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Sources imprimées

* * *

1963

Bouchard, Maurice. Rapport de la Commission d'enquête sur le commerce du livre dans la province de Québec. S.l., s.n., 1963. 250 p.

CHAPITRE VI

AIDE À L'ÉDITION

Étant donné l'urgence de faire rapport sur les problèmes de la librairie, nous n'avons pu mener une étude approfondie de la situation de l'édition de livres non didactiques. Considérant, toutefois, que le Gouvernement a déjà reconnu la nécessité d'aider les éditeurs dans sa loi de l'assurance-édition (bill 29, 11 avril 1962¹, et que les éditeurs, soit individuellement, soit par l'intermédiaire de l'Association des Éditeurs canadiens, nous ont suggéré de recommander d'autres mesures pour aider l'édition, nous avons cru nécessaire d'examiner de plus près cette question et de faire un certain nombre de recommandations applicables strictement à l'édition de langue française.

1 - Pourquoi faut-il aider l'édition?

Les nombreuses démarches des éditeurs auprès du Gouvernement pour réclamer une aide et les demandes qu'ils nous ont formulées partent le plus souvent du fait que, pour un ouvrage de qualité équivalente et d'un tirage égal, l'éditeur du Québec est défavorisé sur son propre marché relativement à l'éditeur français.
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(1) Appendice F-III

[p. 197]

Pour saisir rapidement les problèmes qui se posent, prenons le cas hypothétique d'un roman édité au même tirage en France et dans la Province. Le tableau suivant permet de retracer facilement les désavantages relatifs à l'éditeur canadien.

TABLEAU XVI

PRIX ET COÛTS DE L'ÉDITION
EN FRANCE ET AU CANADA

Prix de
détail au
Canada
Prix de
détail en
France
Prix de
vente au
grosiste
canadien
Droits
d'auteur
Frais
généraux
publicité
profit
Coût de
fabrication
Édition
   française
3.20 2.20 1.32 0.22 0.66 0.44
Édition
   canadienne
3.30 - remise
60%
1.32
0.33 remise
60%
0.33
0.66
      remise   remise  
      50%
1.65
  50%
0.64
 

Le prix de vente au détail d'un roman français est normalement déterminé en multipliant par 5 le coût de fabrication (impression et reliure). Comme l'indique le tableau XVI, un coût de fabrication de 44 cents donne lieu à un prix de $2.20 à Paris.

[p. 198]

Au Canada, le coût de fabrication est généralement plus élevé de 33 1/3% qu'en France. En affectant ce coût de fabrication du même multiplicateur 5, on obtient un prix de détail à Montréal de $3. 30.

Nous supposons, dans les deux cas, que les droits d'auteur sont 10% du prix de détail du pays d'origine. Enfin nous supposons, ce qui est courant, que l'éditeur français accorde une remise de 40% au libraire canadien sur le prix de Paris et que ce libraire vend à Montréal à la tabelle 0.32, comme c'est le cas présentement.

D'après notre tableau, l'édition canadienne peut se vendre à Montréal à un prix de détail à peu près égal à celui de l'édition française. Au surplus, si l'éditeur canadien accepte de concéder au grossiste une marge brute de 60%, ses ouvrages sont distribués dans le réseau des librairies et des points de vente aux mêmes conditions que l'ouvrage français.

Mais, comme le démontre le tableau XVI, cette parité des livres français et canadiens quant à l'accès aux marchés du Québec est obtenue moyennant une compression intolérable du résidu disponible à l'éditeur pour couvrir les item frais généraux, publicité et profit. Le résidu canadien représente, en termes absolus, la moitié du résidu français. Calculé en pourcentage de la mise nécessaire pour couvrir les coûts de fabrication, le résidu de l'éditeur canadien (50% de la mise) se réduit au tiers du résidu de l'éditeur français (150% de la mise).

Les éditeurs canadiens ont eu tendance à réagir en refusant de consentir 60% aux grossistes et en essayant de limiter cette remise à 50%. Auquel cas, comme l'indique notre tableau, leur résidu d'éditeur devient, en termes absolus, comparable à celui de l'éditeur français, quoique

[p. 199]

restant inférieur du tiers environ à celui-ci lorsque les résidus sont rapportés aux coûts de fabrication respectifs.

