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1963
En situation de marché libre, et c'est le cas de l'édition des manuels scolaires dans la Province de Québec, le consommateur trouve normalement sa protection dans la concurrence entre les producteurs ou les distributeurs. Lorsque cette concurrence n'existe pas, ou encore, lorsqu'elle est trop peu active, il y a grand risque que l'acheteur soit victime de prix élevés.
Les nombreux défauts constatés dans la procédure d'approbation des manuels scolaires, justifient, à ce point de vue, toutes les inquiétudes. Il faut d'abord souligner que la concurrence entre éditeurs est sérieusement restreinte par des limites de nature institutionnelle. Le simple fait, par exemple, qu'on ait tenu à ce que les manuels adoptés correspondent le plus fidèlement possible à un programme indigène a eu pour conséquence d'éliminer pratiquement la concurrence de l'édition européenne de langue française. Le nombre de concurrents potentiels offrant un ouvrage pour un programme particulier est donc fortement réduit au départ. Il l'est encore par la règle qui fixe à trois le nombre maximum d'ouvrages approuvés pour un programme donné. En principe, cette règle n'exclut pas qu'un nouveau manuel scolaire vienne éliminer l'un des trois déjà approuvés. En fait, nous avons constaté qu'il n'en est peu près jamais question.
La concurrence entre éditeurs de manuels scolaires peut être présumée relativement faible aussi, en raison de la nature même de la demande. Lorsque la sous-enchère sur les prix a pour conséquence d'augmenter fortement le volume des quantités vendues, les producteurs sont davantage incités à jouer le jeu concurrentiel. Dans l'ensemble, ils regagnent en quantité ce qu'ils perdent en prix. Lorsque la demande est telle qu'une variation de prix ne modifie pas sensiblement la dimension du marché, ils sont réticents à toute lutte en [sic] prix. Or, il y a toutes les raisons de croire que la demande des manuels scolaires est inélastique, ou encore, peu sensible au jeu des prix. En pareil cas, la tendance spontanée des producteurs est de rechercher des prix élevés. Et le public ne peut être protégé que par un contrôle officiel efficace.
Or, nous avons vu plus haut que le D.I.P. n'a jamais rien prévu à cet effet. La commission des prix des manuels scolaires aurait pu exercer ce contrôle. Sa juridiction fut malheureusement limitée strictement à statuer sur les hausses de prix demandées par les éditeurs. En fait, les prix des manuels sont fixé par les éditeurs et les auteurs, sans aucun contrôle préalable.
Si l'on ajoute à ce tableau des restrictions à la concurrence, le grave problème de collusion résultant des diverses formes de conflits d'intérêts signalées plus haut, tout nous incite à penser que, dans l'ensemble, les éditeurs de manuels scolaires canadiens ont été et sont encore en mesure d'abuser du public, en fixant des prix trop élevés relativement aux coûts de production.
Nous avons cru nécessaire d'examiner ce problème de près. Les résultats de notre analyse et nos conclusions font l'objet principal de ce chapitre. À l'item coût de production du manuel scolaire, nous n'avions ni
les moyens, ni le temps d'entreprendre une étude approfondie. Nous avons toutefois essayé d'apprécier l'incidence, sur les coûts et sur les prix, d'un abandon éventuel de la règle fixant à trois le nombre maximum d'ouvrages approuvés pour un programme donné.
Pour situer quelque peu cette discussion sur la relation entre les coûts de production et les prix, il nous a semblé utile de présenter d'abord quelques données sur le développement de l'édition scolaire depuis dix ans.
I - Développement de l'édition scolaire
D'après une liste établie par la Société des éditeurs canadiens de manuels scolaires(l), la Province de Québec comptait, en 1962, 53 éditeurs d'ouvrages didactiques. Toutefois, pour les fins de notre analyse des prix et des coûts de production, il nous a semblé justifié de nous en tenir à 18 éditeurs. Nous avons d'abord éliminé les personnes et les institutions dont l'activité d'édition est négligeable et irrégulière, et celles qui produisent exclusivement du matériel didactique comme des questionnaires et des résumés préparatoires aux examens ou de l'équipement audiovisuel. En second lieu, étant donné que les problèmes qui ont suscité l'enquête se sont posés dans le secteur public de l'enseignement, nous avons concentré notre analyse sur la production destinée à ce secteur uniquement. Sont donc exclus de l'échantillon que nous avons retenu tous les éditeurs qui produisent uniquement pour les collèges classiques, l'enseignement technique ou spécialisé et l'enseignement universitaire. Et par conséquent, nous n'avons pas tenu compte, pour les maisons retenues dans notre échantillon, de la partie de leurs éditions non destinées au secteur public de l'enseignement.
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(1) Appendice F-III-8
Exprimés en dollars courants, les ventes annuelles des maisons indiquées dans le tableau IV sont passés de $1. 5 million en 1953 à près de $5 millions en 1962; soit un accroissement annuel moyen de 23%. Si l'on présume que les prix ont augmenté au même rythme que l'ensemble des prix à la consommation, ce taux d'accroissement moyen annuel tombe à 15% environ.
Il ne fait aucun doute que l'édition scolaire a connu une expansion très rapide dans les dix dernières années. Celle-ci s'est d'ailleurs traduite par une augmentation appréciable du nombre de maisons éditant de façon régulière, qui est passé de 12 en 1953 à 18 en 1962.
La production et les ventes du manuel scolaire canadien ont toujours été fortement concentrées entre les mains de quelques maisons.
Le tableau IV permet de voir qu'en 1953 quatre maisons se partageaient près de 75% du marché, soit la Librairie Beauchemin, la Librairie des Écoles (F.E.C.), la Librairie du Sacré-Coeur et Granger Frères. La Librairie Beauchemin constituait alors le principal fournisseur de manuels scolaires canadiens.
Il n'est pas inutile de souligner ici que ces quatre maisons ont subi une détérioration radicale de leurs positions relatives sur le marché pendant la décennie qui a suivi. Et ceci, en raison de la montée foudroyante du Centre de Psychologie et de Pédagogie de Montréal. Cette coopérative d'auteurs a absorbé à elle seule, pendant
cette période, plus de la moitié de l'augmentation des ventes totales de l'édition scolaire. Comme d'autre part, le nombre de maisons d'édition a augmenté en même temps de 33%, les quatre chefs de file de 1953 se sont vus relégués au rang d'entreprises mineures. L'oligopole à quatre maisons de 1953 a été remplacé par un monopole partiel du Centre de Psychologie et de Pédagogie en 1962. Il faudrait être naïf pour nier qu'il y ait un lien entre ce monopole et ce que nous pouvons appeler le monopole des conflits d'intérêts des auteurs du C. P. P. indiqué plus haut.
Le tableau IV permet de dégager une autre caractéristique non négligeable de l'évolution de l'édition scolaire. Les personnes intéressées dans le Centre de Psychologie et de Pédagogie ont souvent interprété le progrès de l'entreprise comme une manifestation efficace de la promotion des laïcs dans un secteur traditionnellement contrôlé par des maisons religieuses. Il n'appartient pas à la Commission d'Enquête d'apprécier la valeur de cette orientation. Nous devons toutefois noter les faits. Alors qu'en 1953 le s communautés religieuses vendaient 60% de tous les manuels scolaires, nous constatons qu'en 1962 leur part est réduite à près de 40%.
Pour terminer ces considérations générales sur le développement de l'édition scolaire, nous tenons à souligner la corrélation qui existe entre les conflits d'intérêts impliquant certaines maisons plus ou moins directement et l'accroissement moyen annuel de la part absolue du marché détenue par ces maisons pendant la période 1953-1963.
Maisons classifiées par ordre d'importance des conflits d'intérêts | Total annuel moyen de croissance des ventes totales | |
Centre de Psychologie et de Pédagogie | 143.6% | |
Centre Pédagogique (F.E.C.) | 159.3% | |
Procure F.I.C. | 82.9% | |
Éditions Maristes | 65.3% |
Ces chiffres se passent de commentaires. Notons, pour appuyer notre interprétation, que les Maisons qui ont marqué le pas ou qui ont reculé pendant la même période sont en général celles qui n'étaient pas concernées dans des conflits d'intérêts, ou encore, qui ne l'étaient que faiblement.
