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[Liste des manuels autorisés par la Commission des écoles catholiques de Montréal, complétée par une liste des "Livres à l'usage du personnel enseignant"; ces deux listes ne comprennent que les imprimés destinés aux francophones.]
Dans un article antérieur nous insistions sur la nécessité de savoir aussi exactement que possible ce que devra contenir un manuel scolaire avant de le composer. Nous avons vu qu'une enquête bien conduite nous renseignerait sur la valeur pratique des règles à enseigner à l'enfant, d'après le nombre de fois qu'on les rencontre dans la vie courante. Il ne faudrait pas croire toutefois que le manuel est prêt à imprimer parce qu'on a terminé ce travail préliminaire. La fréquence d'emploi d'une règle marque son importance relative, mais n'indique pas sa facilité d'apprentissage. Parce que deux règles sont en usage au tant l'une que l'autre, cela ne veut pas dire qu'elles doivent figurer au même endroit dans le manuel, bien qu'elles s'apparentent parfois au point de trouver illogique de les séparer. Tels sont, dans l'arithmétique, le premier et le deuxième cas du tant pour cent et dans la grammaire, les règles du participe passé avec "être" ou "avoir". Nos livres de classe actuels ressemblent beaucoup plus à des traités qu'à des manuels; on y a observé une disposition d'une logique très correcte, mais c'est précisément cette logique adulte qui ne s'accorde pas toujours avec celle de l'enfant et peut même devenir pour lui un facteur [p. 348] de confusion. Un bon manuel doit faciliter à l'élève l'apprentissage des notions nouvelles en respectant les conditions de cet apprentissage. Il y a là une question de maturation mentale qu'on oublie trop souvent. Celle du corps se voit plus aisément, et on ne force pas un enfant à accomplir telle tâche physique avant l'âge requis, parce qu'on s'aperçoit qu'il en est incapable. L'esprit, lui aussi, est sujet à une maturation qu'il faut respecter. S'il est absurde de vouloir apprendre à sauter au bébé qui vient de faire ses premiers pas, toute logique que puisse paraître la relation entre ces deux mouvements, il est aussi absurde de vouloir faire apprendre telle notion à l'élève qui n'a pas atteint le développement mental voulu, bien que cette notion nouvelle nous paraisse intimement liée avec la précédente.
Il existe un âge requis pour l'apprentissage de l'accord de l'adjectif ou de la multiplication des fractions comme pour le fait de manger seul avec une cuiller ou de lacer ses chaussures. On dira sans doute qu'il est difficile de déterminer ces différents âges, puisque les enfants montrent des différences marquées. La chose n'est pas facile, je l'avoue; mais elle est d'autant plus importante que, sans une connaissance au moins approximative des divers degrés de maturité mentale en rapport avec les apprentissages, on risque non seulement de perdre son temps et celui de l'élève, mais, ce qui est pire, on s'expose à déclencher chez celui-ci un mécanisme d'opposition qui peut s'étendre bien au-delà de la tâche actuelle, qui peut dégénérer en dégoût pour toute étude.
En plus de ne pas respecter le phénomène de la maturation mentale, quelques-uns de nos manuels scolaires, toujours en voulant grouper les règles qui s'apparentent logiquement, ne tiennent pas assez compte des éléments très différents que comporte l'apprentissage de deux notions paraissant semblables. Supposons pour un instant que les règles du participe passé avec "être" et avec "avoir" puissent s'enseigner au même moment. Est-ce que les éléments de base sont les mêmes dans les deux cas? L'apprentissage de la première de ces règles suppose que l'élève sait reconnaître l'auxiliaire en question, qu'il sait trouver le participe passé et le différencier de l'infinitif pour les verbes de la première conjugaison, qu'il sait trouver le sujet et en voir le genre et le nombre, qu'il connaît la règle d'accord de l'adjectif. Nous voyons quelle série d'éléments l'élève doit différencier avant de les intégrer en un tout applicable à l'accord du participe passé avec "être". Si on force l'enfant à apprendre l'autre règle avant que la première soit suffisamment assimilée on introduit des éléments nouveaux et très différents des premiers tels que l'accord avec le complément direct, sa place par rapport au participe, etc. Il se produit alors un phénomène de désorganisation. L'introduction d'éléments nouveaux dans un schéma mal intégré tend à le détruire et à produire de la confusion. L'enfant ne recueille que des miettes de savoir sans en voir la relation. Et la confusion va s'accentuant à mesure que d'autres éléments s'accumulent.
On a accoutumé à désigner par l'épithète de paresseux ces malheureux élèves qui ne réussissent pas comme on l'espère les tâches assignées; mais se demande-t-on parfois si la tâche convient à leur développement mental et si elle a été abordée avec les précautions voulues? Un échec entraîne souvent un autre échec, et l'insuccès a autant d'effets néfastes que la réussite en a de bons. Ne rencontre-t-on pas des enfants blasés intellectuellement à 12 ou 14 ans? Dans leur langage ces élèves disent qu'ils sont tannés; et peut-on les en blâmer? Il y a bien les moyens coercitifs:réprimandes, punitions de toutes sortes, sur lesquelles on compte parfois pour faire déclencher un ressort secret. De même qu'un cheval, sous la morsure du fouet, peut donner un coup de collier extraordinaire pour porter une charge trop lourde, de même l'élève peut lui aussi, s'il sent la menace planer au-dessus de sa tête, fournir un effort magnifique. Mais cet effort ne peut pas durer, parce qu'il est anormal. Vouloir le faire durer serait le plus sûr moyen d'inspirer du dégoût pour toute tâche scolaire. Il vaut certes mieux respecter les capacités de l'enfant; et, pour cela, il faudrait sur chaque tâche coller une étiquette indiquant l'âge auquel elle convient et le procédé à suivre pour la réussir. Sur ce dernier point, certains livres de cuisine font preuve d'une meilleure didactique que quelques-uns de nos manuels scolaires.
L'amélioration des conditions d'apprentissage dans les tâches scolaires est un travail très délicat qui ne peut s'accomplir que lentement. Quand on entend dire qu'un système pédagogique a mis dix ou quinze [p. 349] ans à s'établir on ne doit pas s'en étonner, si l'on comprend l'importance de la didactique et la prudence que demande tout travail réellement scientifique. Cependant n'allons pas nous effrayer outre mesure; le travail est long, mais il est possible.
Voilà une besogne pour laquelle le pédotechnicien est l'artisan tout désigné, et même le seul qui puisse la mener à bonne fin. Le travail relève à la fois de la didactique, de la psychologie et de la statistique. Mais l'instituteur y a aussi son rôle à jouer. Il ne doit pas se désintéresser du travail du pédotechnicien parce qu'en définitive ce sont ses élèves et lui-même qui en bénéficieront. De plus, le pédotechnicien, dans une recherche de ce genre, ne peut rien sans l'aide de l'instituteur, le seul en contact permanent avec les élèves pour observer leurs réactions. L'un et l'autre, bien que par des moyens différents, visent au même but.
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En quoi la pédagogie moderne peut-elle nous aider à résoudre un problème aussi complexe? On s'est depuis longtemps rendu compte du besoin de méthodes nouvelles, mais quelques centres seulement se sont décidés à entreprendre la besogne d'une manière scientifique. Certains ouvrages didactiques nous renseignent sur les deux facteurs de l'apprentissage dont nous parlions tantôt: le degré de maturation mentale et l'intégration des éléments.
Pour déterminer le degré de maturation mentale requis par les tâches scolaires, on a généralement recours à la courbe d'apprentissage. La recherche des éléments de base se fait ordinairement par l'analyse des facteurs dont dépend la réussite dans une nouvelle tâche.
Dans un bref aperçu nous essaierons d'indiquer en quoi consistent ces deux procédés, mais nous tâcherons surtout de montrer qu'il est possible de les appliquer chez nous, sans bouleverser l'école. Mais avant de présenter ce modeste essai, nous tenons à revenir sur la nécessité de former des techniciens de l'enseignement. Malgré toute sa bonne volonté, un instituteur ne peut entreprendre de tels travaux; il lui manque le temps, la liberté et la préparation spéciale. Ce n'est pas avec des moyens de fortune qu'on réussit ordinairement de grandes oeuvres. Si l'on se décide à donner à nos manuels scolaires une haute valeur didactique, on ne peut se contenter d'à peu près; le caractère scientifique dont se revêt la pédagogie moderne ne le permet plus.
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Si l'on enseignait la règle de trois à des enfants de 8 à 14 ans, on constaterait une corrélation entre l'âge et la réussite. La représentation graphique de cette corrélation produirait une courbe indiquant que plus l'enfant vieillit plus il a de chance de comprendre la règle étudiée. Mais à un moment donné la courbe ne monte plus; elle a atteint un plateau. L'âge a beau augmenter, les résultats obtenus restent sensiblement les mêmes. Voici, très brièvement, et même très grossièrement expliqué, ce qu'on entend par courbe d'apprentissage. Grâce à de telles courbes, on parvient à déterminer l'âge minimum auquel un enfant peut réussir une tâche scolaire; au-dessous de cet âge, on l'expose à un échec d'où naîtront probablement la confusion et le manque d'intérêt. La courbe indique aussi le moment le plus favorable à la réussite de la tâche donnée, ou âge optimum, au-dessus duquel l'apprentissage ne se fait pas plus aisément. Le point d'inflexion de la courbe, là où commence le plateau indique approximativement cet âge optimum.
Il serait trop long de décrire toutes les précautions à prendre pour obtenir des courbes utilisables. D'ailleurs la statistique nous enseigne les étapes à suivre pour arriver à des résultats significatifs. Qu'on me permette de ne pas entrer dans plus de détails. Ce qu'il suffit de remarquer c'est que, se basant sur des recherches scientifiques, on éliminerait plusieurs causes d'erreur dans la distribution des tâches contenues dans nos manuels scolaires.