Mais cette solution n'en est pas une. Elle a pour conséquence, en effet, de rendre la distribution du livre plus payante que celle du livre canadien. En pratique, comme le grossiste accorde 40% de remise au détaillant et que le coût de ses seuls agents voyageurs se situe aux environs de 20% des ventes effectuées par ceux-ci, soit entre 10% et 12% du prix de détail, on voit aisément que le livre canadien, s'il n'implique pas une perte, ne rapporte rien, en tous cas, à la maison de gros. En conséquence, maints éditeurs se sont plaints auprès de la Commission d'Enquête du manque d'intérêt des libraires pour le livre édité dans la Province¹.

L'édition canadienne, à cause de la concurrence extérieure, est donc prise dans un étau. Ou bien l'éditeur, pour que ses livres se vendent aussi bien que les livres français, décide de produire, sinon à perte, tout au moins par pur amour du métier; ou bien il demande aux distributeurs d'assurer gratuitement la diffusion de sa production.

La pression de la concurrence extérieure sur l'édition canadienne dans son propre marché sera aggravé [sic] très sérieusement par l'abaissement du prix du livre importé, recommandé plus haut. Si le prix du roman canadien suit la baisse du prix du livre importé, et on ne voit pas comment il pourrait en être autrement, la situation sera approximativement celle qu'indique le tableau XVII.
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(1) Appendice E-II-3

[p. 200]

TABLEAU XVII

PRIX ET COÛTS DE L'ÉDITION
EN FRANCE ET AU CANADA

Prix de
détail au
Canada
Prix de
détail en
France
Prix de
revient à la
maison du
livre
Droits
d'auteur
Frais
généraux
publicité
profit
Coût de
fabrication
Édition
   française
2.50 2.20 1.36 0.22 0.55 0.44
Édition
   canadienne
2.50 - 1.375 0.25 0.465 0.66

Le tableau qui précède suppose que la maison du livre obtiendra une remise moyenne de 45% des éditeurs français. S'il en était ainsi, en ajoutant les frais d'importation (12.5% du prix d'achat), le prix de revient du livre français pour la maison du livre s'établirait à $1.36. Ce prix lui laisse une marge brute de 45% pour couvrir ses frais d'opération et la remise de 35% au libraire canadien. Nous supposons également que le maison du livre demandera une remise de 45% à l'éditeur canadien, au lieu de celle de 60% exigée par les grossistes actuels. Ainsi, le livre canadien serait distribué aux mêmes conditions que le livre français.

Actuellement l'éditeur canadien se tire souvent d'affaire par un compromis avec le grossiste et lui consent une remise de 55%; ce qui, dans les conditions présentes,

[p. 201]

lui donne une marge résiduelle de 50 cents, à mi-chemin entre les marges de 33 et de 64 cents du tableau XVI.

Si nos recommandations sont appliquées, le tableau XVII indique que cette marge de l'éditeur canadien sera figée à 46.5 cents, sans qu'il y ait aucune possibilité de rogner sur les exigences de la maison du livre. Nous pouvons donc conclure, abstraction faite de l'augmentation du volume de ventes due à la baisse du prix de détail, que la situation de l'éditeur canadien ne sera pas améliorée par nos recommandations relatives à la librairie.

2 - Une politique d'aide à l'édition

L'édition canadienne de langue française n'aura jamais la partie facile. D'abord parce que le marché intérieur étant relativement étroit, il est impossible, sauf pour de rares exceptions, de compter sur de grands tirages pour abaisser les coûts unitaires de fabrication et d'édition. En second lieu, à cause d'un isolement physique, politique, économique et, à la longue, culturel par rapport à la communauté internationale d'expression française. En raison de ces nombreux facteurs d'isolement, le marché que celle-ci constitue est, en pratique, fermé à l'édition canadienne. Le problème de base de notre édition en est donc un de coûts trop élevés en termes relatifs, c'est-à-dire par rapport à ceux du livre importé et même souvent, en termes absolus, c'est-à-dire, compte tenu de ce que l'acheteur virtuel peut et veut payer.

