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Sources imprimées

* * *

1880

Cloutier, Jean-Baptiste. Pédagogie - Conférence sur l'uniformité de l'enseignement, par J. B. Cloutier, au Congrès pédagogique de Montréal. S.l., s.n., [1880?]. 8 p. ISBN 0-665-04145-4.

"Voyons maintenant qu'est ce que l'on entend par uniformité dans l'enseignement et quels sont les moyens de l'obtenir.

Beaucoup de personnes ont pensé qu'elle consistait dans le choix des livres classiques, et ont cru que le seul moyen de régler la question était de n'autoriser qu'un seul livre pour l'enseignement de chaque branche d'instruction. C'est ce qui a inspiré l'article neuf de l'amendement à nos lois d'éducation, passé à la dernière session de la législature locale.

Quant à moi, je trouve ce moyen bien secondaire, bien peu efficace; car le livre, malgré son utilité incontestable, n'est après tout, qu'un instrument, qu'un outil dont toute l'importance dépend de l'habileté de celui qui l'emploie, et les bons maîtres, quels que soient les livres dont ils se servent, réussiront toujours, tandis que les médiocretés [sic], avec les meilleurs livres du monde, ne parviendront jamais à sortir de la routine.

Il ne faut pas s'exagérer son rôle et croire avec un trop grand nombre encore que c'est le livre qui enseigne, et que des élèves ne sauraient être présentés convenablement à un examen, ou devant l'inspecteur, sans pouvoir réciter de mémoire une partie du texte qu'ils ont entre les mains." (p. 3).

[On peut consulter le texte intégral de cette publication dans le site Notre mémoire en ligne].

1880
[Gravel, J.-A.]. Association des libraires-éditeurs, imprimeurs et relieurs de la province de Québec. S.l., s.n., [1880]. 14 p. ISBN 0-665-00896-1.

[Gravel dénonce le dépôt du livre institué en 1876; entre autres arguments, il soulève des cas de conflit d'intérêt].

«Association des libraires-éditeurs, imprimeurs et relieurs de la province de Québec.

A une assemblée de cette Association, tenue à Montréal le 1er juin 1880, M. J. A. Gravel, Libraire, fit lecture du travail qui suit, en réponse au dernier Rapport du Surintendant de l'instruction publique.

Il fut ensuite résolu, à l'unanimité, sur la proposition de M. Z. Chapeleau, Libraire, secondée par M. Eus. Senécal, Imprimeur;

1° Que des remerciements soient votés à M. Gravel pour son travail et pour l'énergie avec laquelle il a su défendre les droits de la Librairie.

2° Que ce travail soit imprimé et que des exemplaires en soient distribués à toutes les personnes qui sont censées avoir reçu copie du dernier Rapport du Surintendant de l'Education.

Par ordre,
J. B. Rolland,
Président.

L. J. A. Derome,
Secrétaire.

[page liminaire]

Réponse au dernier rapport
de
l'Hon. Surintendant de l'Instruction Publique
de la province de Québec.

Nous venons d'être mis en possession d'un document officiel du Département de l'Instruction publique, écrit sous la date du 3 décembre 1879, et adressé à l'honorable E. T. Paquet, secrétaire provincial.

Avant de discuter ce rapport, en ce qui regarde le dépôt de livres, nous devons déclarer en toute sincérité, que nous regrettons de le voir revêtu de la signature de l'honorable Surintendant, parce que nous savons que la partie que nous attaquons n'est pas de sa plume. Cette explication donnée, procédons. A la page iii du rapport, nous lisons:

«Quant au dépôt de livres, c'est une oeuvre encore plus ou moins discutée et qui rencontre une opposition persistante de la part des libraires; pourtant elle a eu des bons résultats, même aux yeux des personnes les moins bien disposées. N'eût-elle eu pour effet que de créer l'enseignement du dessin dans les écoles primaires,

[p. 1]

de répandre celui de l'agriculture et de généraliser l'usage des cartes géographiques, qu'il faudrait déjà reconnaître que c'est une bonne oeuvre, dont les effets bienfaisants sur notre organisation scolaire compensent amplement les sacrifices d'argent qu'elle a coûtés au trésor public. Mais le dépôt de livres a contribué puissamment à établir l'uniformité des livres classiques, à faire baisser les prix de ces livres, à pourvoir un plus grand nombre d'élèves des manuels nécessaires, à faire connaître les meilleurs modèles de sièges et de pupitres et les meilleures qualités de fournitures d'école en général. Or, il est évident qu'annoncer la fin de cette institution équivalait à paralyser complètement un mouvement auquel j'ai donné une forte impulsion, et qui, si l'on peut en supposer un plus profitable, n'en produit pas moins beaucoup de bien.

Je répète ici que je ne discute ni les actes ni les intentions de la législature: ce n'est pas mon devoir; mais ce que je considère comme mon devoir, en ma qualité de premier fonctionnaire de l'Instruction publique, c'est de mettre l'autorité en garde contre les changements trop brusques dans une organisation dont le mérite est attesté par une longue expérience, et contre tous systèmes nouveaux formulés à priori et sans consulter ceux que leurs devoirs officiels mettent au courant des besoins de nos populations.»

Pourtant, dites-vous, monsieur le Surintendant, elle a eu ses bons résultats, même aux yeux des personnes les moins bien disposées, n'eût-elle eu pour effet que de créer l'enseignement du dessin.

[p. 2]

C'est cela, monsieur Dunn, nous vous reconnaissons bien là. «De répandre celui de l'agriculture.» Pourquoi n'ajoutez-vous pas: au moyen du manuel d'agriculture de monsieur le Docteur Hubert La Rue, vendu à un prix exorbitant comme le seront tous les livres publiés par les défenseurs du dépôt? «Et de généraliser l'usage des cartes géographiques.» Que ne dites-vous, et spécialement celles éditées par mon Département, dans lesquelles Montréal est placé au sud du fleuve Saint-Laurent? Continuons notre analyse: «Mais le dépôt de livres a contribué puissamment à établir l'uniformité des livres classiques.»

Cela est très vrai. Pourvu que nous vous laissions faire, avant quatre ans, il y aurait uniformité de livres classiques, mais de livres classiques étant la propriété des créateurs du dépôt. C'est là que vous voulez en arriver.

«A faire baisser les prix de ces livres.» Ah oui! mais seulement pour ceux des livres qui ne sont pas les oeuvres de MM. La Rue, Langelier et Cie. «A faire connaître les meilleurs modèles de sièges et de pupitres.» Allons donc! vous vous moquez des honorables députés auxquels vous vous adressez, lorsque vous avez le toupet d'écrire que grâce au dépôt vous avez pu faire connaître les meilleurs modèles de sièges et de pupitres. Franchement vous comptez un peu trop sur la crédulité de vos lecteurs pour avoir recours à de pareils arguments.

