Pierre de Varennes de la Vérendrye, bien d'autres aussi qui ont posé les bases d'un pays à la mesure de leurs rêves. Mais, que représentent pour eux les gouverneurs, généraux, trafiquants, tous ces colonisateurs qui, après un séjour – souvent sur commande – en Nouvelle-France, retournaient dans leur pays? Ces personnages, sont-ils leurs ancêtres, sont-ils de leur famille? Bien plus qu'aux nobles et aux prélats dont la plupart sont repartis après la conquête, la langue française, certains traits de caractère, une rare capacité de résistance, le génie innovateur, ils les doivent aux habitants qui sont restés, aux Gagnon, Tremblay, Dumont, Dion et à ceux qui sont venus se joindre à eux pour construire un pays à la mesure de leurs espoirs et de leurs efforts et dont ils ont lieu d'être fiers.

Que reste-t-il pourtant, dans leurs souvenirs, des valeureux efforts de Louis-Joseph Papineau et de la majorité des députés de la Chambre d'assemblée du Bas-Canada pour obtenir une certaine autonomie politique de la part de la Grande-Bretagne impériale? Ils furent anéantis en 1837-1838 quand les troupes anglaises écrasèrent des poignées de patriotes mal armés à Saint-Denis et Saint- Eustache, à Saint-Benoît et Saint-Charles. Suivent les durs affrontements entre les prélats qui incarnaient l'Église ultramontaine –Mgr Ignace Bourget et Mgr Louis-François Laflèche à la tête de la mêlée – et l'Institut canadien qui propageait les idées libérales et républicaines de la France et des États-Unis – Louis-Antoine Dessaules et Joseph Doutre en étaient les membres les plus ardents. Les prélats triomphèrent des Rouges, arrière-garde des résistants de la décennie 1830. Le rejet des idées de l'Institut canadien est définitif, l'adhésion à l'Empire britannique, indiscutée, la soumission du peuple aux dirigeants religieux et politiques, garantie. Puis, s'installe le long hiver d'une survivance frileuse dans un cadre politique atone, sous le manteau de l'Église ultramontaine et celui de notables peu courageux et souvent profiteurs. Le règne de Duplessis étire ce siècle de vie larvée au cours duquel, ici et là, les Canadiens français ont tout de même grandi.

Ces noyaux forts, ces événements-charnières de l'histoire canadienne-française – la conquête anglaise, l'échec de la requête pour une plus grande autonomie politique et l'écrasement des Patriotes, la mainmise du cléricalisme et du paternalisme politique sur le peuple, les temps au cours desquels la question nationale atteint une phase critique masquée par l'illusoire quiétude que les dirigeants religieux et politiques professent –ont creusé dans l'histoire des discontinuités peu propices à effacer les traces des ruptures et à procurer aux Canadiens français un sentiment de fierté pour leur passé et un regain de confiance en l'avenir.

Poètes, romanciers, chansonniers transposent ces conditions blafardes dans l'imaginaire. Certains appliquent un baume rafraîchissant sur les incertitudes et les angoisses de la nation, la plupart pleurent sur les plaies qu'ils perçoivent béantes. Pour un Antoine Gérin-Lajoie qui croit entendre une voix lui dire « [...] qu'il ne dépend que de toi d'être un jour heureux et paisible possesseur de ce domaine19 », combien de François-Xavier Garneau pour ancrer le syndrome de l'échec:

Notre langue, nos lois, pour nous c'est l'Angleterre, Nous perdrons langue et lois en perdant notre mère. [...] Non, pour nous, plus d'espoir, notre étoile s'efface Et nous disparaissons du monde inaperçus...20

De ceux qui relèvent la tête et portent le regard vers l'espoir, combien se sont fait rabattre dans le rang, et souvent par les leurs?

Les Canadiens français sont-ils condamnés pour longtemps encore à cette vie sans défi? Resteront-ils toujours impuissants à renouer le fil de la continuité avec ceux des anciens qui ont respiré l'air du large et lutté pour que leur société s'engage sur les voies déblayées par des peuples plus favorisés? Enfin, la victoire libérale du 22 juin 1960 survient et leur procure la première occasion de se gratifier eux-mêmes d'une identité valorisante. Ce court moment de leur durée les reporte à leur origine et présage un destin plus propice. S'inventent-ils « une identité de façade21 » pour les besoins du moment ou cherchent-ils à reconnaître dans les expériences vivifiantes qu'ils vont vivre les efforts courageux des anciens pour de meilleures conditions de vie? Penchés sur les devoirs que les circonstances leur imposent, leur attention se porte bien peu au-delà des propos tenus par les intellectuels des années 1950, propos que, dans une large mesure, ils vont transposer en un programme d'action.

UN STATUT POLITIQUE

En 1950 encore, à l'aune de la pensée critique et des composantes sociales dynamiques, une identité collective frileuse était imposée et vécue à la façon d'un dogme que la tradition et les pouvoirs clérical et politique dictaient. Que s'est-il passé? Quelles furent les conditions de la recherche des Canadiens français sur eux-mêmes? Que reste-t-il de l'immense espoir mis – à la suite de la victoire au fil d'arrivée des libéraux le 22 juin 1960 sur les fervents partisans de l'Union nationale vouée à la perpétuation de la tradition conservatrice – dans l'épanouissement d'une nouvelle identité ouverte, stimulante, accordée aux besoins et aux aspirations d'une population qui se précipite dans la modernité que les élites avaient longtemps réfrénée? Gaston Miron déplore « la fatigue culturelle » des Canadiens français. Il impute la source de cette fatigue à l'absence d'un sens vif d'une identité politique: « C'est précisément et singulièrement ici que naît le malaise, qu'affleure le sentiment d'avoir perdu la mémoire22 ». Jean-Marc Léger conclut également à l'échec de la Révolution tranquille sous cet aspect primordial:

C'est là assurément le plus cruel paradoxe de l'héritage de la Révolution tranquille dont les acquis incontestables, le grand bond en avant, ont masqué un temps le processus simultané d'affaiblissement moral et de crise identitaire. On ne brade pas impunément, dans une sorte de fièvre destructrice, tout le passé avec ses vertus et ses valeurs, sous prétexte des excès et des erreurs qui l'ont marqué pendant de nombreuses décennies. [...] C'est dans cette période allant en gros du début des années 1960 au milieu des années 1970 que nous avons manqué le plus extraordinaire rendez-vous de notre histoire récente: nous en subissons aujourd'hui, et sans doute pour longtemps encore, les conséquences23.

Après un siècle d'une certitude trompeuse et stérile, dans les premières années de la Révolution tranquille, la quête d'une identité renouvelée était devenue chez plusieurs l'objet d'une recherche intense. Diverses mesures du gouvernement fédéral (le Conseil des Arts, la péréquation, l'attribution aux provinces de ressources fiscales graduellement plus considérables, etc.) favorisèrent les efforts de ceux qui se vouaient à transformer le gouvernement du Québec en une institution moderne accordée à une société déjà engagée dans ses secteurs dynamiques sur le voie de la modernité. Plus encore, avec le concours plus ou moins empressé du gouvernement fédéral que la hardiesse et le bien-fondé des propositions québécoises déconcertaient, le gouvernement du Québec se dotait d'appareils et d'établissements, telle la Caisse de dépôt et placement, qui accroissaient la vigueur au sein de la société civile. Mais la revendication qui sous-tendait l'action de bien des fédéralistes québécois: « un statut politique particulier pour une société distincte » était incomprise du Canada anglais, sauf pour un petit nombre d'intellectuels ; celle des indépendantistes: « faire du Québec un pays », le confondait. Proclamé le moteur principal du développement dans tous les domaines, le gouvernement du Québec devint l'objet d'une vigilance soutenue de l'extérieur. Partagés entre l'admiration et l'inquiétude, les Canadiens anglais s'interrogeaient: What does Quebec want? Mais ils ne prêtaient guère attention aux multiples tentatives de réponse émanant des chefs de file canadiens-français, ni d'ailleurs aux analyses précises et chiffrées de la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme explicitant la condition d'infériorité des Canadiens français dans tous les domaines.

De nombreuses causes déroutèrent la Révolution tranquille. La moindre ne fut pas l'épuisement de l'impulsion politique. De Lesage à Bourassa, en passant par Johnson, Bertrand, Lévesque, la politique sombre graduellement dans la médiocrité. L'appel à la grandeur de Lesage s'abîme dans sa propre défaillance à compter de 1965, l'ambivalence de Johnson, la grisaille de Bertrand, le mirage de Lévesque et le dérapage de Bourassa. Les efforts pour doter le Québec d'un statut particulier à l'intérieur de la fédération canadienne furent vains et découragèrent bien des fédéralistes. La recherche d'une formule qui procurerait au Québec, sinon l'indépendance, du moins une association nouvelle avec le Canada qui lui garantirait une part plus substantielle de sa souveraineté fut intense dès 1960, mais dispersée. À partir de 1968, cette recherche se concentre dans un seul parti, le Parti québécois, sous la gouverne d'un des principaux ministres du gouvernement Lesage, René Lévesque, qui se heurte au récif du référendum de 1980. L'échec de cette tentative se répercute dans le rejet de l'entente du lac Meech en 1990 et des propositions constitutionnelles de Charlottetown soumises au référendum canadien de 1992.

Aujourd'hui, les orientations politiques des Québécois alarment les Canadiens anglais et inquiètent bien des Canadiens français eux-mêmes: le Bloc québécois, issu de la déchéance du Parti conservateur, trône en qualité d'Opposition officielle au Parlement fédéral ; le Parti québécois a triomphé aux élections de septembre 1994 ; la troisième voie prônant une réforme en profondeur du fédéralisme, proposée avec tant d'ardeur depuis trente ans par les Canadiens français fédéralistes, est, du moins dans l'avenir prévisible, mise au rancart. L'avenir politique du Québec et du Canada est plus que jamais aléatoire. Les espoirs et les projets des fédéralistes et des indépendantistes québécois sont d'autant plus opposés qu'ils s'expriment avec plus de netteté.

Par ailleurs, l'incapacité des gouvernements québécois, comme du gouvernement fédéral, de suivre le mouvement de la société civile et de contribuer à articuler au fonds socioculturel des Canadiens français les nouvelles représentations d'eux-mêmes issues des acquis de l'intérieur et des emprunts de l'extérieur accentue la rupture de la continuité historique. Une société déconcertée, qui avait considéré l'État comme un moteur majeur de son développement, assiste aujourd'hui au démembrement de plusieurs des rouages qui avaient nourri son dynamisme depuis trente-cinq ans. Dispose-t-on ici d'établissements privés suffisamment aguerris et intéressés pour prendre la relève d'un État qui s'éclipse? S'en remettra-t-on comme jadis au savoir-faire et aux capitaux étrangers?

L'issue de la présente conjoncture politique est incertaine dans sa forme et sa durée. Projettera-t-elle plus de lumière sur l'identité que les Canadiens français n'ont eu de cesse de rechercher et d'approfondir ou, au contraire, en résultera-t-il plus d'incertitude et de déception?

L'ÉGLISE

La religion catholique et la langue française représentent les deux sédiments de base sur lesquels s'est fondée l'identité canadienne-française.