De telles recherches sont-elles possibles chez nous? Pourquoi pas? Il n'est pas nécessaire, dès le début, de dresser des courbes d'apprentissage pour tous les points de la grammaire ou de l'arithmétique. Visons d'abord au pratique; tenons-nous en à ce qu'une enquête nous aura indiqué comme étant d'usage courant. Celui qui s'attaquerait aux règles élémentaires de l'accord de l'adjectif ou du verbe ne risquerait certainement pas d'entreprendre un travail inutile. Prenons donc le cas de l'accord du verbe et essayons d'en découvrir les âges minimum et optimum d'apprentissage.
Cet accord doit-il être enseigné à des enfants de 8, 9 ou 10 ans? La question est encore trop vague pour faire l'objet d'une recherche. S'agit-il de l'accord avec un ou plusieurs sujets? avec des sujets de même personne ou de personnes différentes? etc. Délimitons donc avec précision le ou les points à enseigner. Prenons au hasard un certain nombre de classes où les âges varient de huit à dix ans. L'enseignement de cet accord terminé, attendons quelque temps, six semaines environ, et soumettons les élèves à un examen objectif, de préférence à un test analytique. Si nous ne gardons que les résultats de 80% et plus, par exemple, nous pourrons compter les élèves de chaque âge qui ont compris l'accord en question. Etablissons la courbe fournie par le nombre de ces résultats en fonction de l'âge; le point indiquant que 75% des enfants obtiennent un résultat de 80% dans l'accord enseigné nous donne, en abscisse, l'âge minimum d'apprentissage ; le point d'inflexion de la courbe, l'âge optimum. Ces deux âges indiquent approximativement quand commencer l'apprentissage de ces règles.
Je m'excuse de donner un aperçu aussi sommaire de la courbe d'apprentissage. Cette illustration ressemble au dessin que l'on fait de deux cercles et de trois traits pour représenter un chat; il y manque un grand nombre de détails intéressants. Le seul but de cet exposé est de démontrer qu'une recherche sur les âges d'apprentissage, même si elle exige de la patience et de la prudence, n'est pas une impossibilité.
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Disons maintenant quelques mots des éléments de base dans l'apprentissage. Les chances de réussite dans une tâche scolaire ne sont plus calculés [sic] ici en fonction de l'âge, mais de la préparation immédiate de l'élève et de la gradation des difficultés. Reprenons l'exemple de l'accord du verbe. Quand l'enfant est-il prêt à commencer cet apprentissage? Quand est-il capable de trouver le verbe et son sujet. Cela peut avoir l'air d'une lapalissade; pourtant certains enfants n'en sont pas encore à ce stage [sic] de différenciation quand ils apprennent la règle d'accord. Comme gradation des difficultés, signalons simplement une série d'adaptations nouvelles qui produisent de la confusion si on les présente dans un ordre quelconque, sans se soucier du travail d'intégration qu'elles exigent de l'élève. Ainsi, le sujet peut être placé immédiatement avant le verbe, ou distancé par un ou plusieurs mots; il peut être un nom ou un pronom; le nombre de ce pronom peut être évident comme dans celui, ceux, ou masqué comme dans qui. En cherchant bien, et sans s'écarter des règles élémentaires, on trouverait sans doute une vingtaine de difficultés auxquelles l'enfant doit faire face au cours de l'apprentissage. Ce qui est plus compliqué encore, c'est d'ordonner ces difficultés pour qu'elles se présentent en une suite logique. Je crois que l'analyse des éléments influencerait la courbe au point de faire baisser sensiblement les âges minimum et optimum.
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Comment des recherches sur ces deux facteurs d'apprentissage, âges et éléments, pourraient-elles nous aider dans la composition des manuels scolaires? L'étude des âges favorables nous garderait de présenter des tâches à des enfants n'ayant pas assez de maturation mentale pour les accomplir; elle remplacerait l'ordre logique par l'ordre pédagogique. L'analyse des éléments indiquerait les exercices nécessaires à la préparation d'une nouvelle tâche et la gradation des difficultés au cours de l'apprentissage.
En terminant, rappelons que, pour mettre au point notre didactique, le travail ne manque pas, mais qu'il est possible. Rappelons aussi que l'école ne doit pas seulement accumuler des matériaux dans l'esprit de l'enfant, mais qu'elle doit surtout l'aider à les intégrer. Que penserait-on d'un architecte qui dirait: "Les bases de l'édifice ne sont pas solides, mais à force d'entasser des matériaux elles vont se placer"? Nul doute que cette négligence du début compromettra un jour la structure de l'édifice, quel que soit le soin que l'on ait mis à le charger d'ornements. Ecoutons parler les gens, parfois même ceux dont les études furent assez poussées ; leur langage nous révélera qu'une accumulation de règles de grammaire ne forme pas toujours un édifice aux murs sans lézardes."
Dans de précédents articles sur les manuels scolaire [sic], il fut question de l'importance, de la nécessité même, de déterminer par des recherches le contenu d'un manuel en formation et la distribution de ce contenu. Il nous reste à traiter de la présentation de la matière pour que l'élève saisisse facilement le sens de ce qu'on lui expose.
Nous terminerons cet aperçu sur les manuels en disant quelques mots des moyens de contrôler leur efficacité et d'opérer les rajustements nécessaires.
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Il n'est pas besoin d'examiner longtemps certains de nos livres de classe pour s'apercevoir qu'ils ne sont pas toujours écrits pour que les élèves les comprennent aisément. Quand le maître est obligé d'expliquer la plupart des mots d'une définition ou d'une règle, peut-on dire que le manuel est écrit dans un style à la portée des enfants? On dira; que chaque science a son vocabulaire particulier. D'accord, il existe des mots irremplaçables parce qu'ils ont un sens précis consacré par l'usage. Aussi ne s'agit-il pas de ces mots-là, mais de ceux dont on se sert dans l'explication d'une règle ou l'exposé d'un fait. En parcourant différentes grammaires on se rend compte que la même règle peut s'expliquer de plusieurs façons, de même qu'un fait d'histoire peut se conter de bien des manières, sans que le fond en soit modifié. La même chose peut donc être dite d'une façon claire ou obscure, agréable ou sèche. Certains auteurs de manuels font parfois preuve d'une richesse de vocabulaire qui, malgré sa précision, ne fait souvent que nuire à la simplicité dont l'enfant a besoin pour bien comprendre ce qu'on lui expose. On entend dire quelquefois qu'il serait absurde de composer un manuel d'histoire, de grammaire ou d'arihmétique dans un langage fautif et enfantin. Le mot enfantin n'a pas nécessairement un sens péjoratif. On rencontre des auteurs qui s'appliquent à écrire dans un style à la portée de l'enfant les ouvrages qu'ils leur destinent. On ne peut que les en féliciter, surtout si l'on comprend bien toute la difficulté qu'ils éprouvent à simplifier ainsi leur langage. Le choix des mots dépend de l'âge de l'enfant à qui l'on s'adresse. Le langage varie, se perfectionne et se développe avec les années. Cette évolution est conditionnée par plusieurs facteurs individuels, mais il existe quand même des moyennes sur lesquelles on peut se baser. Serait-il donc impossible de composer des manuels destinés aux enfants de sept ans écrits avec des mots qu'ils comprennent, exception faite, bien entendu, des quelques mots consacrés dont nous parlions plus haut? Lorsque ces enfants auront douze ans et que leur vocabulaire se sera étendu, les manuels dans lesquels ils étudieront pourront employer un style plus riche ou plus abstrait que les enfants seront alors capables de comprendre. Mais le fait d'employer le même langage avec des élèves de différents âges, langage qui est parfois au-dessus de celui, de l'adulte moyen, constitue une, grave erreur pédagogique. On prétextera peut-être que l'école doit enrichir le vocabulaire de l'enfant en lui enseignant beaucoup de mots nouveaux dont il ne comprend pas la signification immédiatement, mais qui lui serviront plus tard. J'avoue n'avoir jamais rien compris à ce principe pédagogique voulant que de la non-assimilation doive, on ne sait par quel phénomène, engendrer de l'intégration. N'est-il pas à craindre plutôt qu'un tel dosage massif de mots nouveaux dans la grammaire ou le catéchisme finisse par dégoûter l'enfant, non seulement de l'étude du vocabulaire, mais également de celle de la grammaire ou du catéchisme?
Pour revenir à l'idée de manuels écrits dans le langage des enfants, faisons remarquer qu'il y aurait là matière à une recherche aussi intéressante qu'utile, bien que longue. II s'agirait de trouver les mots que les enfants de tel âge comprennent. On voit tout de suite que non seulement les manuels scolaires en bénéficieraient, mais encore les journaux, les livres, les annonces, etc. destinés aux enfants. Mais laissons pour l'instant ce projet qui nous entraînerait dans des considérations techniques en dehors de notre sujet.
Nous voulons insister sur la nécessité d'une collaboration étroite entre le spécialiste en telle matière, la grammaire par exemple, et le pédotechnicien, dans la [p. 403] position d'un manuel scolaire. Comme nous l'avons déjà dit, un grammairien qui aurait à coeur de fournir un excellent manuel aux élèves de 4e ou de 5e année peut cependant ne leur offrir qu'un ouvrage de second ordre au point de vue didactique. D'un autre côté le pédotechnicien n'est spécialisé en aucune des matières scolaires; ce n'est donc pas lui seul non plus qui peut écrire une grammaire, encore moins un livre d'histoire ou un catéchisme, du moins en ce qui concerne le fond. C'est ici qu'apparaît le besoin de collaboration de l'un et de l'autre. Supposons que l'on veuille composer un catéchisme. Il est évident que la matière à enseigner est du domaine exclusif du théologien; mais, en ce qui regarde le travail purement didactique, la présence du pédotechnicien est nécessaire. Bien qu'il ne soit pas question, comme pour les branches-outils, de tout soumettre à l'enquête pour déterminer scientifiquement la portée pratique et l'âge optimum d'apprentissage des diverses notions, il n'en reste pas moins vrai qu'il faut respecter les intérêts, les besoins et la capacité d'assimilation des enfants. Un pédotechnicien averti peut indiquer, si on le consulte, les chances de succès qu'on est en mesure d'attendre dans l'enseignement de tel point particulier de la religion.