[p. 3]

Nous citons toujours: «mais ce que je considère comme mon devoir, en ma qualité de premier fonctionnaire de l'Instruction publique, c'est de mettre l'autorité en garde contre les changements trop brusques, etc., etc.»

Ah oui! nous savons ce que cela veut dire. Il y a du danger à faire des changements trop brusques. Laissez-nous donc faire un peu; il nous faut du temps; pas de changements brusques, s'il vous plaît; nous avons à préparer des livres sur toutes les matières, nous prendrons des titres de propriété; nous les ferons approuver par le Conseil de l'Instruction publique, et puis avec le dépôt et surtout avec notre connaissance des affaires, nous pousserons tous ces livres dans les écoles, et bien sûr, nous arriverons à l'uniformité. Voyons:

Cours de dessin, par Oscar Dunn;
Manuel d'Agriculture, par le Dr Hubert La Rue;
Cours d'Arithmétique, par J.C. Langelier;
etc., etc.

De grâce, pas de changements trop brusques sans me consulter à priori, cela dérangerait nos petits calculs de spéculation.

Passons maintenant à la page xi du même rapport et continuons nos citations.

[p. 4]

«Maintenir l'oeuvre est chose facile, puisque je réclame simplement pour le dépôt le droit de vivre.»

Il serait intéressant pour nous de connaître comment vous pourrez vivre et faire baisser le prix des livres. Dites. «Une liquidation forcée pourrait, au contraire, compromettre une partie du capital représenté par les marchandises que j'ai en magasin.»

Dites-nous donc comment la liquidation vous embarrasserait? Cela ne nous paraît pas probable, parce que vous devez avoir en magasin les meilleurs livres, les meilleures fournitures d'école, et tout cela au meilleur marché, puisqu'avec le dépôt vous avez fait baisser les prix, et si les choses ont été faites si merveilleusement, comme vous nous le dites sur toutes les notes, assurément vous ne sauriez avoir aucune crainte de compromettre le capital engagé dans votre dépôt, en liquidant.

«Si le dépôt se maintient seul, comme une maison de commerce ordinaire, pourquoi voudrait-on le supprimer? Serait-ce pour céder aux instances des libraires qui voient dans cette oeuvre une concurrence injuste à leur détriment?»

Certainement oui nous avons raison de trouver que c'est une concurrence injuste, car nous avons droit de réclamer une liberté égale à celle accordée à tous les autres genres de commerce, et nous

[p. 5]

ne voyons pas comment un département public peut faire du monopole et cela uniquement, nous le disons hautement, au profit de quelques employés salariés de ce même département.

«Comment le dépôt fait-il concurrence à la librairie? D'une façon bien simple. J'achète les livres des libraires eux-mêmes ou des auteurs, et je les revends.

Si je les achète des libraires, ils me font une remise qui me permet de les revendre au même prix de leur catalogue. Il n'y a pas là de concurrence.»

Quelle logique!!! Mais la réponse est facile; nous allons vous la faire toucher du doigt. Ecoutez bien. Vous avez en vue d'être le fournisseur de quatre mille cent quinze écoles, fréquentées par au delà de deux cent mille élèves. Or, pour être juste envers tout le commerce de librairie et ne pas lui faire concurrence, comme vous venez de le dire, il vous faudrait acheter chez chacun de ces libraires, et comme vous êtes un gros acheteur, n'auriez-vous pas à favoriser quelques privilégiés, qui sauraient reconnaître vos services... d'une manière tangible; et puis, si ces amis favorisés ne faisaient pas bien les choses, ne vous arriverait-il pas, un beau matin, de faire tout vous-mêmes, sauf à prendre les précautions voulues, des noms empruntés etc?...

L'expérience que nous avons dans les affaires est là pour nous donner raison, et nous autoriser à vous dire carrément la vérité. Après cela, venez

[p. 6]

donc nous dire à nous qu'il n'y a pas de concurrence.

«Mais si je les achète des auteurs directement, je les revends au prix qu'il me plaît de fixer, calcul fait des frais d'administration du dépôt, etc. Je me réserve ordinairement un profit de 12 à 15%. C'est ici qu'il y a concurrence, car les libraires sont habitués à de tout autres profits.»

Il y de jolis aveux dans ce paragraphe. Pesons bien sur les mots: "Je les revends au prix qu'il me plaît de fixer, calcul fait des frais d'administration du dépôt, etc." Vous avez en cela une manière bien sage de procéder; c'est aussi la nôtre; mais ce que nous ne comprenons pas, même après avoir passé trente et quarante ans derrière un comptoir de librairie, c'est que vous puissiez arriver à vendre $1.80 la douz. le Manuel d'agriculture, si vous vous contentez d'un profit de 12 à 15% (Nous aimons à parler du Docteur La Rue, L'auteur de tant de manuels nécessaires. C'est là notre faible à nous, tout comme Monsieur Dunn a celui de commencer vos rapports en signalant l'importance de l'enseignement du dessin.) Mais revenons au manuel du Docteur La Rue. Vous le vendez $1.80 la douz.; vous prenez, disons le maximum de votre profit 15%, et nous arrivons à trouver que le livre vous coûte $1.53 la douz. La seule conclusion à tirer, c'est que vous payez cher vos auteurs. Nous ne sommes pas aussi larges, mais aussi le public est mieux traité

[p. 7]

par les libraires, quoique vous en disiez, Monsieur le Surintendant. Vous criez sur les toits que vous avez fait baisser les prix, mais vous serez forcé d'avouer que ce ne sont pas ceux des livres que vous achetez des auteurs. Ces derniers, les habiles, bien entendu, savent parfaitement comme traiter avec un Département public, surtout si cet auteur est membre du Conseil de l'Instruction publique. Le manuel d'agriculture se vendrait $1.20 la douz. si nous étions libres de le publier. En le vendant $1.80, vous êtes donc 50% de plus cher que nous ne le serions. En d'autres termes, avec votre monopole, vous vendez $1.80 la douz. ce que nous vendrions avec concurrence entre libraires $1.20. Niez ces faits si vous le pouvez.

«Oui, assurément, il est légitime pour l'Etat comme pour les individus, de chercher les moyens de donner au peuple l'éducation à bon marché.»

