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Sources imprimées

* * *

1950

xxx. Code scolaire de la province de Québec contenant la loi de l'instruction publique conforme au chapitre 59 des Statuts refondus de la province de Québec, 1941, tel qu'amendé jusqu'au 1er juillet 1950. Québec, s.n., 1950. 679 p.

"15. Le surintendant peut retenir la subvention de toute municipalité ou institution d'éducation qui ne lui a pas transmis les rapports prescrits par la présente loi, qui a adopté ou permis l'usage de livres de classe non autorisés, ou qui a refusé ou négligé d'observer quelqu'une des dispositions de la loi ou des règlements concernant l'instruction publique. (p. 19).

[...]

Des comités du conseil de l'instruction publique.

[...]

30. Chacun des deux comités doit approuver les livres de classe, cartes, globes, modèles, ou objets quelconques utiles à l'enseignement pour l'usage des écoles de sa croyance religieuse, et, quand il le juge à propos, il peut retirer l'approbation qu'il a donnée. (p. 27)

[...]

221. Il est du devoir des commissaires et des syndics d'écoles:

[...]

4. D'exiger que, dans les écoles sous leur contrôle, on ne se serve que de livres autorisés qui doivent être les mêmes pour toutes les écoles de la municipalité. S'ils requièrent les services d'une congrégation catholique enseignante, il est loisible aux commissaires ou syndics d'écoles de faire un contrat avec elle relativement aux livres dont on se servira dans les écoles confiées à cette congrégation; pourvu, toutefois, que ces livres fassent partie de la série approuvée par le comité catholique du conseil de l'instruction publique. Le curé ou le prêtre desservant de l'église catholique romaine a le droit de faire le choix des livres ayant rapport à la religion et à la morale pour l'usage des élèves de sa croyance religieuse, et le comité protestant a les mêmes pouvoirs en ce qui concerne les écoles protestantes;* (p. 117).

[Note infrapaginale] *Jugé: - Que les commissaires d'écoles, dans un contrat avec une communauté religieuse, ne peuvent se soustraire aux règles générales de la loi de l'Instruction publique. La commission des écoles catholiques de Montréal vs St-Denis. - 19 B.R., p. 322.

[...]

15. De fournir, s'il y a lieu, des livres de classe aux enfants des indigents qui fréquentent les écoles sous leur contrôle, ces livres devant être payés à même le fonds scolaire de la municipalité; (p. 121).

[...]

222. Il est loisible aux commissaires ou syndics, avec l'approbation préalable du surintendant, de mettre gratuitement à la disposition des enfants, fréquentant les écoles sous leur contrôle, les livres de classe ou une partie de ces livres. [121]

Les livres ainsi mis à la disposition des enfants sont payés à même les fonds de la corporation scolaire, mais le gouvernement lui en rembourse la moitié du prix qu'elle aura effectivement payé pour ces livres.

Ces livres restent la propriété de la corporation scolaire et chaque élève doit prendre un soin raisonnable de ceux qu'il a reçus et les rendre aux commissaires au fur et à mesure qu'il en a fini.

Les commissaires peuvent faire des règlements pour assurer la conservation des livres et leur remise à la corporation scolaire. Ces règlements entrent en vigueur dès leur approbation par le surintendant.

Seuls, les livres de classe autorisés par le comité compétent du Conseil de l'Instruction publique sont sujets au remboursement prévu au deuxième alinéa du présent article; cependant les cahiers, ou cahiers-manuels, dans lesquels les élèves sont appelés à écrire ou à dessiner, ne sont pas considérés comme livres de classe. (13 Geo. VI, ch. 27, art. 1). (p. 121-122).

[...]

458. Pour avoir droit à une part de l'allocation sur le fonds des écoles publiques, il faut qu'une municipalité ait fourni la preuve:

[...]

10° Qu'on n'y emploie que des livres autorisés; (p. 245).

[...]

573. Le lieutenant-gouverneur en conseil peut acquérir, pour la province, le droit de propriété des livres, cartes géographiques et autres publications quelconques, approuvés par l'un ou l'autre des comités du conseil de l'instruction publique.

574. Le lieutenant-gouverneur en conseil peut distribuer gratuitement aux élèves des écoles, sous les conditions qui peuvent être imposées, des livres ou séries de livres, cartes géographiques, et autres publications quelconques choisis parmi ceux approuvés par l'un ou l'autre des comités du conseil de l'instruction publique, conformément aux dispositions de l'article 30. (p. 291).

[...]

588. Les enfants des personnes professant la religion judaïque ont les mêmes droits d'être instruits dans les écoles publiques de la province que les enfants protestants, et sont traités de la même manière que les protestants pour toutes les fins scolaires.

Néanmoins, aucun élève de croyance judaïque ne peut être contraint de lire ou d'étudier dans un livre religieux ou de dévotion, ni de prendre part à un exercice religieux ou de dévotion auquel s'objecte le père, ou, à son défaut, la mère, ou le tuteur, ou la personne qui a la garde ou le soin de cet élève." (p. 296).

[...]

Loi autorisant la constitution de commissions scolaires centrales protestantes.

[...]

Devoirs des commissions locales.

36. Toute commission scolaire locale placée sous la juridiction d'une commission scolaire centrale doit:

[...]

4° Fournir, s'il y a lieu, des livres de classe aux enfants indigents qui fréquentent les écoles sous son contrôle, ces livres devant être payés à même le fonds scolaire de la municipalité;" (p. 516).

[Suivi de]: Règlements du comité catholique du conseil de l'instruction publique de la province de Québec revisés au 1er novembre 1950.

[...]

73. - Il est du devoir de chaque instituteur:

[...]

8. De ne permettre que l'usage des livres autorisés; (p. 542).

[...]

Devoirs des inspecteurs d'écoles .

129. - Les inspecteurs d'écoles doivent:

[...]

14. Transmettre un rapport de leurs visites aux secrétaires trésoriers des municipalités scolaires visitées.

[...]

Dans ces rapports, ils doivent particulièrement appeler l'attention des commissaires ou des syndics d'écoles

[...]

1. Sur:

[...]

(b) L'emploi des livres de classe autorisés, (p. 570).

[...]

Chapitre VI.

Approbation des livres de classe.

131. - Toute personne qui désire soumettre un ouvrage à l'approbation du Comité catholique du Conseil de l'Instruction publique doit, deux mois au moins avant que celui-ci soit appelé à se prononcer, envoyer au Département de l'Instruction publique, une quantité suffisante de cet ouvrage pour que le Surintendant puisse en faire parvenir un [573] exemplaire à chacun des membres du Comité catholique et en conserver six pour examen et consultation. Ces exemplaires doivent être sous forme imprimée ou dactylographiée. L'éditeur doit indiquer en même temps le prix de l'unité et de la douzaine et faire connaître les années du cours auxquelles l'ouvrage est destiné.

132. - Lorsque l'examen d'un ouvrage soumis à l'approbation du Comité est renvoyé à quelque personne dont il a fallu s'assurer le concours à raison de ses connaissances spéciales, le Surintendant doit exiger de celui qui demande l'approbation une somme suffisante pour rémunérer ce spécialiste.

133. - L'éditeur de tout livre autorisé doit en déposer un exemplaire de chaque édition au Département de l'Instruction publique et obtenir du Surintendant un certificat attestant qu'il est approuvé; et, chaque fois qu'il en publiera une nouvelle édition, il devra obtenir du Surintendant un nouveau certificat attestant que telle édition est approuvée.

134. - Le Comité peut, quand il le juge convenable, retirer son approbation à un ouvrage qu'il aura autorisé.

À l'avenir, tout ouvrage qui recevra l'approbation du Comité catholique du Conseil de l'Instruction publique devra porter, avec la mention de cette approbation, la date à laquelle elle a été accordée et indiquer le cours auquel il est destiné. Le défaut de se conformer à cette injonction fera perdre à l'auteur de tel ouvrage l'approbation obtenue.

135. - Tout ouvrage doit porter le nom de l'éditeur et le prix de chaque exemplaire sur la couverture ou sur la page du titre; il ne peut y être insérée aucune annonce sans le consentement du Surintendant de l'Instruction publique. [574]

136. - Il faut l'approbation du Comité catholique pour pouvoir modifier le texte, la typographie, la reliure, le papier, etc., d'un livre approuvé. Telle approbation ne pourra être accordée que sur présentation au Comité catholique d'un sommaire indiquant les changements apportés.

137. - Les ouvrages recommandés pour l'usage des instituteurs ne doivent pas servir aux élèves comme livres de classe.

138. - Tout livre classique devra être imprimé en caractères suffisamment gros et interlignés, et toute gravure devra être faite avec soin et sur papier de très bonne qualité.

Toute carte géographique dont on demande l'approbation doit être préalablement soumise à la commission de géographie de Québec, pour examen et rapport au Comité catholique.

139. - Les commissaires ou les syndics d'école ne feront usage, pour toutes les écoles de leurs municipalités, que de la même série des livres classiques autorisés. Ils en feront une liste qui sera déposée dans chacune des écoles sous leur contrôle.

139a. Tout film cinématographique et toute projection fixe utilisée pour fins d'enseignement devront avoir reçu au préalable le visa du Sous-Comité d'Initiative et de Censure de la Cinémathèque." (p. 573-575).

1950
xxx. Rapport du surintendant de l'instruction publique pour l'année 1949-1950. Imprimé par ordre de la législature. Québec, Rédempti Paradis, 1951. xxxi, 282 p.

"Les manuels de classe

Plusieurs nouveaux manuels ont été autorisés tant pour les écoles catholiques que pour les écoles protestantes. Les livres désuets sont ainsi peu à peu remplacés par des volumes attrayants, abondamment illustrés et conformes aux programmes d’études". (p. xxi).

1950.03
xxx. "Mémoire présenté à la Commission royale d'Enquête sur les Arts, Sciences et Lettres au Canada, par le Comité de la Survivance Française", Vie française, 4, 7(mars 1950):323-335.

"Le Gouvernement central se doit d'inspirer aux citoyens la fierté du passé. Nous ne croyons pas qu'il soit de son ressort de rédiger des manuels d'histoire. De façon encore plus précise, nous estimons assez utopique un projet de manuel unique pour tout le Canada. Tout en étant impartiaux, les manuels doivent s'adapter aux besoins culturels des deux grandes races qui composent la population du Canada. Il serait assez contradictoire de prôner la nécessité d'une double culture au pays et penser que les instruments de formation puissent être les mêmes pour les tenants de ces deux cultures."

1950.05.05
Laurendeau, André. "Pour ou contre le manuel unique d'histoire du Canada?", L'action nationale, 35, 5(mai 1950):337-395.

"Question périodiquement soulevée, les esprits simplistes l'écartent du bout de leur gros soulier, d'autres, n'arrivent pas à conclure, et les intellectuels discutent à en perdre haleine.

Mince question en apparence; or quand on s'y engage on constate qu'elle soulève de vastes problèmes: qu'est-ce que la science historique, et peut-elle parvenir à l'objectivité totale, elle qui porte sur des faits humains ? Comment faut-il concevoir l'unité canadienne et comment résoudre les questions de culture qu'elle soulève? Pour quels motifs enseigne-t-on l'histoire aux enfants et quelle sorte d'histoire doit-on leur fournir... ?

Nous en avons traité en 1941, dans l'atmosphère de la guerre, quand avant de conscrire la jeunesse quelques esprits auraient volontiers commencé par conscrire l'histoire. On discutait. On accusait l'enseignement historique, dans la province de Québec, de prêcher la

[p. 337]

haine de l'Anglais. Nous avons alors patiemment dépouillé les manuels d'histoire du Canada en usage dans les écoles françaises (nous n'avons pu, faute de temps, en faire autant pour les manuels anglo-canadiens). Qu'avons-nous trouvé? Des manuels très quelconques, sans vie, sans art, vieux, non renouvelés par les découvertes des spécialistes ces dernières années. Songez que dans les classes élémentaires la plupart des livres d'histoire datent de la Grande Guerre I. Aussi les propos colorés que M. A.R.M. Lower tiendra plus loin sur les manuels scolaires nous semblent-ils, de ce point de vue, s'appliquer aux écoles françaises du pays. Mais qu'ils soient ternes et peu adaptés à l'enfance, cela ne prouve point qu'ils enseignent détester. Ce qu'il faut leur reprocher, écrivions-nous alors, "ce n'est point d'inspirer la haine, c'est de ne pas inspirer l'amour". Nous continuons de le croire. Car tout ce qui s'est passé depuis 1941, c'est que nos manuels (élémentaires) ont vieilli de neuf ans...

En 1948, M. Charles Bilodeau, du département de l'Instruction Publique (Québec), reprenait la question sur nouveaux frais [sic], mais étendait ses recherches à toutes les provinces. Il concluait que, sans prêcher la haine, les manuels anglais ne rendent pas justice aux "contributions" des Canadiens français d la vie canadienne, et inversement les manuels français ne rendent pas justice aux "contributions" anglo-canadiennes. Là-dessus, la Canada and Newfoundland Education Association mit sur pied un comité d'étude sur les manuels d'histoire du Canada, comité présidé par M. l'abbé Arthur Maheux et dont faisait partie, entre autres, M. A.R.M. Lower. Il s'agissait de réétudier les manuels en fonction de l'unité nationale, et de proposer qu'on les corrige çen conséquence. Les recommandations du comité,

[p. 338]

en 1945, furent prudentes. Voici les principales. Professeurs et auteurs de manuels devraient: 1) Mettre en relief ce que tous les Canadiens possèdent en commun; ne pas faire silence sur les frictions passées, mais montrer comment elles ont disparu, et aborder les problèmes dans un esprit constructif; 2) Accorder plus d'importance aux faits sociaux et économiques, moins à ceux d'ordre militaire et culturel. Les différences de religion, quand elles expliquent la vie commune, devraient être signalées, mais "d'une manière uniquement analytique et descriptive"; 3) Mettre à la disposition des élèves les manuels des autres provinces. 4) Les faits de base, pour tous les manuels, devraient être les mêmes dans toutes les provinces. En somme, on proposait un acheminement vers le manuel uniforme, mais sans trop le déclarer; quant au reste, les formules étaient vagues, on pourrait leur faire signifier des idées contradictoires. Malgré des concessions importantes au "provincialisme", on sent percer ici et là dans le mémoire, une conception étroite et, à notre sens, étouffante de l'unité nationale.

