L'objectivité des valeurs

Raymond Boudon


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NOTES


L'un des traits peut-être les plus déconcertants de la pensée contemporaine est la facilité avec laquelle les produits de la pensée humaine sont traités comme des illusions. Fernand Dumont se plaignait déjà à juste titre que ce soit le cas des idéologies1: ce sont des constructions, protestait-il, en aucun cas des illusions. Aujourd'hui, ce ne sont pas seulement les idéologies que l'on enterre au cimetière des illusions, mais la science, l'art et la morale. Comme le dit Searle2, les notions de vérité et d'objectivité, ainsi que la notion de raison ont été discréditées par Kuhn3: la science elle-même ne saurait prétendre atteindre à autre chose qu'à des vérités tenues localement et provisoirement pour telles par une sorte d'abus de confiance, voire d'inconvenance ou de naïveté, enseigne- t-il dans La structure des révolutions scientifiques. De façon générale, les valeurs sont traitées comme des illusions. On redoute même que, du train où vont les sciences humaines, dénoncer ces illusions ne soit bientôt l'une de leurs activités principales. Je laisserai de côté la question que j'ai traitée ailleurs4 des raisons de ce nihilisme. Je n'aborderai pas non plus la question de la faiblesse des arguments sur lesquels il prétend pouvoir se fonder5, pour me consacrer à une tâche positive et développer un point essentiel, à savoir que non seulement les valeurs ne sont pas des illusions, mais qu'elles peuvent être objectives.

Que les jugements de valeur sont solides dans la mesure où ils sont fondés sur des raisons solides

Il n'existe pas une vérité arithmétique, mais plutôt des vérités arithmétiques: par exemple « 2 et 2 font 4 », « la suite des nombres premiers est infinie » ou « il n'existe pas d'entiers p et q tels que p/q = 2 ». La vérité de chacune de ces propositions se démontre par l'évocation de raisons propres à chacune d'elles. Elle ne se déduit en aucune façon directement – à l'exception de la première – des axiomes de l'arithmétique. Ces axiomes représentent d'ailleurs une formalisation tardive et surplombante de vérités arithmétiques dont le nombre s'est accru progressivement dans le temps.

De même, il existe, non pas une vérité médicale ou biologique, mais des vérités médicales et biologiques plus ou moins bien liées entre elles par des réseaux de théories. Chacune de ces vérités est tenue pour telle parce qu'elle s'appuie sur des systèmes de raisons perçues comme solides. Ni la médecine ni la biologie ne sont, bien sûr, en mesure de répondre à toutes les questions qu'elles rencontrent. Mais elles peuvent donner à certaines questions – à une multitude de questions – une réponse objective, fondée sur des raisons si solides qu'il est difficile d'imaginer des raisons aussi solides aboutissant à une autre conclusion.

De même, il existe, non pas une vérité axiologique, mais des vérités axiologiques, c'est-à-dire des jugements de valeur de type « X est bon », « Y est juste », « Z est injuste » objectivement valides au sens où elles se déduisent de systèmes de raisons solides. Bien que la comparaison avec la médecine ou avec la biologie soit ici plus pertinente que la comparaison avec l'arithmétique, arrêtons-nous un instant à ce dernier cas.

Pourquoi « il n'existe pas d'entiers p et q tels que p/q = 2 » est-elle une proposition objectivement valide? Parce que cette proposition est correctement déduite de principes (par exemple, « un nombre ne peut être à la fois pair et impair »). « Correctement », c'est- à-dire selon les règles de la déduction logique. C'est donc une vérité construite. Les principes sur lesquels elle repose ne pourraient être démontrés qu'à partir de principes qu'il faudrait démontrer à leur tour. Comme il est impossible de mener à bien cette tâche infinie, il faudrait s'arrêter à certains principes qu'on accepterait de ne pas démontrer ou retomber de façon circulaire sur des principes déjà rencontrés6. Cette difficulté inhérente à la connaissance n'a jamais empêché d'atteindre à l'indiscutable. On pourrait imaginer une arithmétique fondée sur d'autres principes que ceux que nous connaissons. Mais il se trouve que ces derniers rendent bien compte du réel. Deux pommes et deux pommes font bien quatre pommes, et de façon générale 2 quelque chose et 2 quelque chose en font bien 4. Le consensus qui s'établit sur la proposition « il n'existe pas d'entiers p et q tels que p/q = 2 » est en d'autres termes le produit de raisons solides.

Les propositions axiologiques, c'est-à-dire les jugements de valeur, se distinguent des propositions de l'arithmétique sur un point: elles ne se déduisent pas d'un système fini d'axiomes (en dépit des prétentions de bien des théories axiologiques). Mais elles leur ressemblent sur un autre: leur validité est à la mesure de la solidité des raisons qui les fondent.

Un exemple banal suffit à le montrer. Pourquoi la démocratie est-elle considérée comme une bonne chose? Parce qu'elle est de l'intérêt de certains, disait Marx. Parce que les grands principes sur lesquels elle repose dérivent tous de la notion de bon gouvernement et qu'en ce sens elle est une bonne chose, dirions-nous plutôt. Elle est en d'autres termes fondée sur des raisons solides. Et c'est parce qu'elle est fondée sur des raisons solides que nous ressentons sur le mode de l'évidence sa supériorité sur les régimes despotiques, par exemple. On peut ici se contenter de rappeler les grandes lignes des théories classiques. Un bon gouvernement est celui qui réalise au mieux les intérêts des gouvernés, qui en tout cas se soucie davantage des intérêts des gouvernés que de ceux des gouvernants. La démocratie prévoit la réélection périodique des gouvernants. Pourquoi ces élections sont-elles une bonne chose? Parce qu'elles réduisent le risque que les gouvernants ne soient plus attentifs à leurs intérêts qu'à ceux des gouvernés. Bien sûr, il arrive qu'aucun des candidats ne soit bien attirant. Le système ne garantit pas l'absence de corruption. Mais il en protège mieux que tout autre. Sans doute existe-t-il des despotes vertueux. Mais les garanties du citoyen sont plus aléatoires dans ce type de régime. La démocratie n'empêche pas que soient amenés au pouvoir des dirigeants qui se donneront pour fin de la détruire. Mais l'on n'imagine pas de protection absolue contre ce risque. La démocratie comporte d'autres principes, comme ceux de la liberté d'expression et de l'indépendance de la justice. Chacun sait que les garanties qu'ils fournissent sont imparfaites. Rien n'assure, en effet, que les médiateurs ne choisiront pas d'attirer l'attention du public sur les idées et les « faits » qui leur conviennent plutôt que de l'informer de manière impartiale. Il peut donc s'installer une corruption à tous les niveaux. Le politique peut utiliser sa position pour s'enrichir ; le médiateur peut utiliser la sienne pour se faire une clientèle de politiques ou d'intellectuels, pour bloquer les idées qui lui paraissent dangereuses, ou pousser celles qui vont dans le sens de ses convictions. Mais ces phénomènes de corruption, normaux dans les régimes totalitaires, sont plus facilement percés à jour et combattus dans les régimes démocratiques. Les démocraties sont menacées par le risque de voir s'installer la tyrannie de divers groupes d'intérêt, mais elles peuvent plus facilement que d'autres régimes compter sur la résistance de l'individu: elle est un système où l'on ne peut mentir à tous tout le temps, où l'imposture et la corruption peuvent plus malaisément s'installer.