Pour délimiter le sujet, tenons-nous en à la simple présentation du texte à faire étudier, sans tenir compte de la distribution des difficultés. Autrement dit, n'envisageons que la question du vocabulaire dans un manuel de catéchisme. Il faut d'abord s'arrêter sur un point trop souvent négligé : à quel âge s'adressera ce manuel ? Si on veut qu'il serve indifféremment à des enfants de 6 ou de 15 ans, c'est commettre une erreur didactique dès le début; et je ne crois pas qu'un pédotechnicien puisse s'intéresser au travail. Alors disons, pour toute fin pratique, que l'on veuille composer un manuel de catéchisme à l'usagé des élèves de la sixième année, soit de 11 ans environ. Le théologien, se basant sur ses connaissances pédagogiques, détermine la matière à enseigner, la divise en chapitres, la fragmente en numéros, etc. La seconde partie de son travail consiste à présenter chaque numéro d'une manière intelligible pour l'enfant de sixième année. Cette épreuve est soumise au pédotechnicien qui en analyse la valeur au point de vue didactique: vocabulaire, tournures de phrases, longueur des numéros, etc. Il change au besoin ce qui lui semble peu conforme à l'âge des enfants. Enfin le théologien et le pédotechnicien revoient ensemble chaque point en particulier pour que le fond reste intact après les corrections didactiques. Le manuel est prêt, non pas à être publié, mais prêt à être essayé. C'est une épreuve qui doit prouver ce qu'elle vaut. Et nous verrons qu'il lui faudra subir encore plusieurs transformations avant de pouvoir s'appeler réellement un "manuel scolaire".
C'est l'élève, en définitive, qui nous dit ce que vaut un livre de classe. Si ce livre ||| lui [sic] aide à obtenir de bons résultats, c'est qu'il a de la valeur. Seulement faut-il s'entendre sur le sens du mot résultats. Parce qu'on a posé cinq ou six questions sur une partie du programme, surtout si ces questions par leur manque de clarté sont des devinettes, peut-on dire que les réponses obtenues prouvent quelque chose? Sans plus insister sur ce point, rappelons que tant que nous n'aurons pas de réels instruments de mesure, tels que les tests objectifs, nous devrons nous contenter de résultats presque sans valeur didactique.
Ceci nous amène à dire quelques mots des tests scolaires. On a parfois l'impression qu'un test n'est qu'un examen dans lequel l'élève répond par une croix ou un numéro au lieu d'une phrase ou d'un mot. On va même jusqu'à trouver les tests trop simples, préférant les examens compliqués, bourrés de difficultés, emberlificotés à dessein, qui révèlent avec éclat la paresse des élèves. Si c'est ce qu'on attend des tests, on a raison d'être déçu. Le test sert à faire le point à mesure que l'on avance dans les études. Il indique comment va l'apprentissage de telle partie du programme, où se trouvent les points faibles, non dans le seul but de les constater, mais surtout d'y remédier.
On distingue généralement trois genres de tests de rendement solaire: le simple test de contrôle qui indique ce qui est su et ce qui ne l'est pas; le test analytique, plus précis, qui scrute chacune des parties de tel apprentissage ; enfin le test diagnostique, plus précis encore, qui s'attaque à un point particulier, bien délimité, pour découvrir non seulement les faiblesses, mais les causes de ces faiblesses. Mettons de côté toutes considérations techniques sur la fabrication de ces tests, sur l'emploi des critères de validité, etc. Disons seulement [p. 404] quelques mots de l'usage des tests diagnostiques et de leur application dans la composition d'un manuel scolaire.
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Malgré toutes les précautions qu'on ait pu prendre pour composer un excellent manuel de grammaire, par exemple, l'apprentissage des règles présentera toujours quelques difficultés; les élèves commettront toujours des erreurs. Mais un pédagogue ne doit pas se contenter de constater les erreurs commises et les considérer comme un effet de la fatalité. Il doit les analyser sérieusement en vue de les éliminer le plus possible; il en fera donc le diagnostic pour en dépister les causes. Par rapport au manuel, les causes d'erreurs peuvent être de deux sortes: soit extrinsèques, comme un manque d'attention de la part de l'élève, une migraine, etc.; soit intrinsèques, comme un manquement dans la distribution des tâches, une mauvaise gradation des difficultés, etc. L'analyse des résultats indiquera si les erreurs ont pour cause l'élève ou le manuel. Mais auparavant il faut des tests pour dépister les erreurs et les diagnostiquer. Voici un exemple. Supposons qu'on veuille tester les connaissances d'une classe sur la règle du participe passé avec "avoir". Un test analytique, portant sur toutes les espèces de cas possibles, en éliminant les effets du hasard, dira ce que chaque élève sait ou ne sait pas. Il s'agit maintenant de diagnostiquer. Délimitons les points sur lesquels doit porter l'investigation. Pourquoi tel ou tel élève ne sait-il pas la règle d'accord du participe passé avec "avoir"? Les causes peuvent être multiples. D'abord on doit se demander s'il ignore toute la règle ou une partie seulement. Il faut donc auparavant référer au test analytique pour que le diagnostic ne vise que les points faibles et ne prenne pas trop de temps. Une cause d'erreur, que nous avons remarquée dans quelques examens, consiste à demander de faire l'accord avec des noms dont le genre est mal connu, tels que escalier, érable, argent; presque inévitablement l'enfant met le participe passé au féminin, non pas parce qu'il ne connaît pas la règle, mais parce qu'il considère ces mots comme étant du féminin. Un test doit éviter ces facteurs d'erreurs. Maintenant, qu'est-ce qui a pu manquer au cours de l'apprentissage? Mettons de côté, si vous le voulez bien, l'élément paresse; il est plutôt un effet qu'une cause. Est-ce l'exposé de la règle qui manque de précision ou de clarté? Il faut alors voir si l'enfant a mal saisi le sens de certains mots, si c'est un fait isolé ou si d'autres enfants sont dans le même cas. Est-ce un manque de différenciation? La confusion peut provenir du défaut d'intégration d'une règle étudiée précédemment, comme celle du participe passé avec "être"; l'élève est alors incapable de faire là distinction entre les deux. Est-ce un manque de bases? L'enfant éprouve peut-être de la difficulté à reconnaître le complément direct. Enfin est-ce un manque de gradation dans les difficultés? Si on a enseigné la règle tout d'un trait, sans établir d'étapes, tout est mêlé.
Nous pourrions dresser une longue liste de facteurs dont l'analyse révélerait la ou les causes d'un échec. Un test diagnostique doit éviter d'en oublier, car le facteur omis pourrait être celui qui nous indiquerait où se trouve le bobo. Mais nous semblons loin de notre sujet, les manuels scolaires. Pas du tout. L'analyse des causes d'erreurs mène le didacticien à remanier son manuel. Les corrections peuvent être légères: création d'une étape intermédiaire, changement de quelques mots dans une définition ou un énoncé. Parfois elles sont plus graves: nouvelles recherches sur la courbe d'apprentissage de telle règle.
Un manuel scolaire ne peut jouir de la confiance des instituteurs, vu les progrès de la didactique moderne, qui est réellement une science, s'il ne leur fournit pas toutes les garanties d'un travail sérieux, attestant la compétence de son auteur.
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Nous avons essayé de répondre, sans doute incomplètement, maladroitement peut-être, aux trois questions que nous jugeons essentiel de nous poser avant d'entreprendre la délicate tâche de composer un livre de classe: quoi enseigner? c'est à dire délimiter le contenu du manuel pour qu'il soit suffisamment complet, mais pratique; quand l'enseigner? en d'autres termes, respecter l'évolution mentale de l'enfant et tenir compte des étapes d'un apprentissage; comment l'enseigner? faciliter surtout par un choix de mots, d'expressions, de tournures, en rapport avec la compréhension de l'enfant, l'absorption efficace et utilisable du contenu d'un manuel.
Une telle précision dans un manuel scolaire peut paraître exagérée. Mais quand on songe aux précautions que l'on prend pour produire un canon ou un avion, aux essais qu'on leur fait subir, aux transformations radicales qu'on y opère, avant de les déclarer efficaces et de les fabriquer en série, on n'a pas le droit, si on compare les fins de ces engins de mort aux services que doit rendre un instrument de didactique, de refuser à ce dernier ce qu'on accorde aux autres. Le but de la science est d'édifier, non de détruire. Nous avons à édifier un système d'éducation pour la génération qui monte ; pourquoi la priverions-nous des progrès de la science?"
"Monsieur le Directeur: -
Vous me demandez l'autorisation de publier le discours que j'ai prononcé au Sénat sur l'enseignement de l'histoire du Canada. Vous motivez votre demande en me disant que certains de vos lecteurs ont manifesté le désir de lire dans son texte complet et à une époque où les esprits se sont calmés sous l'effet du temps qui appelle toujours la réflexion.
Vous me dites que la plupart de ceux qui l'ont blâmé et qui vous en ont parlé ont admis ne pas l'avoir lu ou n'avoir pris connaissance que de certains extraits reproduits dans la presse soit française, soit anglaise. Pour le juger en connaissance de cause, il faut le lire dans son texte intégral et c'est pourquoi vous désirez en faire la publication tel qu'il a été prononcé. Vous rappelez que la discussion sur la nécessité d'avoir un manuel uniforme d'enseignement de l'histoire canadienne a eu lieu quelques semaines avant nos élections provinciales et quelques mois avant celles de l'Ontario; les élections fédérales suivirent. C'est dire que les esprits dans le pays n'étaient pas dans l'état normal du calme qui permet à ceux qui ne peuvent se détacher facilement de leurs préventions religieuses ou politiques de juger sainement l'attitude d'un homme public sur une question d'intérêt primordial. Aujourd'hui, le calme s'est rétabli dans la province et dans tout le pays; le moment est donc plus propice pour peser le pour et le contre que les gens de bonne foi peuvent trouver dans les déclarations que j'ai faites en juin 1944.