Jusque dans les années 1950, la religion était omniprésente. Elle pénétrait en profondeur le culturel, le social et le politique. Tout était catholique: les coopératives, les syndicats, les chambres de commerce, l'idéologie et la pratique politiques ainsi que le credo du nationalisme traditionnel qu'elle nourrissait et sanctionnait. La pénétration de la religion chez les Canadiens français et dans l'ensemble de la société était d'autant plus profonde en même temps que plus étendue qu'elle s'incarnait dans l'Église.

L'Église occupait depuis longtemps une telle position d'hégémonie qu'on peut dire qu'elle était la seule institution ayant la taille et la portée « totalisante » d'un système. Ultramontaine, elle condamnait le libéralisme et, dans les années 1930-1940, bien des nationalistes d'extrême-droite, souvent sous l'influence de clercs, glissaient vers le corporatisme autoritaire et « catholique » de Mussolini, Franco et Salazar. L'Église était le seul lien institutionnel qui rattachait directement les Canadiens français à l'universel, et ce lien était solide. Des revues, des lettres, des récits de missionnaires revenus pour de courtes durées relataient dans la plupart des foyers les conditions de vie dans les pays de mission. Même le prélat le plus puissant devait faire obédience à Rome. L'autorité suprême de Rome, elle-même stricte en matière de doctrine et de morale, servait de caution à bien des clercs pour affermir leur emprise sur une population soumise, mais elle a dû aussi, parfois, les inciter à modérer leur penchant pour l'autoritarisme24.

La profession de foi au catholicisme des Canadiens français créait un lien non négligeable avec les catholiques canadiens et américains. Il y eut bien des tensions entre les prélats irlandais et canadiens-français mais, dans l'ensemble, l'Assemblée des évêques du Canada remplissait une fonction de rapprochement dans la pensée et parfois dans l'action des catholiques de l'ensemble du pays.

L'Église d'ici lutta avec vigueur pour la reconnaissance de la langue française dans toutes les provinces. Elle fut, pour les Canadiens français, un référent essentiel de leur identité canadienne. Sa disparition comme pouvoir dominant dès les premières années de la Révolution tranquille fut un facteur majeur du repli des Canadiens français sur le Québec. Son éclipse comme pouvoir au profit du nouvel État tutélaire, due en partie à l'adoption maladroite et précipitée des réformes issues du second concile du Vatican et en partie à l'envahissement des valeurs et des modes de vie associés à la modernité, n'a pas pour autant éliminé l'influence de la religion dans les attitudes et les comportements des Canadiens français. Elle se prolonge dans la liturgie catholique délestée de son faste et dans de nombreuses organisations religieuses et de sectes gnostiques. Se devine, dans certaines idéologies séculières, une transposition de l'esprit religieux de naguère: engagement fervent dans le Rassemblement pour l'indépendance nationale (RIN), conversion naïve au marxisme-léninisme dans sa version eschatologique, adhésion dogmatique au fédéralisme ou à l'indépendance du Québec rappelant la conversion de saint Paul sur le chemin de Damas, participation passionnelle à des mouvements sociaux qui puisent une bonne partie de leur vitalité dans l'esprit de dévouement et le sens de la mission chez les militants. Le zèle des militants pour la cause n'est malheureusement pas toujours productif de bonnes oeuvres et ils sont souvent déçus et déprimés de leur expérience25.

LA LANGUE FRANÇAISE

Des vieux rêves catholique et français, il ne reste plus que la langue française qui puisse être vécue comme un projet pour lequel la collectivité entière se rassemble.

Aujourd'hui, la langue constitue la composante première et incontournable de l'identité des Canadiens français. Pourtant, les structures sociales les différencient à un haut degré et un nombre croissant d'enjeux sociaux les opposent. Les représentations du monde et de la vie chez les personnages de Bonheur d'occasion de Gabrielle Roy, des Plouffe de Roger Lemelin et des Belles-Soeurs de Michel Tremblay ne sont plus au diapason des conceptions de la génération montante. Mais les Canadiens français se réclament toujours de la langue française comme on s'accroche à une bouée de sauvetage. Depuis les années 1960, elle est, à certaines heures, devenue un sujet d'angoisse et une cause majeure de sentiments exacerbés et d'actes violents. Elle est la source vive de leur persistance comme nation, bien plus que ce n'est le cas pour plusieurs peuples. La cohésion exemplaire des Suisses existe malgré la disparité linguistique. Même en France, les facteurs de l'émergence de l'idée de nation furent la monarchie, l'aristocratie et une Église hégémonique à forte tendance gallicane. Ce ne fut pas sans peine que le français supplanta le latin, longtemps la langue noble de l'Occident, et délogea les nombreux dialectes régionaux. Comme l'écrit Colette Beaune:

Le sentiment national français s'est construit lentement durant tout le Moyen Âge. [...] Le français mit donc très longtemps à s'imposer. Il lui fallut être fortement valorisé pour pouvoir être considéré comme une caractéristique de la nation. [...] Le succès du français de Paris dans l'ensemble du royaume est beaucoup plus lent, malgré le support de la chancellerie et de l'administration royale. [...] Il fallut attendre 1400 pour voir affirmer que les Français sont nés de la terre de France26.