Si l'on analyse cet argumentaire, on constate qu'il repose tout entier sur quelques principes peu contestables, à savoir que la fonction des gouvernants est de servir, non les intérêts des gouvernants eux-mêmes, mais ceux des gouvernés; que la satisfaction des gouvernés est le but ultime de tout gouvernement. Il s'agit là d'axiomes que l'on peut qualifier d'analytiques. Il ne font qu'expliciter la notion de gouvernement. Ils définissent des finalités qui tiennent à la nature des choses. Une fois posées, il s'agit de choisir les moyens les plus appropriés pour les réaliser: une presse libre, des magistrats indépendants, des élections périodiques, etc. Leur validité se déduit de l'énoncé des fins, et de propositions comme: « il serait dangereux de faire confiance de façon aveugle aux gouvernants » ; « les gouvernants traitent le fait d'être réélu comme un bien, celui de ne pas être réélu comme une sanction », etc. Des fins et de ces propositions on déduit, par exemple: « dans un système où les gouvernants sont soumis à réélection, la corruption a moins de chance de s'établir de manière définitive », « dans un système où la presse est libre, la corruption du politique est moins probable » ; « dans un système où les intellectuels ne dépendent pas du politique, leur capacité de critique est mieux préservée » ; « dans un système ou les magistrats sont indépendants du politique, leur liberté de jugement est mieux protégée », etc.

Mon objectif n'est pas de faire preuve d'originalité en matière d'analyse de la démocratie, et encore moins de plaider en faveur de ce type de régime (cela n'est en aucune façon mon sujet), mais seulement de rendre compte des « sentiments collectifs » qu'il suscite. J'ai résumé ici à ma façon la seconde Démocratie de Tocqueville, dans le but de souligner un point général par un exemple aussi simple que possible. L'ensemble des jugements de valeur que j'ai analysés – « la démocratie est une bonne chose », « la liberté de la presse est une bonne chose », etc. – se déduisent d'un certain nombre de principes dont on ne perçoit pas bien au nom de quoi on pourrait les récuser7. De même que la théorie des nombres aboutit à des énoncés de type « X est vrai » en enchaînant de façon convenable des propositions acceptables, de même l'analyse politique aboutit à des propositions de type « X est bon » à partir de principes acceptables. La procédure est la même dans les deux cas. Ici et là, les propositions sont bonnes, non en elle-mêmes, mais parce qu'elles s'appuient sur des raisons solides. Ce n'est pas par l'intuition que je me convaincs que la suite des nombres premiers est infinie, mais par un enchaînement de raisons. C'est, de même, par une suite de raisons que je me convaincs que « la démocratie est une bonne chose ». Dans les deux cas, la force des raisons détermine l'intensité de la conviction.

Afin de faire ressortir plus clairement mon point principal, à savoir que les jugements de valeur comportent une dimension cognitive essentielle, j'ai pris l'exemple de l'arithmétique. Derechef, l'exemple de la physique ou, mieux encore, celui de la biologie auraient peut-être été plus adéquats. Les innombrables propositions « X est vrai » qui tissent le savoir dans ces disciplines ne peuvent facilement être considérées comme issues de principes ultimes. Mais toutes s'appuient sur des systèmes de raisons. Le savoir médical ne peut être présenté comme dérivant d'un système d'axiomes. Il prend plutôt la forme d'un ensemble de théories plus ou moins bien liées par un tissu conjonctif8. Il en va de même des vérités axiologiques.

Cet exemple de la démocratie suffit en tout cas à montrer qu'un jugement de valeur peut avoir le même degré d'objectivité qu'un jugement factuel. Si le sentiment que « la démocratie est une bonne chose » n'était pas objectivement fondé, on n'observerait pas un assentiment général à cet égard9. On ne comprendrait pas que, contre le principe de la souveraineté des États, on estime justifié de chercher à l'imposer aux nations non démocratiques, ni que cette entreprise apparaisse comme largement approuvée. Réciproquement, il est difficile d'expliquer ces sentiments si on refuse de les voir comme fondés sur des raisons.

L'on objectera peut-être que la démocratie n'a pas toujours été considérée comme une bonne chose, que ce jugement est récent et qu'en d'autres temps, d'autres régimes étaient très généralement tenus pour bons. Je n'en disconviens pas. Pourtant, cela ne prouve pas que la démocratie ne soit pas objectivement plus proche de la notion de bon gouvernement que, disons, le despotisme, mais seulement que, tant que ce type de régime n'existait pas, on pouvait avoir l'impression qu'il relevait de l'utopie et qu'en conséquence, il n'était pas une bonne chose. Pour être jugé, il fallait d'ailleurs qu'il ait été préalablement conçu et qu'il fût théorisé. Or, il n'y avait pas de raison que cela se fasse en un jour. L'importance du principe de la séparation des pouvoirs est plus clairement perceptible après Montesquieu qu'avant. Celle des nouveaux « corps intermédiaires », la magistrature ou la presse, apparaît mieux après Tocqueville. Il y a des innovations dans le domaine du prescriptif comme il y en a dans celui du descriptif. La théorie selon laquelle la démocratie est un régime meilleur que d'autres n'est pas plus « intuitive » que la théorie de la conservation de l'énergie. Avant sa mise en application et sa diffusion, elle se heurta à des objections que l'on n'oserait plus évoquer aujourd'hui et que l'on a même peine à comprendre. Avant leur mise en circulation, les chemins de fer et les billets de banque se heurtèrent de même à des objections qui ne pouvaient être levées que par le démenti de la réalité. Sans doute l'observateur de 1995 ressent-il plus facilement l'énoncé « la démocratie est une bonne chose » comme une évidence10 que son ancêtre de 1794. Cette variabilité des sentiments collectifs ne prouve pas que cette vérité n'ait pas de fondement objectif, mais seulement que le premier observateur est situé dans un autre environnement cognitif que le second. De la même façon, on ne peut plus croire aujourd'hui que la terre est plate. Pourtant, en d'autres temps, les énoncés « la terre est ronde » et « la terre est plate » pouvaient être traités comme aussi plausibles l'un que l'autre. Cela ne démontre pas que la vérité sur la forme de la terre soit historique, et que l'on ne puisse parler d'une forme objective de la terre11. Ce qui est historique en l'espèce, c'est la découverte de la vérité, non la vérité elle-même: l'histoire ne légitime pas plus l'historisme que la sociologie ne justifie le sociologisme. Le fait que la morale ait une histoire n'est pas davantage la preuve que les valeurs morales soient dépourvues d'objectivité, que le fait que les mathématiques aient une histoire ne témoigne contre la validité des vérités mathématiques.