II - Politiques de prix des divers éditeurs
Pour analyser le rapport entre les prix des manuels scolaires et leurs coûts de production, nous avons obtenu des éditeurs deux séries de renseignements. D'une part, une estimation, par rapport à l'ensemble de leurs ventes annuelles, des pourcentages représentés par les item suivants: a) redevances aux auteurs; b) remises aux distributeurs, c) frais d'administration, d'édition, de vente et d'expédition. D'autre part, pour chacun des
manuels édités, des renseignements précis sur a) le coût d'impression; b) le prix de détail; c) les redevances versées; d) les quantités vendues¹.
Pour chaque maison, nous avons établi un coût d'impression moyen par dollar de vente. Afin de permettre de comparer les politiques de prix des diverses maisons, nous avons ensuite rapporté les différents item couverts par un dollar de vente (vg. administration, redevances, etc) en pourcentage du coût de fabrication. Nous avons pu, de cette façon, constituer le prix de vente moyen par chaque maison d'un ouvrage dont le coût d'impression serait de un dollar.
Comme exemple, le Centre de Psychologie et de Pédagogie fixe à $3.17 le prix de vente au détail d'un ouvrage dont le coût d'impression est de $1.00. La marge de $2.17 entre ces deux montants est partagée comme suit: $0.97 vont en remise au libraire ou à l'acheteur, $0.56 en redevances et profits aux auteurs, $0.51 en frais d'administration, d'édition, de vente et d'expédition et $0.12 en réserves non distribuées. Notons ici que, compte tenu des remises, le prix de vente réel du C.P.P., celui qui compte dans son chiffre d'affaires, est $2.20 et non $3.17. Ce dernier est le prix de vente au détail.
Pour mieux apprécier le niveau absolu du prix pratiqué par une maison, comme d'ailleurs, pour comparer les prix des diverses maisons nous avons construit un modèle théorique qui peut servir de norme.
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(1) Les notes relatives aux sources, aux définitions des termes et aux limites quant à la validité des renseignements obtenus et des conclusions sont reportées en appendice F-I
Cette norme est basée sur des options quant aux divers éléments qui constituent le prix d'un manuel scolaire. À l'item redevances, pour des raisons que nous expliciterons plus loin, nous prévoyons un maximum de 10% du chiffre de ventes. En étudiant les conditions faites aux éditeurs de manuels scolaires en d'autres pays et, compte tenu du contexte local, nous estimons raisonnable de prévoir, à l'item résidu de la maison ou profit, un montant correspondent à 25% du capital investi dans le stock d'éditions, c'est-à-dire, $0.25 pour un livre coûtant $1.00 à l'impression. Le montant de $0.35 prévu pour le poste administration, édition, ventes et expédition a été déterminé compte tenu des normes d'efficacité réalisées ici et à l'étranger dans les maisons d'importance variable. C'est l'item administration qui, dans ce modèle théorique, est probablement le plus sujet à controverse. Soulignons, pour défendre notre proposition, que le montant prévu constitue près de 17% du chiffre d'affaires, qu'il s'agit là, d'une proposition fort voisine des résultats obtenus par une importante maison comme le C.P.P. qui fonctionne dans le cadre d'une évidente facilité, et que plusieurs éditeurs canadiens ont des frais d'administration proportionnellement plus faibles que ceux prévus dans ce modèle théorique.
Autre caractéristique importante, le modèle suggéré prévoit que la distribution du manuel scolaire est faite en librairie. Nous estimons toutefois que la distribution devrait coûter un maximum de 10% du prix de vente si le libraire doit fournir les manuels directement aux commissions scolaires. Une alternative est présentée dans la seconde partie de ce rapport.
La somme des divers éléments de notre modèle théorique nous donne un prix de vente au détail de $2. 00 pour un ouvrage dont le coût d'impression serait de $1.00.
Sur la base de cette norme, le tableau VI ci-dessous présente une classification des maisons d'éditions selon que leurs prix se situent plus ou moins en dessous ou au-dessus du prix proposé comme normal.
Le tableau VI révèle d'énormes différences entre les prix des diverses maisons. Ainsi les prix payés par le consommateur pour les manuels des Éditions du Pélican de Québec font deux fois et demie ceux de la Librairie Hachette de Montréal. Et de même, à peu près, pour les prix des Presses Universitaires Laval comparés aux prix de la Procure de la Congrégation Notre-Dame.
Compte tenu des ventes moyennes des années 1960 à 1963, l'on constate que 26.6% des ventes totales au prix du distributeur sont faites à des prix égaux ou inférieurs au prix normal, 46% à des prix élevés et 27.4% à des prix très élevés. Un grand total de 73.41% de la production est donc vendu à des prix trop élevés.
Ces constatations confirment donc clairement les présomptions énoncées plus haut à l'effet que les nombreuses limitations à la concurrence résultent en des prix élevés. L'absence de concurrence se traduit aussi par une étonnante dispersion des prix pratiqués. Dans un contexte fortement compétitif, on s'attend, en effet, à un regroupement des prix autour d'un niveau donné.
Le tableau ne permet pas de dire qu'il y a un prix des maisons religieuses et un autre des maisons laïques. Les deux catégories de maisons se retrouvent dans les quatre groupes de prix que renferme le tableau.
Il faut également souligner que tous les éditeurs de le ville de Québec sont, soit dans le groupe des prix très élevés, soit à la limite supérieure du groupe de prix élevés. Le groupe à prix bas et à prix normal ne comprend que des éditeurs de Montréal. Ce fait n'est peut-être pas sans lien avec la constatation faite au cours de notre enquête d'une situation concurrentielle beaucoup plus vive à Montréal qu'à Québec dans le commerce du livre en général.
Dans l'optique d'une action correctrice par l'État, il est important de s'interroger sur les éléments qui expliquent les prix élevés des manuels scolaires canadiens.
Nous n'hésitons pas à affirmer, d'une manière catégorique, que le problème des exigences des auteurs quant aux redevances est la principale cause du niveau élevé des prix. Il fallait s'y attendre. Les éditeurs n'ayant à craindre ni la concurrence, ni un contrôle quelconque des prix, ont pu s'arracher les auteurs à prix d'or et en imposer la note au consommateur et à l'État.
Le tableau VII, ci-dessous, nous montre que certains auteurs, dont plusieurs sont par ailleurs en situation de conflit d'intérêts, ont pu accumuler de véritables fortunes en quelques années sur le dos du contribuable.
Le premier fait à souligner en rapport avec le tableau VII c'est que l'absence de concurrence entre auteurs et éditeurs a permis à un nombre relativement réduit d'auteurs de produire et de faire approuver, dans une matière donnée, l'ensemble des manuels requis par le programme aux divers degrés du primaire ou du secondaire public. C'est le cas par, exemple, des ouvrages de mathématique de Gérard Beaudry, de ceux d'histoire de Gérard Filteau. Ce sont ces véritables monopoles d'auteurs sur l'enseignement public qui expliquent, en bonne part l'importance des redevances versées sur les ouvrages des auteurs en cause.
Un second élément qui affecte sensiblement le montant de redevances reçues c'est le taux des redevances exigées par rapport aux ventes totales. Les cas nombreux de taux variant entre 25% et 40% pour les auteurs mentionnés dans le tableau VII doivent être appréciés, compte tenu du fait qu'en France les redevances sur les manuels scolaires n'excèdent jamais 10% et varient le plus souvent entre 4% et 8%(1).
Dernier commentaire à l'item redevances, le tableau VI montre que tous les éditeurs versent des redevances excessives sur un ouvrage ayant un coût d'impression de $1.00. Ces redevances étant fixées en pourcentage des ventes ou du prix de détail, et les prix étant très élevés dans nombre de cas, ce résultat n'est pas étonnant. La meilleure façon d'apprécier la politique de redevance des diverses maisons est de rapporter les sommes versées en redevances au chiffre des ventes totales d'une maison. Les éditeurs qui exagèrent le plus sur ce point versent les pourcentages de redevances suivants: Éditions du Pélican 33%, Presses Universitaires Laval 26%, Centre de
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(1) Appendice F-III-14
Psychologie et de Pédagogie 25%, Librairie Beauchemin 23%, Éditions Fides 17%. Comme les communautés religieuses ne distinguent pas ou distinguent arbitrairement redevances et profits, il est impossible de préciser cette question dans leur cas.