L'initiative ne parut pas avoir de suite. Mais au début de cette année sembla se dessiner une nouvelle offensive. M. Edouard Rifler, ministre des postes, et l'abbé Arthur Maheux, toujours au nom de l'unité nationale, ont réclamé un nouvel enseignement de l'histoire du Canada, en des termes que le chanoine Groulx rapporte plus loin.

Nous avons cru qu'il serait intéressant de grouper pour les lecteurs de l'Action Nationale l'opinion d'historiens et d'éducateurs de valeur, anglo-canadiens comme canadiens-français D'où l'enquête dont on verra plus loin les résultats, et qui revenait à demander si le manuel unique est (a) possible, (b) désirable.

[p. 339]

Pourquoi interroger des historiens et des éducateur plutôt que des plombiers ou des journalistes? Nous avons la naïveté de croire qu'en matière de manuels et d'histoire, les historiens et les éducateurs ont quelque chose à dire. Au reste ils l'ont prouvé, et dans l'ensemble ils nous ont admirablement reçus, ce dont nous tenons à les remercier.

On trouvera donc dans ce cahier

I - Une partie du discours prononcé par le chanoine Lionel Groulx au banquet de l'Institut d'histoire de l'Amérique française, celle qui traite du Manuel unique et qui commence par citer M. l'abbé Maheux et M. Rinfret.

II - Le témoignage d'historiens anglo-canadiens de grande valeur, les professeurs E.R. Adair, A.L. Burt, A.R.M. Lower, M.L. Morton, Gordon 0. Rothney et George F. G. Stanley.

III - Celui d'historiens canadiens-français que nos lecteurs connaissent bien: MM. Jean Bruchési, Léo-Paul Desrosiers, Guy Frégault, Mgr Olivier Maurault et Mgr Albert Tessier.

IV - Puis l'opinion de deux éducateurs l'auteur de Notre Question Nationale, le R.P. Richard Arès s.j. et celui du Citoyen canadien-français, M. Esdras Minville.

V - Enfin, "en manière de conclusion", des réflexions suscitées par les réponses, d'esprit fort divers, que nos correspondants nous ont adressées.

L'Action Nationale.

[p. 340]

* * *

I

Le manuel unique est-il conciliable avec l'histoire scientifique?

[Dans son discours au banquet de l'Institut de I'Amérique française, le président, M. le chanoine Lionel Groulx, dit d'abord en quels termes le problème s'est posé à lui et à ses collègues:]

Nous ne nous sommes pas demandé si le manuel unique pouvait convenir à tel ou tel idéal pédagogique, s'il ne venait pas en contravention avec l'autonomie scolaire des provinces, s'il n'allait pas constituer un pas dangereux vers l'uniformisation des manuels. Sans minimiser l'extrême importance de ces divers points de vue, nous avons voulu rester dans l'esprit ou dans ce que j'appellerais la ligne de l'Institut. Et c'est pourquoi le sujet proposé à la discussion se formulait comme suit: le Manuel unique d'histoire au Canada serait-il conciliable avec l'histoire objective ou scientifique?

Je n'ai pas à vous apprendre de quels coins d'horizon nous viennent ces souhaits et suppliques en

[p. 341]

faveur d'un manuel unique d'histoire canadienne dans toutes les provinces du pays. L'idée a germé dans l'espsrit d'hommes politiques et autres, bien intentionnés sans doute, qui, par le manuel unique, voudraient hâter ce qu'ils appellent l'unité nationale.

Ainsi, le 30 janvier 1950, à Saint-Jérôme, l'un d'eux, ministre(1) dans le cabinet fédéral, s'exprimait comme suit:

Je ne suis pas satisfait, d'une unité purement géographique et politique. Je désire de toutes mes forces et je souhaite, que tous les Canadiens aient le désir, une unité vraiment canadienne, basée sur l'orgueil de l'histoire de mon pays et la dévotion à la patrie.

Il faut que les termes viennent à avoir la même signification dans tous les coins du pays, et que les mots, mère-patrie, désignent le Canada et non pas, pour les uns, la Grande-Bretagne, et pour les autres, la France.

Et le ministre concluait: L'histoire du Canada, telle qu'enseignée par les deux groupes n'est pas la même? Eh bien!'rendons-la la même en attirant l'attention des écoliers sur ce qui nous unit plutôt que sur ce qui a tendance à nous diviser. Et enseignons à tous les Canadiens que le Canada est une véritable entité, une glorieuse réalité, un objet digne de notre amour.

Un autre, celui-ci est un abbé(2), croit le manuel unique tout à fait possible et conciliable avec l'histoire objective. Et voici la démonstration tentée par lui récemment devant les étudiants de l'Ecole Normale d'enseignement secondaire à Montréal:

L'uniformité de doctrine, sinon de manuel, s'est réalisée et s'applique en plusieurs champs des connaissances: mathématiques, physique, chimie, sciences naturelles,

-----

[Notes infrapaginales]
1. M. Edouard Rinfret (N.D.L.R.)
2. M. l'abbé Arthur Maheux (N.D.L.R.)

[p. 342]

grammaire, littérature, géographie. En ces connaissances on accepterait sans trop récriminer le manuel unique. C'est en Histoire qu'on hésite et qu'on s'objecte. Peut-être à cause de l'idée qu'on se fait de l'histoire.

................................................

La leçon d'histoire se compose ordinairement de trois éléments différents; à savoir les faits, les leçons patriotiques ou nationales, la façon d'utiliser les faits en cas de défensive.

Dans l'enseignement de la religion on sépare ces trois éléments. On donne d'abord un exposé strictement objectif, c'est le cours de Religion (Dogme, Morale, Sacrements, etc.), puis l'art d'utiliser ces notions pour se défendre, et c'est l'apologétique, enfin les leçons de conduite, et ce sont les sermons et la direction spirituelle.

On peut concevoir un plan semblable pour l'Histoire. Un cours objectif, où les faits sont présentés selon la méthode scientifique; puis les applications pratiques sur le plan national, et c'est le cours de civisme; enfin l'art d'utiliser les faits pour se défendre, une sorte d'apologétique.

Le sujet a suscité une discussion fort animée cet après-midi. Peut-être vous plaira-t-il de connaître l'opinion du Comité directeur de l'Institut ? Je vais tenter de la résumer.

I

En premier lieu on ne saurait, selon nous, faire servir l'histoire à une propagande patriotique, fût-ce la formation de l'union nationale. Ce serait tout bonnement substituer à une propagande dont l'on estime avoir à se plaindre, une autre propagande tout aussi illégitime au sentiment de bien des gens, contraire au surplus aux saines méthodes historiques qui n'admettent

[p. 343]

d'autres normes, d'autres fins, que la recherche et l'acquisition de la vérité.

II

A ceux qui prétendent appliquer au fait historique l'identité de méthode qu'on applique au fait de science mathématique, physique ou chimique, nous faisons observer qu'il y a méprise, à notre sens encore, sur le fait d'histoire et qu'en présence de ce fait, la neutralité absolue de l'esprit est généralement chimère. Ce fait n'est pas l'objet nu. Il ne se présente pas à l'observation, comme se présente, par exemple, au chimiste, au physicien, le radium, le diamant, l'argile.

Le fait historique est d'un autre ordre. C'est un fait humain. Il implique donc, de par son essence, une certaine idée de l'homme, de la constitution de l'être humain, de sa dignité, de sa finalité.

Ce qui veut dire qu'il ne représente pas sous le même aspect, avec le même contenu, selon qu'il tombe sous l'observation d'un historien chrétien, agnostique ou matérialiste. Et l'historien chrétien ne saurait renoncer à sa conception, nous semble-t-il, à moins d'admettre le caractère anti-scientifique de son idée de l'homme. Qu'une neutralité relative soit possible, à la rigueur, ce n'est concevable qu'à la première phase du travail historique, phase où l'on vérifie simplement l'existence, l'authenticité de faits, comme ceux-ci, par exemple: A quelle date exacte serait mort Frontenac ? - Qui a le premier proposé le creusage du canal de Lachine?

La même neutralité de l'esprit reste-t-elle possible, dès là que l'historien en arrive au tri des événements,

[p. 344]

à l'ordre d'importance, à la causalité agissante qu'il convient de leur assigner? L'histoire n'est point simple chronologie, ni simple alignement ou entassement de faits. Dans le choix des faits à retenir, ou à laisser tomber, dans l'importance à leur conférer, forcément l'historien en est amené à établir un ordre de grandeur, une échelle de valeur. Où prendra-t-il le principe de son choix, de l'ordre de grandeur, si ce n'est, encore cette fois, dans l'idée qu'il se fait de l'homme, c'est-à-dire dans une philosophie ? Et de nouveau, comment faire s'entendre l'historien agnostique, chrétien ou matérialiste ? Et même, entre historiens chrétiens parfois comment faire l'accord, s'ils appartiennent à des confessions et à des philosophies différentes?

Sur la difficulté de concilier les divers points de vue, voulez-vous que nous essayions de prendre quelques aperçus?

L'idée de l'homme implique nombre d'autres idées, par exemple, celles de spiritualité, de liberté, d'autorité, d'État, de droit, de famille, d'école. Selon que l'on admettra ou n'admettra point le facteur spirituel dans l'histoire des hommes, le jeu des forces morales, l'historien discernera, reconnaîtra le rôle de l'Église ou des églises, l'action considérable des croyances religieuses, dans les diverses activités des collectivités humaines, ou, ce rôle il l'amoindrira fatalement, si même il ne l'ignore. S'il cède plus ou moins au matérialisme historique, n'inclinera-t-ii point à faire plus large ou moins large, la part des faits économiques, l'explication de l'histoire par la seule géographie ou par la seule économie? Dans l'histoire du Canada, par exemple, les uns accorderont au régime français une

[p. 345]

part raisonnable, celle qui de droit lui revient, pour l'état, le type de société original qui s'y est façonné. D'autres, habitués à juger de la culture ou de la civilisation d'un peuple, par l'activité de son commerce et de son industrie, par le volume de ses importations et exportations, seront tentés, n'est-il pas vrai, de faire bon marché des cent cinquante premières années de l'histoire canadienne, n'y trouvant qu'un intérêt médiocre: et, par exemple, comme en tel manuel de M. Gilbert Paterson, ils accorderont 3 pages au régime français, 225 pages au régime britannique.

Selon l'idée que l'historien se fera de la culture, du droit à la culture, du droit tout court, de la liberté, du droit à la vie pour une nationalité, n'est-il pas encore vrai qu'il jugera tout à fait différemment les luttes constitutionnelles des cent premières années du régime britannique, et la part prépondérante qu'y prirent les Canadiens français ? Comprendra-t-il toujours qu'en ces luttes la population du Bas-Canada se soit sentie plus intéressée que toute autre, parce que, pour elle, les enjeux n'étaient pas seulement d'ordre politique, mais d'ordre culturel et moral, fondés en définitive sur le droit à la liberté et à la vie ?

Il en sera de même, croyons-nous, du fait majeur qui est au fond de l'histoire et de la vie canadiennes: la dualité nationale. Cette dualité après tout ne se justifie que par certaine idée de l'homme, par les idées de liberté, de droit, de culture. Elles seules justifient également notre régime politique: le fédéralisme. Mais encore faut-if que, pour admettre le fédéralisme et le respecter, on s'incline loyalement devant cette idée de l'homme et devant les autres idées de droit, de liberté, d'autonomie qu'elle implique.

[p. 346]

Ainsi en est-il encore, dans l'histoire du Canada, de la question des langues, des écoles, des lois de État sur la famille, reconnaissance du mariage indissoluble ou de la liberté du divorce. Y a-t-il unité de philosophie au Canada sur le droit des minorités à leur langue, à leur école, sur le droit des parents dans l'éducation de leurs enfants, en regard des droits ou prétentions de l'État? En somme, et voilà qui est troublant, ce sont sur les points fondamentaux que les divergences s'accusent.

Voyons encore ici à quelles conséquences, pour ne pas dire à quelles conclusions divergentes l'on peut aboutir. Si l'on juge d'une importance secondaire, pour un peuple, la conservation de ses lois, le droit à ses lois, le droit à la vie et surtout si l'on nie ce droit, par quoi serait-on empêché de justifier, par exemple, la proclamation royale d'octobre 1763, la politique anglicisante de 1764, même celle de 1841? Pour les mêmes raisons, on réduira au minimum les luttes scolaires des minorités. On les traitera comme des incidents regrettables mais de purs et menus incidents dans la vie nationale.

On le voit, exception faite de quelques esprits généreux, capables de s'élever jusqu'aux principes d'une philosophie ou d'un libéralisme d'exception, la neutralité de l'esprit devant le fait historique, qu'il s'agisse de l'importance du fait, de sa moralité, ou simplement de sa causalité agissante, la neutralité est impossible, parce que la philosophie n'est pas la même de part et d'autre.

Un manuel unique serait inutilement désagréable, ne rendrait justice ni aux uns ni aux autres. Les uns le trouveraient trop catholique; les catholiques le

[p. 347]

trouveraient trop neutre. Et alors quel facteur d'union, d'unité pourrait bien être un enseignement d'histoire qui ne rendrait justice à personne et qui ne plairait à personne?

En conclusion, à quoi tendre pratiquement? A ceci que, de part et d'autre, il faut nous efforcer de comprendre nos points de vue, tout en nous mettant bien en tête qu'il existe au Canada des diversités foncières, diversités religieuses, nationales, que l'histoire n'est pas en puissance de supprimer, et qu'il n'est même pas souhaitable, pour quelques-unes de ces diversités, que l'histoire les puisse jamais supprimer. Nous en tenir donc, autant qu'humainement possible, en histoire, à l'objectivité. Si l'on admet l'existence de deux nationalités au Canada, et que chacune, par conséquent, a bel et bien sa conscience historique, chacune doit posséder son histoire à soi. Ce qui n'implique nullement que les deux histoires doivent s'affronter avec hostilité.

Si vous le voulez bien, prenons, par exemple, un fait typique et peut-être, à certains points de vue, scabreux. Y aurait-il deux façons de raconter la bataille des Plaines d'Abraham ? Non. L'historien objectif ou simplement honnête s'appliquera à rendre justice aux chefs et aux troupes des deux armées. Mais s'il n'est pas interdit à l'historien anglo-canadien d'insister sur les résultats que peut valoir cette bataille à l'Angleterre, serait-il davantage interdit à l'historien canadien-français d'insister, pour sa part, les conséquences qui s'en suivent pour sa nationalité? L'un y verra un triomphe, et il aura raison, l'autre un revers, et il aura raison. En quoi pourrait s'en plaindre l'objectivité historique la plus stricte?