Pour les Canadiens français, la langue française est aujourd'hui la seule certitude référentielle commune. Rien de plus normal qu'elle représente pour eux une valeur sans prix, puisqu'elle est le signe premier de leur identité. Ce n'est pas sa survivance parmi les générations à venir qui doit être le principal motif de préoccupation à son sujet, mais plutôt le niveau de qualité qui est aujourd'hui et sera demain le sien et sa pénétration dans l'ensemble de la société. Comment pourrait-on s'offusquer de constater que les Canadiens français entendent promouvoir leur langue tout en consentant à de difficiles et périlleux ajustements afin de prévenir qu'elle ne devienne inapte à nommer un environnement que l'anglais imprègne? On s'interroge parfois: comment peuvent-ils tant tenir à une langue qu'ils ont tant de mal à bien parler et à bien écrire? Taire ou nier la présence envahissante de la langue anglaise sous de multiples formes sur le territoire québécois au point où, dans le monde contemporain, il devient d'une nécessité absolue pour eux de l'apprendre, donc de devenir bilingues, serait s'obstiner à refuser l'évidence. C'est là, pour eux, tout un défi: maîtriser leur propre langue tout en apprenant l'anglais. Dans l'idéal, le Québec est, pour moi, une société où le français devient de plus en plus la langue d'usage général dans le respect de la langue des autres, et en premier lieu de la langue anglaise, et où la culture française reçue en héritage s'enrichit chaque jour de l'apport d'autres cultures sans craindre la perte de sa substance originelle. Je sais bien que, surtout dans la région montréalaise, la réalité dégrade cet idéal. Mais il serait vain de rendre les autres responsables des atermoiements des dirigeants des institutions publiques et privées et des préjugés persistants au sein des groupes qui entravent une intégration enrichissante pour tous les Québécois à la société telle qu'elle devient et pourrait devenir27.

UNE SOCIÉTÉ MODERNE

Toute investigation valable des composantes de l'identité canadienne-française se doit, aujourd'hui, d'être menée à travers le prisme de la modernité et, même, de ces changements sans nul doute de grande amplitude dénommés pour l'instant postmodernes. Le Québec s'est engagé dans la modernité à peu près à la même époque que les sociétés environnantes, c'est-à-dire depuis la fin de la Première Guerre mondiale, mouvement que la Seconde Guerre mondiale a accéléré. Mais le développement social et surtout économique dépendit en grande partie de l'action d'une grande bourgeoisie d'affaires canadienne-anglaise et américaine. Les efforts du gouvernement Duplessis, et surtout des gouvernements subséquents, pour faire accéder des Canadiens français au sommet de la hiérarchie financière et industrielle n'eurent d'abord que de minces résultats. Grâce toutefois à la création de nombreuses régies publiques, dirigées par des Canadiens français, dans les deux décennies qui suivirent la Révolution tranquille, leur montée dans la hiérarchie des affaires fut de plus en plus appréciable.

Quand je cherche la ressource qui a le plus manqué dans le passé aux Canadiens français pour édifier une société moderne d'où aurait émané le sens d'une identité ferme, je la trouve précisément dans l'absence d'une grande bourgeoisie d'affaires qui les aurait placés, sous tous les aspects, au diapason des sociétés qui les encerclaient. Que serait devenue cette société? Qu'aurait été son destin? La population dans son ensemble, longtemps tenue pour rurale et agricole et à l'écart de l'évolution qui s'accomplissait sans son concours et dont elle avait souvent lieu de se plaindre, aurait sans doute, comme ce fut le cas ailleurs, pris plus tôt la parole. La modernité l'aurait moulée, elle se serait émancipée, cabrée, l'esprit critique se serait aiguisé plus rapidement, elle aurait mieux absorbé les changements qui l'envahissaient. Une grande bourgeoisie d'affaires d'ici n'aurait en rien changé l'exploitation de la classe ouvrière mais les Canadiens français se seraient mieux portés, auraient évolué moins brutalement après 1960 et n'auraient pas boudé si longtemps les affaires. Aujourd'hui encore, disposent-ils au moins d'un embryon d'une grande bourgeoisie d'affaires qui serve leurs intérêts, favorise l'essor de la petite et moyenne entreprise et puisse se substituer à l'État-providence vraisemblablement épuisé?

Il me semble que c'est sous son aspect politique que la modernité pose, de façon la plus précise et la plus contraignante pour chaque nation, la question de son identité. Quand un Occidental aujourd'hui s'interroge: « Qui suis-je? » « Que puis-je être? », l'humanisme de la démocratie libérale s'impose à lui comme une finalité, une contrainte, sinon première du moins majeure, parmi toutes celles que font peser sur lui les conditions générales de son existence individuelle et collective. Il en est de même pour chaque peuple d'Occident. Chacun découvre son identité propre en cherchant, bien sûr entre autres démarches mais de façon obligée, comment réagir aux prémisses de la démocratie, du libéralisme, du nationalisme et de l'État-providence afin de mieux poursuivre les objectifs particuliers qu'il estime lui être nécessaires pour se réaliser comme il le souhaite.

Ce fut précisément une caractéristique majeure de l'État à l'époque de la Révolution tranquille d'avoir puissamment contribué à favoriser les transformations qui précipitaient les Canadiens français dans les sentiers les plus modernes de l'économie, de la culture et de l'éducation. Le monde entier les rejoint par l'information diffusée instantanément par le puissant véhicule qu'est la télévision par satellite. Cette dernière dicte une part substantielle de leurs modes de vie, elle concourt à former leurs opinions. Ils adoptent avec frénésie les technologies, la plupart du temps produites ailleurs, dont, malheureusement, ils n'ont cure d'évaluer les effets sur eux-mêmes et sur la société.