Le système des redevances payées en pourcentage sur les ventes de l'éditeur ou sur les ventes évaluées au prix de détail a pour inconvénient majeur d'orienter la production des auteurs vers les niveaux élémentaires de l'enseignement où les tirages sont forcément très élevés, au détriment des niveaux d'étude secondaire et supérieur. Aussi, l'enseignement du premier cycle des études universitaires et des collèges classiques est-il aujourd'hui fortement tributaire de manuels de langue anglaise produits aux États-Unis. Les manuels nécessaires à des niveaux d'études avancées, parce qu'ils requièrent plus de connaissances de l'auteur, sont généralement plus rares et plus coûteux à produire. D'autre part, les tirages étant plutôt réduits, l'auteur, qui est payé au pourcentage des ventes, y trouve moins de profit que pour un ouvrage destiné au primaire.
Le tableau VI révèle des différences de frais d'administration considérables d'une maison à l'autre. Ceux des Éditions du Pélican sont deux fois plus élevés que ceux du Centre de Psychologie et de Pédagogie. De même pour les Éditions Fides relativement au Centre Éducatif et Culturel de Montréal.
Ou bien les maisons à frais élevés ont une administration inefficace, ou bien l'imputation comptable qu'elles font à ce poste voile des revenus qui devraient normalement apparaître comme profits résiduels.
Étant donné l'imprécision de plusieurs comptabilités et l'absence de toute comptabilité sérieuse dans la plupart des maisons religieuses, il s'est avéré difficile de cerner de plus près cette question des frais d'administration.
Sur ce point également, les exigences divergent fortement d'une maison à l'autre. Les profits exigés par le Centre Éducatif et Culturel sur un ouvrage dont le coût d'impression est de $1.00 représentent la moitié de ceux que retiennent les Éditions Fides, la Librairie Beauchemin, les Éditions du Pélican et les Presses Universitaires Laval. Ces quatre dernières maisons retiennent en profit un pourcentage variant entre 40% et 60% du capital investi dans leurs stocks d'éditions. Il y a certes lieu d'amener ces maisons à plus de modération, sans pour autant qu'elles se trouvent défavorisées relativement aux autres activités manufacturières. À cet égard, un pourcentage de 25% nous semble tout à fait raisonnable. En tout état de cause, la direction d'une maison sérieuse comme le Centre Éducatif et Culturel qui retient un profit de 22% nous a paru fort satisfaite de ce résultat.
Comme les prix de certaines maisons sont deux fois et davantage plus élevés que ceux d'autres éditeurs, et comme, d'autre part, les remises sont consenties en pourcentage du prix de détail, il suit que les frais de la distribution en librairie varient proportionnellement. La vente en librairie coûte donc deux fois plus et davantage aux Éditions du Pélican et aux Presses Universitaires Laval qu'à la Librairie Hachette, la Procure de la Congrégation Notre-Dame, la Librairie Saint-Viateur, le Centre Éducatif et Culturel, la Librairie Granger et à d'autres encore.
Nous avons fait remarquer plus haut que l'imputation faite par les diverses maisons aux postes frais d'administration et profits peut être approximative, sinon arbitraire. En outre, dans le cas des communautés religieuses, cette imputation est ou bien impossible, ou bien artificielle.
D'autre part, nous avons pu établir clairement, pour les 530 manuels vendus par ces maisons, le coût d'impression, le prix de vente au détail, les remises accordées et les quantités vendues par année.
La différence entre le coût de fabrication et le prix de vente réel, c'est-à-dire, le prix de vente au détail moins la remise, doit nécessairement servir à combler les item suivants: frais d'administration, d'édition, de vente et d'expédition; redevances; profits de l'éditeur. Nous pouvons dire, sans crainte d'erreur, que plus l'éditeur est exigeant pour l'ensemble de ces postes, plus les prix seront élevés. Le tableau VI est, à ce point de vue, fort éloquent. L'on y constate, par exemple, que les Presses Universitaires Laval et les Éditions du Pélican font à cet égard des prélèvements qui sont de 5 à 6 fois plus élevés que ceux d'autres maisons.
Les ventes, ou les profits excessifs, l'anarchie des prix d'un éditeur à l'autre, les nombreux obstacles à une concurrence efficace soulignés plus haut nous obligent de conclure à la nécessité d'un contrôle serré des prix des manuels scolaires édités ici.
Nous discuterons plus loin des modalités du contrôle souhaité. Quoiqu'il en soit sur ce point, il faudra viser à l'abaissement des prix actuels. Comme certaines maisons se sont montrées très raisonnables à cet égard et que d'autres se sont permis tous les excès, la revision [sic] des prix pratiqués doit forcément s'effectuer maison par maison et se guider sur une politique idéale, exprimée concrètement à la façon du modèle théorique contenu dans le tableau VI. Nous ne doutons pas qu'il soit possible d'améliorer les propositions impliquées dans ce modèle. Voilà pourquoi nous n'irons pas jusqu'à en préconiser l'application rigoureuse. Il est néanmoins très intéressant de voir quels seraient, pour chaque maison, les changements de prix que leur imposerait un contrôle axé sur ce modèle et, pour l'État et la collectivité, les économies annuelles qui en découleraient. Ces résultats apparaissent dans le tableau VIII, ci-dessous.
La colonne 6 indique, en pourcentage, le changement du prix de vente au consommateur qui serait demandé aux diverses maisons.
Nous constatons que deux maisons seraient obligées de relever le prix de vente réel. Les autres maisons, soit seize, seraient obligées d'accepter des baisses de prix réel, variant de 1% à 52%.
La colonne 3 donne, pour chaque maison, les ventes annuelles de la période (1960-63) aux prix réels de l'époque. À la colonne 4, nous avons les ventes qu'auraient réalisées ces maisons au prix suggéré dans le modèle théorique. Pour quelques maisons, le chiffre de ventes aurait augmenté. Pour la plupart, il aurait toutefois diminué.
Dans l'ensemble, les contribuables et l'État auraient réalisé annuellement une économie de $1 215 567. La précision de ce chiffre fait quelque peu sourire, eu égard au caractère approximatif de certains renseignements qui sont à la base de notre analyse. Nous tenons néanmoins à le produire pour indiquer clairement qu'il y a moyen, par un contrôle intelligent sur les prix des manuels scolaires, de réaliser des économies substantielles.
III - Relation entre coût de fabrication et tirage
Dans un mémoire soumis publiquement à la Commission d'Enquête le 15 juin dernier, l'Association des Éditeurs canadiens de manuels scolaires préconisait l'abandon de la règle actuelle qui fixe à trois le nombre d'ouvrages pouvant être approuvés pour un programme particulier(1).
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(1) Appendice E-I-4
Elle préconisait, en outre, que l'approbation des ouvrages porte strictement sur la correspondance entre un projet de manuel et le programme d'enseignement décidé. L'autorité officielle en éducation n'aurait donc plus à sélectionner les projets de manuels selon leurs mérites relatifs, cette tâche étant laissée aux utilisateurs, c'est-à-dire, aux enseignants et aux directeurs d'écoles.
Nul doute que cette proposition soit attrayante du point de vue de la liberté de l'enseignement. Quant à la valeur pédagogique des manuels, il est possible d'entrevoir des propositions plus efficaces à court terme et aussi rassurantes à longue échéance. Quoi qu'il en soit, la Commission d'Enquête n'a pas à prendre position sur cet ordre de questions.
La proposition des éditeurs canadiens de manuels scolaires a toutefois des implications économiques non négligeables. Lors de la présentation du mémoire en cause, nous avons fait remarquer aux éditeurs que l'augmentation du nombre d'ouvrages pour un programme donné aurait pour conséquence de réduire le tirage moyen et, peut-être, de relever le coût de fabrication et le prix de vente d'une manière sensible.