Pourquoi ce parallélisme entre le cognitif et l'axiologique n'est-il pas perçu, en dépit du fait qu'il soit aisé d'en produire de multiples confirmations? Parce qu'il contredit d'importantes traditions de pensée, qui exercent une influence discrète mais déterminante sur notre philosophie ordinaire. Ces traditions sont pour une part incompatibles entre elles dans leurs principes, mais elles sont en même temps convergentes par certaines de leurs conséquences: elles alimentent toutes l'idée d'une coupure entre l'axiologique et le cognitif, entre le pratique et le théorique. Il s'agit d'abord de l'empirisme: il a insisté sur l'impossibilité de tirer l'être du devoir-être. Il s'agit ensuite du positivisme moderne: il est, lui aussi, tout entier construit sur l'idée que l'être et le devoir-être représentent deux mondes distincts. Dans un texte qui présente ces arguments avec une parfaite netteté, Ayer avance que, ne pouvant être scientifiquement vérifiés, les arguments moraux doivent être analysés comme l'« expression de sentiments » (pure expressions of feelings) ou de « commandements » (commands)12. Le sociologisme veut à l'inverse que les valeurs soient des données de fait (à chaque société ses valeurs), mais aussi et complémentairement que le mode du devoir-être sur lequel elles sont normalement perçues par le sujet résulte d'une illusion. Un jugement moral ne serait jamais juste en lui-même ; il serait toujours émis à partir d'un point de vue, celui de la culture à laquelle appartient le sujet ; or, aucun point de vue ne saurait dominer les autres. L'existentialisme sartrien veut, quant à lui, que l'individu choisisse ses valeurs dans une sorte d'inspiration inexplicable et « absurde ». Les freudiens voient dans les valeurs des sublimations de pulsions en provenance des sous-sols de la personnalité. Le postmodernisme veut que les valeurs soient des illusions: c'est même là sa principale thèse. Selon R. Rorty13, l'un des plus éminents représentants du club des postmodernistes, les sentiments d'horreur que nous inspire Auschwitz seraient le produit d'un conditionnement historique. Le philosophe américain a au moins le mérite de la cohérence: on ne voit pas, en effet, comment les théories qui ont sa sympathie pourraient aboutir à une autre conclusion.

Toutes ces visions irrationalistes ont peut-être été renforcées par la maladresse de leurs contradicteurs, qui se contentent souvent d'affirmer l'existence d'un sens moral inhérent à la nature humaine14, de traiter les valeurs comme des données inscrites dans le ciel des Idées, de proposer d'étendre le rational choice model bien au- delà de ses limites de compétence, ou de mettre les valeurs au service exclusif du « système social », comme les structuro-fonctionnalistes15. Il n'est pas non plus très éclairant d'affirmer que les valeurs – le beau, le bien, le vrai – sont éternelles dans leur forme et historiques dans leur contenu. Sans doute, bien des jugements de valeur sont-ils variables dans le temps et l'espace. Mais d'autres sont invariants: l'imposture n'est jamais considérée comme ayant une valeur positive, car elle a un effet destructeur sur tout système d'interaction. N'est-ce pas de toute éternité qu'un gouvernement qui sert les intérêts des gouvernés est meilleur que celui qui sert les intérêts des gouvernants? Le « bien » est ici non formel, mais, pour parler comme Scheler, matériel16. Cet exemple suffit à lui seul à disqualifier les conséquences que les multiples traditions de pensée que je viens d'évoquer, par ailleurs intéressantes et fécondes sur bien des points, pensent devoir tirer de leurs principes s'agissant de l'axiologique.

On peut aussi remarquer que ces traditions sont incompatibles avec un fait irrécusable: celui de l'interpénétration de l'être et du devoir être. « Un gouvernement non soumis à réélection est une mauvaise chose parce que les gouvernants risquent de méconnaître l'intérêt des gouvernés »: il suffit de décomposer un énoncé comme celui-là en ses composantes élémentaires pour remarquer aussitôt qu'elles comprennent à la fois des jugements factuels et des jugements appréciatifs. De façon générale, une action, une décision, une institution ne sont jamais bonnes si elles sont irréalisables. Le « bien » doit pouvoir s'inscrire dans le réel. Il en résulte que tout jugement de type « X est bon » se fonde partiellement sur des jugements de fait. Une action, une décision, une institution ne peuvent jamais être considérées bonnes ou mauvaises, si l'on fait totalement abstraction de leurs conséquences. Aussi les raisons qui justifieront « X est bon » comporteront-elles toujours l'évocation de données factuelles. Ces deux remarques suffisent à indiquer que, contrairement à l'idée reçue qu'ont imposée les traditions que j'évoquais il y a un instant, être et devoir-être s'interpénètrent par nature.

La dimension conséquentialiste

Il est important d'insister sur ce dernier point: bien souvent la démarche qui conduit à des jugements de valeur – « ceci est bon, juste, recevable, légitime, acceptable » – ne se distingue pas de celle qui aboutit à des jugements de type « ceci est vrai », tout simplement parce que, bien souvent, l'axiologique se réduit au factuel.

C'est le cas lorsque X est jugé bon ou mauvais parce qu'il entraîne des conséquences que tous s'accorderaient à juger bonnes ou mauvaises. « X est bon » est un jugement de valeur. Mais « tous s'accordent à juger X bon » est un jugement de fait. Dans ce cas, « X est bon » est fondé sur le fait que tous s'accorderaient à trouver les conséquences de X bonnes. Le jugement de valeur est ici fondé de façon conséquentialiste.

Certains ont essayé de faire du conséquentialisme le nerf de la morale. L'école sociologique du rational choice model a tenté de montrer que les normes sociales s'expliquent toujours de façon conséquentialiste17. Cette thèse est insoutenable. Le conséquentialisme ne représente qu'un cas important, mais particulier. Plutôt que de cas particulier, il faudrait d'ailleurs plutôt parler de dimension particulière. Car les raisons fondant un jugement de valeur comportent toujours, peu ou prou, une dimension conséquentialiste, ne fût-ce que parce qu'une mesure irréalisable, par exemple, ne peut guère être jugée bonne18. Cette dimension conséquentialiste est plus ou moins déterminante selon les cas. Dans le cas où elle l'est, on dira « X est mauvais, car X entraînerait un état de choses que tous s'accorderaient à trouver indésirable ». Mais il est des cas où un jugement de valeur ne se justifie pas de cette façon.

Avant de voir que le conséquentialisme ne recouvre pas le moral et l'axiologique, j'illustrerai son importance par quelques exemples.

Le conséquentialisme affirme qu'est mauvais ce que tous trouveraient indésirable. Il est en effet des cas où il n'est pas nécessaire d'aller plus loin. Une politique qui serait menaçante pour la vie des citoyens serait jugée mauvaise, sans qu'il y ait quoi que ce soit à rajouter à cette considération.