Nous reconnaissons à l'Etat le droit de faire promulguer les lois, mais nous ne sachions pas qu'il pût user de ce droit pour commettre des injustices au détriment d'un commerce fort ingrat dans ce pays, et cela, pour favoriser, sous de faux prétextes, des officiers publics, qui seraient bien plus occupés de leurs affaires de commerce que de remplir les devoirs des charges pour lesquelles ils reçoivent des salaires de l'Etat.

«Je m'explique. Les marchands n'ont qu'un but: gagner de l'argent. Le gouvernement doit aussi n'en avoir qu'un rendre service au peuple.

[p. 8]

Or, le plus grand service qu'on puisse rendre au peuple, c'est de l'instruire le mieux et le plus vite possible. Si donc les marchands de livres d'école gênent le gouvernement dans cette mission, que les marchands de livres d'école disparaissent.»

Les marchands, dites-vous, n'ont qu'un but" gagner de l'argent. Seriez-vous prêt à affirmer Monsieur le Surintendant, la main sur la conscience, que ça [sic] n'est pas aussi le vôtre? Il y a toutefois cette différence entre nous: c'est que nous, marchands, nous ne recevons pas de subventions du gouvernement et que la rémunération de notre travail nous vient sous forme de profits réalisés sur les ventes de chaque jour, tandis que vous, vous songez à ajouter aux salaires que vous recevez de l'Etat des suppléments de salaire que vous recevriez des individus.

Les libraires n'ont jamais songé à gêner le gouvernement dans l'affaire du dépôt de livres, puisqu'ils viennent, bien au contraire, tous les ans, réclamer son appui pour faire biffer de nos statuts cette loi inique, et ils ne désespèrent pas d'atteindre leur but.

Mais que Monsieur le Surintendant le comprenne bien. Les libraires ont la ferme détermination de le gêner dans son oeuvre de dénigrement et de lui rappeler ici qu'ils n'avaient pas attendu la fondation du dépôt pour vendre les livres à bas prix; car il est de fait que, grâce à la

[p. 9]

concurrence, entre libraires, les livres se sont vendus à des prix excessivement réduits depuis plus de vingt-cinq ans. Notons en passant les prix de quelques-uns de ces livres:

Syllabaire $0.40 la douzaine.
Grammaire de Lhomond 0.80
Grammaire des Frères 2.00
Psautier 1.30
Manuscrit 1.50
Devoirs du chrétien 2.40
Géographie des Frères avec cartes 2.50
Arithmétique des Frères et de Bouthillier 2.50
etc., etc. En face de ces faits, vous osez écrire que c'est pour faire baisser les prix que vous tenez tant au dépôt!

Nous arrivons à la partie la moins digne du document officiel et qui, certes, fait peu d'honneur à son auteur; c'est du dépit, de l'audace, une trop grande confiance dans sa toute-puissance. Avec un peu plus de calme, il n'aurait pas été aussi vite en besogne. Lisons:

«Si donc les marchands de livres d'école gênent le gouvernement dans cette mission, que les marchands de livres d'école disparaissent.»

Rien que ça! qu'ils disparaissent! L'empereur de Russie ne parlerait pas autrement; mais au Canada, c'est un peu trop d'autocratie; nous vous le répétons, nous n'entendons pas gêner le gouvernement,

[p. 10]

mais nous sommes bien déterminés à vous empêcher de continuer à être un marchand de livres d'école, le fournisseur de quatre mille cent quinze écoles et de plus de deux cent mille élèves. C'est là notre but; quant à votre prétention de nous faire disparaître, nous pensons bien que c'est le voeu que vous formez depuis longtemps, vous et vos dignes acolytes; mais il ne se réalisera pas aussi facilement que vous le pensez.

Dites-nous maintenant, vous qui savez écrire de si belles choses, n'avez-vous pas eu, lorsque vous étiez sur les bancs de l'école, des livres, et ces livres, ce papier, ces plumes, ces ardoises, etc., où les preniez-vous? n'était-ce pas chez le marchand de livres d'école? Alors vous n'en auriez pas parlé avec dédain, parce que ce marchand de livres d'école vous aidait, au moyen de ses livres, à pouvoir vous instruire, mais aujourd'hui ce même marchand de livres d'école vous gêne, c'est pourquoi vous tenez à le faire disparaître et à être le seul fournisseur des quatre mille cent quinze écoles qui sont sous votre contrôle, et qui sont fréquentées par plus de deux cent mille enfants.

Les libraires peuvent dire, et cela sans la crainte d'être contredits, qu'ils ont rendu d'immenses services à la cause de l'instruction publique, en ayant toujours en magasin tous les livres et fournitures d'école nécessaires; et cela un grand nombre d'années avant la fondation du

[p. 11]

Département de l'Instruction publique; que très souvent ils ont aidé des établissements, des collèges et des couvents, en leur accordant des deux et trois années de crédit. Pouvez-vous en dire autant, Monsieur le surintendant, vous qui retenez le montant de vos factures sur les octrois que vous avez à payer aux municipalités scolaires?

Le dépôt de livres de la province d'Ontario avait servi de prétexte pour la fondation du vôtre. Nous disons prétexte, parce que les raisons qui justifiaient l'établissement du dépôt dans la province supérieure n'existaient pas chez nous. Dans Ontario [sic], à la nomination de Monsieur Ryerson comme Surintendant, il aurait été condamné à se croiser les bras, s'il eût attendu après les livres nécessaires, qui manquaient presque complètement. De là la justification de la fondation du dépôt là-bas; mais ici, à l'avènement de feu le Docteur Meilleur à la tête du Département de l'Instruction publique, le Docteur n'eut pas ce souci, parce qu'il trouva des livres et des libraires prêts à pourvoir à tous les besoins des écoles. Eh bien! le dépôt de livres vient d'être aboli à Ontario; pourquoi donc voudriez-vous perpétuer le vôtre ici? Votre plus grand argument en sa faveur vous manque. Si vous persistez, alors vous ne pourrez plus en appeler aux merveilles du dépôt à Ontario, puisqu'il est au nombre des choses passées.

Terminons cette critique, un peu sévère peut-

[p. 12]

être, mais vraie au fond, par quelques suggestions sur les seuls moyens d'arriver à l'uniformité et au bon marché.

1° La liste des livres approuvés doit être revue le plus tôt possible par le Conseil de l'Instruction publique. A quoi bon laisser sur cette liste des livres qu'on ne veut pas laisser adopter au choix des maîtres et des maîtresses?