D'abord je désire faire remarquer que les faits que j'ai mentionnés dans mon discours et sur lesquels j'ai appuyé mes arguments n'ont été niés par aucun de mes contradicteurs. Mes adversaires se sont contentés de me dénigrer, de m'injurier et de me vilipender; il faut admettre que c'était plus facile que d'apporter les preuves que les documents que j'avais citées et les déclarations que j'avais faites ne représentaient pas l'exacte vérité. Toute vérité n'est pas bonne à dire ou doit être dite en son temps et en son lieu propice, m'ont fait remarquer certaines personnes bien disposées à mon endroit après avoir admis que ce que j'avais affirmé était vrai.
Si je ne m'en tenais qu'à mon intérêt propre, ces personnes auraient mille fois raison. J'ai parlé parce que j'ai toujours cru que, chez un homme public, l'intérêt de la masse doit prévaloir sur celui de son salut individuel. Je le crois encore et j'espère le croire toujours.
Toute vérité n'est pas bonne a dire. Cela se peut quand personne n'a à souffrir du maintien de la lumière sous le boisseau. Il est des vérités qu'il est criminel pour un homme public de cacher. Un homme qui est contre une révolution politique doit, pour être fidèle à son serment d'allégeance nationale, divulguer toute entreprise séditieuse qui vient à sa connaissance personnelle. Je suis un Canadien et un humaniste. Je ne suis pas un régionaliste et ne crois pas que Dieu a créé le monde tout simplement pour la population de religion catholique et de langue française qui habite les bords du Saint-Laurent. J'ai vu dans les faits et les écrits que j'ai dénoncés une menace pour la paix intérieure de notre pays; il était de mon devoir de les faire connaître à notre population pour qu'elle se prémunisse contre les agissements de ceux qui travaillent ouvertement ou en secret pour en arriver à la rupture de la confédération. Ces vérités étaient non seulement bonnes à dire mais il était nécessaire qu'elles soient dites.
Quand à ce qui concerne le moment où j'ai prononcé mon discours, ce n'est pas moi
l'ai choisi. On m'avait demandé de parler sur la question du manuel unique d'histoire canadienne alors que s'annonçaient les élections provinciales. Plus j'aurais retardé de parler, plus mon discours se serait rapproché du jour du scrutin. Il ne pouvait être retardé après le vote, les débats sur la motion du sénateur David devant se terminer nécessairement avant la fin des élections.
Mes adversaires et même certaines personnes qui me sont sympathiques ont trouvé à redire parce que j'ai parlé de cette question en dehors de la province de Québec. On admettra que le projet de l'établissement d'un Etat intégralement catholique et français pour remplacer notre système fédératif en est un concernant le Canada tout entier et non seulement les Canadiens d'origine française. Il faut aussi tenir en ligne de compte que nous avons dans notre pays, mais en dehors de notre province, au delà de 700,000 de nos compatriotes de même origine et de même langue; ce n'est pas une quantité négligeable, loin de là. Comme nous ils sont intéressés à la rupture ou au maintien du pacte fédératif et peut-être plus que nous auraient-ils à souffrir de la division politique du Canada.
Si on était justifiable de me faire un reproche d'avoir parlé de cette question au sénat, on devrait en arriver a la conclusion ridicule de blâmer les membres de la chambre des communes de parler sur les questions nationales de leurs sièges parce que le parlement est situé dans la province d'Ontario. Comme je l'ai dit de mon siège à Ottawa: tout Canadien qui a le sens vraiment national, qu'il soit d'une province ou d'une autre, est chez lui quand il parle dans l'une ou l'autre chambre de la capitale fédérale.
Quelques-uns de mes concitoyens auraient aimé que je fisse une critique de l'enseignement de l'histoire du Canada dans les provinces anglaises.
On remarquera que j'ai signalé ces déficiences au début de mon allocution et j'ai donné les raisons pour lesquelles je ne désire pas appuyer sur les améliorations qu'il y aurait à apporter chez nos compatriotes de langue anglaise. J'étais convaincu, comme je le suis encore, que pour en arriver à des résultats pratiques il vaut mieux que ces lacunes soient signalées dans chaque province par des hommes de bonne volonté de la religion et de l'idiome de la majorité.
Plusieurs de nos séparatistes et de nos réactionnaires les plus osés ont voulu faire croire que mon discours a été une attaque contre notre religion ou notre clergé catholiques. Cette accusation est absolument dénuée de fondement, comme on peut en juger par la lecture du texte que je vous autorise de publier in-extenso. Il n'y a pas un seul mot dans tout mon discours qui justifie cette assertion malicieuse. Il ne faut pas confondre la religion avec un groupe de ministres de cette religion et il faut distinguer entre certains dignitaires de notre clergé et le clergé catholique en général. Tous nos prêtres ne sont pas des chanoines Groulx ni des abbés Pierre Gravel ou Lavergne. Il y en a parmi eux qui s'occupent apparemment plus de politique que de perfectionnement spirituel. Ils ont le droit strict de le faire, mais ils doivent accepter les conséquences de leur intervention en matière temporelle. Ils ne doivent pas compter que les Canadiens d'origine catholique et française vont continuer plus longtemps à laisser saboter leurs institutions parlementaires et leurs libertés politiques sans mot dire quand ce sabotage sera le fait de personnes ayant pour mission principale de prêcher l'évangile. Ce n'est pas faire oeuvre de mauvais catholique que de défendre, dans ses grandes lignes, la constitution de son pays, d'un pays sans lequel, de l'aveu même de membres éclairés de la hiérarchie, les catholiques jouissent de plus de liberté que dans tout autre pays du monde.
Qui peut raisonnablement contester à un catholique, qui restera catholique n'en déplaise à tous nos prêtres-politiciens, de défendre n'importe quand et n'importe où, dans son vaste pays, l'Acte de l'Amérique britannique du nord qui est la charte qui nous garantit ces libertés?
T.-D. Bouchard
Décembre 1er, 1945.
Discours prononcé par l'honorable T.-D. Bouchard, au sénat, le 21 juin 1944.
M. l'orateur,
Je solliciterai de mes honorables collègues, qui sont plus familiers avec la langue anglaise qu'avec la langue française, l'autorisation de parler pendant quelques minutes dans ma langue maternelle avant de faire mes remarques principales sur la motion de l'honorable sénateur pour la division de Sorel. Si, par chance, mes paroles présentent quelque intérêt et ne sont pas suffisamment comprises par quelques-uns de mes auditeurs, cela ne leur fera perdre qu'un peu de temps vu que je répèterai [sic] mes remarques en anglais.
Une des principales lacunes que l'on a mentionnées comme existant dans les diverses histoires du Canada des provinces anglaises, serait le fait qu'on laisse ignorer que la langue française est officielle dans les deux Chambres de notre parlement fédéral.
Au cours de mes remarques sur la résolution de l'honorable sénateur de la division de Sorel, je n'ai pas l'intention de m'arrêter sur la critique des manuels en existence dans les provinces anglaises. Je n'ai certes pas les informations voulues pour rendre un jugement valable sur ces manuels et je crois que, dans une matière épineuse comme celle-là, il vaut mieux laisser aux citoyens de chaque province le soin de signaler eux-mêmes les faiblesses de leur propre enseignement de l'histoire canadienne.
Si, au début de mon allocution, .je parle en français, c'est que, me levant pour la première fois dans cette honorable chambre pour prononcer un discours, je désire d'abord rendre hommage à ma langue maternelle et signaler ensuite ce fait important de la légalité de la langue française dans un parlement d'allégeance britannique.
Qu'il me soit permis de dire que je n'implique pas du fait que la langue française est officielle dans ce pays, qu'elle y serait obligatoire; je ne suis pas de ceux qui voudraient imposer chez nous, aux Canadiens d'origine anglaise, l'obligation de parler notre langue de manière à ce que, sans s'imposer aucun sacrifice d'étude, ils puissent comprendre tout ce qui se dit dans nos parlements. La loi constitutionnelle, et c'est juste, ne va pas plus loin que de rendre les deux langues principales de ce pays facultatives dans nos parlements. Ceux qui désirent comprendre tout ce qui se dit ici, dans la chambre des communes et dans les chambres de la province de Québec, restent dans la nécessité d'étudier les deux idiomes. J'admets, et par là je ne me rends qu'à l'évidence, que les Canadiens d'origine française ont beaucoup plus besoin pour leur développement économique que les Canadiens d'origine anglaise d'apprendre une langue seconde: l'anglais est parlé sur ce continent par tout près de 150 millions de population alors que nous sommes à peine 5 millions ayant la langue française comme langue maternelle. A chacun de décider si c'est son intérêt d'apprendre les deux langues. Tout Canadien en viendra à cette conclusion s'il désire nécessairement comprendre les deux langues officiellement parlées dans nos deux Chambres fédérales; autrement il devra attendre la publication du Hansard pour savoir ce qui s'y est dit.
Au cours de mes remarques, je reviendrai sur cette question pour signaler certains de ses à-côtés produits par une mauvaise interprétation de l'histoire du Canada telle qu'on l'a enseignée et que l'on continue de l'enseigner dans les écoles de ma province.