Bien des décisions courantes de la vie privée ou professionnelle peuvent s'analyser de façon conséquentialiste. Considérons la décision du professeur qui fait passer un examen, ou du juge qui examine un dossier. Leur démarche est imprégnée de jugements de valeur tacites. Ainsi, quiconque a passé ou fait passer un examen sait bien que l'évaluateur doit y consacrer un certain temps, dépendant de la nature du sujet et du profil du candidat. Il sait bien qu'au-delà, un observateur impartial, tout comme le candidat lui-même, jugeraient à bon droit excessif le temps consacré à l'épreuve. Il sait aussi qu'en deçà, il serait jugé insuffisant. Il en va de même du magistrat. Il a la conviction intime – je formalise ici des analyses ébauchées par Tarde19 – que la nature de tel dossier détermine le temps qu'il est bon pour lui d'y passer. Au-delà et en deçà de ce temps, il aurait l'impression de se comporter d'une manière que lui-même comme les autres trouveraient injustifiée. J'évoque ces expériences banales parce qu'elles rappellent que la vie quotidienne est finement tissée de jugements de valeur et qu'elle constitue un terrain de choix pour le sociologue. Surtout, ces exemples attirent l'attention sur le fait que, même si les jugements de valeur sont mis en application sur le mode intuitif, voire métaconscient (le juge ne prend pas réellement conscience du jugement de valeur « le temps que j'ai passé sur le dossier est suffisant »), ils sont fondés sur des systèmes de raisons objectivables et défendables. On peut même les formaliser. En effet, de par la nature des choses, le type de décision que j'évoque ici vise toujours à rendre minimum la somme de deux inconvénients qui varient en sens inverse. Plus le temps passé à la décision par le juge ou par le professeur est long, plus les informations qui leur arrivent s'accumulent, et plus la décision a des chances d'être juste. Toutefois, ces informations tendent à être redondantes, et à obéir à un principe de rendement décroissant. On peut représenter cette relation entre l'information et le temps par une fonction f(t) monotone décroissante convexe (Graphique 1). Bien entendu, si cette forme peut être traitée comme fixe d'un cas à l'autre, les paramètres qui la précisent varient avec la nature du dossier. Une décision plus complexe, une information plus difficile d'accès se traduiront par une courbe f'(t) plus haute que f(t). De même, il est facile d'imaginer des exemples affectant le degré de convexité de la courbe. D'un autre côté, le juge ou le professeur ne peuvent passer un temps infini sur un dossier. Leur rôle implique qu'ils traitent un flux plus ou moins dense de cas. Plus ils passent de temps sur un cas, plus ils risquent de créer un goulot d'étranglement. Ce deuxième type d'inconvénient se traduit par une courbe monotone croissante convexe. Ici encore, si la forme de la courbe tend à être constante, ses paramètres varient avec les cas particuliers. Ainsi, un parquet peu actif peut passer plus de temps sur un type de dossier qu'un parquet encombré20. La courbe g(t) rendrait compte du premier cas, la courbe g'(t) du second. Finalement, le jugement de valeur « le temps que j'ai passé sur le dossier est le bon, personne ne pourrait me reprocher de ne pas y passer plus de temps... » est fondé sur un système de raisons qui, tout tacite et métaconscient qu'il soit, n'en est pas moins objectivement fondé au point de pouvoir être analysé en utilisant une représentation géométrique. Le juge et le professeur établissent un compromis qui peut être présenté comme correspondant au minimum de la somme des deux courbes f et g. Sans doute ce minimum ne peut-il être effectivement calculé. Mais son existence et sa localisation approximative ne font dans la plupart des cas pas de doute. C'est sur ces données objectives qu'est à son tour fondée l'évaluation collective: « il a passé un temps convenable sur le dossier ».



Graphique 1. Compromis entre des risques

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On m'objectera peut-être que ce type d'analyse ne s'applique qu'aux aspects publics de la vie sociale. Ce n'est pas le cas. On les retrouve dans les évaluations les plus banales de la vie privée. Les transactions du type de celles que je viens d'évoquer constituent, par exemple, la matière même de la vie familiale21.

Ces exemples démontrent dans leur simplicité un certain nombre de points importants, à savoir:

La dimension analytique

Mais la rationalité axiologique n'est pas toujours de type conséquentialiste. C'est d'ailleurs pourquoi, comme on peut le noter par parenthèse, Max Weber a proposé de parler de rationalité axiologique (Wertrationalitt). Si les raisons fondant les jugements de valeur étaient toujours de type conséquentialiste, la rationalité axiologique se réduirait à la rationalité instrumentale ou téléologique (Zweckrationalitt). La distinction introduite par Weber traduit sans doute le fait que la dimension conséquentialiste n'est que l'une des dimensions fondant les jugements de valeur. Mais peu importe ce que Weber a réellement pensé. Ce qu'on peut affirmer c'est que, dans ses analyses, il souligne que les raisons de l'assentiment des acteurs aux valeurs ne sont pas exclusivement de type conséquentialiste. Surtout, il importe de prendre conscience de cette dimension non conséquentialiste de l'axiologie. J'ai déjà proposé de la qualifier d'analytique.

Les raisons qu'on peut déceler derrière tout jugement de valeur peuvent être, en proportion variable, soit de type conséquentialiste, soit de type analytique. Un jugement de valeur de type « les feux rouges sont une bonne chose » est de type conséquentialiste pur. Il est fondé sur le fait que l'absence de feux rouges entraînerait une situation que tous s'accorderaient à trouver pire, et que tous estiment effectivement pire lorsqu'elle se produit à la suite de grèves ou de pannes d'électricité.

Ce cas doit être distingué de ceux où intervient la rationalité analytique ou plutôt la dimension analytique de la rationalité. On en a déjà vu un exemple. Un système qui ne permet pas aux gouvernés de contrôler les gouvernants est mauvais parce qu'il conduit à des états de choses que les premiers ont toutes chances de trouver mauvais. Il est donc mauvais d'un point de vue conséquentialiste: il entraîne des conséquences jugées mauvaises par les individus concernés. Mais il est mauvais d'un autre point de vue encore. Les gouvernants doivent agir dans l'intérêt des gouvernés en vertu de l'idée même de bon gouvernement. Des institutions qui rendraient probable le fait que les gouvernants agissent plutôt pour leur propre compte seraient donc mauvaises parce que contradictoires avec l'idée même de bon gouvernement. Ici, les deux dimensions – conséquentialiste et analytique – de la rationalité axiologique se conjuguent. Il en va de même lorsqu'on affirme que la pluralité des partis est bonne: elle est de l'intérêt des gouvernés. Mais il est aussi de l'essence du gouvernement qu'il tienne compte des divergences de vue et d'intérêt des gouvernés, comme cela a été souligné par toute la théorie politique, de Montesquieu et Hume à A. Downs.

De façon générale, il suffirait de reprendre les analyses classiques évoquées plus haut pour constater que les institutions essentielles de la démocratie sont bonnes du point de vue conséquentialiste et du point de vue analytique. Dans ces exemples, les deux dimensions sont mêlées au point qu'il est difficile de les séparer. Dans d'autres cas, il importe au contraire de les distinguer. Bien des difficultés se résolvent en tout cas si l'on perçoit cette double dimension.

Considérons un exemple d'école, celui du sentiment de rejet que provoque normalement le vol. Dans un texte du Capitalinspiré de Mandeville, Marx rappelle que le vol nuit à une minorité d'individus, mais fournit du travail aux serruriers, à l'industrie de la sécurité, aux avocats et aux assureurs. On pourrait ajouter qu'il donne naissance à un marché dual aux conséquences heureuses. Le marché alimenté par le coulage et le vol permet en effet aux plus démunis – qui ne savent pas toujours qu'ils acquièrent de la marchandise volée au titre de « la bonne occase » – de se procurer à bas prix les produits convoités de la « société de consommation », produits électroniques notamment, que les « dominants » acquièrent au prix du marché. Ici, the rich pay more et la redistribution se fait dans le « bon » sens: des « dominants » aux « dominés »23. Mais le vol n'est pas bon seulement pour les avocats, les assureurs et les « dominés ». Il augmente aussi la demande, et il stimule l'offre. Sans le vol, le taux de chômage serait donc plus important qu'il ne l'est. D'un point de vue rigoureusement conséquentialiste, le vol comporte donc des effets mitigés. Ce qui revient à dire que l'on ne saurait tirer d'une argumentation conséquentialiste la certitude morale que le vol est mauvais. Cet exemple montre en d'autres termes qu'une analyse conséquentialiste pure aboutit ici à des conclusions qui contredisent les sentiments moraux. Il suffit à démontrer que le rational choice model, qui propose une conception conséquentialiste des normes, ne peut prétendre à l'universalité. À quoi l'on peut ajouter que la vie ordinaire fournirait mille exemples conduisant aux mêmes conclusions. Les voyeurs qui, munis de leur caméscopes, sont allés filmer les inondations du sud de la France en février 1994 ne « firent de mal à personne ». Pourtant, leur comportement fut perçu comme choquant. On n'hésita pas à les dénoncer sur les ondes. Eux-mêmes auraient d'ailleurs eu quelque scrupule à défendre publiquement leur droit à filmer le malheur des autres.