[p. 348]

III

J'ai demandé à quelques hommes des minorités leur opinion sur le sujet du manuel unique. J'ai reçu une réponse de l'un d'entre eux, professeur au Collège du Sacré-Coeur de Sudbury (Ontario). Voici ce qu'il en pense:

Un Manuel d'Histoire du Canada serait conciliable avec l'histoire objective, si les auteurs de ce Manuel unique pouvaient s'accorder pour dire toute la vérité. Mais cet accord est-il possible? J'en doute.
........ ..........................................

La composition d'un Manuel d'Histoire du Canada soulève des problèmes quasi insolubles; c'est pourquoi un Manuel unique d'Histoire ne me semble pas conciliable avec l'histoire objective, ni le vrai moyen d'inculquer aux Canadiens un sain patriotisme et d'obtenir l'unité nationale. Que chacune des deux grandes races qui composent la nation canadienne ait son Manuel d'Histoire. Voilà une excellente solution, me semble-t-il, solution à laquelle nous invitent plusieurs pays. L'Angleterre et l'Ecosse, qui ont réalisé une profonde unité d'action et de pensée, possèdent chacune leur système d'éducation et leur manuel d'Histoire. En Suisse, trois cultures s'affrontent et 25 cantons composent le pays; et la Suisse a 25 systèmes d'éducations [sic] et chaque département y organise l'enseignement de l'histoire.

Lionel Groulx, ptre

[p. 349]

* * *

II

Opinions d'historiens anglo-canadiens

[On remarquera, peut-être avec surprise, que tous les historiens anglo-canadiens consultés s'opposent au manuel vraiment unique. Mais là s'arrête l'unanimité. On notera ensuite la grande diversité des opinions, depuis le professeur A.L. Burt, qui suggère la mise en train de plusieurs manuels dont chacun serait acceptable à tous les groupes, jusqu'au professeur E.R. Adair, lequel déclare indésirable toute campagne en faveur de manuels uniformes.

Sauf le professeur George P. Stanley, tous nos correspondants ont écrit en anglais. Pour la commodité du lecteur nous avons traduit leurs textes, en visant à l'exactitude plus qu'à l'élégance. Mais on trouvera en appendice la communication originale.]

* * *

Professor E.R. Adair

[Professeur d l'Université McGill, ancien président de la Canadian Historical Association,

[p. 350]

M. Adair est un spécialiste du régime français. Il fait lui-même allusion à une polémique qui l'opposa, en 1932, à quelques historiens canadiens-français, sur la question de Dollard Désormeaux].

J'ai la certitude qu'il ne serait pas possible, et je doute fort qu'il soit désirable d'avoir un manuel unique d'histoire du Canada à travers le Canada entier. Il ne paraît guère nécessaire de montrer pourquoi je pense que ce ne serait pas possible; mais comme on a parlé beaucoup et avec assez peu d'intelligence de l'usage d'un manuel unique, il vaut probablement la peine que j'énumère quelques raisons pour lesquelles je ne crois pas que ce soit désirable.

Il peut être possible de déterminer des faits historiques exacts, mais je ne crois pas qu'il existe telle chose que la vérité historique absolue. Ce qu'on avance comme vérité doit inévitablement être le produit non seulement du fait mais de l'esprit de l'historien qui choisit et interprète les faits. Les controverses historiques sont l'une des principales sources du progrès historique. Je vois parmi vos directeurs les noms de messieurs Groulx et Maurault. J'ai été parfois en désaccord formel avec ces deux messieurs, et je crois que le résultat fut d'établir plus clairement les faits en cause et la manière dont ils devraient être présentés au public. Tenter de réaliser un manuel assez inoffensif pour être accepté à travers le Canada, cela découragerait fortement ces saines controverses. Au surplus, une oeuvre aussi incolore ne pourrait être obtenue qu'en altérant non seulement la vérité mais les faits: en montant que dans le passé tout a été pour le mieux; en dépeignant tous les personnages historiques comme

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n'ayant aucun caractère. Le résultat, ce serait un manuel non seulement si inoffensif nais si épouvantablement ennuyeux que même l'âme du malheureux écolier canadien se révolterait. L'enseignement de l'Histoire dans les écoles canadiennes n'est pas particulièrement bon. Nous devrions hésiter à recommander tout ce qui le rendrait encore moins appétissant aux écoliers.

Enfin il est inévitable et parfaitement normal que l'équilibre de la présentation historique ne soit pas le même dans les Maritimes que dans Québec ou la Colombie britannique. On devrait insister davantage sur l'histoire de la région où vit l'écolier; et par conséquent ce qui convient à l'un paraîtrait à l'autre tristement dénaturé.

Pour ces motifs, je dois condamner fortement l'agitation bien intentionnée mais inintelligente qu'on mène en faveur de manuels uniformes pour l'ensemble du Canada.

* * *

Professor A.L. Burt

[Professeur à l'Université du Minnesota (Minneapolis, Min. U.S.A.). Président de la Canadian Historical Association, M. Burt est l'auteur de Romance of Canada, un manuel utilisé dans plusieurs provinces.]

En réponse à la vôtre du 3 avril, je veux d'abord déclarer qu'à mon humble avis le plus grand problème du Canada a été et continuera d'être l'avènement de la compréhension et de la sympathie mutuelles entre le Canada français et le Canada anglais; que rien de ce qui aiderait peut-être à le résoudre ne devrait

[p. 352]

être négligé; que l'enseignement de l'histoire du Canada dans les écoles pourrait contribuer plus que tout le reste au développement de l'unité nationale à travers le pays.

Je souscrirais par conséquent, mais non sans faire d'importantes réserves, au principe général que "des manuels uniformes d'Histoire du Canada devraient être acceptés pour usage, aux mêmes niveaux scolaires, dans toutes les écoles publiques du Canada qu'elles soient françaises ou anglaises, protestantes ou catholiques romaines, et sans tenir compte des frontières provinciales", ainsi que vous le formulez dans votre lettre.

Voici ma première réserve. On ne doit pas regarder cela comme signifiant qu'il s'agit d'un texte, d'un seul texte pour chaque degré, ce que je crois très indésirable et certainement impossible. La tyrannie d'un manuel unique dans un sujet tel que l'histoire nationale est beaucoup plus dangereuse que la plupart des gens ne se le figurent.

L'arrangement idéal, il me semble serait d'autoriser à chaque étage de l'enseignement plusieurs manuels, chacun acceptable à la fois aux Français aux Anglais, aux Catholiques romains et aux Protestants ainsi qu'aux diverses provinces, avec liberté, pour les professeurs et les départements, de choisir ceux qu'ils préfèrent. On éliminerait ainsi l'utilisation des textes qui, consciemment ou inconsciemment, portent atteinte à l'unité nationale canadienne, et on servirait en outre cette cause en appelant à l'existence des manuels supérieurs à ceux que nous avons maintenant. Si les messieurs qui dirigent les systèmes scolaires du Canada croient réellement en l'unité nationale

[p. 353]

du pays, et je ne doute pas qu'ils le font, je ne vois aucun obstacle insurmontable à des rencontres où ils réaliseraient un pareil arrangement.

Je ferais une autre réserve, et j'ai la conviction que ces messieurs seraient d'accord: en plus de l'histoire générale enseignée à travers le Canada, chaque région aurait la liberté d'enseigner sa propre histoire. Je demanderais aussi que les listes des manuels communs ainsi présents soient fréquemment revisées.

J'ajoute en conclusion que si jamais un mouvement dans le sens de la proposition générale énoncée plus haut doit être accompli, l'initiative devrait venir du Canada français.

* * *

Professor A.R.M. Lower

[Professeur à l'Université Queens, (Kingston, Ontario). Membre de la Société Royale du Canada, M. Lower a écrit Colony to Nation, un manuel très en usage dans les collèges anglo-canadiens.]

Ce petit essai devrait être écrit en français, mais le temps est court, et à cette saison, les professeurs sont une race très occupée. Donc je demande pardon au lecteur de ce que je continue en anglais.1

Que nous ayons un seul manuel d'histoire du Canada ou vingt à travers le pays, je ne crois pas que cela fasse aucune différence - si l'histoire que ces livres entendent rapporter est de l'histoire authentique, de l'histoire qui résistera à l'analyse du savoir et de la recherche.

-----
[Note infrapaginale] 1. En français dans le texte (N.D.L.R.)

[p. 354]

Malheureusement, voilà, bien l'ennui avec nos manuels d'histoire. Laissons de côté pour l'instant la question des préjugés et des altérations délibérées. Nos manuels sont généralement des années en retard: ils ont souvent pour auteurs des gens qu'on ne peut considérer comme spécialistes en la matière. De telles personnes doivent nécessairement compter sur le travail d'autres écrivains, souvent de troisième ou de quatrième main; il s'ensuit inévitablement que la sorte d'"histoire" servie à nos enfants dans les classes élémentaires, c'est souvent la version d'histoire canadienne qui avait cours il y a un demi-siècle ou plus, avant que les prudentes recherches de la dernière génération n'aient apporté leurs vastes résultats.

Si les manuels élémentaires sont écrits par des spécialistes, alors on n'aura pas trop de quoi se plaindre; car le bon spécialiste, qu'il soit français ou anglais, utilisera les résultats des dernières recherches, et par dessus tout il ne permettra pas que son travail soit corrompu par le préjugé. Cela ne signifie pas que son oeuvre sera morne, ou que tous les travaux de spécialistes seront exactement les mêmes: tout homme exprime dans ses écrits sa propre personnalité et ses points de vue, mais cela ne signifie pas qu'on permette aux préjugés et même aux falsifications conscientes de se faufiler dans ses ouvrages.

Le premier objectif, donc, c'est une histoire plus sérieuse. Les derniers à qui l'on devrait permettre de rédiger les manuels d'histoire, au primaire comme au secondaire, ce sont les professeurs d'école; je regrette de le dire, mais on ne trouve pas un seul érudit sur dix mille professeurs, clercs ou laïcs. L'histoire qu'ils

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suivent en grande partie, ce sont les vieux ils réarrangent les pages. Les manuels d'histoire doivent être rédigés par des spécialistes, préférablement avec les conseils de professeurs d'école pour la présentation.

Je sais fort bien combien la tâche est difficile, car j'ai écrit une Histoire du Canada pour High Schools. Pendant que je la rédigeais, naturellement, j'ai consulté plusieurs professeurs de High School. Je m'aperçus vite qu'ils voulaient que j'écrive une histoire en termes convenus. On avait toujours trouvé certaines choses: descriptions, anecdotes, citations, etc; il fallait les retrouver encore. J'essayai d'introduire des documents nouveaux sur l'évêque Laval: on vit cela d'un oeil sombre - les autres livres n'en soufflaient pas mot, donc c'était probablement faux. De toute manière, c'était trop difficile.

Tout cela revenait à dire que le professeur d'école à [sic] élaboré une sorte de "canon" de l'histoire du Canada, et il prétend s'y tenir - en partie parce qu'une telle attitude soulève moins de difficultés, en partie à cause de son ignorance. C'est seulement dans les universités que peut jouer le libre choix de l'esprit sur les documents de l'histoire. Les écoles ne paraissent pas s'intéresser à ce libre jeu de l'esprit; elles préfèrent enseigner l'histoire du Canada dans le même esprit qu'elles enseignent les tables de multiplication.

Ce que je viens de dire s'applique probablement à toutes les écoles du pays, françaises ou anglaises, catholiques ou protestantes. Mais le plus tragique se trouve ailleurs. Si, sous prétexte d'histoire, on enseignait aux petits Canadiens les mêmes mythes défigurés, la jeunesse du pays pourrait au moins regarder dans la

[p. 356]

même direction, quelle que puisse être celle-ci: tous les Américains apprennent ou apprenaient que George Washington ne pouvait conter un mensonge. Cela constituait probablement un mensonge mais c'était aussi un mythe national uniforme dont l'immorale utilité était d'arc-bouter le patriotisme américain.

Malheureusement au Canada notre jeunesse apprend deux séries de mythes, souvent en opposition absolue l'une vis-à-vis l'autre. La jeunesse française apprend que le peuple canadien-français subit d'indicibles souffrances par suite de la conquête anglaise. La jeunesse anglaise, que les conquérants anglais furent des types épatants et que dans l'ensemble les Canadiens français furent heureux d'être conquis par eux. Les historiens savent que les deux mythes sont faux, et je suis convaincu qu'après une demi-heure de discussion avec n'importe lequel de mes collègues de langue française nous nous entendrions sur la période des lendemains de conquête. Mais y a-t-il la moindre chance pour qu'une version commune et à peu près exacte de la période 1759-1791 pénètre dans nos écoles? Pas la moindre. Trop d'intérêts soutiennent le préjugé, le racisme et la haine anti-chrétienne, pour que cela se produise. Nous préférons élever nos enfants comme de "bons" Canadiens de langue française ou comme de "bons" Canadiens de langue anglaise, ce qui signifie que nous préférons les éduquer à l'aide des faux mythes dont furent gavés leurs parents, les capitonner avec de confortables haines plutôt que leur apprendre les vérités amères. Nous aurons notre récompense: à force de cultiver nos haines et nos faussetés (ce que nous, Canadiens,

[p. 357]

ne faisons pas plus que les autres peuples), nous rendons plus proche le dies irae, ce grand et sombre jour où les divisions et les haines réussiront enfin, grâce leurs inventions diaboliques, à faire sauter la race, humaine en morceaux.

Ne perdons pas notre temps à nous chicaner sur le manuel unique d'histoire du Canada: ayons plutôt la vérité en histoire, en quelque livre ou livres qu'elle se trouve.

* * *

Professor M.L. Morton

[Professeur à l'Université du Manitoba (Winnipeg, Manitoba). Auteur d'un livre récent, The progressive Party in Canada.]