Suite à cette remarque, la direction du Centre de Psychologie et de Pédagogie a déposé auprès de la Commission d'Enquête une étude de la relation entre le tirage et le coût de fabrication pour un certain nombre d'ouvrages types(1). Nous avons retenu quatre des ouvrages, au sujet des quels nous avons demandé des prix aux sociétés Harpell Press et Photogravure nationale².
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(1) Appendice F-III-9
(2) Harpell Press a donné des prix pour l'impression seulement. Le coût de fabrication comprend le prix d'impression plus celui des clichés qui, en l'occurrence, est donné par Photogravure nationale. Appendice F-III-10
Le tableau IX, ci-dessous, permet de comparer les estimations fournies par le C.P.P. à celles que la Commission d'Enquête a obtenues.
Nonobstant les différences absolues des prix selon l'une ou l'autre source, nous constatons:
1o que pour les ouvrages contenant plusieurs gravures imprimées en quatre couleurs (item nos 1 et 2), la réduction d'un tirage de 100 000 à 50 000 exemplaires entraîne une hausse du coût de fabrication variant entre 20 et 30%; 2o pour les mêmes ouvrages, une réduction du tirage jusqu'à 25 000 exemplaires implique une hausse des coûts unitaires variant de 50 à 75%; 3o pour les ouvrages comportant des gravures imprimées en noir comme l'item no 4, un tirage réduit à 50 000 exemplaires élève le coût unitaire d'au moins 10%.
Étant donné qu'une augmentation du coût de fabrication se traduit automatiquement par une augmentation proportionnelle des prix de ventes, on ne peut considérer comme négligeables les augmentations de coût indiqués au tableau IX.
Autre circonstance importante, pour un grand nombre, sinon pour la plupart des programmes approuvés au primaire et au secondaire publics, on n'a produit jusqu'à maintenant qu'un ou deux manuels. Et ceci, en dépit du fait que la limite officielle est de trois manuels par programme approuvé. C'est dire, en conséquence, que les prix des manuels qui sont utilisés présentement ont bénéficié de l'avantage de tirages relativement considérables.
Il n'est pas question de renoncer à cet avantage sous la seule présomption que la concurrence entre éditeurs assurerait une meilleure qualité des manuels. La qualité d'un manuel est avant tout affaire de contenu et donc de compétence des auteurs.
Compte tenu des monopoles d'auteurs signalés plus haut, il nous semble beaucoup plus urgent, à cet égard, d'assurer une situation de libre concurrence entre auteurs qu'entre éditeurs. Quant à ceux-ci, leur tâche est de fournir des ouvrages de bonne facture à des prix convenables. Pour y arriver, nous comptons davantage sur un contrôle gouvernemental des prix et des normes de qualité que sur la concurrence. D'autant plus que, selon le tableau IX, les prix seraient sensiblement augmentés par l'accroissement du nombre de manuels approuvés.
IV - Facteurs de désordre
Nous avons constaté que les entreprises d'édition scolaire qui jouissent d'un statut juridique de faveur, relativement aux entreprises purement commerciales, sont une source constante de désordres et de tensions sur le marché du livre en général. Il nous a paru nécessaire d'étudier de plus près trois cas particuliers: celui d'une institution coopérative: le Centre de Psychologie et de Pédagogie; celui des maisons religieuses intéressées à l'édition scolaire; et celui des Éditions Fides et des librairies diocésaines.
1- Le Centre de Psychologie et de Pédagogie comme coopérative d'auteurs
Le Centre de Psychologie et de Pédagogie a été fondé à Montréal en 1944 sous le régime de la loi des syndi-
cats coopératifs de Québec(l). Jusqu'en 1960, le principal des activités du C.P.P. consistait dans l'édition et la vente des ouvrages de ses membres auteurs, qui comptait, en janvier 1960, pour $1 004 475 dans un chiffre de ventes totales de $1 303 152(2). Comme service aux acheteurs de ses propres éditions, sans doute, le C.P.P. avait développé progressivement d'autres activités de vente portant sur les manuels scolaires édités par d'autres maisons ($200 220)(3), les fournitures scolaires ($59 690)(4), le matériel audiovisuel ($23 133)(5). Jusqu'alors, ces activités complémentaires étaient trop peu importantes, dans l'ensemble, pour qu'on puisse dire que le Centre était autre chose qu'une coopérative d'auteurs.
À partir de 1960, le Centre développe vigoureusement deux sortes de commerces qui mettent en question son statut de coopérative d'auteurs. Il s'agit de la vente de matériel audio-visuel par le Centre Audio Visuel Inc. entièrement possédé par le C.P.P. depuis 1959, et de la vente de livres canadiens et étrangers par une librairie créée en 1961.
Dans le rapport financier du 31 janvier 1963 l'on constate que les ventes des éditions du C.P.P. se chiffrent à $1 349 281(6). D'un autre côté, le chiffre d'affaires global s'établit à $2 300 780(7), alors qu'en
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(1) cf Mémoire du C.P.P. Appendice E-1- 8
(2) cf Rapport financier du C.P.P. 1960, Appendice F-III-11, p. 11
(3) Appendice F-III-11, p. 18
(4) Appendice F-III-11, p. 19
(5) Appendice F-III-11, p. 22
(6) Appendice P-III-12, section "Revenus et dépenses", sommaire au 31 janvier 1963
(7) Idem p. 7
1960 le C.P.P. tirait 77% de son revenu annuel de la vente de ses propres éditions, en 1963 ce pourcentage tombe à 56%, bien que les ventes de ces éditions aient augmenté de $350 000. en chiffres absolus.
On ne peut plus dire maintenant que le C.P.P. est resté une coopérative d'auteurs. Dans le rapport financier du 31 janvier 1963 l'on voit que ses ventes de matériel audiovisuel sont de $254 164. et que celles de sa librairie s'établissent à $668 191. dont $370 083. de manuels scolaires canadiens autres que ceux du C.P.P., et $298 107. de manuels européens et de littérature en général. Et ces deux commerces n'ont absolument rien à voir avec le régime de la coopérative. Le C.P.P. vend des ouvrages et du matériel audiovisuel qui ne sont pas produits par ses membres et qui sont achetés, d'autre part, par des institutions et des individus qui ne sont pas membres du C.P.P. Dans ces deux domaines, le C.P.P. mène des activités qui ne relèvent ni de la coopérative de production ni de la coopérative de consommation.
De ce fait, nous considérons que le C.P.P. viole l'esprit et la lettre de la loi des syndicats coopératifs sous le régime duquel il a été créé. En effet, l'article 6 de cette loi stipule:
"La société a pour but l'étude, la promotion et la défense des classes laborieuses. Pour atteindre ses fins, elle peut acheter, pour les revendre à ses associés seulement, les choses nécessaires aux besoins de leur vie ou aux travaux de leur industrie, leur ouvrir des crédits et leur faire des prêts; établir pour les sociétaires des travaux en commun, ou leur permettre de se livrer à des opérations de production, et d'en vendre les produits, soit collectivement, soit individuelle-
[p. 84]ment; s'il s'agit d'une société de crédit, recevoir pour les faire fructifier les économies de ses membres.
La société, malgré les restrictions résultant de la circonscription territoriale, peut faire avec toute personne, corporation ou association volontaire, toutes les opérations requises pour assurer le bon fonctionnement et la réalisation de son but; mais, toutes les activités productives ou avantageuses de la société étant essentiellement coopératives sont exclusivement restreintes aux sociétaires.
Ces activités coopératives ne sont pas réputées constituer l'exploitation d'un commerce, d'un établissement financier ou d'un moyen de projet".Nous pensons qu'il résulte de ces dispositions qu'une société coopérative d'édition, régie par la loi des Syndicats coopératifs, ne peut se livrer à la vente de livres autres que ses propres éditions. Le premier paragraphe de l'article 6 stipule qu'une société coopérative peut se livrer à des opérations de production et en vendre les produits. Il limite donc les activités de vente d'une telle société à ses propres produits.