Pour démontrer que le vol est mauvais – c'est-à-dire pour rendre compte du sentiment normal qui s'exprime par le jugement de valeur « le vol est mauvais » –, il faut donc évoquer des raisons non conséquentialistes. En fait, le vol est mauvais parce que l'ordre social est fondé sur le fait que toute rétribution doit en principe correspondre à une certaine contribution. Sinon, c'est le principe même du lien social qui se trouve remis en cause. Or, le vol est une rétribution positive que le voleur s'attribue aux dépens de la victime, en ayant recours à une contrainte illégitime. Il viole la notion même d'échange social, à la façon dont le parti unique viole la notion de démocratie24. C'est pourquoi un vol même sans grande conséquence sur le bien-être de la victime est normalement ressenti par elle comme insupportable. De même, le spectateur d'un vol éprouvera un sentiment d'indignation pour le fait même du vol, indépendamment du préjudice subi par la victime. En fin de compte, c'est parce le vol atteint au coeur même du système social que ses avantages ne sauraient compenser ses inconvénients25: les raisons conséquentialistes qu'on pourrait avoir de préférer le vol ou le parti unique sont lexicographiquement subordonnées aux raisons analytiques qui convainquent de les rejeter.

Si on accepte de le retraduire dans ce langage, Durkheim est peut-être sur ce point moins éloigné de Kant – et de Weber – qu'il n'y paraît. En tout cas, le cas du vol suffit à montrer qu'une analyse conséquentialiste ne rend pas compte des sentiments de la victime et du spectateur. L'argument de Pareto contre Kant est donc inacceptable. Comme le vol ne serait pas condamné par les voleurs, objecte-t-il à Kant, il n'y aurait pas accord pour le rejeter: on ne saurait démontrer en d'autres termes que tous s'accorderaient à en récuser la légitimité. En langage moderne, on dirait que la répression du vol n'engendre pas un équilibre de Pareto. Mais l'argument de Pareto n'est valide que si l'on suppose que le fondement de tout jugement axiologique est de type conséquentialiste, et si d'autre part l'on accorde une valeur absolue... au critère de Pareto.

Je note en passant que la tradition contractualiste, dont Rawls a aujourd'hui contribué à souligner l'importance, vise à tenter d'établir ce que des individus abstraits et par conséquent désintéressés choisiraient comme bon. Ce faisant, elle reconnaît implicitement que le jugement axiologique ne peut être fondé exclusivement sur l'intérêt, puisque des individus abstraits n'ont pas d'intérêts déterminés. Elle vise à dégager le principal du secondaire dans le cas où, comme celui du vol, « externalités » positives et négatives se mêlent à des incompatibilités analytiques. Des sujets placés sous le voile de l'ignorance sont des sujets qui ignorent qui ils sont, quels sont leurs appétits, leurs tendances, leur position sociale. Les futurs voleurs ne savent pas qu'ils le seront. Dans ces conditions, le vol serait condamné à l'unanimité, puisque, en opérant un transfert injustifié de ressources, il a un effet destructeur sur la communauté elle- même.

La méthode contractualiste peut être vue comme une méthode générale de l'axiologie. Bien des jugements axiologiques – mais non tous – peuvent être considérés comme des théorèmes tirés de l'axiomatique contractualiste, exactement comme les théorèmes de l'arithmétique sont tirés de ses principes premiers. Selon les cas, la méthode contractualiste légitimera une analyse conséquentialiste pure ou au contraire la récusera. La méthode contractualiste légitime les feux rouges urbains sur une base conséquentialiste ; mais elle montre que la perspective conséquentialiste ne peut être acceptée s'agissant du vol. On ne voit pas comment le conséquentialisme pourrait expliquer l'indignation qu'éprouve le témoin non impliqué qui constate que le fort profite de la faiblesse du faible. Même si personne n'est là pour le constater, même s'il n'est aucunement affecté par le vol, même si son indignation échappe à la victime, il sera tout de même indigné. Aucune théorie de type conséquentialiste, aussi élaborée soit- elle, ne peut rendre compte de ce sentiment. On se trouve ici devant une difficulté analogue à celle qu'on rencontre lorsqu'on essaie d'interpréter le vote individuel sur un mode purement conséquentialiste, dans le cadre du rational choice model26. En revanche, la méthode contractualiste met en évidence la contradiction entre le vol et le lien social et, par là, rend compte des sentiments négatifs qu'il suscite normalement. Le vol introduit une rétribution forcée sans contrepartie: il est donc incompatible avec la notion même de l'échange social.

On peut extraire de notions comme celle de bon gouvernement ou de lien social des vérités morales de niveau plus ou moins général. Ainsi, un théorème général de morale nous dit que, quand un comportement a des effets destructeurs sur le système dans lequel il apparaît, il est normalement jugé mauvais. Ce théorème explique l'indignation désintéressée face au vol, le rejet de l'imposture ou de la tricherie. Le tricheur détruit l'intérêt même du jeu. Le plagiaire provoque un sentiment de dégoût, non parce qu'il se pare des plumes du paon, mais plutôt parce qu'il détruit le jeu de l'invention et de la création. L'imposteur qui réussit, avec la complicité de médiateurs ou de collègues complaisants, à faire passer pour scientifiques des travaux qui contredisent les principes élémentaires de la méthode scientifique détruit l'essence même du jeu scientifique. Le cas Lyssenko est intéressant, moins par ce qu'il témoignerait des noirceurs du système stalinien, que parce qu'il représente un « beau cas » d'imposture: celui qui consiste à se faire approuver par des « experts » dépourvus de compétences réelles sur le sujet traité, mais qui sont facilement considérés par le public comme compétents. Malgré l'appui de Staline, Lyssenko n'aurait pu se maintenir s'il n'avait été ovationné par des spécialistes des sciences de la vie, sans compétence réelle en génétique, mais que le public considérait facilement comme des experts avertis27. Mais ce n'est pas par les dégâts qu'ils causent que le tricheur ou l'imposteur provoquent un sentiment de rejet. Les conséquences de leurs méfaits sont souvent provisoires et limitées et ils finissent généralement par être démasqués. La répulsion qu'ils inspirent provient plutôt de ce qu'ils détruisent et, en tout cas, tournent en dérision des activités collectives perçues comme positives. Ce faisant, ils en détruisent le sens même. Les nuances des réactions à l'imposture ou à la tricherie ne peuvent d'ailleurs être comprises si l'on ne perçoit pas la dimension analytique de l'axiologie. La tricherie ne provoque guère de sentiments négatifs de la part de l'observateur extérieur s'agissant de jeux d'argent. Certains jeux l'incluent même (le bluff). Car ici, l'essence du jeu consiste pour le joueur à essayer de s'enrichir. Le joueur peut donc provoquer le rire ou l'admiration de l'observateur s'il triche avec habileté. En revanche, la tricherie suscite la réprobation s'agissant des jeux d'intelligence, car ici, elle détruit l'essence même du jeu.