D'autre part, le commerce de l'édition commande, chez nous comme ailleurs, l'activité des auteurs dans trop de domaines importants pour que notre société et l'État qui la représente restent indifférents aux problèmes de ce commerce. C'est d'ailleurs ce que le Gouvernement de la Province a reconnu en subventionnant la publication

[p. 202]

de plusieurs ouvrages et en proposant, en 1962, la loi de l'assurance-édition.

L'opinion publique de notre Province peut donc se féliciter que le Gouvernement se montre tout disposé à appuyer et renforcer l'activité de nos éditeurs. Mais, dans ce domaine comme dans tous les autres, parce que les ressources de l'État sont limitées, on ne peut pas lui demander d'apporter une aide à toutes les publications et une aide de la même importance selon les cas. Il doit y avoir une politique basée sur des critères de choix acceptables par tout le monde. Dans quel cas l'aide de l'État peut-elle être justifiée, dans quelle mesure et sous quelle forme, voilà des questions auxquelles il faut s'efforcer de répondre au risque d'une intervention gouvernementale inefficace, coûteuse et arbitraire.

a) Conditions d'une aide de l'État

Il n'est pas nécessaire de réfléchir longuement pour admettre l'exigence d'au moins deux conditions de base à l'aide que l'État peut accorder à l'édition: en premier lieu, que notre société ait, comme telle, un intérêt spécial à rendre possible l'édition nécessaire pour développer une activité d'auteurs dans un domaine particulier; en second lieu, qu'un marché potentiel existe pour ces publications à certains prix, et que ces prix soient trop bas, relativement aux coûts de production, pour que les éditeurs trouvent profit à les publier.

La première condition pose en principe que la chose importante n'est pas tellement d'aider l'édition que d'aider celle qui est indispensable à l'activité intellectuelle et à la vie culturelle de la communauté canadienne-française, par exemple, l'édition du roman, de la poésie, du théâtre,

[p. 203]

des essais divers s'adressant au grand public, des ouvrages spécialisés dans un domaine de la connaissance et des études sur l'activité de notre société. Cette même condition exclut, d'autre part, qu'il y ait lieu d'aider les publications du type instrumental ou utilitaire, comme les ouvrages techniques, professionnels, purement récréatifs et les livres de piété. Ces publications n'intéressent que des individus ou des groupes particuliers. Elles n'ont rien à voir avec l'activité intellectuelle et la vie culturelle de la Province.

La seconde condition veut que, parmi les ouvrages qui répondent à la première condition, l'aide de l'État à l'édition ne joue que pour ceux qui peuvent se vendre à des prix que l'éditeur ne peut faire, par ailleurs, sans cette aide. Il peut arriver qu'un ouvrage purement spéculatif, du type philosophique, par exemple, trouve ici un marché restreint sur lequel il pourra se vendre à prix élevé. Y a-t-il lieu de songer ici à une aide de l'État dans le but d'abaisser les coûts et le prix pour que l'ouvrage ait accès à un marché plus large ? À notre avis, non. Si l'État doit favoriser l'existence d'une activité d'auteurs, il doit, d'autre part, éviter de pousser l'intervention au-delà du minimum nécessaire à l'existence de cette activité. Aller plus loin équivaudrait à conditionner la consommation des individus d'après une hiérarchie des valeurs établie arbitrairement par l'État et sans rapport avec les coûts relatifs réels. Par contraste, l'aide de l'État s'impose, s'il s'agit, par exemple, d'un roman qui risque de ne pas se vendre tout simplement parce que le roman importé se vend ici à meilleur prix. Dans ce cas, l'aide est nécessaire pour que notre société ait ses romanciers; elle doit toutefois se limiter à éliminer le désavantage relatif de l'édition canadienne vis-à-vis l'édition étrangère.

[p. 204]

b) Formes de l'aide à l'édition

Les modalités de l'aide de l'État, si l'on n'y prête pas attention, peuvent avoir pour conséquence d'imposer des contraintes à la vie culturelle ou de l'orienter arbitrairement.