On pourrait objecter que le deuxième paragraphe du même article permet à cette société de faire toutes les opérations requises pour assurer le bon fonctionnement et la réalisation de son but. Cette disposition ne lui permet pas, toutefois, de faire des opérations excédant les limites déterminées par le premier paragraphe. Elle restreint les pouvoirs de la société aux seules opérations nécessaires pour atteindre les buts déterminés par le premier
paragraphe, c'est-à-dire, à l'achat des immeubles et des biens d'équipement requis pour que la société puisse vendre ses propres produits. Prétendre que le deuxième paragraphe autorise la société d'aller au-delà des buts déterminés par le premier paragraphe conduirait à l'absurde.
En effet, le deuxième paragraphe permet de faire les opérations qui y sont mentionnées, sans tenir compte des restrictions résultant de la circonscription territoriale prévue à l'article 2, alors que ces restrictions s'appliquent au premier paragraphe. Il serait absurde de prétendre qu'une société coopérative ne peut vendre ses produits que dans une circonscription territoriale, et qu'elle peut vendre d'autres biens qu'elle ne produit pas sans tenir compte de ces restrictions. Il est, au contraire, facilement concevable qu'on permette à cette société d'acheter des biens d'équipement en dehors des circonscriptions territoriales déterminées à l'article 2.
Outre cette argumentation purement légaliste, il faut avoir à l'esprit les finalités supérieures poursuivies par la loi.
En effet, c'est en vue d'aider les économiquement faibles que le législateur de la Province a permis le développement des institutions coopératives et qu'il leur a accorde certains privilèges dont le principal est l'exonération fiscale concédée quant aux ristournes distribuées aux membres.
Mais, en même temps, et en conséquence de ce régime de faveur, le législateur a cru nécessaire de limiter d'une manière précise les pouvoirs des coopératives. Il craignait, sans doute, que les privilèges concédés conduisent les coopératives à faire une concurrence inégale à d'autres agents économiques ne jouissant pas des mêmes avantages.
C'est ainsi qu'en vertu de la loi des sociétés coopératives de pêcheurs, ces sociétés n'ont le pouvoir que de vendre leur propre production. Les sociétés coopératives agricoles régies par la loi des sociétés coopératives agricoles ne peuvent acheter et vendre que des produits agricoles ou des objets utiles à la classe agricole. C'est enfin pour la même raison que la loi des syndicats coopératifs limite à leur propre production les opérations de distribution que peuvent faire les sociétés régies par cette loi.
En se livrant à des activités de distribution de livres non produits par ses membres auteurs, en fondant une librairie de détail, en créant le "Centre Audio-Visuel Inc." une institution qui achète et vend du matériel audiovisuel produit et acheté par des agents autres que ses membres, le Centre de Psychologie et de Pédagogie a violé, tant sur le plan de la technique que de la finalité poursuivie par le législateur, la loi des syndicats coopératifs en vertu de laquelle il était et demeure régi. Le Centre de Psychologie et de Pédagogie devrait choisir entre l'institution coopérative et rester dans les limites de ses pouvoirs, ou l'institution capitaliste et ne pas bénéficier des avantages conférés aux coopératives.
En conséquence, nous recommandons que le Gouvernement prenne les mesures nécessaires pour que le Centre de Psychologie et de Pédagogie n'excède pas les pouvoirs qui lui sont conférés par la loi et, partant, qu'il restreigne ses activités à la production et à la vente des ouvrages ou du matériel audiovisuel de ses membres auteurs ou, sinon, qu'il perde son statut de coopérative et les privilèges y afférant.
Cependant, au cours de la dernière session, le législateur québécois a modifié un certain nombre de
nos lois coopératives. Il a surtout édicté la loi des associations coopératives. Cette loi permet au Secrétaire de la Province, après avoir pris l'avis du Conseil de la Coopération, d'autoriser la formation d'une association coopérative pour toutes fins économiques, à l'exception: a) des fins pour lesquelles une caisse peut être formée en vertu de la loi des caisses d'épargne et de crédit; b) de l'exploitation d'un hôpital; c) de la construction et l'exploitation d'un chemin de fer; d) des affaires d'assurance et de fidéicommis.
Pour la première fois, le législateur québécois n'a pas mentionné dans une loi concernant des institutions coopératives, des limites précises aux activités économiques d'une coopérative. La généralité des termes employés dans l'article 3 de cette loi (pour toutes fins économiques), peut s'expliquer par le désir de grouper dans une même loi organique la plupart de nos institutions coopératives.
En vertu de cette loi des associations coopératives, un certain nombre d'institutions, qui étaient autrefois régies par des lois distinctes, seront à l'avenir régies par cette loi. Les coopératives régies par la loi des syndicats coopératifs demeurent cependant régies par cette loi. Ils ont néanmoins la possibilité d'être régies par la loi des associations coopératives, en faisant une demande cet effet au Secrétaire de la Province.
C'est ainsi que le Centre de Psychologie et de Pédagogie, qui est une institution coopérative régie par la loi des syndicats coopératifs, a cependant la possibilité d'être régi par la loi des associations coopératives. Il suffirait qu'il adresse une demande au Secrétaire de la Province dans laquelle il mentionnerait les fins qu'il désire poursuivre. S'il mentionnait, parmi ces fins, l'exploitation d'une librairie de détail et si le Secrétaire de la Province approuvait sa demande, il obtiendrait ainsi le pouvoir
de se livrer à cette activité tout en bénéficiant des avantages fiscaux accordés aux institutions coopératives.
L'examen des faits que nous avons constaté au cours de notre enquête nous a permis de percevoir les dangers qu'il y a d'accorder à des institutions coopératives bénéficiant d'avantages fiscaux, les mêmes pouvoirs que ceux qui peuvent être accordés à des corporations commerciales. Nous avons réalisé que la plupart des entreprises privées dans le commerce du livre n'étaient pas en mesure de subir la concurrence du Centre de Psychologie et de Pédagogie et qu'un certain nombre de ces entreprises étaient menacées de disparaître. Nous croyons que cette situation est mauvaise sur le plan de la justice sociale et qu'elle est de nature à défavoriser l'existence d'une saine concurrence.
Le législateur québécois a sans doute été conscient du problème, puisque l'article 74 de la loi des associations coopératives stipule que l'activité coopérative d'une association n'est pas réputée constituer l'exploitation d'un commerce ou d'un moyen de profit. Il n'en de meure pas moins que la généralité des termes employés dans l'article 3 de la même loi permet d'accorder des pouvoirs considérables à des coopératives. Le Conseil supérieur de la coopération, en donnant son avis au Secrétaire de la Province, et ce dernier, en autorisant la formation d'une association coopérative, devraient faire preuve de beaucoup de prudence et ne pas accorder à celle-ci le pouvoir de se livrer à plusieurs activités économiques. Nous pensons qu'on ne devrait permettre aux coopératives de producteurs que des activités de production et de distribution de leurs produits, à une coopérative de consommateurs, des activités de consommation, à une coopérative de distributeurs, des activités de distribution, et à une coopérative d'épargnes, des activités d'épargnes.
Dans le cas où une association coopérative demande des pouvoirs plus étendus, nous sommes d'avis que le Secrétaire de la Province ne les lui accorde qu'après avoir donné des avis publics permettant aux intéressés d'exprimer leur opinion, et après avoir fait étudier les implications économiques ou commerciales qui pourraient en résulter. Cette étude pourrait être faite par des économistes à l'emploi du Secrétaire de la Province.
Nous recommandons donc:
Indépendamment de la question purement juridique, cette recommandation nous apparaît justifiée,
1o que le Gouvernement de la Province prenne les mesures nécessaires pour que le Centre de Psychologie et de Pédagogie n'excède plus ses pouvoirs ou ne bénéficie plus des avantages fiscaux accordés aux coopératives; 2o qu'on ne permette, en principe, à des associations coopératives qu'une seule activité économique, que ce soit une activité de production et de distribution de ses produits, une activité d'épargne, une activité de consommation ou une activité de distribution. 3o qu'on ne permette à des association coopératives de se livrer à plus d'une activité économique, qu'après avoir donné des avis publics permettant aux intéressés d'exprimer leur opinion et qu'après avoir fait étudier, par des économistes à l'emploi du Secrétaire de la Province, les implications économiques et commerciales susceptibles d'en résulter.
d'autre part, pour deux raisons relatives au bon ordre du commerce du livre.