Elle est profondément choquante dans un concours, puisque le tricheur prend la place d'un autre. Elle l'est moins dans un examen, mais reste choquante dans ce cas parce que, même si elle est alors dépourvue d'effets externes, elle détruit l'essence d'une procédure perçue par l'observateur comme légitime. Ce même théorème expliquerait bien d'autres manifestations de la morale ordinaire. Ce sont aussi des raisons analytiques qui fondent les réactions contre le resquilleur. Il a des chances d'être rappelé à l'ordre, même s'il n'impose à ceux qui font la queue qu'un désagrément mineur. Le rational choice model ne saurait donc expliquer cette réaction. Le rejet auquel s'expose le resquilleur provient de ce que l'avantage qu'il s'attribue est injustifié et a un effet destructeur sur l'organisation sociale que représente la file d'attente.

De même, on n'admet pas que deux personnes remplissant exactement la même fonction, ayant exactement la même ancienneté, etc. soient payées différemment. Parce que la rétribution est non seulement la rémunération d'une contribution, mais sa constatation et sa reconnaissance. Celui qui aurait moins que son voisin en déduirait que sa contribution n'a simplement pas été constatée, et qu'il y a là une injustice. Il admettra en revanche que son voisin, qui occupe la même fonction, soit mieux payé s'il a plus d'ancienneté, car il est normal que l'ajustement contribution- rétribution se fasse dans le temps. Il admettra aussi la possibilité d'incommensurabilités éventuelles entre contributions, de zones d'opacité dans leur appréciation et de contingences rendant l'ajustement contribution-rétribution difficile. Mais, dans les situations où aucune de ces complications n'interviendrait, il exigera normalement l'égalité entre contribution et rétribution. Car ce principe est constitutif, à un niveau très abstrait, de tout échange social. Réciproquement, l'échange social est vidé de sens si ce principe est violé.

Les exemples précédents sont empruntés surtout à la vie quotidienne. Il serait bien entendu possible d'en prendre d'autres. La pression exercée sur l'Afrique du Sud par les démocraties occidentales pour que ce pays mette fin à l'apartheid est peut-être discutable d'un point de vue conséquentialiste: la transition risque d'être douloureuse. Mais elle ne l'est pas d'un point de vue analytique: les bénéfices de la démocratie ne peuvent sans contradiction être réservés à une catégorie de citoyens ; par leur essence même, les droits fondamentaux s'appliquent à tous. Ici, la dimension analytique de la rationalité axiologique28 s'impose de façon telle qu'il apparaît facilement incongru d'évoquer le point de vue conséquentialiste.

Cet exemple attire l'attention sur un point important: on a l'habitude de présenter l'« éthique de conviction » et l'« éthique de responsabilité » comme les deux termes d'un choix en lui-même irrationnel (non fondé) et toujours ouvert. En fait, si les deux termes traduisent parfois des options également légitimes, il ne s'agit là que d'un cas particulier. Dans d'autres cas, l'une des deux dimensions domine l'autre, témoignant de l'existence d'une rationalité englobante. Les progrès de la médecine, en réduisant la mortalité infantile, ont contribué au sous-développement: la baisse de la natalité n'accompagnant ce progrès qu'avec retard, il en résulte une croissance démographique qui alimente le cercle vicieux de la pauvreté. Qui nierait cependant que cette réduction de la mortalité infantile, négative d'un point de vue conséquentialiste, ne doive être tenue pour un progrès? Cet exemple illustre le cas où l'une des dimensions de la rationalité axiologique, en l'occurrence la dimension analytique, domine l'autre.

Bref, l'on trouve derrière les appréciations morales de la vie ordinaire ou de la vie politique, des systèmes articulés de raisons qui ne sont pas différents dans leurs principes des démonstrations de la philosophie politique, par exemple. Lorsque les jugements moraux sont perçus sur le mode de l'évidence, c'est qu'ils sont fondés sur des raisons solides. C'est pourquoi, si le plaisir ne se discute pas, les jugements moraux se discutent.

Il faut enfin ajouter une précision importante. Le fait qu'un jugement « X est bon » soit parfaitement fondé n'implique pas qu'il soit correctement appliqué. On peut détester l'imposture, mais ne pas avoir les moyens de la reconnaître, et être victime des « experts » qui l'« authentifient ». Nombre de lyssenkistes ont sans doute été sincères, tout comme ceux qui croient aujourd'hui au message des penseurs qui prétendent, au nom de la Science, avoir démontré que tout est illusion. On peut reconnaître qu'une théorie fausse est inacceptable et cependant l'accepter, parce qu'on ne voit pas qu'elle est fausse. On sera d'autant plus tenté de l'accepter qu'on la percevra comme utile ou comme congruente avec ce qu'on croit par ailleurs. De façon générale, toutes sortes de mécanismes bien identifiés conduisent facilement à l'installation sociale de fausses valeurs29.

Une théorie « néorationaliste » des valeurs

Le poids de l'empirisme, du positivisme et aussi des mouvements de pensée irrationalistes paralysent depuis longtemps déjà la théorie de l'axiologique. De façon générale, ils ont produit une théorie des valeurs qui contredit la réalité des sentiments moraux. C'est pourquoi il est bon de repartir de la méthodologie de la « sociologie de l'action »: quand un acteur social endosse une croyance positive ou normative, tenter de comprendre les raisons qui le conduisent à cette adhésion. Il faut ajouter que, pour convaincre l'acteur lui-même, lesdites raisons doivent aussi dans son esprit pouvoir convaincre les autres. Je ne peux me convaincre que « X est bon », si je n'ai pas l'impression que les raisons qui me conduisent à en juger ainsi, loin de résulter d'on ne sait quelle idiosyncrasie personnelle, ont une validité objective. C'est pourquoi on peut, derrière les convictions axiologiques, retrouver des systèmes de raisons fortes.

Encore une fois, si cette théorie « néorationaliste » des valeurs peut paraître choquante, c'est d'abord parce qu'on a l'habitude de penser que jugements de valeur et jugements de fait peuvent être représentés par deux « sphères » disjointes30. On ne saurait tirer l'impératif de l'indicatif, le devoir-être de l'être. De « cela est », on ne saurait déduire « cela est bien ». Le « désenchantement » a encore élargi ce gouffre. Ensuite, ceux qui s'efforcent de traiter le normatif à partir d'hypothèses rationnelles – je pense ici aux tenants du rational choice model – s'exposent à des objections évidentes. Comme je l'ai montré par de nombreux exemples, toutes sortes de jugements de valeur échappent à la perspective conséquentialiste que, entre autres restrictions, ce modèle implique. De ce syndrome, résulte ce que j'appellerai le sociologisme plat, qui ne cherche en aucune façon à comprendre pourquoi le sujet social endosse telle valeur, mais se contente d'affirmer qu'il l'a intériorisée. Pourquoi croyez-vous que la somme des angles d'un triangle vaut deux droits? Pourquoi croyez- vous que la démocratie est bonne? Parce que vous avez « intériorisé » ces vérités. Comment confondre une métaphore spatiale douteuse avec une explication?