Estimant que la parole a été donnée à l'homme pour communiquer ses idées à ses semblables plutôt que pour glorifier le coin de terre sur lequel le hasard l'a fait naître, que cette parole est en somme le simple véhicule de la pensée et que, en honnête compagnie, comme disaient les gens du Grand Siècle, il est séant de parler le langage compris
de tous, je prendrai la liberté de continuer mon allocation dans la langue anglaise.
Je me soucie fort peu de l'opinion des gens à l'esprit étroit qui ne manqueront pas de me blâmer sévèrement d'avoir fait le gros de mon premier discours en anglais; de ces mesquines attaques, j'en ai vu bien d'autres au cours de ma longue carrière. Cette langue je la parlerai en observant, mais bien malgré moi le conseil d'un évêque de mon jeune temps, monseigneur Laflèche, qui disait: «Parlez l'anglais, mais parlez-le mal». Nos éducateurs comprirent ce qu'ils devaient nécessairement entendre de ces paroles «Enseignez l'anglais, mais enseignez-le mal». Non seulement ils comprirent le conseil, mais ils le suivirent fidèlement, à partir de nos petites écoles à aller jusqu'à nos universités.
C'est une mauvaise philosophie tirée de l'histoire mal enseignée de notre pays qui a inspiré à ceux, à qui nos anciens gouvernants avaient confié l'éducation des masses, cette fausse mentalité qui a fait qu'après avoir quitté ma petite école, où elle n'avait pu encore pénétrer, je n'ai appris pratiquement rien de l'anglais dans mes classes d'études secondaires; le peu que j'en sais, c'est ce que j'ai pu m'assimiler à la lecture des journaux et des livres anglais qu'il m'a été possible de lire pour me tenir au courant des événements du jour et de la marche des idées contemporaines. Aussi je m'excuse à l'avance des blessures que j'e pourrai infliger aux oreilles de mes honorables auditeurs, habitués à entendre parler la belle langue de Shakespeare tel [sic] qu'elle doit être par ceux qui en connaissent tous les secrets.
La motion qui est devant la chambre a pour objet principal de trouver les moyens de mettre dans les mains de nos enfants de toute langue ou croyance un manuel où seraient relatés les principaux faits de notre histoire du Canada, conformément à la vérité, sous leur aspect véritable, et avec une interprétation qui tendrait à créer un réel esprit canadien dans toutes les parties de ce grand pays ouvert à toutes les espérances. Bien qu'il puisse exister des divergences d'opinions au sujet des meilleurs termes à employer dans son texte, afin d'avoir plus de chances de lui donner tout son effet, je crois que nous sommes unanimes sur la nécessité d'obtenir son but ultime: l'unité canadienne.
En cette chambre, il n'y a aucun doute que nous sommes tous sincèrement pour l'unité du pays; nous savons que les Canadiens ont tout à gagner à être unis. Mais pouvons-nous faire la même affirmation pour tous ceux qui sont en dehors de ces murs, même s'il semble y avoir unanimité dans les déclarations publiques de fidélité à l'allégeance canadienne et d'un désir sincère d'unité entre nos groupements ethniques distincts.
Je suis certain que c'est le manque d'unité dans l'esprit de notre peuple sur les questions nationales et quelques-unes des actions des générations montantes aussi éloignées du concept d'unité que les deux pôles magnétiques opposés, qui a amené mon honorable collègue à inscrire cette résolution sur l'ordre du jour, dans son ardent désir de servir son pays.
Au cours de mon bref exposé, j'espère pouvoir démontrer qu'on doit le féliciter pour avoir amené cette question en temps opportun devant cette chambre et devant le pays.
De même que mon collègue de la division de Sorel, je crois que le temps est venu depuis longtemps d'améliorer l'enseignement de l'histoire du Canada dans les écoles de la province de Québec. Il faut juger un arbre à ses fruits et je regrette d'être obligé de déclarer que les résultats obtenus à date sont loin d'être satisfaisants. En réalité, ils sont plutôt décourageants pour ceux qui pensent et qui persistent à croire que nous pourrions édifier un vaste pays où les descendants de deux grandes nations et de deux grandes cultures pourraient vivre et prospérer dans la paix et dans l'harmonie.
C'est en exposant ouvertement la situation actuelle dans ma province, en montrant notre histoire telle qu'elle est à s'écrire et qui procède de l'histoire faussée que la génération passée et la nôtre ont apprise dans nos écoles, que je démontrerai jusqu'à quel point il y a urgence d'apporter un changement radical dans cet enseignement. L'histoire du Canada ne doit pas servir d'instrument à la
propagande subversive dans les mains de ceux qui ont pour but d'amener la rupture du système confédératif et de renverser notre forme de gouvernement démocratique. Je m'aperçois que plusieurs d'entre nous sont étonnés de ces déclarations émanant d'un homme qui a été dans la politique active depuis plus de quarante ans. Je ne suis pas un visionnaire, loin de là, mais je pense que l'éternelle vigilance est le prix de la sûreté, comme on l'a dit, il y a longtemps. C'est pour avoir oublié cette règle que les grandes nations démocratiques sont maintenant plongées dans la plus terrible guerre des annales de l'humanité.
Le problème d'un manuel uniforme d'histoire du Canada peut paraître de peu d'importance aux esprits superficiels, mais si nous allons au fond des choses nous réaliserons sans difficulté sa nécessité primordiale. Personne ne contestera que les opinions, même les croyances bien assises, portant sur les questions nationales et religieuses prennent presque toujours source dans nos écoles et le plus souvent dans l'enseignement de l'histoire.
Je démontrerai que l'histoire du Canada est défectueuse chez nous en vous lisant quelques extraits des idées que l'on s'efforce d'inculquer dans les cerveaux malléables des jeunes, et en vous indiquant les tendances subversives que nous trouvons chez un nombre étonnant de nos hommes instruits de moins de quarante ans, tendances créées par la façon dont on enseigne l'histoire du Canada dans nos écoles publiques.
Je n'ai'pas l'intention de m'arrêter longuement sur l'enseignement actuel de l'histoire dans les écoles de la province de Québec et comme je l'ai dit précédem-ment, je ne risquerai pas une discussion sur ce qu'il y a de bon et de mauvais dans les manuels en usage dans les provinces de langue anglaise; en ce cas, comme dans plusieurs autres, je crois qu'il est opportun pour tout le monde de suivre les conseils du vieux philosophe: «Medice cura te ipsum» Médecin, guéris-toi toi-même.
Si dans chaque province, nous voyons à guérir nos propres maux, la nation en général ne s'en portera que mieux. Je ne veux pas dire qu'une conférence des autorités en la matière ne soit pas à souhaiter, loin de là. Je crois que cette réunion recommandée par la résolution qui est devant nous, est nécessaire. Je voudrais seulement souligner qu'à cette phase du problème les profanes en histoire, comme j'en suis un, devraient se contenter de déplorer les déficiences de l'enseignement de l'histoire dans leur domaine respectif.
Que la résolution de notre collègue soit adoptée ou non sous sa forme présente ou telle que modifiée dans certaines de ses conclusions, qu'elle ait son plein effet telle qu'adoptée par la chambre haute, ou qu elle demeure dans les archives du sénat comme lettre morte, je crois qu'elle pourra aider ceux qui s'efforcent d'édifier une réelle unité canadienne chez les deux plus importants groupes de nos conci-toyens, fondateurs et principaux constructeurs de ce pays, Canadiens de descendance française, et d'origine britannique.
Le problème d'un manuel uniforme d'histoire du Canada apparaît simple aux plus âgés, à ceux qui ont beaucoup étudié et ont réalisé qu'ils vivent dans un monde nouveau. La plupart d'entre eux ont été amenés à voir les grands avantages qui se produiraient pour les deux races et les deux religions, si notre, population était imbue de l'idéologie moderne et nord-américaine sur les bonnes relations qui doivent exister entre peuples d'origine et de croyances différentes. Ils voient dans un enseignement plus exact de l'histoire du Canada un moyen efficace d'atteindre cet objectif: le manuel de faits essentiels accepté par chaque province tendrait nécessairement à aplanir la route de la bonne entente.
Mais, en réalité, la question est plutôt complexe quand nous avons à considérer que nous sommes loin, dans toutes les parties de ce grand pays, d'avoir mis de côté le vieil esprit de clocher de l'ancien continent. En réalité, quelques-uns parmi nous s'efforcent de reconstituer au pays un des petits royaumes provinciaux qui existaient en France au temps jadis, tandis que d'autres inconsciemment inspirés par un esprit colonial latent mais invétéré, ne veulent pas réaliser: que nous sommes depuis près d'un quart de siècle une nation véritable, et que le rejeton du grand arbre est lui-même devenu un chêne. majestueux. Il n' y a pas à s'étonner que nous ne considérions pas du même oeil les problèmes importants au sujet desquels devrait se réaliser
l'unité d'opinion chez ceux qui ont droit de réclamer la diversité dans les domaines où non seulement elle peut, mais en réalité doit exister. C'est quand nous avons des distinctions à faire entre les choses au sujet desquelles l'unité devrait exister et les sujets sur lesquels la diversité est permise sans nuire à l'intérêt commun, que nous pouvons voir la complexité du problème actuellement soulevé en cette chambre.
Un homme bien intentionné doit concéder qu'il se produit des heurts d'une certaine gravité entre Canadiens d'origines française et anglaise. La différence de religion et de langue est, bien qu'il ne devrait pas en être ainsi, un champ fertile ou les semeurs de discorde travaillent nuit et jour, mais la plupart du temps dans l'ombre. Ils oublient que le fondateur de nos deux religions a dit: "Soyons tous frères" et que sur les armoiries du Commonwealth des nations britanniques nous voyons encore inscrits les mots suivants: «Dieu et mon droit».
Notre collègue de Sorel a vu dans l'enseignement présent et passé de l'histoire du Canada dans nos écoles de langue française et anglaise, une des causes primordiales de ces différends, et à mon sens, il a parfaitement raison dans ses conclusions.