Toutes les éditions, tous les romans, par exemple, n'ont pas la même qualité. Et l'on pourrait être spontanément porté à souhaiter que, s'il doit y avoir une aide de l'État, celle-ci n'encourage pas la littérature de pacotille ou les essais franchement subversifs. D'où le principe, au niveau de l'administration de cette aide, d'un jury quelconque discriminant entre les oeuvres selon leurs mérites respectifs.

Nous sommes d'avis qu'il est nécessaire de courir le risque d'aider des oeuvres de qualité discutable pour sauvegarder intégralement le principe que le public est le seul arbitre de la valeur d'une oeuvre. Autrement, nous remettons à l'État la tâche de fabriquer notre culture et de décréter arbitrairement ce qui est bon et mauvais dans notre activité intellectuelle. L'État peut au maximum exclure que certains domaines de l'édition aient accès à son aide, par exemple, un domaine comme celui du livre utilitaire qui n'a rien à voir avec la vie culturelle. Mais une fois admis un domaine particulier de l'édition pour les fins de cette aide, celle-ci doit être accordée automatiquement, sans l'intervention d'un jury pour discriminer entre les ouvrages particuliers. En même temps, toutefois, cette aide doit être conçue de telle sorte qu'elle soit d'efficacité variable, eu égard au fait que les ressources de l'État sont limitées et que toutes les publications n'ont pas besoin d'être aidées dans la même mesure. À ce point de vue, l'efficacité de cette aide, quelle qu'elle soit, assurance,

[p. 205]

subvention ou prêt, doit être fonction inverse du succès commercial des publications. Le problème est donc de trouver une formule comportant des clauses capables de paralyser l'aide de l'État dans les cas de succès commercial sans, pour autant, rémunérer bêtement l'inefficacité, ni éliminer le risque normal de l'édition qui justifie les profits.

c) L'assurance-édition

Lorsqu'on l'examine dans le cadre d'une réflexion sur les conditions et la forme d'une aide de l'État à l'édition, la loi sur l'assurance-édition, dont les caractéristiques essentielles furent inspirées par l'Association des Éditeurs canadiens et qui fut sanctionnée le 11 avril 1962, comporte d'importantes lacunes.

En substance, cette loi permet au Ministre des Affaires culturelles d'acheter, à un prix qui couvre le coût d'impression et de reliure et les droits d'auteur, le stock des exemplaires invendus, diminué d'un nombre d'exemplaires égal à la moitié des exemplaires vendus. La loi n'exclut aucun domaine de l'édition, sauf qu'elle s'applique aux éditeurs membres de l'Association des Éditeurs canadiens établis dans la Province. D'autre part, elle charge le Conseil provincial des Arts d'accorder ou de refuser l'assurance demandée dans chaque cas particulier, sans lui fournir aucun critère de décision.

Cette loi est donc administrée effectivement par un jury. Les hommes étant ce qu'ils sont, ce jury aura fatalement tendance à se faire juge de la qualité et de l'importance des oeuvres qui lui sont présentées. On en a la preuve dans le mémoire que nous a soumis la Commission de l'Assurance-Édition du Conseil des Arts¹. À la page
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(1) Appendice E-I-33

[p. 206]

3 de ce mémoire, on lit que l'État "ne doit apporter une aide qu'à un ouvrage qui le mérite. Pour évaluer ce mérite, nous proposons un jury d'au moins deux lecteurs, choisis pour leur compétence à l'intérieur ou à l'extérieur du Conseil des Arts". À notre avis, le principe d'un arbitrage sur le mérite des ouvrages par le Conseil des Arts, ou un quelconque jury, va à l'encontre de la liberté culturelle.

La loi respecte vaguement le principe que nous avons énoncé plus haut, à l'effet que l'efficacité de l'aide de l'État soit fonction inverse du succès commercial d'une édition particulière; plus est élevé la proportion d'invendus dans un tirage donné, plus est élevé le pourcentage des invendus et du tirage rachetés par l'État en vertu de la loi de l'assurance-édition.