2° Les livres approuvés devront être la propriété du Département de l'Instruction publique, qui, étant obligé de payer aux auteurs, verrait à n'acheter que les bons ouvrages, en diminuerait le nombre et mettrait à néant les compilateurs et annotateurs, qui, eux, n'auraient aucunement à réclamer des droits d'auteur. Ce serait un excellent moyen de se débarrasser des médiocrités. Or, pour arriver à l'uniformité, il est évident qu'il ne nous faut pas cinq ou six grammaires et autant de géographies et d'arithmétiques. Ce qu'il nous faut, ce sont les meilleurs.

3° Les libraires, qu'ils soient de Gaspé, Rimouski, Québec, Trois-rivières, Sorel, Montréal ou Ottawa, auraient le droit d'imprimer ces livres sans indemnité aucune au Département. De cette manière nous arriverions à tuer le monopole, à amener la concurrence et par suite le bon marché et la bonne exécution.

Pourquoi favoriser tel ou tel éditeur ou telle ou telle localité? Suivant nous justice pour tous, égalité pour tous.

[p. 13]

4° Le gouvernement aurait à fournir les fonds pour l'achat des droits d'auteur, ce qui ne saurait être considérable, parce qu'il n'est pas à supposer qu'il faudrait acheter souvent. Pour commencer, le Surintendant pourrait être autorisé à employer le produit de la vente de son fonds de commerce à cette fin, en y ajoutant le salaire des employés du dépôt, dont les services ne seraient plus requis." (p. 1-14).

1880
[Réticius (frère)]. Réponse aux cinq lettres du r. m. Verreau. [Montréal, s.n., 1880]. 76 p. ISBN 0-665-12425-2.

"I.

[...]

[Le frère Réticius fait un parallèle entre les attaques contre les communautés enseignantes en France et les attaques de Verreau contre les Frères des écoles chrétiennes du Québec: en France]:

"Pour raison d'intérêt personnel ou d'amitié, ils [les conseils municipaux] établissent, dans ces écoles, l'uniformité de programmes, de livres et de méthodes [...]. (p. 3).

III.

Les 20, 21 et 22 septembre se tient, sous la présidence de l'Honorable Monsieur Ouimet, le Congrès pédagogique catholique, qui devait couronner les fêtes scolaires. En tête du programme des discours annoncés figurait la pomme de discorde: De l'uniformité de [sic] livres dans l'enseignement. M. Cloutier, professeur à l'Ecole Normale de Québec, était chargé de peler et de faire digérer la pomme; opération, il faut l'avouer, délicate et difficile. En maître habile, M. Cloutier se tient quelque peu en dehors de son sujet et évite ainsi tout choc et tout heurt. (p. 17).

[...]

Je reviens au Congrès. Il ne m'appartient pas de faire l'historique de cette intéressante assemblée, je me bornerai donc à mon sujet: l'uniformité de livres dans l'enseignement.

Au mois de juillet, une loi dont l'enfantement est encore enveloppé dans les ombres du mystère, est apparue comme un spectre. Cette loi, votée par la Législature de Québec, a pour titre: «Acte pour amender de nouveau les lois de l'Instruction publique en cette province, concernant le dépôt de livres.» Chef-d'oeuvre d'habileté et de finesse, cet acte est un vrai scorpion dont la queue dissimulée artificieusement sous la tête, recèle un venin mortel. En effet, qui supposerait que, sous un titre si bénin, se glissent des articles comme ceux-ci:

«8. Après la mise en vigueur du présent acte, le Conseil de l'Instruction Publique, c'est-à-dire le comité catholique ou le comité protestant du dit conseil, selon le cas, devra, d'ici au premier jour de mai 1881, reviser [sic] la liste des ouvrages classiques, livres, cartes, globes, modèles ou objets quelconques qu'il a approuvés jusqu'à ce jour.

9. Sur cette liste, il ne devra être inscrit qu'un

[p. 23]

ouvrage par matière d'enseignement, ou deux dans le cas où l'un serait élémentaire et l'autre et l'autre plus complet pour les classes avancées, et nul autre ouvrage ou livre ne sera en usage dans les écoles.

10. La dite liste des livres approuvés ne sera revue que tous les quatre ans, et tout live d'école qui serait exclu de la dite liste ne pourra être exclu de l'enseignement avant une année à compter de la date de la révision de la dite liste, et les nouveaux livres approuvés ne devront être mis en vente qu'après une année à compter de la même date.

11. Le surintendant retiendra la subvention de toute municipalité qui, après le premier jour de septembre 1882, permettra dans ses écoles l'usage de livres non portés sur la dite liste ainsi revisée.

12. Nonobstant toute loi à ce contraire, tous les livres ou tous les ouvrages portés sur la dite liste deviendront la propriété du Conseil de l'Instruction Publique, moyennant indemnité aux propriétaires, laquelle sera fixée par le Lieutenant-Gouverneur en conseil, et, s'il a y contestation sur le chiffre de cette indemnité, la contestation sera référée à trois arbitres nommés, l'un par le surintendant, l'autre par le propriétaire de l'ouvrage, le troisième par ces deux arbitres, et la décision de ces arbitres sera finale.»

L'auteur a emboîté le pas sur M. Ferry et l'a devancé de quinze jours; c'est seulem ent le 7 octobre que le ministr e de la Républ ique prescrit , par une simple circulai re, la mesure tyranni que qu'un habile a escamo tée à la Législa ture. (1)

[Note infrapaginale]:

Citons quelques lignes de la pièce ministérielle.

«Il y a, dit M. le Ministre, deux manières d'arriver, en ce qui concerne les livres scolaires, à l'unité de règle: la voie de l'autorité et la voie de la liberté. Un seul manuel officiel pour chaque matière, ou un petit nombre d'ouvrages choisis approuvés par l'autorité centrale et distribués d'office, à l'exclusion de tous les autres, dans les écoles publiques: voilà le premier système qui semble de beaucoup le plus simple et le plus rapide.

Le second système est plus libéral: c'est au personnel enseignant lui-même que l'on confie l'examen et le choix des livres que la libre concurrence des éditeurs met au jour incessamment, la laissant libre de modifier, d'augmenter, de réviser le catalogue, selon les progrès de la librairie scolaire. C'est à cette seconde solution que, d'accord à [sic] mon administration, le Conseil supérieur a, sans hésiter, donné la préférence.» Ainsi, M. Constans enfonce les portes des monastères pour en chasser les religieux; M. Ferry, qui s'entend mieux aux affaires, ne veux [sic] pas forcer celle de l'école pour y reproduire un manuel scolaire. Scrupule de ministre! deux lignes plus bas, Mr. Ferry ajoute: «Les instituteurs et institutrices ce chaque canton dressent la liste des livres dont ils désirent se servir. Toutes ces listes cantonales sont centralisées au chef-lieu du département, où une Commission présidée par l'inspecteur d'Académie les examine et les révise.