1o Il est évident que l'extension indéfinie des activités du C.P.P. dans le commerce du livre et du matériel audiovisuel aurait rapidement pour conséquence de lui donner une position de puissance comme fournisseur des institutions d'enseignement. N'oublions pas que le C.P.P. a vendu jusqu'à maintenant des fournitures scolaires de toutes sortes. Si l'on admet définitivement son commerce de librairie, rien ne l'empêche d'exploiter sérieusement la vente des fournitures scolaires. Nous croyons que cette diversification de ses activités de vente auprès des institutions d'enseignement tend à favoriser le C.P.P. dans la diffusion des ouvrages de ses membres auteurs. Il est administrativement plus simple, pour la direction d'une école ou d'une commission scolaire, de couvrir l'ensemble de ses besoins chez le même fournisseur. Outre qu'elles bénéficient ainsi d'un abaissement des coûts de distribution, les éditions du C.P.P. s'assurent d'un marché plus vaste que celui qu'elles auraient si le Centre se limitait à ne vendre que ses propres produits.
2o Le premier chapitre de ce rapport a démontré que les auteurs, membres du C.P.P. ont en général réalisé rapidement des revenus nets considérables et, souvent, grâce à des situations inconvenantes. Pour le C.P.P. l'édition scolaire est une activité très confortable. Au cours de l'exercice financier 1962-63, elle lui a rapporté un surplus net de $376 266. 72(l) qui représente 62% de l'investissement, ou encore, du coût de fabrication des ouvrages vendus, et 28% du
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(1) Appendice E-III-11. Sommaire des revenus et dépenses au 31 janvier 1963
chiffre de vente des mêmes ouvrages. Fort de ses gains anormalement élevés, le Centre, comme éditeur, est dès lors en excellente position financière pour entreprendre une guerre d'élimination des rivaux sur le marché du livre acheté par les institutions scolaires. Tout le monde sait qu'il en a profité dès 1961 pour conduire une guerre de remise qui a poussé les libraires à demander la présente enquête. Nous discuterons en détail, plus loin, du comportement du C.P.P. à ce moment. Pour l'instant, nous croyons important de souligner que, dans cette guerre, le C.P.P. a joui d'une force financière qui lui venait, en bonne part, de ses privilèges normaux de coopérative et, pour le reste, des situations anormales dénoncées dans le premier chapitre. Cette force financière lui a permis de faire une lutte inégale qu'il n'aurait probablement pu engager autrement. Son rapport financier du 31 janvier 1963 laisse voir, en effet, que la marge brute réalisée sur les ventes des livres importés d'Europe est de 25%; une fois déduits tous les frais d'opération, la vente des livres importés donne lieu à une perte de $20 756. 37(l), soit près de 10%o du coût des marchandises vendues. Cette perte est celle qui apparaît officiellement dans le rapport du C.P.P.
Quoi qu'il en soit de l'estimation des pertes subies par la librairie du C.P.P. en 1962, on ne voit pas comment un libraire qui n'a que ses moyens financiers de libraire pour concurrencer ses rivaux prendrait l'initiative, dès la fondation de son commerce, d'une guerre de prix qui l'expose à des pertes non négligeables. Nous considérons que le C.P.P. a non seulement outrepassé ses pouvoirs en développant sa librairie, mais qu'il s'est lancé dans ce commerce en concurrent déloyal, abusant d'une
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(1) Appendice F-III-12. Sommaire des revenus et dépenses au 31 janvier 1963
puissance financière obtenue en partie grâce aux situations irrégulières de plusieurs de ses auteurs, membres de divers organismes au D.I.P. Il y a là, à notre sens, un motif supplémentaire important d'insister vigoureusement pour que notre recommandation soit rapidement appliquée.
En outre, s'il veut jouir du statut et des privilèges d'une coopérative, le Centre de Psychologie et de Pédagogie doit établir clairement qu'il est, d'une manière exclusive, une coopérative de producteurs, c'est-à-dire, en l'occurrence, d'auteurs-éditeurs. À cet égard, les règlements actuels du C.P.P. sont loin d'être satisfaisants. Au chapitre II de ces règlements, tels que revisés [sic] le 24 mars 1959 et modifiés le 30 mars 1962, on lit ce qui suit(1):
6- Catégories
La société est constituée de deux catégories de sociétaires: les membres actifs et les membres auxiliaires.
7- Membres actifs
b) Pour devenir membre actif, il faut:
2 - s'engager à observer les règlements de la société;
4 - être accepté par le Comité exécutif.
8- Membres auxiliaires
Les mineurs et les femmes mariées peuvent devenir membres auxiliaires. Ils ont le même statut que les membres actifs; toutefois, ils ne peuvent ni voter ni remplir aucune charge.
D'après des listes de sociétaires(l) qu'il a lui-même fournies à la Commission d'Enquête, le C.P.P. compte présentement 668 sociétaires, dont 63 seulement sont auteurs. Parmi les 605 autres sociétaires, on compte 159 personnes qui enseignent ou qui occupent des postes importants dans le système d'enseignement primaire ou secondaire.
Étant donné que le C.P.P. est principalement une entreprise produisant des manuels scolaires pour les degrés primaires [sic] et secondaires [sic], et que cette entreprise a un intérêt immédiat à augmenter au maximum les ventes de sa production dans le système d'enseignement, nous considérons anormale la possibilité qui est donnée au C.P.P. de recruter des sociétaires au sein des institutions qui peuvent éventuellement acheter ses produits. Grâce à cette catégorie de sociétaires, le C.P.P. est en mesure d'influencer éventuellement les utilisateurs des manuels scolaires en faveur de ses propres produits. Il y a là, à notre sens, un élément de concurrence déloyale à l'égard des autres éditeurs de manuels scolaires.
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(1) Appendice F-III-13
En outre, le C.P.P. étant une coopérative d'auteurs-éditeurs nous ne voyons pas comment il peut se justifier d'avoir des membres non auteurs.
En conséquence, nous recommandons qu'en outre d'obliger le C.P.P. , comme coopérative, à restreindre ses activités à la production et à la vente des ouvrages ou du matériel audiovisuel de ses membres auteurs, le Gouvernement prenne les mesures nécessaires pour que cette coopérative n'ait d'autres membres que des auteurs éditant par l'intermédiaire de la coopérative soit des ouvrages, soit du matériel audiovisuel, ou sinon, que le C.P.P. perde son statut de coopérative et les privilèges y afférant.
Selon le tableau IV, ci-dessus(l) la moitié des éditeurs de manuels scolaires sont des communautés religieuses. Pour la période 1960 à 1962, ces communautés ont réalisé 35% du chiffre d'affaires de tous les éditeurs retenus dans ce tableau. Nous avons, d'autre part, démontré l'existence de 18 procures appartenant à des communautés enseignantes et faisant du commerce de librairie.
Sauf pour les Éditions Fides, nous n'avons pu relever aucun cas où les activités d'édition ou de librairie d'une communauté religieuse seraient dissociées juridiquement de la communauté elle-même. Par conséquent, ces commerces d'édition et de librairie jouissent tous des exonérations prévues pour les communautés quant à
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(1) Voir page 62
l'impôt sur les revenus et les profits et, pour la très grande majorité, des exemptions quant à l'impôt foncier local. Plusieurs mémoires ont mis en question ces privilèges¹.
Sur le plan strictement commercial, cette confusion crée une situation de concurrence inégale jouant au détriment des éditeurs qui ne bénéficient pas du même régime de faveur fiscale. Contre cette conclusion qui nous semble évidente, les auteurs du mémoire présenté à la Commission d'Enquête par le Centre Pédagogique des Frères des Écoles Chrétiennes² argumentent comme suit:
"Chaque année, il nous faut pourvoir l'Administration provinciale de nos Frères d'un montant de $25 000. pour soutenir nos oeuvres apostoliques au Cameroun et permettre à nos missionnaires de revenir périodiquement au pays pour y refaire leur santé.-----Dans nos maisons de formation, nous dépensons des sommes énormes pour l'entretien de nos propriétés, l'instruction et la pension de nos jeunes sujets, et cela, grâce aux économies réalisées par nos religieux et aux bénéfices obtenus dans le commerce de notre librairie. Il faut savoir l'exploitation dont les communautés religieuses sont victimes et le peu de dédommagement qu'elles retrouvent dans les finances rapportées par un nombre décroissant de sujets qui persévèrent dans la vie religieuse.