Le peu que j'ai appris à l'école depuis mon enfance jusqu'à l'obtention de mon baccalauréat n'a pas aidé, loin de là, à m'inculquer l'esprit canadien que mes études postscolaires et les réalités de la vie m'ont inspiré. J'ai fait mes études classiques comme externe et j'étais moins sujet que les pensionnaires au bourrage de crâne sur les questions de langue et de religion. C'est probablement pour cette raison qu'à ma sortie du séminaire, une des étapes les plus décisives de mon existence, je fus assez heureux d'avoir comme premier patron un Canadien d'origine écossaise que vous n'auriez pas reconnu comme tel en vous en tenant à son français impeccable. A son bureau, j'appris que les Canadiens d'origine britannique n'avaient pas tous le pied fourchu ni des cornes sur la tête, mais étaient animés des mêmes bons sentiments que les Canadiens de descendance française.
Pourquoi, auparavant, avais-je été porté à croire ces stupidités? Pourquoi, comme mes jeunes camarades, étais-je nourri de préjugés contre ceux qui ne parlaient pas ma langue et ne fréquentaient pas la même église? Depuis mon enfance, j'avais appris que tout ce que le Canadien-français a eu à souffrir provenait du fait qu'il était de descendance française ou catholique.
En citant deux ou trois paragraphes d'une des histoires du Canada les plus en usage dans nos écoles du Québec, cette histoire étant bien caractéristique de ceux qui ont formé les opinions du Canada français sur les questions de races, je montrerai la raison qui m'avait induit à fuir autant que possible la société des Canadiens d'autre origine racique [sic] et je prouverai clairement que l'une des plus importantes matières scolaires pour la formation de l'esprit national, -est loin d'avoir été enseignée comme elle devrait l'être dans notre province française.
Comme je veux donner à mes auditeurs l'occasion de vérifier l'exactitude de mes citations, je les renverrai au manuel intitulé: «Histoire du Canada», par les Frères des Ecoles Chrétiennes, approuvé par le conseil de l'instruction publique pour les écoles primaires, cours élémentaire, le 11 mai 1910, troisième édition.
Je lis à la page 72, au paragraphe 134: «Sans tenir compte de l'acte de capitulation, les Anglais abolirent les lois françaises pour les remplacer par celles d'Angleterre; tous les Canadiens furent obligés sous peine de bannissement de prêter le serment du test ou de suprématie, dont la formule hérétique révoltant leur conscience de catholiques.»
Paragraphe 135: «Le général Murray nommé gouverneur général, (1763) adoucit la rigueur des nouveaux règlements et n'exigea point le serment du test.»
Il convient de noter que ces deux paragraphes contradictoires apparaissent sur la même page (72) et se suivent.
A la page suivante (73) nous lisons sous le titre: "Le clergé canadien" paragraphe 2: «Le clergé dirigea le courage et le bon vouloir des Canadiens encore inexpérimentés; il les aida à supporter l'oppression et l'injustice, et leur inspira cette loyauté qui contraignit l'Angleterre à rendre au Canada français toutes les franchises reconnues par le traité de Paris.»
Vous me permettrez de souligner que ce
traité de Paris, que l'auteur cite comme un document dans lequel l'Angleterre avait consenti les privilèges les plus importants aux Canadiens, est le même traité dont on dit à la page faisant face, que tous les Canadiens furent obligés sous peine de bannissement de prêter le serment du test ou de suprématie, dont la formule hérétique révoltait leur conscience de catholiques.
Comment se fait-il que l'auteur ait pu trouver du bon dans un traité où, à la page suivante, il n'a vu que du mal pour les Canadiens?
Au paragraphe 137 de la page 74, on peut lire: «le général Murray fut rappelé en 1766; Guy Carleton qui le remplaça, adopta à l'égard des Canadiens français la conduite sage et impartiale de son prédécesseur.»
De ce paragraphe et du paragraphe 135 que j'ai déjà cité, un homme ayant le moindre bon sens conclurait que sous les deux premiers gouverneurs généraux, les Canadiens français avaient été passablement bien traités. Ecoutons ce que l'historien de nos écoles publiques écrit d'eux dans son appréciation de leur conduite. A la page 75, nous lisons un paragraphe faisant face exactement au paragraphe 137 que je viens de citer:
1. «Depuis 1763, les Canadiens avaient à se plaindre d'un gouvernement qui ne rendait pas justice à leurs droits. Les emplois publics étaient donnés à une foule d'aventuriers qui ignoraient la langue française; le serment du test les éloignait de toute participation aux affaires de l'Etat; leur religion même était à peine tolérée.»
Si les gouverneurs eurent quelque, chose à dire auprès du gouvernement de la colonie, comment concilier ce jugement inconsidéré avec celui que l'auteur vient de porter à savoir, que Murray n'exigea pas le serment du test, qu'il adoucit la sévérité des nouveaux règlements et qu'il avait adopté à l'égard des Canadiens français une conduite sage et impartiale, comme le fit son successeur Guy Carleton?
Maintenant, avant de fermer cette Histoire du Canada, parcourons la page 79 intitulée: «Récit - l'Anglicisation».
Nous verrons là l'appréciation générale de l'auteur sur les premières décades d'années du même régime anglais et l'esprit qui anime tout le livre. Voici le premier paragraphe, dans toute sa crudité:
«Le but poursuivi par la politique de l'Angleterre dans les premiers temps de son administration au Canada, fut d'angliciser la nation franco-canadienne, de lui ravir sa religion, sa langue et ses coutumes nationales.»
Il faut admettre qu'à la fin du récit, après dix- sept lignes du genre de celles que j'ai citées, l'élève peut lire:
«L'Angleterre finit par accorder aux Canadiens français tous les privilèges dont jouissent aujourd'hui les peuples libres et indépendants.»
Il est évident que l'auteur devait nécessairement insérer ces deux lignes dans son manuel, parce que même un enfant de dix ans n'aurait jamais pu comprendre comment il se pouvait qu'après tant d'années de tyrannie et d'oppression, sa race et sa religion fussent aussi libres et prospères qu'il les voyait dans son milieu.
Le premier point que je voudrais prouver au cours de mes remarques fut que notre histoire n'est pas écrite comme elle devrait pour ceux qui croient que l'harmonie entre les deux grandes races qui vivent dans ce pays est possible et même très désirable au Canada. J'ai donné un exemple caractéristique de notre histoire du Canada telle qu'elle est enseignée dans les écoles du Québec. Les déclarations contradictoires que j'ai citées démontrent clairement que cet enseignement ne peut être conforme aux faits et qu'il est donné avec l'intention de remplir la jeunesse de préjugés contre nos compatriotes de langue et de croyance différentes. Cela est anticanadien, voire antichrétien. Le fondateur du christianisme n'a jamais demandé de soulever les hommes les uns contre les autres à cause des divergences de races et de langues.
La seconde proposition que je voudrais prouver, c'est que ceux qui ont enseigné notre histoire canadienne dans le but de nous diviser sur les questions de race et de religion ont jusqu'aujourd'hui atteint leurs fins à tel point qu'ils ont compromis la paix à l'intérieur du pays. C'est en imprégnant les esprits des générations présentes et passées des élèves de nos écoles et de nos collèges d'une histoire du Canada faussée et en interprétant d'une manière encore plus fausse les événements
qui se sont passés réellement, que nous en sommes rendus à ce point. Il y a parmi nous des Canadiens de descendance française qui, à l'encontre de l'oiseau du désert qui enfouit sa tête dans le sable mouvant pour ne pas voir le danger, sont consen-tants à ouvrir les yeux en face d'une situation sérieuse. Nous pensons que le temps est arrivé, et prions Dieu qu'il ne soit pas trop tard, de mettre fin à une propagande subversive intensifiée par l'état de guerre dans lequel nous sommes plongés depuis maintenant plus de quatre ans; cette propagande peut nous donner à brève échéance le régime des émeutes et peut-être la guerre civile avant longtemps.
Je ne puis accepter les vues de certains de nos concitoyens haut placés qui prétendent qu'il vaut mieux fermer les yeux sur les activités subversives se produisant dans le secret ou à ciel ouvert, chez ceux animés par la haine de race insidieusement distillée dans les esprits des Canadiens français par un enseignement erroné de l'histoire du Canada, travaillent actuellement à ruiner les institutions gouverne- mentales. Je persiste à croire que la grande majorité de mes compatriotes aiment leur pays tel qu'il existe d'après la constitution et ne désirent pas un changement d'allégeance, mais cette majorité est composée de citoyens paisibles et respectueux des lois et leur seul tort est de ne pas s'occuper des activités de ceux qui dans l'ombre ou ouvertement, sabotent nos libres institutions. Les vers sont à ronger les racines de l'arbre de nos libertés; seul l'observateur averti peut voir que les feuilles se dessèchent, mais si le propriétaire prudent ne trouve pas sous peu moyen d'enrayer la destruction qui se poursuit sous terre, avant longtemps le tronc tombera sur le sol.
La fausse philosophie dont on a imprégné l'esprit des Canadiens- français par l'enseignement tendancieux de l'histoire du Canada, a conduit nombre d'entre nous à désirer une forme indépendante de gouvernement. N'apercevant que les torts que lui ont montré, sous les couleurs les plus vives possible, les historiens improvisés et imaginatifs, [ils] ont semblé ne pas voir les avantages que nous a valu notre association avec le gouvernement britannique. Changer la forme d'un gouvernement n'est pas tâche facile; aussi nos séparatistes ont fait appel à toutes les forces qui peuvent le plus attirer les masses: religion, race et cupidité. Le nouvel état serait catholique, français et corporatiste, pour que le travailleur catholique et français puisse devenir maître de ses propres destinées religieuse, sociale ou économique.