J'entends par là que, si certains choix lui semblaient malheureux, si des omissions graves ou systématiques paraissaient s'être produites, la Commission renverrait la question à l'examen de la conférence cantonale, avec ses observations, avant de donner son visa.» - Peut-on escamoter plus hypocritement la liberté au nom même de la liberté?

[p. 24]

Comment et où cette loi a-t-elle été forgée? Qui l'a présentée? L'enfant est si laid et si méchant, qu'il ne trouve ni père ni parrain. M. le Surintendant va tout à l'heure nous déclarer qu'il n'en a point eu connaissance avant la session législative; n'est-ce pas le cas de renforcer le poste et de doubler les sentinelles?

En attentant que l'on fournisse l'extrait de naissance de ce terrible enfant, qu'on me permette de citer quelques notes que m'a laissées sur cette question le cher frère Armin- Victor, qui voyait si clair derrière la toile; peut-être établiront-elles, au moins en présomption, la parenté qui existe entre le dépôt de livre [sic] et la loi votée par la Législature en juillet dernier.

«Que le dépôt de livres soit une heureuse innovation telle n'est pas la question que je veux me poser. On pourrait examiner comment elle a été appliquée, et, sur ce point, il peut être fait il a été publié des critiques trop justifiées pour qu'on y réponde jamais d'une façon péremptoire et victorieuse. Mais ce n'est pas assez, le

[p. 25]

Surintendant, pour arriver à l'uniformité veut prescrire les ouvrages destinés à l'enseignement. C'est une idée empruntée aux pays protestants qui appliquent ainsi aux catholiques leurs principes libéraux. Or, il est bon de prévoir les conséquences d'une telle détermination:

1º . Prescrire l'usage exclusif de quelques livres, c'est se condamner à ne pas avancer. Dans un petit pays comme celui-ci, réduit aux proportions de la province de Québec, le commerce de librairie est impossible sans la libre concurrence. Que la concurrence cesse, naît le monopole, qui impose ses conditions. De là des charges énormes que l'on ferait peser sur les familles.

Bien plus, qui osera publier de nouveaux livres? Qui, par exemple, essaierait aujourd'hui de produire un ouvrage d'agriculture destiné à remplacer le manuel Larue, tant et si persévéramment [sic] vanté? Qui osera parler d'un livre de lecture après les efforts faits pour imposer Montpetit, dont l'ouvrage indigeste, sans méthode, est le moins propre à l'enseignement de la lecture de tous ceux qui ont été publiés dans le même but? Qui fera une méthode rationnelle et graduée pour l'enseignement du dessin après que M. Dunn a reconnu que l'ouvrage dont il est le second père est plus parfait qu'aucun autre livre du genre, publié dans le passé, ou dont la publication serait possible? On se condamne donc à la médiocrité pour longtemps?

2º . On va à détruire la liberté des institutions religieuses au moins celles qui sont placées sous le contrôle des commissaires. Partout, même en France, où l'esprit de réglementation est porté à l'excès, et où l'on ne saurait accuser l'Etat de partialité envers les congréganistes, les communautés restent en possession de ce droit. On est en voie ici, de suivre d'autres errements. Or sait-on la conséquence de cette détermination? On s'achemine à l'usage de livres indifférents au point de vue religieux

[p. 26]

en attendant qu'on arrive aux livres positivement dangereux. Voici déjà que, par l'introduction de Montpetit, on supprime partout la Vie de N.-S.J.-C. et le Devoir du Chrétien, ouvrages qui doivent être entre les mains de tous les enfants pour passer dan les familles.

3º . Mais quand on devrait accepter dans le présent, ces inconvénients, qui ne reçoivent aucune sorte de compensation, il faut songer à l'avenir. L'heure vient où l'esprit libéral et peut-être libre-penseur pénètrera [sic] dans les hautes régions. Comment feront alors Nos Seigneurs les Evêques pour retirer alors à un Surintendant hostile les pouvoirs qu'ils auront laissé exercer par ses prédécesseurs? Ils invoqueront ou les raisons données plus haut, mais dont ils seront accusés d'avoir fait bon marché autrefois, ou la défiance que leur inspireront les hommes d'alors mais combien les hommes d'alors se récrieront.

Il importe donc que le Conseil Supérieur maintienne absolument son droit d'approuver les livres et, pour les instituteurs et les municipalités, le droit de prendre ceux qui leur conviennent parmi les livres approuvés, [sic] Le premier de ces droits serait annulé par les confiscations du second. Du reste, monsieur le Surintendant ne le dissimule pas. «Dans le cas où le conseil de l'instruction publique, pour des raisons graves, ne voudrait pas reviser maintenant la liste des livres approuvés, il y aurait peut-être un moyen d'obvier à cet inconvénient: ce serait de laisser libre le commerce de tous les livres approuvés, mais de n'en vendre au Dépot [sic] qu'un petit nombre choisi.» Ce moyen serait beaucoup plus lent qu'une révision complète mais il aurait toujours sa valeur en ce qu'il manifesterait une préférence de la part des autorités.

Ainsi, on chargerait de trier, parmi les livres adoptés par le Conseil, des hommes qui, sans contrôle, pourraient en choisir, non les meilleurs pour l'enseignement, mais

[p. 27]

ceux qui leur donneraient le plus de profits; monsieur Dunn choisirait les livres de monsieur Dunn et des amis de monsieur Dunn.

Le Dépôt, du reste, devrait n'avoir le droit, comme en Ontario, que de vendre du matériel de classes, à prix réduit, l'Etat faisant, pour cet objet, des sacrifices. Mais le commerce de livres et d'articles de bureau devrait y être proscrit; cela dégénèrera [sic] nécessairement, pour les employés en sous-ordre, en un tripotage d'argent qui ne profitera qu'à eux et aux préférés qui leur auront fait les meilleures remises.» (1)

[Note infrapaginale]: De divers points m'arrivent d'édifiants renseignements sur ce tripotage annoncé ici par le cher frère Armin; encore un peu de lumière, et on verra bientôt briller dans tout son éclat le pot aux roses.

Ces réflexions si judicieuses, si clairvoyantes, permettent, ce semble, de saisir le plan de ces Messieurs. Attirer, par le dépôt de livres, l'attention des Instituteurs sur les ouvrages que l'on voulait faire adopter, les répandre graduellement dans les diverses écoles, les faire recommander par M.M. les Inspecteurs; laisser au temps de familiariser les maîtres avec les classiques préconisés, et, à l'heure propice, briser le moule et présenter le chef-d'oeuvre.