La modernité que poursuit la Révolution tranquille renforce le cadre institutionnel public et met l'État au diapason des composantes dynamiques de la société civile qui accueillent avec enthousiasme tous les nouveaux véhicules de changement. Les Canadiens français dans leur ensemble, qu'un moule institutionnel public, politique et clérical, inhibait, se meuvent désormais à l'aise dans un environnement pleinement ouvert à la démocratie à l'intérieur duquel ils acquièrent la plénitude de leurs droits et de leurs devoirs de citoyens. Les institutions de la société civile, l'État, c'est maintenant eux, et leurs dirigeants agissent sous leur responsabilité. La confiance en eux-mêmes illumine ces nouveaux citoyens. Le temps est venu pour eux de changer de vie. Pour quelques années, les conditions leur sont propices. Ils apprennent à se percevoir maîtres plutôt que sujets, ils entendent se faire reconnaître partout dans le monde, ils apprennent à s'aimer. Une âme nouvelle s'éveille en eux. Ils respirent le souffle enivrant d'un pays qui se fait.

Le caractère prédominant, ici comme ailleurs, de cette modernité qui se déploie dans tous les domaines, revêt une forme instrumentale. La société canadienne-française s'est trouvée confrontée depuis plus de trente ans à de nouveaux démarrages. Les conséquences sur le sens de l'identité de réaménagements toujours provisoires des cadres institutionnels privés et publics sont incommensurables. Aux solidarités communautaires anciennes fondées sur la famille, la parenté, la région, le voisinage, la religion populaire, etc. se sont substituées des solidarités sociétales dont les figures dominantes sont le citoyen, la grande organisation privée, la bureaucratie publique et les groupes de pression. Les rapports interpersonnels directs et spontanés axés sur les conditions de la vie quotidienne se transmuent en relations à distance, empesées, dont les représentations typiques sont le guichet du fonctionnaire anonyme, la mégapole, les télécommunications, l'organigramme. À l'aube de la Révolution tranquille, les relations sociales ne sont pas exclusivement communautaires pour tous les Canadiens français, loin de là, mais au fur et à mesure de son déroulement, les relations de type sociétal se sont amplifiées aux dépens des premières. Les exigences de la vie extérieure refoulent la vie intérieure dans des replis de plus en plus obscurs. Dans ce même courant de pensée, Alain Touraine écrit:

Le triomphe de la modernité rationaliste a rejeté, oublié ou enfermé dans des institutions répressives tout ce qui semblait résister au triomphe de la raison. [...] La pensée moderne n'est- elle pas celle qui cesse de s'enfermer dans le vécu ou la participation mystique ou poétique au monde du sacré pour devenir scientifique et technique, s'interrogeant sur le comment et non plus sur le pourquoi? L'idée de la modernité s'est définie comme le contraire d'une construction culturelle, comme le dévoilement d'une réalité objective28.

La rationalité instrumentale pénètre peu à peu tous les pores de la société depuis la Révolution tranquille, met en question l'identité que les Canadiens français s'étaient donnée ou avaient reçue. D'une façon beaucoup plus généralisée et contraignante que naguère, ils vont chercher à l'extérieur, en Ontario et aux États- Unis, le modèle qui correspond le mieux à leur nouvel idéal individuel et collectif. L'identité qu'ils recherchent tête baissée ne porte malheureusement pas souvent le sceau de l'authenticité. Elle n'est qu'une copie de l'original étranger. Elle est source d'incertitude et de division plutôt que de confiance et de cohésion.

Une dimension majeure de la rationalité instrumentale est le pluralisme des valeurs et des ordres sociaux que la démocratisation des sociétés a sanctionné. Le pluralisme envahit toutes les facettes de la vie et s'étend à la collectivité entière. Il est un fait sociologiquement indéniable. L'immigration représente une composante importante de ce pluralisme. La fusion des races par suite de l'arrivée massive de cohortes de personnes venues des régions surpeuplées et les plus pauvres du monde constituera un phénomène vital pour les pays occidentaux au cours du XXIe siècle.

L'immigration va poser aux Canadiens français un défi de taille. Les immigrants sont et seront de plus en plus nombreux au Québec. Ils sont et seront de langues et de cultures diverses, souvent fort éloignées de la religion chrétienne ainsi que de la langue et de la culture françaises. Chercher à les exclure, à s'isoler d'eux serait immoral et suicidaire. Comment les intégrer sans les dissoudre, comment s'enrichir des valeurs inestimables associées à leurs modes de vie tout en écartant un syncrétisme culturel linéaire, en évitant les pièges grossiers d'un multiculturalisme étale? Quels rapports entretenir avec les Québécois de langue anglaise, l'époque stérile et peu glorieuse des « deux solitudes » d'autrefois étant loin d'être révolue en raison des nombreuses barrières toujours haut levées? Comment dissuader sans mesures vexatoires les immigrants non francophones d'adopter la langue anglaise – la langue du continent – dont la puissance assimilatrice est presque irrésistible? Ce n'est pas en quelques années, ni même après une génération, qu'un processus aussi complexe que celui de l'arrimage des nouveaux venus à ceux qui sont là depuis longtemps puisse se compléter, ni même s'orienter, dans un sens clairement discernable. Il faut envisager beaucoup de temps, faire preuve de sagacité et de confiance en soi, savoir tirer profit des circonstances favorables et se déjouer des contraintes qui entravent une issue porteuse de valeurs bénéfiques pour tous.

CONCLUSION

Les Canadiens français aujourd'hui sont-ils plus rassurés quant au devenir de leur identité collective? Leur confiance en eux-mêmes qui s'était raffermie au début de la Révolution tranquille, s'est- elle maintenue ou, au contraire, émoussée? Se donner aujourd'hui comme objectif la simple survivance ne devrait plus être de mise, non plus que de se complaire dans le rappel constant des malheurs anciens. Des cogitations aussi déprimantes porteraient le germe d'un étiolement fatal et seraient susceptibles de précipiter le destin tragique de la disparition que les Canadiens français ont toujours craint tout en s'efforçant de l'écarter en usant des moyens que, dans des circonstances souvent adverses, ils estimaient les plus propices.