En réponse à votre lettre du 3 avril où vous demandez si des manuels d'histoire du Canada, utilisables dans les écoles françaises et anglaises, catholiques et protestantes, sont (a) possibles, et (b) désirables, je désire répondre:

1. - Théoriquement, il est sans aucun doute possible de produire un tel manuel: en pratique, cela réclamerait l'effort le plus grand et le plus inventif. Le résultat d'un tel effort pourrait, au mieux, servir seulement aux classes les plus avancées et aux professeurs. Je crois aussi que les historiens canadiens doivent effectuer encore beaucoup de recherche dans les documents d'histoire canadienne à leur disposition particulièrement en histoire régionale et sociale, avant qu'un pareil manuel puisse être rédigé.

2. - Un tel manuel serait désirable dans la mesure où il encouragerait la tolérance, la compréhension et la sympathie parmi les groupes raciaux et religieux du

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Canada. Ces qualités s'enseignent mieux indirectement que directement. Ce qui est désirable, ce sont les meilleurs textes, français et anglais. Un manuel uniforme vaudrait si ses propres mérites le recommandaient en toute liberté à tous les groupes. Un tel livre serait le fruit de la science inspirée (inspired scholarship) et du dévouement personnel: l'ordre d'un gouvernement ne saurait le faire naître.

* * *
Professor Gordon 0. Rothney

[Professeur au Sir George William's College. Membre du comité de direction de l'Institut d'Histoire de l'Amérique française.]

La question du manuel unique en soulève une autre plus fondamentale. Pourquoi enseigne-t-on l'histoire canadienne dans nos écoles? A mon avis, le but devrait être de stimuler la pensée, à propos du présent et de l'avenir. Les "faits" ne sont qu'un moyen en vue d'une fin. Ils sont vains à moins qu'on ne les fasse servir à quelque but utile - à moins qu'on ne les repense. D'un autre côté, on ne saurait penser intelligemment si l'on n'est pas sûr de certains "faits" essentiels. Quels "faits" faut-il enseigner? Ceux qui aident à comprendre le présent - pourvu que leur sens soit rendu clair.

La fonction d'un manuel, par conséquent c'est de fournir les "faits" qui, dans l'opinion du spécialiste en histoire, sont significatifs; et c'est ensuite d'aider le professeur à éveiller l'intérêt et à stimuler la pensée des élèves.

Je tire de ces remarques qu'obliger toutes les écoles canadiennes à suivre un seul manuel serait aussi peu

[p. 359]

sage que possible. De toute évidence, le savoir historique nécessaire pour vivre dans le milieu terre-neuvien n'est pas exactement le même que pour vivre dans la province de Québec. Pour avoir une valeur quelconque, l'histoire du Canada doit être adaptée aux enfants à qui on l'enseigne.

Mais ce n'est pas tout. Puisque la fonction d'un manuel est seulement d'"aider" le bon professeur, rien ne doit être fait qui en exagère l'importance. Aucun livre n'est parfait, aucun n'est infaillible. L'élève doit en discuter, non l'apprendre par coeur. Meilleur sera le professeur, et moins il accentuera l'importance d'un seul livre. Deux livres valent mieux qu'un, trois valent encore mieux.

Un esprit vraiment cultivé est à la fois sceptique et tolérant, - trop sceptique pour être victime de la propagande, trop tolérant pour être victime du préjugé. L'individu sans culture est victime des deux, quel que soit le nombre des années qu'il a passées au collège. En d'autres termes, l'homme cultivé c'est celui à qui on a appris à penser intelligemment par lui- même. On ne pourrait jamais y parvenir si l'histoire était enseignée dans toutes les écoles à partir des mêmes manuels, comme pour les tables de multiplication ou pour un catéchisme. Décréter que l'histoire sera enseignée à partir d'un seul manuel uniforme à travers le Canada, ce serait décréter qu'on l'enseignera comme une propagande à la gloire du statu quo. Voilà ce qu'on s'attend à trouver dans un État totalitaire, où l'on veut entraîner les gens à croire sans examen les déclarations officielles. Cela ne saurait trouver place dans une démocratie. Plus grande sera la variété des manuels utilisés à travers le Canada,

[p. 360]

mieux ce sera non seulement pour notre connaissance de l'histoire, mais pour le développement de cet esprit de tolérance sceptique qui peut seul donner un sens à la démocratie. Il est sain et désirable d'aborder les problèmes canadiens de manières diverses.

Cependant, en conclusion, je dirai que les manuels devraient résulter de la collaboration d'historiens et d'éducateurs expérimentés. Souvent l'historien est un médiocre éducateur, et aussi souvent l'éducateur est un médiocre historien. Nous n'aurons de bons manuels scolaires que si l'historiens [sic] et éducateurs travaillent ensemble. Et si de tels manuels rendent les principales idées sur le développement historique du Canada accessibles aux élèves de toutes les écoles, les départements provinciaux de l'Instruction publique et les professeurs devraient disposer de beaucoup de temps et de liberté pour y ajouter le supplément qui convient à leurs régions particulières.

* * *

Professor George F. G. Stanley

[Professeur au Royal Military College, (Kingston, Ont.), directeur du Rapport annuel de la Canadian Historical Association. M. Stanley a rédigé sa réponse en excellent français; voici donc le texte même de sa communication.]

Je vous remercie de votre lettre du 3 avril et en réponse, voici ce que je pense sur la question du manuel uniforme d'histoire du Canada dans nos écoles.

Il me semble que, pour le moment du moins, il existe de sérieux obstacles à la réalisation de ce projet. Si nous considérons l'histoire comme une simple chronologie,

[p. 361]

il y aurait probablement moyen, nonobstant un certain nombre de concessions mutuelles, de préparer un ouvrage qui pourrait être utile aux Canadiens de la [sic] langue anglaise et française. Toutefois, même alors, il se présenterait, dans le choix des faits, bien des difficultés non seulement entre les secteurs anglais et français, mais aussi entre les diverses régions géographiques du Canada: chacune d'elles, avec quelques raisons, voudra qu'on insiste davantage sur sa propre contribution à l'histoire du pays. Il se peut que le sentiment croissant d'une nationalité canadienne, qui s'est particulièrement manifesté parmi la dernière génération des Canadiens de langue anglaise, rapprochant les deux éléments ethniques, les amènera à une appréciation mutuelle de leur héritage national qui remonte à Champlain et non pas à Lawrence ou à Murray.

Si toutefois nous rattachons l'histoire à la philosophie, le problème est différent. L'histoire et la philosophie, à bien des égards, dépendent l'une de l'autre; c'est ce que les historiens admettent de plus en plus. D'un côté, on peut considérer l'histoire comme une science, mais c'est une science incomplète. L'historien peut prétendre qu'il étudie les sources et se laisse guider par elles, sans prévention; mais, de toute évidence, s'il accepte ce que les sources affirment, il se plie en cela moins à leur autorité qu'à la sienne, parce qu'elles correspondent à son propre critère de la vérité. Le grand obstacle contre la préparation d'un manuel unique réside dans une différence non pas de langue, de race, de nationalité ou de sang, mais de philosophie. Certes, tant qu'on n'aura pas mieux compris et apprécié les deux écoles philosophiques

[p. 362]

qui ont façonné la culture française et anglaise en notre pays, il sera impossible de songer à un manuel commun d'histoire acceptable aux Canadiens de langue aussi bien anglaise que française. C'est en toute sincérité que je vous soumets les présents commentaires en vous priant de me croire

Votre tout dévoué, George F.G. STANLEY.
Professor of History,
Royal Military College of Canada.

* * *

L'opinion d'un historien anglais

L'histoire, comme le drame et comme le roman, est fille de la mythologie. C'est une forme particulière de compréhension et d'expression où - de même que dans les contes de fées chers aux enfants, et dans les rêves propres aux adultes sophistiqués - la ligne de démarcation entre le réel et l'imaginaire n'a pas été tracée. On a dit, par exemple, de L'Iliade, que celui qui entreprend de la lire comme un récit historique y trouve la fiction et, en revanche, que celui qui la lit comme une légende, y trouve l'histoire.

Sous ce rapport, tous les livres d'histoire ressemblent à L'Iliade, car ils ne peuvent jamais éliminer entièrement la fiction. Le simple fait de choisir, d'arranger et de présenter les faits constitue une technique qui appartient au domaine de la fiction...

Arnold J. TOYNBEE.
(A Study of History)

[p. 363]

* * *

Appendice

Texte des communications dont on vient de lire traduction .

I

McGill University, Montréal, April 11th, 1950

Dear M. Laurendeau,

I am quite sure that it would not be possible, and I very must doubt if it would be desirable to have a common text-bok in Canadian History throughout the whole of Canada. It is hardly necessary to suggest why I think this could not be possible, but as there has been a good deal of rather unintelligent talk about this use of a common text-book, it might be worthwhile for me to suggest a few reasons why I do not think it would be desirable.

It may be possible to determine exact historical facts, but I do not believe that there is such a thing as absolute historical truth. What is put forward as truth must inevitably be the product not only of fact but of the mind of the historian who is selecting and interpreting the facts. Historical controversy is one of the mainsprings of historical progress. I see among your directors the names of Messieurs Groulx and Maurault. I have at times disagreed strongly with both of these gentlemen, and I believe the result has been to establish more clearly facts of the case and the attitude in which they should be presented to the public. Any attempt to produce a text-book which was so innocuous as to be accepted throughout Canada would mean a strong discouragement to such healthy controversy. Moreover, so colourless a work could be achieved by distorting not only the truth but the facts; by representing everything in the past as having been for the best; by showing every historical character as having no character at all. The result would be to produce a textbook not only so harmless but so appallingly dull that

[p. 364]

even the long-suffering Canadian school boy would revolt. The teaching of history in Canadian schools is not particularly good. We hesitate to recommend anything which would make it more unappetizing to the scholars.

Finally, it is inevitable and perfectly proper that the balance of historical presentation should not be the same in the Maritimes, as in Quebec or in British Columbia. Greater emphasis ought to be laid upon the history of the area in which the school boy lives, and thefore what is proper for one must seem sadly distorted for another.

For these reasons I must strongly condemn the well-meaning but unintelligent agitation for common text-books in Canadian History for the whole of Canada.

Yours sincerely,
E.R. Adair,
Professor of History

II

8 April 1950.
Dear M. Laurendeau
:

In reply to yours of the 3rd, I would first of all state, as my humble opinion, that the greatest problem of Canada has been and will continue to be the promotion of mutual understanding and sympathy between French Canada and English Canada, that no possible approach to this problem should be neglected, and that the teaching of Canadian history in the schools could contribute more than anything else to the development of national unity throughout the country.

I would therefore subscribe, but not without some important reservations, to the general principle that "common text-books in Canadian history should be authorized for use at the same educational level in all public schools in Canada, whether French or English, Protestant or Roman Catholic, and regardless of provincial boundaries," as you have expressed it in your letter.

My first reservation is that this should not be taken to mean one text and one only for each level, which I think would be highly undesirable and certainly impossible. The tyranny of the single text in such a subject as national history is much more dangerous than most people realize.

The ideal arrangement, it seems to me, would be the authorization for each level of several texts, each acceptable to both French

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and English, Roman Catholic and Protestant, and the several provinces, with liberty to teachers or depatments to choose which they prefer. That would eliminate the use of texts that consciouly or unconsciously damage the cause of Canadian national unity, and it would further this cause by calling forth better texts than are now in existence. If the gentlemen who are responsible for the school systems of Canada really believe in the national unity of the country and I have no doubt that they do, I see no insuperable obstacle to their getting together and working out such an arrangement.

Another reservation I would make, and I am sure that these gentlemen would agree, is that in addition to the common history taught throughout Canada, each part of the country should be free to teach the history of that part. I would also urge that the lists of prescribed common texts should be revised frequently.

In conclusion I would suggest that if any move is to be made in the direction of the above general proposal, the lead should come from French Canada.

Yours sincerely,
A.L. Burt

III

SHOULD WE HAVE ONE UNIFORM TEXT BOOK ON CANADIAN HISTORY FOR CANADIAN SCHCOLS?

Ce petit essai devrait être écrit en français, mais le temps est court, et à cette saison, les professeurs sont une race très occupée. Donc je demande pardon au lecteur de ce que je continue en anglais.

I don't think it makes any difference whether we have one text-book in Canadian history across Canada or twenty - provided that the history such books purport to recount is good history, history that will stand up under the searchlight of knowledge and research.

Unfortunately, that is just the trouble with our school history books. Leaving aside, for the moment, the question of prejudice and deliberate distortion, they almost invariably are years behind the times: their authors are often people who themselves could not be considered scholars in the field. Such people necessarily depend on the work of other writers, often at third and fourth hand: the inevitable result is that the kind of "history" served out to children in the

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elementary grades is often the version of Canadian history current half a century or more ago, before the careful scholarship of the last generation had made its vast contribution.

If elementary text books are written by scholars, then there will not be too much to complain of, for the good scholar, whether French or English, will incorporate the results of the latest research, and above all, he will not allow his work to be polluted by prejudice. This does not mean that his book will be dull, or that all scholarly works will be exactly the same: every man's writing reflects his own personality and point of view, but that is i very different from allowing prejudice and even conscious falsification to creep into one's pages.

The first objective, then, is more authoritative history. The last people who should be allowed to write school histories, either primary school or secondary, are the school teachers. I hate to say it, but not one school teacher, lay or clerical, in ten thousand can pass as a scholar. The histories they write, for the most part, are simply older books with the pages re-arranged. School histories must be written by scholars, preferably with the advice of school teachers on points of presentation.

I myself am very much aware of how difficult the task is, for I have written a History of Canada for High Schools. In the course of writing it, I naturally consulted many members of the high school profession. I soon found that they expected me to write a history in set terms. Certain things - descriptions, anecdotes, quotations, etc. - had always been in: they must go in again. I tried to introduce some fresh material on Bishop Laval: this was looked upon very darkly - other books did not have it, so probably it was not true. Anyway, it was too difficult.

All this amounted to saying that the school teacher has worked out what might be called a "canon" of Canadian History and is determined to stick to it - partly because such a course raises the fewest difficulties, partly because of his own lack of knowledge. It is only in the Universities that the free play of the mind over the materials of history can occur. The schools do not seem interested in the free play of the mind: they prefer to teach Canadian history in much the same spirit as they teach the multiplication table.

What I have just said probably applies to all schools in the country, French and English, Catholic and Protestant. Our major tragedy lies in another direction. If all Canadian children were

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taught the same distorted myths as history, the country's youth would at least look in the same direction, whatever it might be: all Americans are taught or used to be taught that George Washington could not tell a lie. That in itself was probably a lie but it was also a uniform national myth which had its immoral utility in buttressing American patriotism.