On conçoit les légitimes inquiétudes du clergé et des congrégations religieuses à l'apparition d'une telle loi dans un pays aussi chrétien que le Canada; chacun attendait avec anxiété la discussion qui devait s'ouvrir sur ce sujet à propos de la conférence de M. Cloutier.

C'est M. Pilon, inspecteur primaire, qui engage la discussion avec une remarquable force d'argumentation contre le système préconisé. M. Ahern, professeur à l'Académie du Plateau, cherche à lui répondre; mais d'un mot M. Pilon lui rétorque sa réponse et le réduit au silence malgré les efforts des nombreux amis du voisinage qui le soutenaient et l'excitaient. M. Pilon venait de fournir la

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réplique; son rôle était fini. M le Président accorde la parole à M. Tassé. Après un vigoureux coups [sic] de fouet appliqué aux paradoxes de M. Toussaint, M. le curé de Ste. Scholastique attaque l'uniformité de livres dans l'enseignement et dénonce le danger de ce système en citant, à l'appui de son assertion, les ravages que, par des procédés analogues, la révolution exerce dans la vieille Europe; il termine son discours par la citation de quelques propositions du syllabus où l'immortel Pie IX revendique, pour l'Eglise, le droit de s'occuper de l'éducation et du gouvernement des peuples. Six heures sonnent; M. le Surintendant annonce que la suite de la discussion est remise au lendemain, et lève la séance.

Le lendemain, la discussion est reprise après les conférences indiquées au programme. La veille, M. Pilon avait fait l'éloge de nos classiques; M. Stenson, inspecteur du comté de Sherbrooke, qui lui répond, exalte la série de M. Montpetit; qu'il proclame la plus parfaite de toutes et dont il recommande l'adoption pour toutes les écoles de la Province. Le discours de M. Stenson fut laborieux, ses conclusions ne conquirent pas les sympathies universelles. Bon nombre d'orateurs se disposaient à demander la parole, lorsque, tout-à-coup, M. Rousselot, curé de Notre-Dame, se lève et, s'adressant à M. le Président: «Monsieur le Surintendant, lui dit-il, je vous prie de me permette de vous adresser une question; une réponse favorable dissipera le malaise que je vois régner dans un grand nombre d'esprits. On demande l'uniformité de livres dans toutes les écoles de la Province. Nous voudrions savoir, d'une manière précise, ce que l'on entend dans cette demande. Ne s'agit-il d'établir cette uniformité que dans les écoles laïques, ou bien se propose-t-on d'ôter à nos communautés enseignantes, c'est-à-dire aux Frères des Ecoles Chrétiennes, aux Soeurs de la Congrégation, les livres dont ils se servent

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depuis si longtemps et avec tant de succès?» «Je ne suis pas prêt pour répondre à cette question, Monsieur le Curé; elle n'a pas été proposée au Conseil, et je ne puis savoir ce que le Conseil déciderait.» «Pardonnez, Monsieur le Surintendant, nous avons besoin de savoir ce qu'on propose, ce qu'on demande aujourd'hui dans ce Congrès. On réclame l'uniformité de livres dans l'enseignement; encore une fois, demande-t-on aux Frères le sacrifice de leurs livres et de leurs méthodes, livres et méthodes dont le mérite a été reconnu dans toute l'Europe, que les différents gouvernements ont approuvé, et qui n'ont eu que trop de succès à Paris même? Car si les Frères y sont victimes de la persécution, c'est surtout à cause de leurs succès... Nous avons besoin d'être rassurés sur ce point; car si c'est vraiment ce que l'on se propose, nous agirons en conséquence et nous saurons prendre nos mesures.»

Ce petit mot comminatoire produit une impression sensible sur M. le Surintendant, qui objecte néanmoins que l'uniformité des livres est complète dans tout le Département de la Seine: «Pardon, M. le Surintendant, si j'ose soutenir le contraire; je suis certain que les chers Frères suivent encore leurs livres et leurs méthodes dans leurs écoles de la capitale. Et je ne comprendrais pas que lorsque le gouvernement actuel de la France n'a pas encore enlevé aux Frères des Ecoles Chrétiennes leurs livres et leurs méthodes, on songeât à le faire au Canada, en Amérique, dans le pays de toutes les libertés.»

A ce mot de liberté, M. le Surintendant déclare en termes chaleureux et qui sont couverts d'applaudissements, que, lui aussi, veut la liberté dans l'enseignement: «Comment, s'écrie-t-il, craindre pour l'avenir du Canada avec nos instituteurs qui sont aussi religieux que n'importe quel religieux? Comment s'alarmer sur l'éducation religieuse du pays avec un Conseil supérieur composé de tous les Evêques de la province et d'excellents catholiques?

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Si nous préconisions les livres et les méthodes des Frères, personne, parmi vous, Messieurs, ne protesterait!»

Ces assurances rassurèrent médiocrement M. Rousselot, qui reprit: «J'aurais encore une question à vous adresser, M. Le Surintendant. A la dernière session, un bill sur l'uniformité de livres dans les écoles de la province du Bas-Canada a été voté par la législature. On nous dit et on nous répète que nous devons être tranquilles sur l'avenir de nos écoles, parce que le Conseil de l'Instruction Publique étant composé de nos Seigneurs les Archevêques et Evêques et de laïques éminents et chrétiens, il ne peut être pris aucune mesure fâcheuse pour la religion. Cette loi a-t-elle été passée avec l'agrément et l'approbation de nos Seigneurs les Archevêques et Evêques?» -- «Cette loi, répond M. le Surintendant, n'est pas encore en vigueur, et il est probable qu'elle ne le sera pas de sitôt; je ne sais trop comment elle a été votée. Elle vise surtout mon dépôt de livres, et c'est pour me dorer la pilule qu'on y a joint la partie qui concerne l'uniformité de livres dans l'enseignement.» -- «Je sais, reprend M. le Curé, et de la manière la plus certaine que nul de nos Seigneurs les Archevêques et Evêques n'a été consulté, et que ce Bill a été passé à leur insu.» -- «J'ignore cette loi, réplique M. le Surintendant, et je ne l'ai même point lue, si ce n'est dans la partie qui concerne mon dépôt de livres.» Sur cette parole, M. le Curé s'assied lassant à chacun le soin de tirer les conclusions. De tels faits se passent de commentaires.