Je l'ai dit plus haut, les Canadiens français, du moins nombre de leurs intellectuels, romanciers et artistes, n'ont jamais aimé leur passé. La modernité a broyé les résidus de la société traditionnelle. Loin de cimenter leur unité, elle les a divisés à propos des événements parmi les plus marquants du passé: la rébellion de 1837-1838, la Confédération de 1867, la participation du Canada aux deux Grandes Guerres du siècle, la Charte des droits de 1982... Notre littérature est remplie de gémissements, de désespérances sur notre passé. Ainsi que l'écrit Marie Desjardins: « De toute évidence, les jeunes sont littéralement écoeurés des vaines complaintes, des molles revendications, des griefs mesquins, des sanglots longs des héros (quelle pitié!) de notre littérature29. »

En 1995 comme en 1950 et en 1960, les Canadiens français ne ressentent guère la nécessité de renouer avec leur histoire. Ils semblent estimer qu'elle ne leur serait d'aucune utilité pour affronter les temps nouveaux. Ils ne vivent pas cette « communion mystérieuse de l'homme dans l'histoire » dont parle Ariès. Cette « saisie du sacré immergé dans le temps, un temps de progrès qui ne détruit pas, où tous les âges sont solidaires30 ». Plus grave encore, ils ne ressentent pas cette absence de communion avec leur passé comme un manque. Ici, peut- être, découvre-t-on l'une des raisons majeures de la perte de confiance et d'enthousiasme qui se produisit chez eux une fois passées les premières années de la Révolution tranquille.

Nous ne sommes pas certains d'être porteurs d'une histoire valable, de posséder une tradition enrichissante, un héritage d'un mérite certain reconnu dans le monde. Nous n'avons jamais complètement renoué le fil de la continuité que lord Durham a tranché. Comme l'écrit Fernand Dumont, les cohérences que la société canadienne-française s'est données ne furent qu'apparentes. Elle s'en est reportée « aux mécanismes de défense de ses coutumes. Cela ne lui a pas donné une identité, des procédés de décision, une politique qui eussent pu lui permettre de surmonter les défis et les crises31 ».

Est-ce à dire que nous devons faire table rase de notre passé, des échecs comme des succès? S'ensuit-il que toutes les traditions aient été sabordées ou même faut-il conclure sans plus d'examen qu'elles méritent toutes d'être liquidées? Non. Nous pouvons, nous devons pour nous-mêmes et pour la génération montante, retrouver dans les replis du souvenir les traces d'un passé qui ne fut pas seulement tragédie et dépossession mais aussi, à certaines heures du moins, félicité et conquête. Au creux de la mémoire, le passé ne meurt pas. Ses racines se sont étirées, enchevêtrées, greffées, plusieurs ont séché ou ont été extirpées, d'autres restent vivaces. Sous le poids des circonstances et des projets des hommes, des bribes valables de savoir-faire dans tous les domaines, des parcelles riches d'émotions refoulées émergent. Néanmoins, des tris s'imposent. L'historiographie récente déblaie un terroir maintes fois foulé mais peu inventorié de façon systématique.

Cultiver la mémoire nourrit le présent et balise l'avenir. Je ne puis croire que les Canadiens français aient été de la sorte précipités du vide dans la modernité. Je ne puis me résoudre à l'idée que leur histoire ne soit qu'une suite d'humiliations et une accumulation de déboires. Elle est plutôt celle d'une petite nation non sans grandeur même dans ses périodes tragiques. Certes, les intellectuels des années 1950 s'étaient complus à représenter le Québec français de leur temps comme une société archaïque qu'un ancien régime d'une durée de plus de cent ans avait, selon eux, perpétué sous la gouverne de générations de prélats inquisiteurs et de politiciens mous ou despotiques. Pourtant, nous qui sommes un peuple aux assises fragiles, nous avons besoin plus que d'autres de références stimulantes à une histoire qui nous serait propre et de posséder des « lieux de mémoire » pour nous approprier la genèse et l'évolution de notre identité et tirer profit de l'expérience acquise à chaque tournant majeur de notre histoire32. Les peuples qui s'engagent dans l'avenir avec confiance et dynamisme cultivent précieusement le souvenir de leur passé, s'y réfèrent avec respect, du moins aux tranches de ce passé qui correspondent aux besoins du présent et aux attentes de l'avenir. Le Japon contemporain témoigne une fois de plus de la vérité de ce fait. Historia, magister vitae (histoire, maître de la vie), dit Cicéron.

Il faut toutefois en convenir: c'est moins par les stigmates de leur passé que par les représentations de leur présent et les anticipations de leur avenir que les nations affirment et vivent leur identité. C'est dans cette identité qui s'élabore chaque jour qu'elles puisent leur stimulation ou versent dans le pessimisme.

La Révolution tranquille représente certainement un temps fort, une matrice de référence, un noyau dur de l'histoire québécoise. L'effervescence que déclenche la victoire libérale du 22 juin 1960 s'explique en grande partie par les frustrations subies dans les dernières années de l'ancien régime. En 1960, pour la première fois peut-être, les Canadiens français se résolvent à prendre en main leur présent, à établir une « communion mystérieuse » avec leur temps. La Révolution tranquille paraît marquer le passage brusque d'un régime de société à un autre, d'une totalité historique à une autre. Il serait erroné de l'élever au rang d'un événement fondateur de la société canadienne-française mais elle a laissé une trace indélébile et profonde dans les esprits et les institutions. Depuis la Révolution tranquille, à l'instar de toutes les sociétés industrielles et urbaines, les Canadiens français vrillent irrévocablement leur identité sur les conditions du déroulement de la modernité. Sous bien des aspects, malheureusement, le vent a abruptement tourné pour eux depuis une quinzaine d'années: accumulation de déceptions sur les plans constitutionnel et politique, privations résultant du marasme économique, désenchantement au sujet de la qualité de l'éducation, inquiétudes concernant le statut et l'avenir de la langue française dans le contexte imprévisible de l'ALÉNA, mouvement des populations, dépendance culturelle et économique, changements technologiques aux conséquences imprévisibles dans tous les domaines, particulièrement dans les communications.