Unfortunately in Canada our youth are taught two sets of myths, often drametrically opposed to each other. French youth is taught that the French Canadian people underwent unspeakable suffering, as a result of the English conquest. English youth is taught that the English conquerors were an awfully decent lot of people and that on the whole the French Canadian appreciated being conquered by them. Historians know that neither myth is true, and I am sure that half an hour's discussion would bring me into line with any French-speaking colleague on the post-conquest period. But is there any chance of a common and reasonably accurate version of the period 1759-1791 getting into the schools? Not a chance in the world. There are too many vested interests in prejudice, racialism, and un-Christian hatred for that to happen. We prefer to bring our children up as "good" French-speaking Canadians or "good" English- speaking Canadians, which means that we prefer to bring them up in the false myths that were poured into their parents, to bring them up surrounded with comfortable hates rather than with bitter truths. We shall get our reward: by cherishing our hates and our falsities (which we Canadians do to no greater extent than other people) we shall bring closer dies irae, that great and dreadful day when human division and hatred at last succeeds, through its devilish inventions, in blowing the race to pieces.

Let us not waste time bickering about whether we ought to have one uniform text book in Canadian history: let us have the truth of history, in whatever book or books it may be found.

A.B.M. Lower

IV

The University of Manitoba, Winipeg, Canada, Apr. 21, 1950
Dear Mr. Laurendeau:

In reply to your inquiry of April 8 as to whether text books in Canadian history for use in French and English, Catholic and Protestant schools are (a) possible (b) desirable, I beg to say:

[p. 368]

1. Theoretically, it is no doubt possible to produce such a book; pracitally, it would require the highest and most imaginative scholarship. The fruits of such scholarship would, at best, be of use only in the upper levels of instruction in the schools, and to teachers. I also think that Canadian historians need much further research in Canadan history at their disposal, particularly in regional and social history, before such a text may be written.

2. Such a text would be desirable insofar as it promoted tolerance, understanding and sympathy among the racial and religious groups of Canada. These are things which are better taught indirectly than directly. What is desirable is the best possible texts, French and English. A common text would be desirable if it freely commended itself to all groups on its merits. Such a book would be the result of inspired scholarship and personal devotion; official action cannot produce it.

Faithfully yours,
W.L. Morton ,
Professor of Canadian History.

V

Dear M. Laurendeau,

The question of a common text book raises another more fundmental question. Why is Canadian History taught in our schools at all? In my opinion, the purpose should be to stimulate thought about the present and the future. "Facts" are only a means to an end. They are useless unless they are put to some useful purpose, - unless they are thought about. On the other hand, one cannot think intelligently unless one is sure of certain essential "facts". Which "facts" should be taught? Those which are significant to an understanding of the present, - provided their significance is made clear.

The function of a text book therefore, is to provide such "facts" as are, in the opinion of the historical specialist, sgnificant; and secondly to provide assistance to the teacher in arousing and stimulating thought among the pupils.

My conclusion from these observations is that to prescribe a single common text book for all Canadian schools would be most unwise. It is perfectly obvious that the historical knowledge nesessary for intelligent living in the environment of Newfoundland is not exactly the same as in the Province of Quebec. If Canadian History is

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to be of any value it must be adapted to the needs of the chilren concerned.

But this is not all. Since the function of a text book is only to "provide assistance" to a good teacher, nothing should be done to exaggerate its importance. No book is perfect, no book is infaillible. It is something for the pupils to discuss, not memorize. The better the teacher the less he will emphasize the importance of any simple book. Two books are better than one, three are better still.

A really educated person is one who is both, sceptical and tolerant, - too sceptical to be the victim of propaganda, too tolerant to be the victim of prejudice. The uneducated person is the victim of both, no matter how many years he has been at college. In other words, the educated person is one who has been taught to think intelligently for himself. This could never be achieved if History were taught in all schools from the same text book, in the same manner as the multiplication tables or a catechism. To decree that History is to be taught from a single uniform text book throughout Canada would be to decree that it is to be taught simply as propaganda for the glorification of the status quo. This is what one expects in a totalitarian state where the purpose is to train people to believe without question what they are told in official statements. It has no place in democracy. The greater the variety of text books we rise across Canada the better not merely for our knowledge of History, but also for the development of the spirit of sceptical toleration which alone can make democracy meaningful. It is healhy and desirable to have more than one approach to our Canadian problems.

However, in conclusion I would say that text books should be produced jointly by trained historians and trained educationists. An historian is often a poor educationist, and an educationist is just as often a poor historian. Good school text books can be produced only if historians and educationists work together. And if the main ideas concerning Canadian historical development are made available to all school pupils through such text books, the provincial Departments of Education and the individual teachers should be left a good deal of freedom and time in which to add supplementary material suitable to their particular areas.

Yours faithfully,
Gordon 0. Rothney,
Professor of History, Sir George Williams College, Montreal.

[p. 370]

* * *
III

Témoignages d'historiens canadiens-français

[Les classifications sont parfois bien arbitraires. Ceux que nous rangeons ici comme "historiens" sont presque tous en même temps des éducateurs. Leurs témoignages vaudront à ce double titre.

Ils sont dans l'ensemble plus nettement défavorables au manuel unique que ceux de leurs confrères anglo-canadiens. Par ailleurs Mgr Olivier Maurault et M. Jean Bruchési rêvent d'un aperçu des faits, qui compléterait le manuel. M. Guy Frégault préconise un "manuel général". Mgr Albert Tessier et M. Léo-Paul Desrosiers disent les motifs de leur refus. Nous regrettons de n'avoir reçu aucune réponse de l'Université Laval.]

* * *
Jean Bruchési

[Professeur à l'Université de Montréal. Sous-Secrétaire de la Province de Québec, M. Bruchési est I'auteur, en particulier, d'une Histoire du Canada pour tous, et d'un livre sur Le Canada d'aujourd'hui.]

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Cher Monsieur,

A Plusieurs reprises déjà, je me suis publiquement exprimé sur le manuel unique d'histoire du Canada, entre autres dans deux de mes ouvrages et dans le discours présidentiel prononcé au Congrès de l'Acfas en 1945.

Comme je n'ai pas changé d'avis, je me contenterai de transcrire à votre intention deux passages qui traduisent mes vues sur la question.

De fait, un manuel unique d'histoire du Canada, dans toutes les écoles du pays, ne me semble pas désirable, même si son introduction est jamais possible; ce dont je doute. Et puis, ce qui compte le plus, ce n'est pas le manuel, mais la manière d'enseigner. D'autre part, je me suis souvent demandé si un groups d'historiens canadiens des deux langues n'arriveraient pas à rédiger tout au moins un aperçu des faits essentiels que tout jeune Canadien devrait connaître à sa sortie de l'école publique. Cet aperçu ne remplacerait évidemment pas le manuel, mais il le compléterait et, au besoin, le corrigerait.

Recevez, cher monsieur, l'expression de mes sentiments dévoués.

Jean Bruchési, M.S.R.C.,
Professeur à l'université de Montréal.

MANUEL UNIQUE D'HISTOIRE DU CANADA

"Ce n'est pas l'histoire véridique, enseignée avec discernement, qui inspirera le regret du passé, le dégoût du présent et la peur de l'avenir. Ce n'est pas

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elle qui dressera les uns contre les autres les citoyens d'un pays comme le Canada par exemple, sans qu'il soit besoin, pour empêcher ce malheur, d'un manuel uniforme dont le ton neutre ne saurait être soutenu qu'en faussant les faits. La vérité ne perd jamais ses droits".
(Le Chemin des Ecoliers, page 79).

"Tout en reconnaissant qu'il importe, dans un pays comme le Canada, de faire servir l'enseignement de l'histoire à la production, à la conquête d'une vie nationale véritable, il serait dangereux de prétendre y arriver au moyen d'un manuel unique, uniforme, de l'Atlantique au Pacifique... Ce n'est pas le manuel unique qui apportera le correctif nécessaire (aux déficiences des manuels en usage), mais bien, plutôt, l'exacte notion - grâce à un enseignement mieux ordonné - de ce que doit être, la vie nationale au Canada, basée elle-même sur la réalité des droits et des devoirs de chacun".
(Canada, réalités d'hier et d'aujourd'hui, pages 358 et 359).

* * *

M. Léo-Paul Desrosiers

[Conservateur de la Bibliothèque municipale de Montréal. Romancier et historien, M. Desrosiers a publié notamment Les Commencements et Iroquoisie].

Quelle idée a enfanté le projet d'un manuel unique d'histoire pour tous les écoliers du pays ? C'est évidemment le souci de l'unité nationale. Pour établir ou

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maintenir celle-ci parmi les générations montantes, on ne leur offrirait que les données historiques qui peuvent les unir au lieu de leur donner en même temps celles qui peuvent les unir aussi bien que celles peuvent les diviser. Ou bien on limiterait ces dernières d'un commun accord afin de leur enlever leur caractère nocif.

Que deviendrait la vérité dans cette aventure? Est-elle soumise aux dictées de l'unité nationale ou si elle possède des droits supérieurs à ceux de l'unité nationale? Peut-on la mépriser, l'édulcorer, la fragmenter, la diminuer pour une fin si noble que ce soit? Évidement non. La vérité passe avant tout. Tout manuel qui n'en tiendrait pas compte ne recevrait l'approbation de personne. Aucun historien digne de ce nom ne voudrait l'écrire. Et il serait inutile de l'écrire car la vérité se ferait jour malgré tout. Ses flots envahissants noieraient l'histoire officielle et asservie.

L'histoire véritable du Canada favorise-t-elle ou détruit-elle l'unité nationale? Personne ne le sait bien nettement. Toutefois elle contient des leçons rudes et précises pour les uns et pour les autres; elle comporte des enseignements qui ne sont pas artificiels; elle apporte des connaissances qui ne sont pas frelatées. Et c'est de ces leçons, de ces enseignements et de ces connaissances que peut jaillir l'unité nationale solide. Celle-ei ne se fondra jamais sur une pierre synthétique mais sur le roc vif de la réalité.

D'autre part, l'historien a des devoirs. Il se doit de raconter les faits tels qu'il les a compris. Il n'est pas un diplomate ni un agent de liaison, ni un politique, ni un apôtre de la bonne entente. Il n'adoptera

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jamais ces professions. S'il le faisait, il ne serait plus historien.

* * *

M. Guy Frégault

[Professeur, directeur de l'Institut d'histoire de l'Université de Montréal, auteur de D'Iberville, le Conquérant, François Bigot, administrateur français, etc.]

Ce n'est jamais sans beaucoup de sympathie que je vois un historien s'engager dans une controverse comme celle du manuel unique d'histoire du Canada. Que peut-on apporter à une telle discussion ? De nouveaux arguments? Des points de vue neufs? Mais tout a été dit. Tout a déjà été répété. J'entends que vous désirez une opinion. Mais quel cas en ferez- vous? Si l'opinion de l'historien diffère de la vôtre, vous la condamnerez; c'est bien votre droit. Si elle cadre avec la vôtre, vous accorderez à l'historien le mérite de penser comme vous. D'ailleurs, pourquoi demander l'opinion de l'historien plutôt que celle du plombier? Il est entendu que le premier venu, pourvu qu'il soit vaguement journaliste, peut dire à l'ouvrier de l'histoire comment faire ses livres et lui conseiller amicalement d'imiter Bainville et M. Gaxotte.

Je tiens donc, c'est assez compréhensible, à ne pas m'exprimer en tant qu'historien. Toutefois il ne me paraît pas inopportun d'ajouter ceci. L'histoire pro- pose à ceux qui l'étudient de singulières difficultés. Pour y apporter des solutions ou des éléments de solutions, l'historien doit travailler: c'est dire qu'il doit pouvoir travailler en paix. Pour ma part, un débat comme celui du manuel unique n'a franchement pas de

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quoi m'intéresser. On avait un fin sourire lorsque Olivar Asselin traitait quelqu'un d'économiste de manuel. Il existe, je le sais, des historiens de manuel. Je serais désolé que l'on crût que chaque historien en est nécessairement un.

Il est pourtant un aspect du présent débat qui peut attirer l'attention des observateurs: ce sont les réactions qu'il suscite. Ce qui me frappe, dans ces réactions, c'est leur diversité. J'ai vu des historiens, un jour qu'ils cherchaient sur quoi faire rouler leurs graves considérations, se réunir, s'interroger sur le manuel unique et tâcher d'aboutir à une conclusion unanime: ils n'y ont pas réussi. Et je ne crois pas qu'ils y réussissent jamais. Pourquoi? Parce que cette question en est une de pédagogie plutôt que d'histoire. Elle en est aussi une d'idéologie; or, à mon avis, les historiens devraient s'en rendre compte, il se peut qu'ils ne soient pas à leur place dans l'idéologie.

J'observe encore que, lorsqu'on discute du manuel unique, on se hâte d'oublier que l'on parle d'un "manuel", et tous les propos se croisent autour du terme "unique". On semble prendre pour acquis qu'un manuel d'histoire est un essai sur l'histoire et une interprétation de l'histoire. "Interprétation" est précisément l'un des premiers mots que l'on prononce, et on le préfère comme s'il signifiait une façon de dénaturer les faits, louable ou scandaleuse selon qu'elle s'accorde avec ses propres sentiments ou qu'elle y répugne. Un manuel d'histoire est un répertoire de faits établis accompagnés de l'indication des sources s'il s'agit d'un manuel avancé. Un manuel n'est pas fait pour illustrer une doctrine. C'est un instrument de travail et non pas de conviction.

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Doit-on souhaiter un manuel "unique"? Ici encore, il n'est pas superflu de savoir de quoi l'on parle. Si, par manuel unique, on entend un livre qui serait imposé à tous les étudiants canadiens, à l'exclusion de tous les autres livres - ce qui reviendrait à caresser le projet de faire un immense autodafé de tous les manuels existants pour les remplacer par un seul manuel, - il est clair qu'aucun homme libre n'en voudra et qu'aucun serviteur de la culture canadienne ne l'acceptera. J'ignore qui a mis en circulation l'expression "manuel unique"; je sais cependant que c'est quelqu'un qui s'est fourvoyé. Si l'on pensait à un manuel général, accessible à tous les étudiants canadiens, dans lequel ceux-ci auraient trouvé un recueil de faits établis concernant l'histoire de leur pays et présentés avec le seul souci de la vérité historique, - si c'était cela que l'on voulait dire, il eût été tellement simple de le dire, sans parler sottement d'apologétique, d'attaque ou de défense!