Néanmoins, nous pouvons soulever de sérieuses objections à cette forme d'aide, sur le plan purement économique. En premier lieu, un grand nombre d'exemplaires invendus, dans le cas d'une édition particulière, peut être l'indice, non pas de l'absence d'un succès commercial, mais plutôt de l'incapacité d'un éditeur à calculer un tirage proportionné au marché potentiel. Auquel cas, l'aide est accordée sans justification acceptable. En second lieu, et ceci nous semble extrêmement important, la loi de l'assurance-édition, à moins d'un contrôle préalable des tirages par l'État, contrôle prévu par la loi mais d'application difficile, peut avoir pour conséquence de rémunérer l'inefficacité et les erreurs de prévisions. Un éditeur qui prévoit très mal le marché d'un ouvrage donné et qui se retrouve avec une quantité d'invendus égale au tirage accepté par l'État est assuré d'un rachat par l'État de 85% de son tirage; par contre, un éditeur un peu mieux avisé qui resterait avec une proportion d'invendus égale à 35% du tirage accepté ne tirerait aucun avantage de cette loi.

[p. 207]

Enfin, cette loi comporte plusieurs restrictions ou modalités qui la rendent plus ou moins applicable ou efficace. Ainsi, elle ne vaut que pour le premier tirage d'une édition, sans qu'il soit précisé s'il s'agit d'une première édition ou d'une réédition. Cette clause de la loi est, à notre avis, inutilement limitative. Il eut mieux valu consentir l'aide à tout tirage de toute édition, à la condition précise que le tirage antérieur n'ait pas donné lieu à un rachat d'invendus par l'État. L'éditeur a pour responsabilité, non seulement de lancer des auteurs, mais aussi de prolonger la vie de leurs oeuvres le plus possible. Et il se peut fort bien que le sort commercial d'un ouvrage soit aussi risqué dans les dernières éditions et impressions que dans les toutes premières.

Autre modalité contestable de cette loi: sont définis comme invendus les exemplaires non vendus dans un délai d'un an à compter du jour de la vente du premier exemplaire. Selon la Commission de l'Assurance-Édition du Conseil des Arts, il faudrait admettre des échéances diverses selon les catégories d'ouvrages: un an pour les romans, les livres pour enfants et les essais à caractère général; deux ans pour la poésie et le théâtre imprimé; trois ans pour les manuels rédigés à titre expérimental, pour les essais à caractère spécialisé et les livres d'arts.

Nous sommes d'accord avec cette Commission sur la nécessité qu'il y a de varier les échéances d'une aide selon les genres. Nous croyons toutefois, eu égard au fait que trop peu de nos éditeurs se préoccupent de prolonger la vie des oeuvres par des tirages successifs et des rééditions, que les échéances suggérées sont trop courtes. Il ne faut pas que l'aide de l'État ait pour conséquence de retirer prématurément du marché des ouvrages dont la vente est normalement lente, en tous cas, plus lente que les délais suggérés ici.

[p. 208]

Au total, cette loi de l'assurance-édition contient quelques lacunes qui pourraient être corrigées par des amendements appropriés s'il n'y avait pas ce vice fondamental qui consiste à baser l'aide de l'État sur la proportion des invendus dans le tirage d'un ouvrage donné. En raison de ce défaut majeur, nous croyons préférable de préconiser un autre mode d'aide à l'édition et, en conséquence, nous recommandons que la loi de l'assurance-édition soit abrogée.

d) Prêt remboursable

Pour remplacer l'assurance-édition, nous recommandons au Gouvernement provincial d'instituer une formule de prêt sans intérêt, remboursable à certaines conditions précisées ci-après. Cette formule serait applicable aux ouvrages édités dans la Province et écrits en langue française par des auteurs résidant au Canada. Le prêt devrait être accordé sur demande et de façon automatique, pour tout ouvrage écrit dans un domaine intéressant la vie intellectuelle et culturelle du Québec. La loi devrait spécifier les domaines de son application.

Comme c'était d'ailleurs le cas pour la loi d'assurance-édition, le but principal de la mesure qui est préconisée ici est de subventionner l'édition qui est souhaitable et qui ne se ferait pas autrement. Le remboursement du prêt ne doit donc jouer, en principe, que dans le cas des éditions qui n'avaient effectivement pas besoin d'être subventionnées. Toutefois, pour éviter de rémunérer l'inefficacité et les erreurs de précisions, il est sage de prévoir des modalités ayant pour effet de diminuer la subvention selon l'importance des erreurs de prévisions, c'est-à-dire, selon la proportion que constitue dans un tirage donné le stock des exemplaires invendus au terme d'une période donnée.