L'histoire nous enseigne que presque toutes les révolutions ont commencé avec l'influence des sociétés secrètes. Aussi, bien qu'il y eût de nombreuses prédications contre les sociétés secrètes, il y en eut une de fondée vers 1928, avec la bénédiction du clergé catholique canadien français, sous le nom d'Ordre Jacques-Cartier, et ayant son bureau chef à Ottawa. Des Canadiens, français éminents furent invités à se joindre au mouvement, le but pratique et avoué de la société n'étant pas une révolution, mais tendant à permettre aux Canadiens français d'obtenir leur juste part des emplois dans le service civil. Plus, tard, lorsque l'Ordre de Jacques-Cartier décida de se répandre en dehors de la capitale, les activités de l'Ordre devaient être employés à restreindre ce qu'on appelait les placements étrangers dans le commerce local, quand ce commerce n'appartenait pas aux Canadiens français. L'antisémitisme fut aussi appelé à la rescousse pour aider au recrutement des membres. Finalement, les officiers les plus haut placés donnèrent dans le plus grand secret le mot d'ordre d'envahir le domaine politique et de contrôler les sociétés patriotiques, les gouvernements et les administrations publiques de tous genres.
L'appel fut bien accueilli et presque toutes les sociétés Saint-Jean-Baptiste, les syndicats catholiques, les commissions scolaires des villes, les conseils municipaux, les chambres de commerce junior sont sous l'influence directe de cette société secrète. C'est grâce à son organisation occulte, que l'union Nationale se hissa au pouvoir en 1936 pour nous donner le gouvernement le plus pauvre et le plus tyrannique que nous ayons connu dans l'histoire de notre province; ce gouvernement essuya une éclatante défaite après trois années d'existence, le peuple ayant ouvert les yeux sur les turpitudes de la campagne de diffamation entreprise contre le parti libéral par les ennemis de la démocratie.
Cette société est propriétaire de journaux publics et clandestins. La Boussole est son organe connu. L'Emerillon est sa revue clandestine. Examinons si les activités de cette organisation secrète auraient pu être
tolérées si l'enseignement de l'histoire du Canada dans nos écoles publiques n'avait pas préparé notre population à recevoir favorablement tout ce qui tend à nous séparer de nos concitoyens de langue anglaise.
Ici, je dois faire une déclaration. Je suis sincèrement convaincu qu'il y a soixante-quinze pour cent des membres de cet ordre, se chiffrant suivant les plus récentes informations, au nombre de dix-huit mille, qui sont de bons citoyens britanniques ne soupçonnant aucunement où les conduisent les fanatiques de toute espèce qui sont les vrais chef s de cette société secrète. Peut-on s'imaginer tout le mal qui peut être accompli par ces agents très actif s de destruction au sein d'une population plus ou moins passive comme l'est celle de ma province.
Dans un vieil exemplaire de l'organe clandestin, l'Emerillon, remontant à septembre-octobre 1937, je lis ceci au sujet de la situation dans le centre de l'Ontario:
«A noter l'enchaînement de nos groupes qui menacent d'encercler le centre de l'Ontario, et, par suite, d'étouffer ceux qui redoutent, et avec raison, notre "french domination" pour un avenir plus ou moins rapproché. Nos masses françaises du nord, surtout, finiront pas peser si lourdement sur celles du centre et du sud de l'ancien Haut-Canada, que, de part et d'autre, l'on songera peut-être à une scission, en vue d'ériger une nouvelle province en grande majorité française.
Comme je viens de le souligner, cela était publié en 1937, pendant la guerre civile d'Espagne, au cours de laquelle les nazis allemands et les fascistes italiens se préparaient à détruire les peuples libres et à mitrailler leurs populations civiles. Et n'allez pas croire que ce rêve inspiré par les études indigestes des Canadiens français sur notre histoire constitue un cas isolé loin de là. Nous avons parmi nous un nombre assez considérable, bien que ne représentant pas encore la majorité de ceux qui croient possible et dans notre intérêt de créer, non seulement une province française en Ontario, mais un état indépendant, catholique et français. Ce n'est pas là une idée nouvelle, mais les progrès du totalitarisme en Europe au cours des 20 dernières années qui ont précédé la dernière guerre mondiale, ont donné un nouvel essor à ces mouvements réactionnaires tendant à nous faire retourner à l'état social et économique du Moyen Age.
Il n'y eut pas que des jeunes gens désireux de se mettre en vedette devant l'opinion publique pour favoriser ces opinions. Le chargé d'affaires lui-même de la délégation apostolique au Canada, son excellence Monseigneur Mozzoni, recomman-da un état intégralement catholique. Voici les termes qu'il employa, tels que je les ai retrouvés, dans une publication à grande circulation, Les Semaines Sociales du Canada, quinzième session, Saint-Hyacinthe, 1937:
«Les politiciens pourraient nous parler de la grandeur et de la prospérité du pays sous telle ou telle forme de gouvernement; cela ne nous intéresse qu'indirectement. Ce que nous voulons, ce que nous travaillerons à réaliser de toutes nos forces, c'est un Etat intégralement catholique, parce que seul un tel pays représente l'idéal du progrès humain, et parce qu'un peuple catholique a le droit et le devoir de s'organiser socialement et politiquement selon les enseignements de sa foi.»
En 1937, comme aujourd'hui, nous étions dans un pays libre et tout le monde avait droit à ses opinions, mais je suis heureux de dire qu'il n'y a pas un pays dans le monde entier où la religion soit plus libre que dans la province de Québec. La grande majorité de mes compatriotes est entièrement satisfaite des présentes institutions gouvernementales et ne réclame pas de changement. Ce que nous voulons, c'est la paix et l'harmonie entre nos peuples d'origine différente, et si j'ai cité ces mots, c'est pour démontrer qu'il existe un malaise, non seulement chez les masses en raison de leurs connaissances erronées de l'histoire du Canada, mais aussi chez les esprits dirigeants pour que nous nous tenions les yeux ouverts sur les courants souterrains qui produisent de tels remous à la surface troublée des eaux de notre vie nationale.
En 1944, la situation est passée de mal en pis. Un nombre toujours plus considérable de jeunes gens ont quitté l'école avec cette déformation d'esprit procédant d'un mauvais enseignement de l'histoire du Canada et la propagande secrète a augmenté en intensité.
Sous le régime de l'Union Nationale, le premier rejeton politique de l'Ordre de
Jacques-Cartier, on adopta en notre province des règlements pour réduire l'enseignement de l'anglais dans nos écoles et aussi une loi pour donner préséance au texte français dans nos statuts quand la constitution place le français et l'anglais sur un pied d'égalité. Pas un seul Canadien français doué d'un jugement sain n'avait jamais réclamé un tel changement car nous étions satisfaits que l'esprit de la loi, tel qu'établi par une version ou par l'autre, constitua le meilleur guide pour aider à l'interprétation de la loi; le décret de nos isolationnistes causa une telle commotion dans les centres anglais de notre province, que ceux qui l'avaient fait insérer dans les statuts furent contraints de le rappeler eux-mêmes.
Le mouvement contre l'enseignement de l'anglais dans nos écoles primaires avait pris une telle ampleur que les pères de familles s'aperçurent que leurs fils et leurs filles n'enregistraient aucun progrès dans la langue anglaise.
Un jour, un de mes voisins vint me rendre visite. Il voulait faire apprendre l'anglais à un de ses garçons et il était découragé du peu de progrès qu'il faisait, bien qu'il fût un enfant assez intelligent. Il ne savait pas pourquoi, à l'école que fréquentait son garçon, l'anglais était enseigné par un professeur qui pouvait à peine dire yes ou no, quand l'un des frères venant des Etats-Unis était très familier avec la langue anglaise. Je lui dis que c'était probablement parce que les bons frères ne voulaient pas que leurs élèves apprennent l'anglais. Par la suite, il revint chez moi et me raconta l'histoire que voici:
Un de ses cousins venant d'une ville de l'Ontario était professeur dans la même communauté et il était venu lui rendre visite à Saint-Hyacinthe. Mon ami lui avait dit qu'il semblait que les professeurs de l'école que fréquentait son fils aîné ne paraissaient pas disposés à voir leurs élèves apprendre l'anglais, quand il était si nécessaire pour les Canadiens français d'apprendre cette langue. Son cousin fut étonné et il dit qu il ne comprenait pas cela et que le même soir il procéderait à une enquête sur ce sujet; il irait rencontrer les frères et discuter la question avec eux. Mon ami me raconta que le jour suivant il vint le voir; il avait complètement changé d'idée au sujet de l'enseignement de l'anglais. La figure radieuse, comme s'il avait réalisé l'un des objectifs les plus ardemment désirés de sa vie, il commença à dire: «Que penseriez-vous, mon cher cousin, si dans 50 ans, il ne restait plus dans la province de Québec un seul citoyen pouvant parler anglais?» Mon ami, complètement stupéfié, répondit: «Etes-vous devenu fou?» «Non, répondit-il, les ordres viennent d'en haut.» Et il mentionna le nom d'un membre du haut clergé maintenant décédé. Empêcher par tous les moyens les Canadiens français d'apprendre l'anglais, pour leur plus grand détriment, constitue une des activités secrètes de nos isolationnistes. Ils ne veulent pas nous voir rencontrer des Canadiens de langue anglaise, naturellement, parce que quand vous parlez à quelqu'un, les préjugés inspirés par la propagande disparaissent.
Pour se faire une idée de l'Ordre de Jacques-Cartier sur cette question. lisons quelques-uns des conseils donnés par l'un des éditeurs de l'Emerillon aux XC, c'est-à-dire aux commanderies de l'Ontario:
«BIEN DE L'ORDRE»
10e. - Prendre la direction de tous mouvements patriotiques, organisations, fêtes, etc. En exclure tout ce qui sent la Bonne-Entente, et ne sert qu'à nous reléguer en deuxième place.