L'intérêt accordé à Rawls provient peut-être de ce qu'il est l'un des rares auteurs à supposer que les jugements de valeur peuvent s'expliquer par des raisons objectives. Mais, bien que se bornant à l'analyse des sentiments de justice, sa théorie est trop simple pour rendre compte du réel. Elle paraît même contradictoire avec les sentiments de justice tels qu'on peut les observer. Il faut toutefois lui reconnaître le mérite d'avoir cherché à construire une théorie visant à obtenir un « équilibre réflexif » et par suite à se soumettre au verdict du réel. La théorie de Rawls est un échec, parce qu'elle se place à un niveau de complexité insuffisant31. On ne voit pas comment une théorie procédurale pourrait rendre compte des jugements axiologiques. Un théorème est vrai parce qu'il existe des raisons exprimables et objectivement convaincantes de le tenir pour tel, non parce qu'il a été établi de telle ou telle manière: la logique de la justification n'est pas celle de la découverte. De même, un homme est bon parce qu'il existe des raisons exprimables et objectivement convaincantes de le tenir pour tel. En d'autres termes, l'on peut retenir de Rawls son inspiration « néorationaliste » ; l'on ne peut accepter sa théorie.

Enfin, je laisse de côté une question que j'ai abordée de manière très indirecte, celle du progrès moral. Tocqueville rappelait la jubilation manifestée par madame de Sévigné au spectacle d'une exécution capitale et il en tirait la preuve que notre sensibilité morale avait changé32. Ce changement n'est pas dépourvu de causes. Il provient d'innovations porteuses d'irréversibilités et de restructurations analogues à celle que produisent certaines découvertes scientifiques (l'héliocentrisme, la théorie de l'évolution, par exemple) ou certaines oeuvres artistiques majeures (l'oeuvre symphonique de Mahler, l'« impressionnisme », par exemple). À partir du moment où l'on a montré par l'expérience que le suffrage universel ne produisait pas nécessairement le chaos, il devint définitivement plus difficile d'arguer en faveur des régimes qui s'en dispensent et de ne pas éprouver pour eux une sorte de dégoût ; l'abolition de la question n'ayant pas paralysé la recherche de la preuve judiciaire, il devint difficile, sinon d'y revenir, du moins de la ressentir comme acceptable. Les accidents de l'histoire firent sans doute apparaître des régimes qui la réinventèrent et la perfectionnèrent. Mais cette pratique fut unanimement perçue comme le signe qu'ils représentaient le mal. La guerre est aujourd'hui perçue comme anormale (ce qui ne suffit naturellement pas à faire qu'elle soit écartée, ni même que l'on lève le petit doigt pour l'éviter)33. De même, on ne peut revenir à la théorie du mouvement d'Aristote ou à l'idée que, comme le croyaient les Grecs, nombres et grandeurs constituent des « sphères » distinctes. Ces idées eurent leur sens à leur époque ; elles étaient fondées sur des raisons solides. Ce n'est plus le cas maintenant. Mais qui tirerait du fait que la science a une histoire, c'est-à-dire du fait qu'on ne peut arriver tout de suite au vrai sur tous les sujets, l'idée que l'objectivité est un leurre?

Pourquoi voir dans le fait que l'axiologie a une histoire la preuve que les valeurs sont des illusions collectives? L'historicité de l'axiologique montre seulement qu'il existe des innovations dans le domaine du prescriptif comme dans celui du descriptif. Ces innovations dépendent d'une condition essentielle: il faut que l'état présent des choses soit perçu comme insatisfaisant ; il faut en d'autres termes que le réel puisse être jugé à l'aune de l'idéal. C'est pourquoi toutes les théories qui tendent à réduire les valeurs à leur fonction adaptative manquent une dimension essentielle du phénomène axiologique : elles supposent implicitement que le réel est bon. Si l'on refuse cette proposition, il faut admettre que la rationalité axiologique ne peut se réduire à la rationalité instrumentale. Mais cette distinction n'implique pas que ses voies et moyens soient différents de ceux de la rationalité instrumentale.

NOTES

CIBLE.GIF1. F. Dumont, Les idéologies, Paris, Presses universitaires de France (collection Le sociologue), 1974, p. 66.

CIBLE.GIF2. J.R. Searle, « Rationality and realism, what is at stake? », Deadalus, automne 1993, p. 55-83.

CIBLE.GIF3. T. Kuhn, La structure des révolutions scientifiques, Paris, Flammarion, 1983 (traduction de The Structure of Scientific Revolutions, Chicago, University of Chicago Press, 1962).

CIBLE.GIF4. R. Boudon, « Les deux sociologies de la connaissance scientifique », dans: R. Boudon et M. Clavelin (sous la direction de), Le relativisme est-il résistible?, Paris, Presses universitaires de France, 1994, p. 17-49.

CIBLE.GIF5. R. Boudon, « Should we believe in relativism? », dans: A. Bohnen et A. Musgrave (sous la direction de), Wege der Vermunft. Festschrift zum siebzigsten Geburstag von Hans Albert, Tübingen, J.C.B. Mohr (Paul Siebech), 1992, p. 113-129.

CIBLE.GIF6. C'est ce que H. Albert appelle le « trilemme de Münchhausen » (Traktat über kritische Vernunft, Tübingen, J.C.B. Mohr, 1975).

CIBLE.GIF7. C'est parce que la démocratie est une bonne chose que Tocqueville insiste tant sur les dangers de dérapage vers la tyrannie auxquels elle est exposée.

CIBLE.GIF8. C. Larmore (Patterns of Moral Complexity, Londres, Cambridge University Press, 1987) et M. Walzer (Spheres of Justice. A Defence of Pluralism and Equity, Oxford, Robertson, 1983) insistent justement sur le fait que les jugements de valeur sont argumentables, mais ils négligent le fait que ces arguments se fondent sur un ensemble de principes qui, s'ils ne peuvent sans doute être axiomatisés, apparaissent régulièrement dès qu'on remonte une chaîne argumentative. Le principe de l'égalité contribution-rétribution est l'un de ces principes. Ils me semblent également sous-estimer le fait qu'on peut, s'agissant du normatif comme du positif, parler de la force objective d'une argumentation. La métaphore même des « sphères » (disjointes) de la justice suggère que l'argumentation axiologique revêt un caractère irréductiblement ad hoc. La frontière avec le modèle qui veut voir dans l'argumentation une rationalisation ou un instrument à finalité performative tend alors à s'effacer.

CIBLE.GIF9. Bien sûr, certains préfèrent d'autres types de régime et présentent des raisons à l'appui de ces préférences. Mais elles ne convainquent que des auditoires très particuliers, parce qu'elles sont dominées par le système de raisons sur lequel s'appuie l'évaluation du système démocratique. Il est significatif que les régimes despotiques communistes aient voulu se déguiser en démocraties. Le fait que le nazisme soit couramment perçu comme plus répugnant encore que le stalinisme s'explique, non par une différence – difficilement perceptible – dans le degré de barbarie, mais parce que le premier récusait ouvertement les principes mêmes de la démocratie.

CIBLE.GIF10. Les sentiments d'évidence éprouvés par les acteurs sociaux sont une réalité dont le sociologue se doit de prendre acte. Cela ne prouve pas qu'il y ait des évidences morales. La position que je défends ici est aussi éloignée que possible de tout intuitionnisme. Il n'y a pas plus d'évidences morales que d'évidences médicales ou arithmétiques. J'avance seulement qu'on adhère à « X est juste » (tout comme à « X est vrai ») lorsque ce jugement est fondé sur un système de raisons plus solide que ceux qu'on peut imaginer à l'appui de « X est injuste ». Quant aux sentiments d'évidence éprouvés par les individus, ils sont une expression elliptique de ces systèmes de raisons.