[p. 209]

Pour établir l'importance de cette aide, nous postulons que les ouvrages littéraires édités ici devront se vendre à des prix comparables à ceux des ouvrages importés, une fois la tabelle 0.25 imposée. Dans ces conditions, l'aide doit être suffisante pour éliminer le désavantage relatif de l'édition canadienne, tel qu'indiqué au tableau XVII. À cet effet, nous recommandons un prêt sans intérêt de 33 1/3% du coût de fabrication, établi sur la base des factures d'impression et de reliure d'un tirage. S'il devient subvention, ce prêt aurait pour effet d'augmenter de $0.465 à $0.685 la marge brute couvrant les frais généraux, la publicité et les profits de l'éditeur. Cette marge brute serait donc supérieure, en termes absolus, à la marge brute de l'éditeur français. L'écart n'est pas anormal toutefois, si l'on considère que le coût des services au Canada est, en général, au moins du tiers plus élevé que le coût des services en France. Il n'y a pas de raison de croire qu'il doit en être autrement pour le coût du service édition.

D'autre part, nous recommandons que ce prêt soit remboursable, à raison de 50% du produit des ventes faites au-delà d'un montant égal à deux fois le coût total de fabrication. Comme l'indique le tableau XVII, le double du coût de fabrication d'un ouvrage édité ici représente à peu près les ventes qu'un éditeur réalisera en écoulant la totalité de son tirage à un prix comparable à celui déterminé pour l'édition importée d'après la tabelle 0.25. Si l'éditeur canadien réalise, sur un tirage donné, un chiffre de ventes totales supérieur au double du coût de fabrication, c'est qu'il aura vendu à un prix supérieur au niveau de parité avec le prix de l'ouvrage importé. Une publication qui, dans ces conditions de prix relatifs, réussit à se vendre jusqu'à épuisement du tirage, n'a pas besoin de subvention pour être éditée. Il n'est donc que normal de prévoir alors le remboursement du prêt.

[p. 210]

Le prix des ouvrages qui ne peuvent trouver de substituts étrangers sur le marché de la Province, un livre d'histoire du Canada par exemple n'aura pas tendance à baisser comme ce sera la cas pour le roman. Si des ouvrages de ce genre se vendent bien en dépit de prix relativement élevés, la clause de remboursement jouera, comme dans le cas précédent, avec la même justification.

En principe, dans le cas d'un prêt devenu remboursable, la remise des sommes avancées par l'État devrait se faire à raison du produit entier des ventes supplémentaires. Nous proposons toutefois un remboursement moins rapide, pour éviter, dans les situations où la vente ralentit, que l'éditeur ne soit trop fortement incité à cesser de stimuler la vente pour ne pas avoir à rembourser le prêt.

Afin de réduire la possibilité que l'aide proposée ait pour effet d'inciter l'éditeur à décider les tirages à l'aveuglette, ou à se désintéresser de promouvoir la vente lorsque celle-ci devient moins facile, nous recommandons que le prêt accordé devienne remboursable selon un pourcentage égal au pourcentage d'exemplaires invendus, dans le tirage qui a donné lieu au prêt.

Pour les fins visées ici, devraient être considérés comme invendus les exemplaires d'un tirage qui restent entre les mains de l'éditeur

trois ans après l'émission du prêt, s'il s'agit d'un roman, d'un ouvrage de poésie, de théâtre, d'un ouvrage de littérature pour jeunes, d'un essai non spécialisé;

cinq ans après l'émission du prêt, s'il s'agit d'essais spécialisés s'adressant à des lecteurs également spécialisés.

[p. 211]

Il est intéressant de comparer comment joue la subvention de l'État avec le succès de la vente selon l'actuelle loi d'assurance-édition et selon le projet que nous suggérons ici.