Ces discussions du Congrès ont jeté une vive lumière sur le plan de cette campagne entreprise contre les congrégations religieuses, et permis de distinguer les principaux personnages qui se sont partagé les rôles. Couronnés de lauriers, ces Messieurs se présentaient à l'admiration de

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la province émerveillée de si fécondes méthodes, de si riches travaux et de si nombreux diplômes. Au Congrès, le corps enseignant, par une acclamation unanime, sanctionnait de son autorité morale les faits accomplis et les systêmes [sic] préconisés. Fiers de ces lauriers et forts de ce vote, ces Messieurs se présentaient devant le Conseil de l'Instruction publique, et n'avaient plus qu'un mot à dire: «Messieurs les membres du Conseil de l'Instruction publique, pendant l'été on vous a escamoté une loi. C'est un petit péché, nous l'avouons; mais un petit péché qui répond à un besoin général du pays et aux voeux de tous les instituteurs de la province, qui viennent d'acclamer la mesure. Veuillez, Messieurs, laisser passer la loi, et, au besoin, lui prêter main forte.»

Et le tour était joué, et le catholique Canada aurait eu, par cette petite loi, la prime de quinze jours sur M. Ferry. Grâce au croc-en-jambe de M. le Curé de Notre-Dame, le vote a fait fiasco, et l'enfant mystérieux est, chacun l'espère, mort-né."

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1880
[Trois maîtres d'école]. Le dépôt de livres et la pétition des libraires. S.l., s.n., [1880]. 19 p. ISBN 0-665-03768-6.

"LE DEPOT DE LIVRES
ET LA
PETITION DES LIBRAIRES

Dans son rapport sur l'instruction publique pour l'année 1856, l'hon M. Chauveau disait:

«C'est aussi mon opinion que les écoles ne seront jamais bien fournies de livres, cartes, tableaux de lecture, globes, compteurs, planétaires et autres objets de ce genre, tant qu'il ne sera pas créé un magasin approvisionné par le département qui accorderait une remise considérable aux municipalités sur le prix coûtant de ces objets comme c'est le cas dans le Haut-Canada.

Les bibliothèques de paroisse ne pourront point non plus prospérer tant qu'on n'aura pas recours au même moyen pour les former et les développer. J'espère en laissant accumuler pendant quelque temps l'allocation qui est faite en leur faveur pouvoir mettre sur pied avec la sanction du gouvernement un magasin ou dépôt, dont l'établissement pourrait être aussi un moyen d'encourager la littérature et la librairie du pays; et de faciliter la formation des instituts d'artisans et des associations littéraires.»

M. Chauveau est revenu à plusieurs reprises, dans ses rapports subséquents, sur la nécessité de créer ce magasin ou dépôt de livres dans le département de l'instruction

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publique, et son successeur, l'hon. M. Ouimet, a donné suite à ce projet.

Le Dépôt de Livres existe donc depuis deux ans. La Législature a fait à cette institution une allocation de $17,500.00. Plus de trois cents municipalités s'y sont approvisionnées et les ventes cette année se sont élevées à $12,000 environ.

Malheureusement certains libraires ne voient pas cette institution d'un bon oeil et ils en demandent même la suppression. Voici la pétition qu'ils viennent de présenter au gouvernement:

«A Messieurs les Membres de l'Assemblée Législative de la Province de Québec,

Les soussignés, marchands-libraires et éditeurs, de la Province de Québec, exposent humblement: 1° Qu'ils ont à se plaindre des dispositions de l'acte de la législature de cette Province 40 Vict., ch. 6, section 23, créant dans le département de l'Instruction publique un dépôt de livres, cartes, publications, modèles, spécimens, appareils et autres fournitures scolaires;

2° Que, sans discuter le mérite de cette mesure ni vouloir rechercher les intentions de ses auteurs, les soussignés croient devoir se borner à exposer respectueusement que depuis la mise en force de cette loi, ils se voient privés de la partie la plus importante de leur commerce, ce qui leur cause des dommages sérieux, vu le monopole qu'elle donne au Dépôt de livres par le département de l'Instruction publique;

3° Qu'ils ont en mains un grand nombre d'ouvrages approuvés par l'ancien ministre de l'éducation et même par le Bureau de l'Instruction publique actuel; et que la loi sus-mentionnée les prive de la vente de ces ouvrages et autres fournitures d'écoles:

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4° Qu'ils croient être en position de réclamer quelque considération pour leurs intérêts particuliers, d'autant plus qu'ils peuvent être protégés sans que l'intérêt général en souffre;

5° Que la librairie, dans ce pays, a besoin qu'on l'aide, nous sous forme de subvention, mais en lui accordant la même liberté qu'à toutes les autres branches de commerce; et que c'est commettre une injustice envers elle que de permettre à un département public, subventionné par la Province, de venir lui enlever, d'un seul coup, une clientèle qui est le fruit de dix, vingt et trente années de travail;

6° Que la librairie canadienne rend tous les jours des services considérables à l'éducation en aidant à la propagation des bons livres en tous genres, ce qui, dans bien des cas, nécessite de sa part des sacrifices pécuniaires qu'elle ne sera plus en mesure de faire, si on lui enlève son principal moyen de subsistance:

C'est pourquoi les soussignés prient Votre Honorable Chambre de bien vouloir entendre leurs plaintes et d'abroger le dit acte et les règlements du Surintendant de l'Edudation au sujet du dépôt officiel de livres et de fournitures d'école actuellement en vigueur.

Et les soussignés ne cesseront de prier.»

Nous avons souligné les parties les plus importantes de cette pétition, qui renferme des allégués d'une fausseté étonnante. Que certains libraires n'aiment pas le Dépôt de Livres, c'est bien permis; mais, que pour obtenir la suppression de cette institution ils se basent sur des allégations fausses, cela n'est pas tolérable et nous croyons important de signaler les erreurs grossières que renferme la pétition qu'on vient de lire.

Dans leur seconde allégation, les auteurs de la pétition déclarent "que depuis la mise en force de cette loi,

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ils se voient privés de la partie la plus importante de leur commerce, ce qui leur cause des dommages sérieux.»

En consultant les Tableaux du commerce et de la navigation, on constate que la valeur des livres importés dans la province de Québec durant l'année 1876-77 s'est élevée à $221,544. Nous pouvons affirmer que parmi ces livres importés, il n'y avait pas pour $10,000 de livres d'école. Mais, s'il faut en croire les auteurs de la pétition, la valeur des livres d'école imprimés dans le pays et vendus par les libraires excède celle des livres importés, puisqu'ils affirment qu'en vendant des livres d'école, le Département de l'Instruction publique les prive «de la partie la plus importante de leur commerce.»