CIBLE.GIF11. Bien entendu, le fait que « la démocratie soit une bonne chose » n'implique pas qu'on ne produise pas des catastrophes lorsqu'on veut l'introduire à n'importe quelles conditions et à n'importe quel prix dans un contexte mal préparé à la recevoir. Mais, comme le montre le cas de l'Afrique du Sud, rationalité analytique et conséquentialiste s'ordonnent ici de façon lexicographique.

CIBLE.GIF12. A.J. Ayer, Language, Truth and Logic (1936), New York, Dover, 1946. Voir aussi: J.O. Urmson, The Emotive Theory of Ethics, Londres, Hutchison, 1968 ; R. Alexy, Theorie der Juristischen Argumentation, Francfort, Suhrkamp, 1983. On peut relever que les philosophes modernes qui défendent l'idée d'une objectivité des valeurs n'ont pas eu la même audience, parce qu'ils se situent en dehors des courants dominants. Voir par exemple, L.I. Lewis, 1. An Analysis of Knowledge and Valuation, La Salle, IL., The Open Court, 1946 ; F. Brentano, The Foundation and Construction of Ethics, Londres, Routledge, 1952 ; F. Brentano, The Origins of Our Knowledge of Right and Wrong, Londres, Routledge, 1969 ; R.B. Perry, Realms of Value, Cambridge, Mass., Harvard University Press, 1954 ; R.M. Hare (The Language of Morals, Oxford, Clarendon Press, 1952) insiste par sa notion de « prescriptivisme universel » sur le caractère contraignant des arguments moraux. Voir aussi: R.M. Hare, Freedom and Reasons, Oxford, Clarendon Press, 1963.

CIBLE.GIF13. R. Rorty, Contingency, Irony and Solidarity, Cambridge, Cambridge University Press, 1989.

CIBLE.GIF14. J.Q. Wilson, The Moral Sense, New York, Macmillan/The Free Press, 1993.

CIBLE.GIF15. Ces tentatives modernes pour rabattre le devoir-être sur l'être font écho à celles de l'évolutionnisme du siècle dernier dans ses diverses formes, hégélienne, spencérienne ou marxienne.

CIBLE.GIF16. Max Scheler, Le formalisme en éthique et l'éthique matériale des valeurs, Paris, Gallimard, 1955 (traduction de Der Formalismus in der Ethik und die materiale Wertethik, 1916).

CIBLE.GIF17. K.D. Opp, Die Entstehung sozialer Normen, Tübingen, J.C.B. Mohr, 1983 ou A. Oberschall, « Règles, normes, morale: émergence et sanction », L'Année sociologique, Paris, Presses universitaires de France, 1994.

CIBLE.GIF18. Un point central dans la théorie de l'évaluation de J. Dewey, Theory of Valuation (1939), International Encyclopedia of Unified Science, Chicago, The University of Chicago Press, 1969. Il est admirablement développé dans la nouvelle de Heinrich von Kleist, Michael Kohlhaas.

CIBLE.GIF19. Et que j'ai eu l'occasion de mettre en oeuvre dans: R. Boudon (en collaboration avec André Davidovitch), « Les mécanismes sociaux des abandons de poursuite », L'Année sociologique, 3e série, 1964, p. 111-244.

CIBLE.GIF20. Ibid.

CIBLE.GIF21. J. Kellerhals, J. Coenen-Huther et M. Modak, Figures de l'équité: la construction des normes de justice dans les groupes, Paris, Presses universitaires de France, 1988.

CIBLE.GIF22. Loin qu'on doive, comme J. Rawls, (Political Liberalism, New York, Columbia University Press, 1993), nier d'emblée la notion de vérités morales.

CIBLE.GIF23. Au « théorème » de D. Caplovitz (The Poor Pay More, Londres, Macmillan/New York, Free Press, 1967) s'oppose ainsi un théorème contradictoire qui n'est pas moins vrai.

CIBLE.GIF24. La théorie sociologique dite « de l'échange » saisit, de manière partielle, l'une des dimensions de la théorie cognitiviste que je défends ici. Je me sépare toutefois radicalement des théoriciens de l'échange sur un point essentiel: alors qu'ils présentent les exigences de justice comme des lois inscrites dans la nature humaine (d'où l'importance accordée, par exemple, par Homans à Skinner), je propose de les interpréter comme dérivant analytiquement de la nature des activités dans lesquelles s'engagent les individus. Les individus obéissent alors à des « systèmes de raisons » et non à des « lois ».

CIBLE.GIF25. Bien entendu, le vol peut dans d'autres circonstances être justifié: si l'on peut montrer, par exemple, qu'il est le seul moyen de mettre un terme à une iniquité dont la personne ou l'institution à l'encontre desquelles le vol est commis sont responsables. Cela ne prouve pas que l'iniquité soit en elle- même un mal pire que le vol, ni qu'il existe dans aucun monde des Idées des échelles de valeur, mais seulement que, dans certaines situations, l'on peut démontrer que le vol est justifié. Bref, il existe des situations où l'on peut développer une argumentation forte de type « ce vol est légitime, car... ». De nouveau, la seule théorie générale possible des jugements moraux me paraît être celle qui veut que la certitude morale « X est bon » se fonde sur un réseau d'arguments forts.

CIBLE.GIF26. L'article brillant de J.A. Ferejohn et P. Fiorina Morris (« The paradox of not voting », The American Political Review LXVIII, 2, juin 1974, p. 525-536) illustre bien toute la difficulté qu'il y a à expliquer le fait que les gens votent à l'intérieur du cadre du rational choice model.

CIBLE.GIF27. J. Medvedev (Grandeur et chute de Lyssenko, Paris, Gallimard, 1971) montre bien que le phénomène Lyssenko a seulement été facilité par le caractère autoritaire du régime soviétique. D. Buican (Histoire de la génétique et de l'évolutionnisme en France, Paris, Presses universitaires de France, 1984) confirme que des phénomènes de même type se sont produits en France.

CIBLE.GIF28. J'ai toujours eu quelque peine à comprendre pourquoi il fallait traduire Wertrationalitt par des expressions encombrantes comme « rationalité afférente aux valeurs », « rationalité sous l'angle des valeurs », etc. On ne parle pas de « science sous l'angle de l'âme », mais bien de géologie ou de psychologie. Pourquoi ne pas parler dans le même esprit d'axiologie ou de rationalité axiologique?

CIBLE.GIF29. R. Boudon, « On "postmodern" scepticism », à paraître dans: Liberalism in Modern Times (Essays in Honor of J.G. Merquior).

CIBLE.GIF30. Il y a bien sûr des exceptions, comme J.R. Searle, « How to derive "ought" from "is" », dans: P. Foot (sous la direction de), Theories of Ethics, Londres, Oxford University Press, 1967.

CIBLE.GIF31. R. Boudon, « Libéralisme et pluralisme selon John Rawls », Analyses de la Société d'études et de documentation économiques, industrielles et sociales, 95, septembre 1993, p. 1-9.

CIBLE.GIF32. A. de Tocqueville, De la démocratie en Amérique, dans: J.-C. Lamberti et F. Mélonio (sous la direction de), Tocqueville, Paris, Laffont (collection Bouquins), 1986, p. 540-542.

CIBLE.GIF33. Si ridicules, hypocrites et contradictoires que soient des expressions comme « guerre propre » ou « frappe chirurgicale », elles témoignent du sentiment de l'anormalité de la guerre sanglante.


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