Un tel manuel général, fruit d'une loyale collaboration de la science pédagogique et de la science historique, je ne vois pas pourquoi un Canadien ne pourrait pas en souhaiter l'existence. Il est désirable que tous les jeunes Canadiens apprennent l'histoire de tout leur pays. J'avoue ne pas comprendre en quoi il serait dangereux pour un Canadien de langue française de mieux connaître le passé d'hommes qu'il lui faudra coudoyer toute sa vie, même s'ils ne parlent pas sa langue. Qu'avons-nous à gagner à l'ignorance du reste du Canada? Quant au reste du Canada, peut-il vivre, peut-il s'accomplir, peut-il s'épanouir sans notre concours? Notre concours, peut-il le désirer et l'obtenir, s'il ne nous connaît pas ?

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Il ne faut surtout pas que les Canadiens français aient une réaction de peur devant ce projet de manuel général. Qu'ils en soient plutôt persuadés, ce manuel leur servira et les servira dans la mesure où, honnêtement, il dira toute la vérité, c'est-à-dire dans la mesure où il sera rigoureusement scientifique: on "n'in'interprète" pas une science, on l'expose. Plutôt que de prendre peur d'avance, que les Canadiens français veillent donc à ce que ce manuel soit bien fait. S'il est bien fait, il ne leur nuira pas.

Il y a quelques années, on aimait répéter: un Canadien français ne saurait être un bon Canadien s'il n'est un bon Canadien français; ce n'est pas en abandonnant sa propre culture que l'on peut servir celle de son pays. Cette doctrine ne me paraît pas fausse, mais pour éviter toute équivoque, elle doit, me semble-t-il, se compléter par cet autre principe: un bon Canadien français ne peut pas être un bon Français d'abord, mais d'abord un bon Canadien; ce n'est pas en abandonnant la culture de son pays que l'on sert sa propre culture.

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Mgr Olivier Maurault

[Recteur de l'Université de Montréal, auteur de Marges d'histoire, L'Art au Canada, Nos Messieurs, etc.]

Avant de répondre à vos deux questions, je dois vous avouer que je ne suis favorable à aucun manuel unique, imposé dans toutes les écoles. Cette imposition décourage d'avance tous les spécialistes qui seraient tentés d'en composer un meilleur que celui qu'on aurait adopté.

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Et maintenant, à votre questionnaire:

Q. - Un manuel unique d'histoire du Canada est-il désirable ?

R. - Dans I'abstrait, oui. Quand on connaît l'extrême diversité de points de vue des auteurs de manuel, on sent le besoin d'une certaine uniformité. On pourrait peut-être s'entendre sur l'importance relative du régime français et du régime anglais. On pourrait apporter plus d'objectivité dans le récit de certains événements. En tout cas, l'essai proposé par quelques historiens ou éducateurs m'intéresse vivement... Je suis curieux de savoir quel résultat ils obtiendront.

Q. - Croyez-vous possible un manuel unique ?

R. - Non, pas pour le moment. L'origine bi-ethnique de la majorité des Canadiens et leur division, du point de vue religieux, me paraissent deux obstacles insurmontables à la composition d'un manuel unique. A moins d'en faire une simple énumération de dates et de faits, sans tenter de les expliquer et de les apprécier. - Mais alors, est-ce là de l'histoire, est-ce là de l'histoire éducative surtout ?

Et si l'on prenait le parti d'exposer sur deux colonnes l'interprétation franco-catholique et l'interprétation anglo-protestante de certains événements, en laissant à l'élève le soin de choisir entre les deux, atteindrait-on le but du manuel unique?

N.B. - J'étudie Terre-Neuve, en ce moment. Il va falloir l'intégrer dans l'histoire du Canada. J'ai hâte de voir comment les historiens vont pouvoir s'entendre sur sa découverte, sur le French Shore, sur le rapt du Labrador... etc.

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Mgr Albert Tessier

[Inspecteur général des Ecoles ménagères de la Province de Québec, auteur d'une Histoire des Trois-Rivières, de L'énigme Américaine, Jacques Buteux, etc.]

L'introduction d'un manuel unique d'Histoire du Canada dans toutes les écoles du pays me semble irréalisable et indésirable. Pas tant à cause des divergences - ou antagonismes -, qui séparent encore divers groupes canadiens, que pour des motifs d'ordre pédagogique et psychologique.

Pour s'en convaincre, qu'on tente d'obtenir l'accord d'un groupe d'historiens éducateurs sur un texte uniforme pour les écoles catholiques-françaises du Québec! J'ai participé à plusieurs réunions pédagogiques sur ce sujet et je puis facilement imaginer ce qu'une pareille tentative donnerait.

Comment supposer qu'un comité puisse arriver à s'entendre sur un texte acceptable par tous les Canadiens, d'un océan à l'autre ? On pourrait, à la rigueur, se mettre d'accord sur un catalogue de personnages, de faits, d'événements, mais il serait utopique de vouloir faire plus. La présentation de cette matière devra nécessairement varier selon les milieux. Le contenu d'un manuel scolaire n'est pas tout. Si on veut accrocher l'intérêt vivant et actif des élèves il faut recourir à des propos qui ne peuvent être les mêmes suivant qu'on s'adresse à des enfants ou à des adolescents des provinces maritimes, du Québec, de l'Ontario, de l'Ouest ou de la côte du Pacifique!

Un manuel unique mécaniserait l'éducation et lui enlèverait toute souplesse. Il dessécherait l'esprit au lieu d'éveiller l'enthousiasme et l'amour.

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IV

Deux opinions d'éducateurs

[On trouvera exprimée ici l'opinion de deux éducateurs, qui ont beaucoup réfléchi sur l'ensemble du problème canadien, et en particulier sur les questions de culture: le R.P. Richard Arès, s.j., dans les trois livres de Notre question Nationale, M. Esdras Minville dans son Citoyen canadien-français.

L'un et l'autre, ils concluent fortement pour la négative.]

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R.P. Richard Arès, s.j.

[Ancien professeur, aujourd'hui assistant directeur de la revue Relations, auteur du Dossier sur le Pacte fédératif, Notre question nationale etc.]

Mes vues sur le problème d'un manuel unique d'histoire du Canada pour toutes les écoles du pays? Comme je ne me reconnais guère de compétence parti- culière en un tel sujet, du point de vue technique, je me contente de vous répondre simplement ceci:

Je suis pour le libre jaillissement de la vie et de

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l'esprit, non pour leur standardisation on leur soviétisation; je suis pour le plein épanouissement de la personne humaine dans et par son premier milieu naturel d'abord, non pour son enrégimentation par les bureaucrates ou sa fabrication en série par les techniciens; je suis pour un patriotisme qui respecte l'ordre de la charité et de la piété, qui va, par conséquent, de la famille à l'humanité, en passant par le groupement national, non pour un patriotisme accroché aux seuls cadres politiques, vidé des trois quarts de sa substance humaniste, et allant par surcroît au rebours du bon sens et du coeur humain; je suis pour une unité canadienne organique, faite du concours conscient de chaque nationalité au bien de l'ensemble du pays, non pour une unité mécanique, imposée de dehors par un ressort central qui ferait tout mouvoir par son poids ou sa force; je suis enfin et surtout pour la vérité, particulière-ment dans l'enseignement de l'histoire, mais pour une vérité vivante, membrue et charnue, avec toutes ses bosses et ses plaies, avec tous ses charmes et ses grâces, avec tous ses chocs et ses heurts, non pour une vérité de commande, vérité cadavérique, désossée, arrangée, frigorifiée et servie en boîtes de conserve à des intelligences débiles qui, sous prétexte de bonne entente, se fermeraient à la lumière et se nourriraient d'équivoques et diffusions.

Pour toutes ces raisons, monsieur le directeur, ce bloc enfariné qu'on essaie de nouveau de nous servir sous le nom de manuel unique, ne me dit rien qui vaille.

J'ajouterai, à l'intention de ceux qui chercheraient à nous l'imposer, cette réponse de Mgr Hubert, évêque de Québec, au juge en chef Smith, qui venait d'offrir aux Canadiens tout un système d'éducation, à commencer

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par une Université, en l'an de grâce et de révolution 1789:

"Quel sera l'esprit qui guidera ce système d'éducation, demanda le prélat à l'envoyé des universités d'Angleterre.

- Ce sera, dit le juge, un système qui formera des hommes sans préjugés.

- Qu'est-ce qu'un homme sans préjugés? demanda avec humour Mgr Hubert, qui ajouta aussitôt: M. le juge, s'il s'agit de nous former des hommes qui ne tiennent ni à leur religion ni à leur nation, nous refusons. Nous sommes pauvres, mais avec le temps nous nous pourvoirons..."

* * *

M. Esdras Minville

[Directeur de l'Ecole des Hautes Etudes Commerciales de Montréal, directeur de la collection Etudes sur notre milieu, M. Minville a écrit Invitation à l'étude Le Citoyen canadien- français.]

Monsieur le Chanoine Groulx l'établissait il y a quelque temps: au point de vue objectivité de l'histoire, le manuel unique est une utopie. L'essentiel étant dit, nous pourrions en rester là.

Mais, par définition, un manuel est un ouvrage destiné à l'enseignement, à l'éducation. Or, à ce point de vue, il est peut-être bon de rappeler qu'une nation est un fait de culture qui se réalise dans le temps; que, dans l'oeuvre historique de toute nation, il y a l'effort accumulé des générations successives pour occuper la terre, l'aménager, la mettre en valeur, mais aussi et même surtout, une volonté latente ou active d'y

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établir un ordre, d'y inscrire une pensée, et qu'à cette détermination les faits eux-mêmes doivent leur signification; que, par suite, l'histoire a valeur éducative, humanisante dans la mesure seulement où, par delà les faits dans leur réalité concrète, elle découvre les motifs et saisit l'esprit qui les anime. "L'histoire, écrivait naguère Henri Massis, n'est pas seulement une suite de faits qui se succèdent dans le temps, c'est une suite d'idées qui s'inscrivent et s'enchaînent au plus profond des âmes et leur communiquent un sens".

L'histoire étant, avec l'éducation morale et la langue, facteur d'intégration à la culture nationale, la question que nous avons à nous poser touchant son enseignement est donc celle-ci; que voulons-nous pour nos descendants, pour le Canada de demain? La conservation ou la fusion des deux cultures nationales qui, depuis bientôt deux siècles, grandissent côte à côte, contribuant chacune selon son esprit au progrès du pays? Car tel est le problème fondamental de la politique canadienne d'après laquelle tout citoyen de l'un ou l'autre groupement ethnique doit régler ses attitudes - le citoyen canadien-français surtout, car s'il doit y avoir fusion, le fusionné, il y a bien des chances que ce soit lui.

Si nous sommes pour la fusion, c'est-à-dire pour la création d'une culture canadienne originale à même les deux cultures existantes, les partisans du manuel unique ont raison: il faut atténuer, détruire au plus tôt les particularismes, donc éviter à tout prix de rappeler les divisions anciennes et leurs causes, laisser les générations à venir ignorer l'apport respectif des deux éléments ethniques, les luttes politiques et les conflits de toutes sortes qui, tout au long de notre histoire, se

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sont élevés du fait de la complexité culturelle de la population canadienne. Il ne restera peut-être plus grand-chose à raconter et l'histoire du Canada prendra sans doute une allure assez étriquée; mais l'unité canadienne étant un primat, la vérité historique devra y consentir sa part de sacrifices. Nous ne disons pas l'exactitude concrète, matérielle des faits - celle-là [sic] pourra être respectée; mais la vérité, la vérité intégrale, celle qui considère l'apport de la pensée et de l'esprit comme une réalité aussi féconde et aussi précieuse que l'apport des bras et du nombre, de la force militaire ou économique.

Mais, ainsi engagé, il ne suffira pas, ajoutons-le tout de suite, d'unifier l'enseignement de l'histoire; il faudra, pour être logique, unifier aussi ce qui, au cours de l'histoire, a été cause d'opposition et de division. Les langues, par exemple. Y a-t-il quelque chose de plus révélateur de la dualité culturelle du pays que la dualité des langues, et de plus propre à faire douter de l'unicité de l'histoire unique? Et les religions? Le grand problème politique du pays se pose à la fois en termes de religion et en termes de culture. Supprimons si nous le voulons les différences de cul- ture; les différences de religion subsisteront avec tout leur poids de conséquences politiques. Au fond des luttes anciennes, par delà les attitudes sociales et politiques, ii y avait très souvent autrefois et il y a encore aujourd'hui une attitude religieuse, une action ou une réaction commandée en définitive par une conception religieuse de la liberté, du droit et de la dignité humaine. Le canadianisme intégral s'accom- moderait sans doute difficilement d'une dualité si fondamentale, si propre à faire réapparaître à tous

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les moments de l'activité sociale et politique les oppositions, les conflits, les luttes d'un passé dont l'enseignement de l'histoire s'attacherait par ailleurs masquer le vrai visage. Que ceux qui sont pour fusion lèvent donc la main... et prennent leurs responsabilités.

Exagération tout cela, dira-t-on. Aucun partisan du manuel unique ne souhaite la fusion des cultures et des religions; tous, au contraire, en veulent la sauvegarde et le libre épanouissement. Sans doute, mais la logique a ses droits, même en sociologie, même en politique. Pourquoi paraît-on avoir honte d'un passé qui doit sa grandeur, sa valeur d'enseignement au fait que les générations anciennes ont été fortement animées des mêmes convictions, au point d'en informer leur vie quotidienne, leur comportement social et politique, la bonne entente dût-elle à certains moments en souffrir un peu? Prétend-on supprimer les problèmes qui naissent de la dualité culturelle et religieuse du pays en laissant les prochaines générations en ignorer les caractères véritables et les grandes manifestations historiques? L'ignorance a-t-elle jamais été un élément de solution à quelque problème ou difficulté que ce soit? Et prétend-on conserver à l'histoire sa force d'intégration à la culture nationale en camouflant l'esprit, sous prétexte de ne pas froisser les sentiments de ceux qui ne pensent pas comme nous? La paix politique n'est-elle possible en ce pays qu'à la condition que l'un des éléments de la population dissimule ses convictions et sacrifie sa liberté et ses droits à l'humeur de l'autre ? Que serait la valeur éducative d'un enseignement de l'histoire qui s'en tiendrait à la chronologie sans explication, sans commentaire?