De plus, jusqu'à ces dernières années, ne nous a-t-il pas fallu compenser largement les mai-
gres salaires que daignaient accorder à nos Frères les commissions scolaires qui bénéficiaient de leurs services.Certains esprits laïcisants ou peu réfléchis tentent de plus en plus de promouvoir l'idée que les salaires, ayant été sensiblement augmentés pour les religieux enseignants, il semble que les librairies sous leur direction n'ont plus leur raison d'être. Et pourtant, ne faut-il pas convenir que s'il est vrai que les salaires donnés aux religieux sont meilleurs il n'est pas moins certain qu'un recrutement de vocations assez nombreux s'impose pour leur permettre de gagner les finances nécessaires pour couvrir leurs dépenses d'administration sans cesse grandissantes. Or, nous constatons que les jeunes religieux sont de moins en moins nombreux et que leurs études coûtent de plus en plus cher. Les Frères âgés augmentent en proportion inverse du recrutement des jeunes, d'où des frais d'entretien sans cesse plus considérables. Il n'existe pas de fonds de pension pour nos vieillards retraités après 65 ans et souvent même avant. Les supérieurs majeurs comptent sur les revenus de leur librairie pour défrayer une certaine partie de l'administration provinciale que les taxes prélevées sur les salaires de leurs religieux enseignants ne peuvent rencontrer.
À noter que ces remarques au sujet du commerce exercé dans notre Province conviennent également à toutes les communautés religieuses qui dirigent des maisons semblables à la nôtre.
Nous ne pouvons croire que le gouvernement provincial endossera les constatations de ces gens qui, de bonne foi, croiraient normal que nous soit enlevé le droit de nous procurer un supplément de revenus nécessaires pour assurer le maintien et le développement de nos oeuvres éducatives et apostoliques. En définitive, les communautés religieuses ne constituent-elles pas le syndicat idéal de professionnels dont la formation coûte extrêmement bon marché à la Province, et qui, toutes proportions gardées, se montrent peu exigeants dans ses réclamations et ne menacent jamais les autorités scolaires de grèves syndicales pour augmentation de salaires.Nous ne pouvons qu'être sympathiques au principe défendu par ce mémoire, à l'effet que les communautésCombien de gens ignorent que si les Frères enseignants recevaient le même salaire que les séculiers, il en coûterait $6 600 000. de plus à la Province annuellement. Si les soeurs avaient le même salaire que les institutrices, ce serait un déboursé de $4 920 000. de plus. Donc un total sauvé à la Province par les religieux et les religieuses annuellement: $11 520 000. N'est-ce pas que c'est une jolie contribution aux impôts qu'on nous reproche de ne pas payer? Pourquoi faudrait-il qu'en plus des économies dont nous gratifions la Province, il nous faille perdre cette source de revenus indispensables pour faire honneur à toutes nos obligations financières? Les bénéfices que le commerce de notre librairie nous permet de gagner sont honnêtes et indispensables."
religieuses enseignantes aient des revenus suffisants pour assumer leurs obligations dans le système d'enseignement.
Nous croyons, cependant, qu'il est erroné et socialement dangereux de défendre cette cause en acceptant, d'une part, que les enseignants religieux soient moins rémunérés que les enseignants laïcs et en revendiquant, d'autre part, un régime fiscal et des revenus de faveur dans des activités commerciales de tous genres. Avec semblable système, on s'expose à recruter des enseignants religieux de préférence aux enseignants laïcs pour des raisons qui n'ont rien à voir avec la compétence relative des candidats et, d'un autre côté, à favoriser l'utilisation de manuels scolaires édités par des religieux pour des motifs étrangers à la valeur intrinsèque de ces ouvrages, dans la mesure où la communauté religieuse éditrice retransmet sous forme de prix relativement bas les privilèges fiscaux dont elle bénéficie. Si, par ailleurs, la communauté religieuse éditrice respecte les prix pratiqués par des maisons purement commerciales, elle bénéficie alors de revenus nets anormalement élevés qui lui donnent une position financière privilégiée sur le marché de l'édition. Dans un cas comme dans l'autre, la partie est inégale au point de vue de l'éditeur qui ne jouit pas des privilèges fiscaux des communautés religieuses.
Nous recommandons, en conséquence, que le Gouvernement prenne les mesures nécessaires pour que les activités d'édition et de librairie des communautés religieuses enseignantes soient juridiquement dissociées de la communauté et donnent lieu à la création de corporations distinctes non exemptes des impôts sur le profit et des impôts fonciers locaux.
Une fois détachées juridiquement des communautés, bien que propriétés de celles-ci, ces maisons
d'édition ou ces librairies pourront plus facilement se transformer et cesser d'être en quelque sorte des commerces "fermés".
Il est souhaitable, en effet, qu'en plus d'être juridiquement distincts des communautés religieuses, ces commerces d'édition scolaire publient les ouvrages d'enseignants d'autres communautés et d'enseignants laïcs. Et ceci, parce que toutes les communautés religieuses éditrices de manuels scolaires dirigent encore en même temps un bon nombre d'écoles primaires et secondaires dans la Province. De ce fait, elles sont en position pour exclure la concurrence de manuels éventuellement meilleurs que ceux qu'elles éditent elles-mêmes.
D'aucuns préconiseraient peut-être, pour cette raison même, que les communautés religieuses s'abstiennent de tout commerce d'édition et de librairie. Mais, dans l'éventualité d'un contrôle gouvernemental efficace des prix et des normes de qualité des manuels scolaires, nous croyons que le principal inconvénient de la présence d'une communauté religieuse dans le domaine de l'édition scolaire est fortement réduit, si la maison d'édition possédée par la communauté publie par ailleurs les ouvrages de laïcs et d'autres enseignants religieux. Une recommandation plus radicale ayant pour effet de réduire l'intérêt des communautés comme telles dans l'édition risquerait de priver l'enseignement public de la contribution d'auteurs nombreux et valables.
Au nom de l'égalité concurrentielle de tous les éditeurs de manuels scolaires et de tous les libraires, nous avons recommandé que les commerces d'édition et les librairies possédés par les communautés religieuses ne jouissent d'aucun privilège fiscal. C'est dire, par exemple, que nous nous objectons à ce que ces commerces soient incorporés sous la troisième partie de la loi des compagnies, ou comme sociétés sans but lucratif.
Les commerces d'édition et de librairie sont, comme tels, des activités dont le but n'est ni religieux, ni philanthropique. Qu'ils soient, dans certains cas, possédés ou contrôlés par des maisons religieuses ne change rien à la nature de ces activités. La question de convenance mise à part, personne n'oserait soutenir qu'un champ de course ou qu'une entreprise de transport, du fait d'être possédés par une communauté religieuse sont, pour autant, des activités à buts religieux devant être par conséquent exonérées des impôts. Le problème n'est pas fondamentalement différent dans le cas de la librairie et de l'édition scolaire.
La maison Fides est incorporée en vertu de la troisième partie de la loi des compagnies et, par conséquent, exempte des impôts sur les profits¹.
Nous admettons, en principe, qu'une maison d'édition qui s'en tiendrait à publier des ouvrages de piété et de doctrine en matière de spiritualité, de théologie, de morale religieuse, et qu'une librairie qui se limiterait à la diffusion des ouvrages de même nature, bénéficient des exonérations fiscales prévues pour les activités religieuses ou philanthropiques. Mais, dans la mesure où cette maison d'édition ou cette librairie publient et diffusent des ouvrages de toute nature qui n'ont rien à voir directement avec la religion, nous croyons qu'elles n'ont aucun droit aux privilèges en question.