  ASSURANCE-
ÉDITION
PRÊT
REMBOURSABLE
Pourcentage du
  tirage vendu
Pourcentage
du coût total
de fabrication
subventionné
Pourcentage
du coût total
de fabrication
subventionné
100 0 33.3
90 0 30.0
80 0 26.7
70 0 23.3
60 10 20.0
50 25 16.7
40 40 13.3
30 55 10
20 70 6.7
10 85 3.3
0 10 0
[p. 212]

L'assurance-édition, comme le montre ce tableau, avait pour but évident de couvrir les "mauvais risques" d'une façon presque absolue. Ces "mauvais risques" doivent être tout simplement éliminés. Et c'est l'éditeur qui doit le faire. L'opération relève de sa fonction, comme d'ailleurs celle de prendre les "bons risques", ceux qui justifient les profits.

La formule que nous suggérons ne dispense pas l'éditeur de courir ses risques. Elle vise surtout à éliminer les désavantages comparatifs avec l'édition importée, pour permettre à l'édition canadienne de suivre la baisse de prix du livre importé sur notre marché. Le tableau fait voir que l'éditeur est d'autant mieux aidé et subventionné qu'il a bien mesuré son risque quant au choix de l'ouvrage et quant à ses possibilités de vente. D'autre part, le fait que l'éditeur qui reste avec 50% d'invendus voit réduire la subvention de l'État à 16 2/3% du coût de fabrication de son ouvrage, au lieu de 33 1/3% s'il n'a pas d'invendus, constitue, comme tel, une incitation relativement vigoureuse à promouvoir la vente d'un tirage par la publicité ou autrement. Et, dans la mesure où un prix trop élevé tend à réduire les ventes, ce même fait est aussi une incitation à diminuer les prix.

L'assurance-édition a pour but, comme nous l'avons souligné, d'éliminer les "mauvais risques". Cet objectif contestable apparaît, une fois de plus, dans le fait que la loi ne s'applique que pour le premier tirage de la première édition. La mesure que nous proposons ici cherche à éliminer un désavantage qui existe, quel que soit le nombre d'éditions ou de tirages pour une même édition. En conséquence nous recommandons que le prêt remboursable soit accordé pour un même ouvrage, quel que soit le nombre de tirages ou de rééditions ayant déjà bénéficié du prêt.

[p. 213]

Sans qu'il y ait lieu de faire de recommandations à cet effet, soulignons d'abord que le projet suggéré ici suppose que tous les ouvrages pour lesquels il y aurait un prêt de l'État donnent lieu à un rapport annuel sur les ventes totales effectuées dans l'année. En outre, aucun nouveau prêt ne devrait être accordé tant que l'éditeur n'a pas remis à l'État la part remboursable d'un prêt antérieur.

Nous avons pu estimer à $600, 000 approximativement le coût de fabrication de l'édition canadienne de langue française en 1962. Mais ce montant inclut certaines éditions qui ne seraient pas couvertes par la mesure que nous recommandons, soit l'édition canadienne d'auteurs étrangers, l'édition d'ouvrages utilitaires, etc. Le prêt suggéré constituant le tiers du coût de fabrication, l'État serait engagé pour un montant maximum annuel de $200, 000. Nous devons tenir compte du fait qu'une partie difficile à prévoir, sur ce montant de $200, 000 deviendrait remboursable par la suite.

Même dans le cas où le prêt accordé par l'État serait totalement remboursé par la suite, la mesure que nous recommandons présente le grand avantage d'assurer à l'éditeur une plus grande liquidité pour le financement de ses éditions. L'un des problèmes communs à tous les éditeurs est, en effet, celui de l'engagement des liquidités dans des stocks d'ouvrages qui se vendent lentement, irrégulièrement ou selon un rythme saisonnier défavorable. Grâce au prêt sans intérêt, l'éditeur pourrait considérer la possibilité de lancer de nouvelles éditions sans dépendre d'une manière aussi absolue du rythme de vente des éditions antérieures. Il serait ainsi mieux placé pour situer ses nouvelles éditions au moment le plus favorable à la vente de celles-ci et pour profiter davantage de l'imprévu.

[p. 214]

Page modifiée le : 17-05-2016
 

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