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Et si l'on se réserve de faire en classe les commentaires qu'exige la vérité historique, à quoi servira le manuel, sinon à masquer sous un voile de pudeur mensongère les intentions véritables? L'harmonie sociale et la paix politique ont-elles jamais résulté de l'hypocrisie érigée en règle d'action?

Si, au contraire - même les partisans du manuel unique ne cessent de l'affirmer - nous sommes pour la conservation et le libre épanouissement des deux cultures nationales, acceptons la pleine responsabilité de nos positions et enseignons l'histoire comme les générations antérieures l'ont vécue, sans rien cacher de l'esprit dont elles étaient animées. Nos enfants y puiseront la fierté de leur culture et de leur foi. En seront-ils pour autant hostiles à l'autre élément ethnique et religieux? La fierté, c'est-à-dire une juste appréciation de sa propre valeur, est-elle nécessaire- ment synonyme d'hostilité envers les autres? exclut-elle toute idée de collaboration? Une vertu peut assurer la paix et l'harmonie au Canada - et c'est la justice. Et à ce point de vue, les Canadiens français catholiques peuvent sans doute recevoir bien des leçons - mais pas de tout le monde.

Non, le manuel d'histoire unique est une fantaisie des centralisateurs. Malheureusement, une fantaisie dangereuse et qui, sans s'en douter peut-être, procède d'un certain esprit dont le monde contemporain a eu quelque peu à se plaindre: le totalitarisme.

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En manière de conclusion

1. Comment, en fait, pourrait-on parvenir au manuel unique? A moins de chambarder tout le système d'éducation, une telle réforme, ou une réforme tendant dans ce sens ne sauraient venir que des provinces, donc de dix départements de l'Instruction publique. Or "qu'on tente d'obtenir un texte uniforme pour les écoles catholiques-françaises du Québec", et déjà l'unanimité paraît impossible à obtenir; à plus forte raison, "comment supposer qu'un comité puisse arriver à s'entendre sur un texte acceptable pour tous les Canadiens, d'un océan à l'autre"? (Mgr Tessier). Au fait les adversaires du manuel unique ont peut-être tort de s'agiter: ils n'ont qu'à se croiser les bras et à attendre que "ses propres mérites (en) recommandent (un) en toute liberté à tous les groupes ......", puisque "l'ordre d'un gouvernement ne saurait le faire naître" (Morton). Il n'existe d'ailleurs pas, au Canada, de gouverne-ment capable de donner un tel ordre.

2. Peut-on obtenir, en histoire, une objectivité telle qu'elle s'impose à tous les esprits sans préjugés et par conséquent atteigne, par des adhésions libres devant l'évidence, ce que ni la contrainte ni la discussion ne sauraient donner? Le chanoine Groulx

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n'est pas seul à en douter.1 "Il peut être possible de déterminer des faits historiques exacts, mais je ne crois pas qu'il existe telle chose que la vérité. historique absolue. Ce qu'on avance comme vérité doit inévitablement être le produit non seulement du fait mais de l'historien qui choisit et interprète les faits" (Adair). "L'historien peut prétendre qu'il étudie les sources et se laisse guider par elles, sans prévention; mais, de toute évidence, s'il accepte ce que les sources affirment, if se plie, en cela moins à leur autorité qu'à la sienne, parce qu'elles correspondent à son propre critère de vérité" (Stanley). M. Lower, qui met chacun en garde contre les préjugés et surtout les falsifications accomplies de propos délibéré, le constate néanmoins: "Tout homme exprime dans ses écrits sa propre personnalité et ses points de vue..." Voilà bien le fond de la question. L'historien ne fait pas que rapporter des faits; même avant de les interpréter il les choisit et les classifie; dans ce choix et cette classification passe nécessairement quelque chose de lui-même, de sa façon de voir et de juger les choses ou les hommes, de ses idées.

3. Ces remarques ont bien plus de force quand il s'agit d'un manuel. Qu'est-ce qu'un bon manuel d'histoire? "un répertoire des faits établis", et uniquement cela? Mais qu'est-ce qu'un fait établi? établi aux yeux de qui? Si l'on sort des cas limites où toutes les sources concordent (en quelle année est mort Wolfe? qui a gagné la bataille de Carillon?) un fait que tel historien considérera comme établi ne le sera
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[Note infrapaginale] 1. "Le fait historique ... est un fait humain. Il implique donc, de par son essence, une certaine idée de l'homme, de la constitution de l'être humain, de sa dignité, de sa finalité." Etc.

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pas pour tel autre; une vue admise comme indiscutable par une génération d'historiens sera remise en question par une nouvelle équipe, etc.

Mais alors le manuel unique pourrait-il être autre chose qu'un "manuel uniforme dont le ton neutre ne saurait être soutenu qu'en faussant les faits", ou bien "un aperçu des faits essentiels que tout jeune Canadien devrait connaître à sa sortie de l'école publique... (et qui) ne remplacerait évidemment pas le manuel" (Bruchési); ou "une simple énumération de dates et de faits... Est-ce là de l'histoire, de l'histoire éducative surtout?" (Mgr Maurault); en d'autres termes, une "simple chronologie" (Stanley), "un catalogue de personnages, de faits, d'événements" (Mgr Tessier). Alors, "il ne restera peut-être plus grand-chose à raconter et l'histoire du Canada prendra sans doute une allure assez étriquée" (Minville); "vérité cadavérique, désossée, arrangée, frigorifiée et servie en boîtes de conserve..." (Arès). On aurait des nomenclatures, comme dans certains manuels de minéralogie, de quoi écraser la mémoire déjà surchargée des enfants, soit "un manuel non seulement si inoffensif, mais si épouvantablement ennuyeux que même l'âme du malheureux écolier canadien se révolterait" (Adair). Or "l'histoire n'est point simple chronologie, ni simple alignement ou entassement de faits" (Groulx). Enumérer, dans une telle matière, c'est presque ne rien accomplir; et faire revivre, c'est nécessairement interpréter. Mais alors réapparaît l'élément personnel, et adieu l'unanimité factice, adieu la science positiviste.

Or "pourquoi enseigne-t-on l'histoire canadienne dans nos écoles ? A mon avis le but devrait être de

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stimuler la pensée, en vue du présent et de l'avenir. Les "faits" ne sont qu'un moyen en vue d'une fin. Ils sont vains à moins qu'on ne les repense. D'un autre côté on ne saurait penser intelligemment si l'on n'est pas sûr de certains "faits essentiels"". Quels "faits" faut-il enseigner? Ceux qui aident à comprendre le présent - pourvu que leur sens soit rendu clair" (Rothney). Ces faits-là sont souvent les plus complexes, donc les plus contestés, les moins établis.

A côté des exigences de l'histoire, il y a donc les nécessités de la pédagogie. Les méthodes modernes veulent qu'on parte de l'expérience de l'enfant, de ses goûts, de ses préoccupations, toutes choses qui tiennent largement à son milieu. On doit "insister davantage sur l'histoire de la région où vit l'écolier" (Adair), cela est une évidence, le contraire irait "au rebours du bon sens et du coeur humain" (Arès). "Si on veut accrocher l'intérêt vivant et actif des élèves il faut recourir à des procédés qui ne peuvent être les mêmes" dans les diverses régions canadiennes (Mgr Tessier). "Pour avoir une valeur quelconque, l'histoire du Canada doit être adaptée aux enfants à qui on l'enseigne". (Rothney). Il ne semble pas qu'un manuel d'histoire régionale, ajouté à un manuel général, puisse corriger l'erreur pédagogique.

4. Plusieurs remarques des professeurs Burt, Lower et Morton doivent à notre sens être retenues. Que les historiens des deux groupes culturels canadiens se rencontrent, qu'ils perdent chacun leurs "complexes", que les fabricants de manuels accomplissent un plus grand effort de vérité et rafraîchissent, grand Dieu, leur documentation, cela va peut-être sans le dire mais cela va mieux en le disant. De tels échanges

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font souvent qu'on se comprend mieux, qu'on perd sa raideur et ses préventions. En outre, personne assurément ne voudrait prononcer un plaidoyer pour l'ignorance systématique de "l'autre groupe". Nous devons nous connaître les uns les autres, donc connaître le passé les uns des autres. Si l'on condamnait les enfants à subir un "manuel unique", je ne craindrais pour ma part aucune "contamination"; mais j'aurais peur qu'ils en meurent d'ennui.1

5. L'image d'historiens se réunissant en tant que tels pour fabriquer un manuel d'histoire du Canada à la sauce de l'unité nationale, cette image évoque les pays totalitaires. J'en dirais autant bien entendu d'historiens qui se concerteraient pour susciter la haine de qui que ce soit. L'histoire, démarche de l'esprit, ne saurait être une entreprise dirigée.

L'expression d'unité nationale - au sujet de quoi M. Léo-Paul Desrosiers se pose une question fort pertinente 2 - devient ambiguë. Certes, puisque notre pays existe il lui faut une certaine forme d'unité. Mais d'unité à unitaire et d'unitaire à centraliser la frontière paraît fragile dans le vocabulaire contemporain.

Le Canada possède l'unité politique; et encore cette unité s'exprime-t-elle par deux sortes d'Etats, l'un central, l'autre provincial, chacun souverain chez lui. Le Canada n'a pas d'unité culturelle: il se fonde essentiellement sur une dualité de culture. Au sens sociologique (cf. Delos, Arès et Minville), il y a un
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[Notes infrapaginales]
1. Un ami me suggère qu'ils ont la vie dure, ayant résisté aux manuels élémentaires et à la liste des gouverneurs... Mais il me semble que le manuel unique d'histoire serait un microbe encore plus virulent. Il faudrait en dire autant du "manuel général.

2. Voir page 374.

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peuple canadien, mais pas de nation canadienne parce qu'il n'y a pas de culture commune - mais deux cultures distinctes possédant des éléments communs. Au fond, différences religieuses, dit Esdras Minville; et le professeur Stanley pense "différences de philosophie".1

Nous n'entendons pas reprendre des questions que nous avons si souvent examinées, et sur lesquelles M. Minville vient de s'exprimer avec une grande rigueur logique. Disons plutôt que trois types généraux de solution s'offrent à nous.

La première, comme dans le cas de deux personnalités qui s'affrontent, c'est l'agressivité, ou si l'on se juge faible, la tendance à se barricader chez soi et à nourrir là ses amertumes ou ses ambitions. Dans ces conditions la vie à deux devient intolérable, on ne saurait rien fonder, surtout dans un siècle où les distances s'abolissent et où il n'existe plus telle chose qu'un milieu fermé.

Quand il constate ces chicanes plus que centenaires, l'esprit veut s'en dégager. Il imagine un monde où les différences n'existeraient plus, où à peine, et il veut que le mécanisme de l'État ou de l'éducation s'appliquent à les faire disparaître. On aboutit à ce bonnententisme
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[Note infrapaginale] 1. M. Stanley applique cette idée à l'histoire: "L'histoire et la philosophie, à bien des égards, dépendent l'une de l'autre; c'est ce que les historiens admettent de plus en plus. D'un côté, on peut considérer l'histoire comme une science, mais c'est une science incomplète... Le grand obstacle à la préparation d'un manuel unique réside dans une différence non pas de langue, de race, de nationalité ou de sang, mais de philosophies"...

Le chanoine Groulx avait exprimé la même pensée presque dans les mêmes termes "...la neutralité de l'esprit devant le fait historique, qu'il s'agisse de l'importance du fait, de sa moralité, ou simplement de sa causalité agissante, la neutralité est impossible, parce que la philosophie n'est pas la même de part et d'autre".

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fleuri, qui part d'un sentiment généreux lorsque aucune hypocrisie ne s'y mêle, mais qui reste superficiel et est condamné à le demeurer sous peine de devenir tracassier ou totalitaire. Pour que les hommes se rassemblent, paraît-on croire, il faut qu'ils aient les traits neutres; pour qu'ils cessent de se battre entre eux, ii faut les vider de leurs convictions profondes, les faire communier au néant. A ce niveau, plus de luttes parce que plus de substance. L'idéal d'une culture canadienne, si on entend l'expression au sens fort, revient à une volonté de neutralité.

Mais n'y a-t-il pas de solution ? Deux groupes vivent, veulent vivre de leur vie propre, et pourtant vivent ensemble. Avons-nous à choisir entre, d'une part, la lutte farouche et le repliement, et d'autre part la neutralisation des doctrines et des êtres? Nous continuons d'opter pour le pluralisme.

Le pluralisme n'accepte pas seulement une dualité d'être, il s'en enrichit; il accepte les fois divergentes comme un fait; il ne demande pas, pour que deux amis s'entendent, que l'un et l'autre croient un peu moins à ce à quoi ils croient. Il prend les hommes comme ils sont, même avec leur passé, même avec leur façon d'envisager leur passé, mais i; leur demande de savoir se dépasser, se rencontrer loyalement tout entiers, non amputés: se rencontrer par-dessus, non en dessous.

L'histoire véritable du Canada favorise-t-elle ou détruit-elle l'unité nationale? M. Léo-Paul Desrosiers se pose cette question à laquelle nous venons de référer. Personne ne le sait bien nettement, répond-il. Et il poursuit: Toutefois elle contient des leçons rudes et précises pour les uns et pour les autres; elle comporte des enseigne-ments qui ne sont pas artificiels; elle

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apporte des connaissances qui ne sont pas frelatées. Et c'est de ces leçons, de ces enseignements et de ces connaissances que peut jaillir l'unité nationales solide. Celle-ci ne se fondra jamais sur une pierre synthétique. Mais sur le roc vif de la réalité.

Le pluralisme commence par admettre tout le réel. Il ne supprime pas les difficultés de la vie pratique, il ne résout pas automatiquement les contradictions par une soustraction, et même, puisque nous savons bien les uns et les autres que nous ne perdrons pas nos défauts du jour au lendemain, il nous condamne à certaines luttes; mais il leur enlève le mauvais aiguillon de la haine."

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1950.08.12
Trudel, Marcel. "Le manuel unique d'histoire du Canada - Suite à l'enquête de l'Action nationale", Notre temps, 5, 42(12 août 1950):1.