REVEIL ECONOMIQUE
2e. - Observer que le déclin économique a commencé en même temps que les méthodes anglaises ont été enseignées chez nous. L'abus de l'anglais commercial nous a fait perdre nos qualités françaises.
3e. - Nous sommes la seule race à copier les autres: résultats des échecs partout. L'Anglais fait des affaires comme Anglais; le Juif comme Juif.
4e. - Notre programme scolaire anglifie et abêtit. Qui doit apprendre la langue d'un voisin arrogant excite l'arrogance du voisin. Mais en même temps celui qui va s'anglicisant va se défrancisant. Education de valets, donnée, hélas trop souvent par des valets.»
Et maintenant, au sujet de la discipline de l'Ordre, je citerai le paragraphe 2 des conseils:
«2. - Les mots d'ordre n'ont pas à être discutés. C'est le bien général qui les inspire. Ne rien changer de leur sens à moins d'en demander autorisation à Ottawa.»
Ces mots d'ordre étant les instruction de la chancellerie, le Conseil Suprême, sont transmis aux commandeurs et des commandeurs aux initiés dans les conseils municipaux, les directorats de chambres de commerce, commissions scolaires syndicats ouvriers, sociétés patriotiques et autres.
Dans l'édition de l'Emerillon de mai-juin 1937 où j'ai puisé ces extraits, il y a un long article pour promouvoir l'adoption d'un drapeau national pour les Canadiens français: fond bleu royal, grande croix blanche et fleurs de lis aux quatre coins. Dans cet article, l'auteur rappelle à ses lecteurs que l 'Ordre a réussi à changer le nom du pont du Hâvre en celui de pont Jacques-Cartier, et celui de Fletcher Fields en celui Jardins Jeanne Mance. Il y a trois semaines, alors que la guerre redoublait d'intensité, l'Ordre a en outre réussi à décider les autorités de l'Université de Montréal à bénir virtuellement ce drapeau comme le vrai Labarum de l'Etat catholique français inexistant en le hissant au mât de l'édifice de dix millions de dollars érigé avec l'argent du gouvernement. Cet argent appartient, pourtant, non seulement à ceux qui prônent la séparation de notre province, mais surtout aux Canadiens, fidèles à leur régime politique et au Commonwealth des nations britanniques. On faisait cela au sommet de la montagne située au centre de la plus grande ville du Canada et en présence de milliers et de milliers de citoyens attirés là par la bénédiction par un prêtre catholique éminent, du vieux drapeau de Louis XV comme drapeau national des Canadiens d'origine française. Evidemment, il y a nombre de gens qui jouent avec le feu sans s'en douter.
La déformation d'esprit de certains de nos compatriotes est allée tellement loin que ceux qui veulent corriger certains faits de notre histoire qui ont été présentés sous un faux jour, se voient affublés de l'étiquette de traîtres à leur race et à leur religion. Un de nos historiens les plus éminents, l'abbé Arthur Maheux, un membre de la Société Royale du Canada, professeur d'histoire du Canada à l'Université Laval, a écrit il y a un an ou deux, un livre intitulé: «Pourquoi som-mes-nous divisés». Ce livre faisait suite à un autre intitulé: «Nos débuts sous le régime anglais».
Parce que l'abbé Maheux voulait être honnête avec les faits véritables, parce que sa philosophe de l'histoire du Canada est orientée dans le sens que nous devrions entretenir des relations de bon voisinage avec nos compatriotes d'origine différente, il a été, au cours de ces dernières années, l'objet d'une campagne d'injures sans précédent de la part de nos séparatistes et isolationnistes de tout acabit. Ce prêtre si respectable fut honni comme un traître à sa race parce qu'il disait la vérité, et la campagne de terreur contre lui est allée si loin que récemment une réunion où il devait adresser la parole fut contremandée à trois reprises au cours de la semaine précédant sa conférence. La conférence eut lieu toutefois, mais sous la protection de la police municipale, provinciale et fédérale.
Une des organisations les plus actives et les plus bruyantes de l'Ordre de Jacques-Cartier est celle des jeunes Laurentiens. Au cours du mois de mai dernier, ils ont publié un manifeste et afin de vous donner une idée de ce que nos réactionnaires pensent de l'abbé Maheux, un vrai Canadien, je vous citerai à la page 7 du manifeste ces mots stupides: «un chat est un chat; l'abbé Maheux un éteignoir.»
Et maintenant, pour vous faire connaître le but réel de toutes les organisations politiques, religieuses et soi-disant patriotiques contrôlées en sous-main par l'Ordre de Jacques-Cartier, laissez-moi vous lire quelques paragraphes du message du Président général de ces jeunes Laurentiens, intitulé: «Nos raisons pour une Révolution. - Je vous dirai que c'est notre devoir d'avoir la situation en main. Je vous dirai plus, il est urgent de former des chefs. Des chefs, c'est la seule raison d'être de notre mouvement. Pour une révolution qui sera la nôtre pour les véritables intérêts du peuple Canadien français. Et cette révolution que nous voulons sera pratique, efficace, calme et bonne, parce qu'elle réclame des hommes purs, fondamentalement catholiques et français. C'est la révolution de l'Espagne libérée, du Portugal organisé, de la France de Pétain.»
La paternité de l'association est facile à retracer et à relier à l'Ordre de Jacques-Cartier, quand nous lisons à la page 12: «Et surtout de la discrétion. N'allez pas commettre l'erreur de vous prononcer en tant que jeune laurentien. Nous formulons cet appel à l'individu et non au membre»
Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de m'attarder davantage sur le sujet pour convaincre mes honorables collègues qu'un enseignement erroné de l'histoire du Canada dans notre province a déjà fait tout le tort que pouvaient désirer ceux qui favorisent la désunion en ce pays entre peuples d'origine et de langue différentes. Leur objectif ultime n'est pas uniquement la division du peuple sur les questions de langue et de religion, mais la rupture de la confédération, l'abandon de l'idéal nord-américain et plus humain d'une grande nation composée de peuples de croyances religieuses différentes et d'origines diverses pour revenir au vieux concept européen des petites nations de même religion et d'ascendance racique [sic] identique.
Comme je l'ai démontré, le terrain est assez bien préparé pour une attaque de flanc sur nos institutions politiques. Les travailleurs clandestins out déjà réussi à détruire le parti libéral-conservateur québécois, l'ancien groupement des libéraux conservateurs avec les «castors» ou ultra-montains de la vieille école, a rendu cette tâche facile aux leaders de nos fascistes déguisés. Les déclarations contre la guerre, la démocratie et le libéralisme n'ont pas encore réussi à renverser le parti libéral de Québec. Nous ne savons pas encore quel effet produiront les efforts des ennemis jurés du libéralisme pour susciter des mécontentements an cours de la guerre. Le Bloc populaire dont le leader dans la province de Québec est l'un des ex- présidents des Jeunes Canada mouvement de Jeunes laurentiens, est l'instrument politique bien connu de l'Ordre de Jacques-Cartier; il se pourrait qu'au dernier moment, si les amants de la liberté n'ouvrent pas les yeux en temps utile, ils verront jusqu'à quel point les activités souterraines ont miné nos institutions libres.
Certains me blâmeront publiquement d'avoir fait connaître mes vues sur l'histoire du Canada telle qu'enseignée dans nos écoles de Québec et spécialement d'avoir dévoilé ce qui se passe chez nos classes dirigeantes et populaires au sujet de la situation politique en levant le rideau où les acteurs s'exercent à répéter ce que plusieurs pensent devoir être une comédie, mais qui dans mon opinion, peut bien aboutir à une tragédie nationale. En face d'un orage qui s'annonce, j'aime à faire face au vent et non pas à lui tourner le dos. Je ne suis pas un pessimiste, mais quand j'entends les grondements lointains du tonnerre, je réalise que les nuages menaçants sont susceptibles de monter sur ma tête.
Je voterai en faveur de la résolution de mon collègue de Sorel, telle qu'amendée ou dans sa forme présente. Elle ne peut avoir qu'un effet national salutaire, car elle a déjà fourni l'occasion de suggérer d'importantes réformes dans les manuels scolaires existant actuellement dans toutes les provinces.
Il se pourrait que sous la poussée de l'autonomie provinciale, il n'y ait pas d'entente entre les représentants des différents gouvernements pour nommer un comité chargé de rédiger le manuel uniforme qu'on suggère, mais il faut espérer que les représentants, d'accord sur cette réforme, trouveront une association progressive qui s'attaquera au problème et verra au moins à éliminer des manuels d'histoire du Canada tout ce qui tend à diviser le peuple de ce pays et à n'enseigner aux jeunes que les faits authentiques.
Nous devons édifier la mentalité des nouvelles générations sur des bases différentes de celles qui ont prévalu jusqu'aujourd'hui, et parlant pour ma province,j'espère que le jour viendra où les citoyens anglais, et français, réaliseront qu'ils ont tout à gagner à être de bons voisins, si nous ne pouvons êtres [sic] frères pour atteindre la perfection évangélique. Laissez-moi vous avouer que j'aurais voulu vous brosser un autre tableau de la véritable situation dans Québec. Je l'ai fait parce que j'ai pensé qu'il était de mon devoir de vous présenter la situation véritable, persuadé qu'il est maintenant devenu dangereux de se flatter de choses qui n'existent pas. L'histoire du passé et du présent ont fait connaître les misères du peuple durant les émeutes et les révolutions, et c'est pour préserver mes concitoyens de ces menaces que je les avertis de ne pas prêter l'oreille aux appels insidieux des réactionnaires et des politiciens de troisième ordre. Nos institutions représentatives et notre association avec les autres nations du Commonwealth nous ont donné la paix intérieure et la prospérité. Nous devons nous tenir aux côtés de ceux qui sont prêts à tous les sacrifices pour les maintenir dans leur intégrité. C'est là que nous trouverons la salut et le bonheur."
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17-05-2016
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