C'est, à notre avis, le cas pour les Éditions Fides. Cet éditeur libraire fait une activité d'édition et
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(1) Appendice F-III-15
de librairie qui ne connaît aucune limite et qui n'est en aucune façon restreinte au domaine purement religieux. Sa constitution prévoit que Fides a pour but de diffuser et de produire tout ce qui entre dans la catégorie des "bons livres". Cette déclaration d'intention ne lui donne aucun droit aux privilèges qui lui ont été consentis. Autrement, l'état admettrait implicitement que les éditeurs et les libraires, ne jouissant pas des mêmes privilèges, peuvent produire et diffuser des ouvrages n'entrant pas dans la catégorie des "bons livres". Conclusion plutôt embarrassante pour l'État et odieuse pour les autres éditeurs et libraires.
La Province compte, en outre, un certain nombre de librairies catholiques, généralement établies dans la ville diocésaine et possédées par l'évêque du lieu. Toutes ces librairies ne paient aucun impôt sur le profit et, le plus souvent, aucun impôt foncier. Pour la plupart, elles font un commerce de librairie générale. Elles sont, à notre avis, dans le même cas que la maison Fides.
En conséquence, nous recommandons:
Cette recommandation s'impose, d'autre part, pour éviter le problème d'un emprisonnement culturel dans les petites villes où il ne peut y avoir, du point de vue de la rentabilité commerciale, qu'une seule librairie générale. Fides, par exemple, a créé des succursales dans plusieurs petites localités de la Province, comme Amqui, Sept-Iles, Rimouski. À moins d'aller s'approvisionner ailleurs, les populations de ces endroits sont soumises aux critères de discrimination de Fides en ce qui regarde les "bons livres" et les autres. Il y a, dans cette situation, quelque chose de malsain et d'absolument contraire aux principes élémentaires de la liberté du consommateur en matière culturelle.
1o que le Gouvernement prenne les dispositions pour que tous les commerces d'édition et de librairie contrôlés par des intérêts religieux soient incorporés, comme entreprises à but lucratif; 2o que le privilège d'une incorporation sous la troisième partie de la loi des compagnies et que le statut d'une société sans buts lucratifs ne soient concédés aux éditeurs ou libraires à buts religieux, qu'à la condition que ceux-ci s'en tiennent strictement à la publication et à la diffusion d'ouvrages de piété
[p. 102]et de doctrine en matière de théologie, de spiritualité et de morale religieuse.
Contre nos recommandations concernant les communautés religieuses éditrices et les librairies catholiques, on argumenterait peut-être qu'il n'est pas tenu compte suffisamment du désintéressement pécuniaire des communautés et des intérêts religieux qui sont dans le champ de l'édition et de la librairie. Semblable objection n'a rien à voir, selon nous, avec la question soulevée dans ces recommandations. Bien sûr que, dans le domaine des activités purement religieuses, les maisons religieuses sont désintéressées. Nous soutenons toutefois que tel n'est pas le cas lorsqu'elles entrent de plein pied dans des activités qui ne sont pas, comme telles, des activités religieuses ou charitables. À témoin, les prix très élevés que la Librairie des Écoles et le Centre Pédagogique ont fixés pour leurs éditions scolaires. Au besoin, ces institutions n'hésitent pas à utiliser des méthodes commerciales du type monopolistique. Telle cette entente intervenue en 1953 entre la Corporation des Éditions Fides et la Cor-
poration des Frères de l'Instruction Chrétienne, entente en vertu de laquelle les deux institutions se partagent le marché de la revue scolaire et s'interdisent mutuellement d'envahir le marché du voisin¹.
Les Frères de l'Instruction Chrétienne éditent une revue qui s'adresse aux élèves de la 8e à la 12e année et qui, à l'époque, avait pour titre "Feuilles volantes". Quant à Fides il publiait la revue "L'Élève" qui s'adresse aux élèves de la 3e à la 7e année. Les deux maisons ont convenu ce qui suit:
I - La Corporation des Frères de l'Instruction Chrétienne s'engage:
2o à communiquer à Fides la liste des institutions qui reçoivent les revues "Les Feuilles volantes" de 3e à 7e année durant la présente année scolaire ainsi que les quantités pour chaque classe;
3o à mentionner dans la revue "L'École" le fait que "Feuilles volantes" ne paraissent plus pour les classes de 3e à 7e année, et à conseiller aux personnes qui les recevaient de s'abonner à la revue "L'Élève".
II - La Corporation Fides s'engage:
2o à ne publier dans la revue "Le Maître" que des articles en relation avec la revue "L'Élève";
3o à remettre à la Corporation des Frères de l'instruction Chrétienne un montant de $0. 075 pour chaque abonnement annuel à la revue "L'Élève" de 3e à 7e année, ou un montant proportionnel dans le cas des personnes qui n'achètent pas tous les numéros. Le montant dû sera versé de la façon suivante: deux tiers le premier novembre, un sixième le premier février, le solde le 30 juin.
Il n'est pas de notre compétence d'apprécier l'effet ultérieur, sur la valeur pédagogique des revues en cause, de cette entente ayant pour but d'éliminer la concurrence.
Nous pouvons toutefois dire que, du point de vue commercial, cette entente fut une bonne affaire pour les deux parties. Les Frères de l'Instruction Chrétienne en ont tiré des redevances d'environ $100 000¹.
Quant aux profits tirés de "L'Élève" par Fides, d'après les rapports annuels des opérations de la Société Fides, ils s'établissent comme suit²:
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(1) Appendice F-III-17
(2) Appendice F-III-18
Année | Ventes annuelles |
Surplus net de l'exercice |
1953-54 | $ 384 396.34 | $ 99 606.50 |
1954-55 | 366 509.73 | 99 478.25 |
1955-56 | 372 482.97 | 110 357.14 |
1956-57 | 400 936.59 | 120 119.70 |
1957-58 | 434 827.45 | 134 275.09 |
1958-59 | 467 884.55 | 158 343.51 |
1959-60 | 494 728.42 | 184 474.01 |
1960-61 | 489 228.81 | 118 492.15 |
1961-62 | 499 776.60 | 117 186.93 |
1962-63 | 450 044.74 | 62 593.38 |
Total | $ 4 356 816.20 | $ 1 204 927.15 |
Ce surplus net d'opération de $1.2 millions représente 27.6% des ventes accumulées de dix ans.
La direction de Fides soutient que ces chiffres quant au surplus de "L'Élève" sont exagérés du fait que la comptabilité qui les a établis a réparti, sur l'ensemble des impressions de livres de la maison, la dépréciation d'un immeuble et de l'équipement d'imprimerie qui, en fait, devrait être imputé principalement à "L'Élève".
On nous a donc fourni une autre série de chiffres corrigeant cette imputation et réduisant les surplus nets de "L'Élève" à $674 304. sur dix ans¹.
Nous tenons à faire remarquer que ni les chiffres tirés des rapports financiers originaux ni les chiffres corrigés qu'on nous a remis ensuite ne sont basés sur une évaluation directe des coûts de fabrication et d'édition de "L'Élève". Les deux estimations renferment, à l'item dépenses, un montant annuel d'environ $20 000. qui vient d'une répartition de l'ensemble des frais généraux de la maison Fides au prorata du chiffre d'affaires de ses divers services. Si l'on veut estimer les coûts spécifiques de la revue, il faudrait reviser [sic] également cette imputation.
Nous profitons de cette discussion pour faire remarquer que la comptabilité des petites comme des grandes maisons est très insuffisante. Dans les maisons qui ont plusieurs services, librairie de gros, librairie de détail, succursales, éditions, etc, jamais la comptabilité ne permet d'évaluer la rentabilité d'un service particulier. Et ceci, en raison d'un système arbitraire quant à l'imputation des frais généraux et des frais fixes entre les divers services. On se demande, dans ces conditions comment il est possible d'assurer une croissance rationnelle à ces services.
Quant à ce débat sur l'imputation des frais de dépréciation de l'immeuble et de l'équipement de l'imprimerie de Fides, notons que cet équipement a coûté au grand total $1 000 574. 12. Même si, par des artifices comptables, on parvenait à démontrer que les surplus de "L'Élève", compte tenu de la dépréciation de l'équipement
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(1) Appendice F-III-19
et de l'immeuble, se réduisent, à $100 000. sur dix ans, l'on pourrait toujours dire que, grâce à la revue, Fides a complètement amorti en dix ans une imprimerie valant un million de dollars. Ce qui n'est pas une si mauvaise affaire.
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17-05-2016
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