"Le manuel unique d'histoire du Canada fait toujours parler de lui: il reste dans la liste des questions disputées qui font couler des flots d'encre; les politiciens eux-mêmes s'en mêlent. Comme les propagandistes du manuel unique parlent toujours assez haut pour qu'on s'imagine qu'ils représentent la foule, la ligue d'Action nationale a voulu savoir, en mai dernier, à quoi s'en tenir sur l'importance du parti "manuel-unique"; la Ligue a voulu connaître le sentiment des historiens, les premiers intéressés. Ceux-ci, de langue française ou de langue anglaise, ont répondu en grand nombre, en termes précis et avec une telle unanimité que les partisans du manuel unique doivent maintenant se demander avec angoisse qui va rester pour écrire ce manuel ... A cette enquête de l'Action nationale, aucun Professeur de l'Université Laval n'avait répondu et l'on a pu en conclure que la première université française d'Amérique regardait avec indifférence ou même favorisait totalement un système qui menace la survivance de la culture française au Canada: aucun professeur de Laval ne reste étranger à la question, mais voilà, à Québec, sur le cap solennel, habitué qu'on est à la lenteur d'un rythme séculaire, on ne s'en laisse pas imposer facilement par certaines méthodes audacieuses qui ont l'air de vouloir tout faire sauter. Tout de même, puisque nous sommes chargé d'enseigner l'histoire du Canada à l'Institut d'histoire et de géographie, il convient que nous disions à notre tour ce que nous pensons du manuel unique.

LE BESOIN DES ÉLÈVES

Qui dit manuel dit éducation et un manuel doit nécessairement se conformer aux besoins des jeunes auxquels on le destine. Ces jeunes n'étudient pas l'histoire pour retenir des dates, des noms et des faits; qu'ils soient de langue française ou de langue anglaise, ils étudient leur histoire pour mieux connaître leur origine propre et pour découvrir des motifs de perpétuer la culture qu'ils ont reçue de leurs ancêtres. Au stage où se trouvent ceux qui ont besoin d'un manuel (il faut donc exclure l'enseignement universitaire), nous ne trouvons pas d'autres buts premiers pour légitimer l'enseignement de l'histoire. Et cette éducation particulière que chaque groupe reçoit, n'est pas nécessairement, comme on le croit souvent, un élément de division: car, enfin, s'il y a dans l'histoire du Canada, des années de guerre qui rappellent aux Canadiens des deux langues les luttes ardentes de leurs ancêtres, il y a aussi, et en bien plus grand nombre, des années de tentatives de compréhension, des années de travail en commun dont le rappel devient pour les jeunes un élément de bonne entente. En histoire, il existe d'ailleurs des interpréta-tions qui diffèrent les unes des autres et qui restent quand même légitimes: c'est en se fondant sur ces interprétations différentes, contraires mêmes [sic], que les Canadiens de langue anglaise et de langue française ont continué fièrement leurs traditions personnelles. Supprimez cette liberté d'interprétation et l'histoire du Canada ne devient plus qu'une simple gymnastique de l'esprit: il ne restera plus qu'à la remplacer par n'importe quelle matière susceptible de produire le même entraînement intellectuel.

LA VÉRITÉ HISTORIQUE

Certains pourront penser que la multiplication des manuels d'histoire du Canada permet de n'enseigner à tel ou tel groupe que ce qu'on veut bien lui enseigner et qu'ainsi la vérité historique court le risque d'être défigurée. La chose est possible. Mais s'il y a parmi nous des auteurs de manuels qui osent cacher ou défigurer la vérité, nous leur rappellerons que la vérité a ses droits et qu'un manuel provincial qui ne serait pas entièrement vrai, serait aussi inacceptable que le manuel unique. La vérité historique, nous la voulons entière, intégrale, à condition évidemment qu'on n'en profite pas pour amuser la jeunesse avec des scandales (nous avons à chercher dans le passé ce qui peut former et non ce qui déforme): pour nous conformer aux désirs de Léon XIII, nous dirons l'histoire telle qu'elle a été: il n'y a pas que dans un manuel unique qu'on puisse exposer toute la vérité.

RAISONS HISTORIQUES

Mais nous ne voulons pas relever ici, un par un, tous les inconvénients pédagogiques que présenterait ce manuel unique (s'il était viable): nous donnerons simplement deux raisons historiques pour expliquer notre prise de position.

D'abord, la province de Québec est la seule province du Canada, avec l'Acadie française, à posséder, comme pays organisé, une histoire trois fois centenaire. Toutes les autres provinces, en tant que pays organisés, ont une histoire beaucoup plus récente: la Nouvelle-Écosse mise à part (à cause de ses deux cents ans), les autres provinces datent de la fin du dix-huitième siècle ou même sont à peine centenaires. Comment donc établira-t-on des proportions équitables pour rendre justice à toutes les provinces? La Colombie canadienne consentira-t-elle à se laisser presque effacer du manuel pour que les jeunes Colombiens en sachent autant que les Ontariens ? Et le régime français, pour qu'il ne soit pas trop indigeste aux jeunes de Terre-Neuve et de l'Alberta, il faudra nécessairement le réduire, le sabrer vigoureusement: en sorte que les jeunes Canadiens du Québec n'en apprendront pas plus long que ceux de la Saskatchewan. Certes, nous n'avons aucune objection à ce qu'on fasse étudier aux Canadiens français plus de régime anglais qu'auparavant (ils le font d'ailleurs de plus en plus), mais à condition qu'on augmente aussi la part du régime français qu'ils ne connaissent encore que trop peu! Le régime français, c'est notre fonds à nous, c'est celui qui justifie la présence de la culture française au Canada et qui la rend essentielle à la nation. Que ce régime français, que cette histoire du Canada français, soit réduite à des proportions ridicules pour satisfaire l'Alberta ou Terre-Neuve, non vraiment nous n'en sommes pas rendus à ce degré de servitude!

ET L'ÉDUCATION?

Enfin, quand nos pères, en constituant l'Acte de la Confédération, ont assuré aux provinces leur autonomie en matière d'éducation, ce n'était pas pour qu'un jour, des Canadiens, soi-disant de bonne volonté, aillent se faire les apôtres de la centralisation dans l'un des domaines les plus délicats de l'enseignement, dans l'une des matières les plus propres à former la jeunesse de langue française. Quand les Américains ont rédigé leur Constitution, ils ont refusé de remettre au gouvernement central le contrôle de l'éducation. Les Pères de la Constitution américaine et les Pères de la Confédération canadienne ont fait preuve de la même sagesse et du même sens commun: ils ont laissé de côté les faux soucis de bonne entente, ils ont songé à l'avenir. Craignons, nous aussi, d'adopter des méthodes dangereuses que nos petits-fils pourraient nous reprocher avec amertume de leur avoir imposées; les générations futures se débrouilleront comme nous nous débrouillons! les générations anciennes se sont tout de même assez bien débrouillées ... Gardons-nous de rompre durement avec le passé, en suppliant le fédéral de nous enlever nos privilèges en éducation pour que les Québécois, les Colombiens, les Terre-Neuviens et les autres aient ce délicieux plaisir d'étudier tous dans un même livre une matière sans couleur ni saveur, convenable à tout le monde mais utile à personne."

1950.10
Trudel, Marcel. "Le manuel unique d'histoire du Canada", Vie française, 5, 2(oct. 1950):95-99.

"Le manuel unique d'histoire du Canada fait toujours parler de lui: il reste dans la liste des questions disputées qui font couler des flots d'encre; les politiciens eux-mêmes s'en mêlent. Comme les propagandistes du manuel unique parlent toujours assez haut pour qu'on s'imagine qu'ils représentent la foule, la ligue d'Action nationale a voulu savoir, en mai dernier, à quoi s'en tenir sur l'importance du parti "manuel-unique"; la Ligue a voulu connaître le sentiment des historiens, les premiers intéressés. Ceux-ci, de langue française ou de langue anglaise, ont répondu en grand nombre, en termes précis et avec une telle unanimité que les partisans du manuel unique doivent maintenant se demander avec angoisse qui va rester pour écrire ce manuel ... A cette enquête de l'Action nationale, aucun Professeur de l'Université Laval n'avait répondu et l'on a pu en conclure que la première université française d'Amérique regardait avec indifférence ou même favorisait totalement un système qui menace la survivance de la culture française au Canada: aucun professeur de Laval ne reste étranger à la question, mais voilà, à Québec, sur le cap solennel, habitué qu'on est à la lenteur d'un rythme séculaire, on ne s'en laisse pas imposer facilement par certaines méthodes audacieuses qui ont l'air de vouloir tout faire sauter. Tout de même,

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puisque nous sommes chargé d'enseigner l'histoire du Canada à l'Institut d'histoire et de géographie, il convient que nous disions à notre tour ce que nous pensons du manuel unique.

Qui dit manuel dit éducation et un manuel doit nécessairement se conformer aux besoins des jeunes auxquels on le destine. Ces jeunes n'étudient pas l'histoire pour retenir des dates, des noms et des faits; qu'ils soient de langue française ou de langue anglaise, ils étudient leur histoire pour mieux connaître leur origine propre et pour découvrir des motifs de perpétuer la culture qu'ils ont reçue de leurs ancêtres. Au stage où se trouvent ceux qui ont besoin d'un manuel (il faut donc exclure l'enseignement universitaire), nous ne trouvons pas d'autres buts premiers pour légitimer l'enseignement de l'histoire. Et cette éducation particulière que chaque groupe reçoit, n'est pas nécessairement, comme on le croit souvent, un élément de division: car, enfin, s'il y a dans l'histoire du Canada, des années de guerre qui rappellent aux Canadiens des deux langues les luttes ardentes de leurs ancêtres, il y a aussi, et en bien plus grand nombre, des années de tentatives de compréhension, des années de travail en commun dont le rappel devient pour les jeunes un élément de bonne entente. En histoire, il existe d'ailleurs des interpréta-tions qui diffèrent les unes des autres et qui restent quand même légitimes: c'est en se fondant sur ces interprétations différentes, contraires mêmes [sic], que les Canadiens de langue anglaise et de langue française ont continué fièrement leurs traditions personnelles. Supprimez cette liberté d'interprétation et l'histoire du Canada ne devient plus qu'une simple gymnastique de l'esprit: il ne restera plus qu'à la remplacer par n'importe quelle matière susceptible de produire le même entraînement intellectuel.

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Certains pourront penser que la multiplication des manuels d'histoire du Canada permet de n'enseigner à tel ou tel groupe que ce qu'on veut bien lui enseigner et qu'ainsi la vérité historique court le risque d'être défigurée. La chose est possible. Mais s'il y a parmi nous des auteurs de manuels qui osent cacher ou défigurer la vérité, nous leur rappellerons que la vérité a ses droits et qu'un manuel provincial qui ne serait pas entièrement vrai, serait aussi inacceptable que le manuel unique. La vérité historique, nous la voulons entière, intégrale, à condition évidemment qu'on n'en profite pas pour amuser la jeunesse avec des scandales (nous avons à chercher dans le passé ce qui peut former et non ce qui déforme): pour nous conformer aux désirs de Léon XIII, nous dirons l'histoire telle qu'elle a été: il n'y a pas que dans un manuel unique qu'on puisse exposer toute la vérité.

Mais nous ne voulons pas relever ici, un par un, tous les inconvénients pédagogiques que présenterait ce manuel unique (s'il était viable): nous donnerons simplement deux raisons historiques pour expliquer notre prise de position.

D'abord, la province de Québec est la seule province du Canada, avec l'Acadie française, à posséder, comme pays organisé, une histoire trois fois centenaire. Toutes les autres provinces, en tant que pays organisés, ont une histoire beaucoup plus récente: la Nouvelle-Écosse mise à part (à cause de ses deux cents ans), les autres provinces datent de la fin du dix-huitième siècle ou même sont à peine centenaires. Comment donc établira-t-on des proportions équitables pour rendre justice à toutes les provinces? La Colombie canadienne consentira-t-elle à se laisser presque effacer du manuel pour que les jeunes Colombiens en sachent autant que les Ontariens ? Et le régime français, pour qu'il ne soit pas trop indigeste aux jeunes de Terre-Neuve et de l'Alberta, il

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faudra nécessairement le réduire, le sabrer vigoureusement: en sorte que les jeunes Canadiens du Québec n'en apprendront pas plus long que ceux de la Saskatchewan. Certes, nous n'avons aucune objection à ce qu'on fasse étudier aux Canadiens français plus de régime anglais qu'auparavant (ils le font d'ailleurs de plus en plus), mais à condition qu'on augmente aussi la part du régime français qu'ils ne connaissent encore que trop peu! Le régime français, c'est notre fonds à nous, c'est celui qui justifie la présence de la culture française au Canada et qui la rend essentielle à la nation. Que ce régime français, que cette histoire du Canada français, soit réduite à des proportions ridicules pour satisfaire l'Alberta ou Terre-Neuve, non vraiment nous n'en sommes pas rendus à ce degré de servitude!

Enfin, quand nos pères, en constituant l'Acte de la Confédération, ont assuré aux provinces leur autonomie en matière d'éducation, ce n'était pas pour qu'un jour, des Canadiens, soi-disant de bonne volonté, aillent se faire les apôtres de la centralisation dans l'un des domaines les plus délicats de l'enseignement, dans l'une des matières les plus propres à former la jeunesse de langue française. Quand les Américains ont rédigé leur Constitution, ils ont refusé de remettre au gouvernement central le contrôle de l'éducation. Les Pères de la Constitution américaine et les Pères de la Confédération canadienne ont fait preuve de la même sagesse et du même sens commun: ils ont laissé de côté les faux soucis de bonne entente, ils ont songé à l'avenir. Craignons, nous aussi, d'adopter des méthodes dangereuses que nos petits-fils pourraient nous reprocher avec amertume de leur avoir imposées; les générations futures se débrouilleront comme nous nous débrouillons! les générations anciennes se sont tout de même assez bien débrouillées ... Gardons-nous

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de rompre durement avec le passé, en suppliant le fédéral de nous enlever nos privilèges en éducation pour que les Québécois, les Colombiens, les Terre-Neuviens et les autres aient ce délicieux plaisir d'étudier tous dans un même livre une matière sans couleur ni saveur, convenable à tout le monde mais utile à personne."

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Page modifiée le : 17-05-2016
 

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