Les Canadiens français, au sein de la génération montante surtout, vivent la modernité (ou la postmodernité) dans l'incertitude d'une identité mal amarrée, une incertitude aussi stérile et plus pathétique qu'autrefois. Naguère, les élites cléricales et laïques veillaient à ce qu'ils taisent leurs divergences et offrent plutôt au monde le spectacle d'une unanimité rassurante pour leur propre souci de pérennité et pour le bien- être, tel qu'elles le concevaient, de leurs sujets dont elles se léguaient la tutelle. À l'ère d'un pluralisme conçu comme une dimension essentielle de la modernité, les représentations et les choix des individus et des collectivités particulières les opposent bien plus souvent qu'ils ne les rassemblent. Ceux qui les dirigent dans la société civile comme dans l'État, plutôt que de les convoquer à « s'identifier au meilleur, à l'essentiel » d'eux-mêmes en préconisant des formules et des projets réalistes propres à les stimuler, accentuent, par leurs querelles étroitement corporatistes et politiciennes, les fragmentations que le pluralisme engendre.

Comment concevoir le Québec comme une société globale qui n'exclut rien ni personne, qui enchante l'imaginaire, stimule les intellectuels, imprègne toutes les classes sociales et l'ensemble du peuple et qui se projette sous toutes les formes de l'action collective? Quoi, à défaut des élites déchues, nourrit chez les Canadiens français la conscience d'une identité commune ancrée dans l'origine et fortifiée par l'espérance d'un destin propice?

NOTES

CIBLE.GIF1. Léon Dion, Québec 1945-2000, tome I: À la recherche du Québec, Québec, Les Presses de l'Université Laval, 1987, p. 4. Pour un examen du concept d'identité: p. 1-19.

CIBLE.GIF2. Fernand Braudel, L'identité de la France. Espace et histoire, Paris, Arthaud-Flammarion, 1986, p. 17 et 339.

CIBLE.GIF3. Fernand Dumont, Genèse de la société québécoise, Montréal, Boréal, 1993, p. 18, 331 et 336.

CIBLE.GIF4. Jean-Charles Falardeau, « Comment peut-on être Québécois? » dans: Jean Sarrazin (sous la direction de), Dossier-Québec, Montréal, Les Éditions Stock, 1979, p. 50.

CIBLE.GIF5. Paul Chamberland, « De la damnation à la liberté », Parti pris, 9, 10 et 11, été 1964, p. 75. Voir aussi: Marcel Rioux, La question du Québec, Paris, Seghers, 1969, p. 129-160 ; Jean Bouthillette, Le Canadien français et son double, Montréal, L'Hexagone, 1972, p. 89. De 1970 à 1990, la tendance des francophones à se dénommer Québécois a presque triplé:

CIBLE.GIF
Canadiens français Québécois Canadiens Autres ou non spécifiés
% % % %
1970 44 21 34 1
1984 48 37 13 1
1988 39 49 11 1
1990 28 59 9 2

Source: Maurice Pinard, « The Québec independence movement. A dramatic reemergence », McGill Working Papers in Social Behavior, McGill University, printemps 1992, p. 31. Maurice Pinard relie ces fluctuations à l'évolution du mouvement indépendantiste. En 1990, l'effet de l'échec de l'entente constitutionnelle du lac Meech est manifeste. D'autres facteurs, telles une identification croissante au territoire du Québec et l'impression grandissante que le gouvernement du Québec les concerne davantage que le gouvernement fédéral, doivent influer sur leurs choix.

CIBLE.GIF6. Jacques Godbout, « Les écrivains sont souverains », Liberté, 203, 34, 5, octobre 1992, p. 40 et 41.

CIBLE.GIF7. Serge Cantin, « La fatigue culturelle de Jacques Godbout », Liberté, 206, 35, 2, avril 1993, p. 27, 31 et 33.

CIBLE.GIF8. Jean-Marc Léger fait la même suggestion: « [...] il faudrait créer le néologisme "Québécois-français" ou "Franco-Québécois" de même qu'hier nous disions, avec raison, sans prétention mais très justement, "Canadien-Français". » Dans: Vers l'indépendance? Le pays à portée de main, Montréal, Leméac, 1993, p. 60.

CIBLE.GIF9. Andrée Fortin, Passage de la modernité. Les intellectuels québécois et leurs revues, Sainte-Foy, Les Presses de l'Université Laval, 1993, p. 386. Voir également: Jean- Paul Lemaire, Nous Québécois, Montréal, Leméac, 1994.

CIBLE.GIF10. À ce sujet, voir: Pierre-W. Boudreault, « Entre les Amérindiens et les Québécois: frontières territoriales ou syncrétisme culturel », Sociétés, 43, 1994, p. 83-97. Les débats politiques de ces dernières années ont stimulé les revendications territoriales des Amérindiens. Ils se réclament d'anciens traités pour exiger leur autonomie gouvernementale.

CIBLE.GIF11. Gilles Sénécal (sous la direction de), Territoires et minorités. De l'Amérique française au lac Meech, Les cahiers scientifiques, Association professionnelle des géographes du Québec –Association canadienne-française pour l'avancement des sciences, Montréal, 1989. À Québec, le nom de la rue Scott a récemment été changé pour celui de rue de l'Amérique française.

CIBLE.GIF12. Henri Bourassa, Le patriotisme canadien-français : ce qu'il est, ce qu'il doit être, Montréal, La Cie de publication de la Revue canadienne, 1902.

CIBLE.GIF13. Guy Rocher, Le Québec en mutation, Montréal, Hurtubise HMH, 1973, p. 89 et 108. Voir également, du même auteur: « Le Québécois, un certain homme nord-américain », dans: Jean Sarrazin (sous la direction de), op. cit. ; René Dionne, Le Québécois et sa littérature, Sherbrooke et Paris, Naaman et Agence de coopération culturelle et technique, 1984 ; Yves Eudes, L'appareil USA d'exportation culturelle américaine, Paris, Maspero, 1982 ; Michel Morin, L'Amérique du Nord et la culture. Le territoire imaginaire et la culture, Montréal, HMH, 1982 ; Guildo Rousseau, L'image des États-Unis dans la littérature québécoise (1775-1930), Sherbrooke, Naaman, 1981 ; Giuseppe Turi, Une culture appelée québécoise, Montréal, Les Éditions de l'Homme, 1971 ; Léon Dion, op. cit., p. 85-92.

CIBLE.GIF14. Daniel Latouche, Le bazar. Des anciens Canadiens aux nouveaux Québécois, Montréal, Boréal, 1990, p. 80.

CIBLE.GIF15. Anne Hébert, Le Devoir, 22 octobre 1960 (supplément littéraire), cité par Guildo Rousseau, op.cit., p. 11 et 12.

CIBLE.GIF16. Fernand Dumont, op. cit., p. 235.

CIBLE.GIF17. Sifmund Diamond, « Le Canada français du XVIIe siècle: une société préfabriquée », Annales, économies, sociétés et civilisations, 16, 1, mars-avril 1961, p. 317-357.

CIBLE.GIF18. Luc Bureau, Entre l'Éden et l'utopie, les fondements imaginaires de l'espace québécois, Montréal, Québec/Amérique, 1984, p. 99.

CIBLE.GIF19. Antoine Gérin-Lajoie, Jean Rivard, le défricheur, suivi de Jean Rivard, l'économiste, Montréal, Hurtubise HMH, 1977 (romans publiés en 1862 et 1864), p. 14.

CIBLE.GIF20. François- Xavier Garneau cité dans: Fernand Dumont, op. cit., p. 157 et 239. Dans Histoire du Canada depuis sa découverte jusqu'à nos jours, publiée entre 1845 et 1859, Garneau trace un tableau généralement moins sombre de la situation. Sur les perceptions des intellectuels de leur société, voir: Andrée Fortin, op. cit.

CIBLE.GIF21. Michel Morin, Souveraineté de l'individu, Montréal, Les Herbes rouges, 1992, p. 17.

CIBLE.GIF22. Gaston Miron, L'homme rapaillé, Montréal, Les Presses de l'Université de Montréal, 1979, p. 125 et 126.

CIBLE.GIF23. Jean-Marc Léger, op. cit., p. 22 et 46.

CIBLE.GIF24. Courroucé du mépris de Pierre Trudeau à l'endroit de « l'autorité établie », le cardinal Léger mande les deux directeurs de Cité libre et leur déclare qu'il regretterait d'avoir « à condamner la revue pour cette proposition [...] et aussi pour quelques autres ». « Et nous, rétorque Trudeau, nous en appellerions à l'Église universelle, comme c'est notre droit. » Gérard Pelletier, qui rappelle cet épisode, ajoute: « Le cardinal, interloqué, posa sur Pierre un long regard, hésita un moment puis passa à un autre sujet. » Voir: Gérard Pelletier, Les années d'impatience. 1950-1960, Montréal, Stanké, 1983, p. 162 et 163. C'est Rome qui prévint à deux reprises la condamnation du père Georges-Henri Lévesque par des clercs et des politiciens d'ici. Rome ne gratifia pas du même secours le frère Untel – Jean-Paul Desbiens – persécuté au Québec par son ordre religieux et des évêques.

CIBLE.GIF25. À ce sujet, voir: Jean-Marc Piotte, La communauté perdue. Petite histoire des militants, Montréal, VLB Éditeur, 1987.

CIBLE.GIF26. Colette Beaune, Naissance de la nation française, Paris, Gallimard, 1985, p. 339, 293, 296 et 338.

CIBLE.GIF27. Pour une présentation élaborée de mes idées sur le sujet, voir mon livre: Québec 1945-2000, tome I, À la recherche du Québec, p. 40-65.

CIBLE.GIF28. Alain Touraine, Critique de la modernité, Paris, Fayard, 1992, p. 235 et 238.

CIBLE.GIF29. Marie Desjardins, « Les idées se répètent », Cité libre, XXI, 4, octobre-novembre 1993, p. 13. Sur le même sujet voir: Andrée Fortin, op. cit.

CIBLE.GIF30. Philippe Ariès, Le temps de l'histoire, Monaco, Les Éditions du Rocher, 1954, p. 23.

CIBLE.GIF31. Fernand Dumont, « Du début du siècle à la crise de 1929: un espace idéologique », dans: Fernand Dumont et collaborateurs, Idéologies du Canada français, 1900-1929, Québec, Les Presses de l'Université Laval, 1974, p. 12 et 13.

CIBLE.GIF32. Pierre Nora (sous la direction de), Les lieux de mémoire, Paris, Gallimard, 1984 ; Pierre Chaunu, Pour l'histoire, Paris, Périn, 1984 ; Fernand Braudel, op. cit.


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