Nos libraires vendent aussi de la papeterie et il n'est pas exagéré de porter à $100.000 le chiffre de ce commerce. Enfin, plusieurs d'entre eux font le commerce de bimbloterie [sic], d'articles de piété et de fantaisie, d'ornements d'église et des liqueurs. Nous en connaissons, par exemple, qui achètent et vendent jusqu'au gin par cent caisses. Le commerce que font les librairies de ces différents articles n'est pas moindre de $150,000.00

En résumant tous ces chiffres, on arrive à la conclusion que le commerce des pétitionnaires s'élève annuellement à $693,000.00, chiffre qui est au-dessous de la réalité.

Or, quelle est la valeur des livres, cartes, globes, etc. vendues chaque année au Dépôt de Livres? Seulement $12,000.00, ou 1.87 pour 100 de la valeur du commerce qui se fait par les libraires.

Eh bien, en comparant ces chiffres, en présence du fait que le commerce fait au Dépôt de Livres n'atteint pas même 2% du montant de celui que font les libraires de la province, n'avons-nous pas droit de constater qu'en affirmant, dans leur requête, que par l'existence du Dépôt de Livres «ils se voient privés de la partie la plus importante de leur commerce, ce qui leur cause des dommages sérieux.»

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les auteurs de la pétition affirment une fausseté? De la part d'hommes sérieux, cette affirmation erronée est plus que surprenante: c'est un outrage à la vérité.

Il est un autre fait qui met encore plus en évidence la fausseté de l'allégation que nous examinons. Le Département de l'Instruction publique a vendu pour $12,000 de livres, etc. Mais ces livres, de qui les a-t-il achetés? Des libraires. Mais si les livres qui se vendent au Dépôt sont achetés des libraires, comment ces derniers peuvent-ils, de bonne foi, affirmer que l'existence du Dépôt les prive «de la partie la plus importante de leur commerce» et «leur cause des dommages sérieux»? Le Dépôt ne faisant que la même chose, pourquoi s'en plaignent-ils? N'est-ce pas absurde?

Donc, au lieu de les priver, «de la partie la plus importante de leur commerce», l'existence du Dépôt ne fait pas perdre un seul sou aux libraires, qui vendent à cette institution les livres qu'elle revend aux municipalités.

Quant «aux dommages sérieux» dont parle la pétition, c'est une autre affaire. Il est de fait que l'existence du Dépôt a fait baisser le prix des livres d'école de 25%. Ainsi, pour ne citer qu'un exemple, l'édition Côté du Nouveau Traité que les libraires vendaient $2.50 la douzaine, ne se vend au Dépôt que $1.80; les libraires sont souvent forcés aujourd'hui, de vendre eux-mêmes à ce prix, ce qui fait une réduction de soixante dix [sic] cents par douzaine. Mais cette réduction prive-t-elle les libraires d'un bénéfice raisonnable? Non, puisqu'en vendant le Nouveau Traité $1.80, ils font encore un profit de 20%, car ils achètent de M. Côté pour $1.44 la douzaine.

C'est probablement de ces «dommages sérieux» que [sic]

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parle la pétition. La question est de savoir si, pour éviter ces "dommages sérieux," le public est bien obligé de payer les livres d'école environ 30% de plus qu'ils ne devraient raisonnablement se vendre. Nous attirons spécialement l'attention du gouvernement sur cette considération. Si le gouvernement trouve qu'il est dans l'intérêt public de faire des rentes de 30% à une vingtaine de libraires, qu'il acquiesce aux voeux exprimés dans la pétition et qu'il ferme le Dépôt de Livres. Pour nous, nous comprenons la question d'une tout autre façon et nous sommes convaicu [sic] que le public partage notre avis.

Pour assombrir davantage la peinture qu'ils font de leur position, les auteurs de la requête allèguent que la loi donne un monopole au Dépôt de Livres.

Cette assertion est aussi erronée, aussi contraire à la vérité, que celle que nous venons de réfuter. La loi, telle qu'interprétée par M. le Surintendant, ne donne aucun monopole au Dépôt de Livres; elle n'oblige pas les municipalités scolaires à acheter leurs livres du Département de l'Instruction publique, et la preuve, c'est que des neuf cents municipalités scolaires qu'il y a dans la province, trois cents seulement ont fait des commandes au Département. Ce fait nous dispense de tout commentaire et prouve que sur ce point les auteurs de la pétition ne disent pas la vérité.

Dans la troisième allégation de leur requête, les pétitionnaires déclarent «qu'ils ont en mains un grand nombre d'ouvrages approuvés par l'ancien ministre de l'éducation et même par le Bureau de l'Instruction Publique actuel, et que la loi sus-mentionnée les prive de la vente de ces ouvrages.»

Cette assertion est absolument contraire à la vérité et nous défions les libraires d'en établir l'exactitude. La loi en vertu de laquelle le Dépôt de Livres, notamment les sections de ce statut indiquées dans la première allégation de la requête, n'exclut des écoles, et par conséquent du

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commerce, aucun des ouvrages que le Conseil de l'Instruction - et non pas le ministre de l'éducation - a revêtu depuis vingt ans de son approbation, puisqu'elle ne s'applique nullement à cela. L'approbation ou la désapprobation des livres d'école sont du ressort exclusif du Conseil de l'Instruction publique, et les statuts concernant le Dépôt de Livres n'affectent aucunement les privilèges du Conseil sous ce rapport. Il y a plus encore: non-seulement la loi, mais même le Conseil de l'Instruction publique n'a jamais exclu des écoles, et, partant, du commerce un seul des livres qui ont été approuvés comme susceptibles d'être employés dans l'enseignement. Nous défions qui ce soit de prouver le contraire.

Cette allégation des pétitionnaires est donc absolument contraire aux faits et à la vérité.

Dans la quatrième allégation, les pétitionnaires disent «qu'ils croient être en position de réclamer quelque considération pour leurs intérêts particuliers.»

Cela est très possible, probable même, et si ces messieurs, en vendant les livres d'école 25 pour cent au-dessus des prix raisonnables, ont pu acquérir des fortunes qui leur permettent de se donner des loisirs, de se passer des fantaisies, qui leur permettent de s'amuser, nous ne voyons point pourquoi ils ne leur serait pas libre de s'amuser à dire au gouvernement "qu'ils sont en position de réclamer quelque considération pour leurs intérêts particuliers." Que voulez-vous? Au point de vue mesquin des intérêts personnels, c'est une chose si belle, si attrayante, que la considération des intérêts particuliers, au détriment de ceux du public!

Sur ce point, il n'y aura pas de conteste, nous le concédons volontiers aux pétitionnaires. Mais, ce que nous ne voulons pas, ce que nous ne pouvons pas admettre, c'est "qu'ils peuvent être protégés sans que l'intérêt général en souffre." Ce que les pétitionnaires entendent et demandent

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par «être protégés», c'est que le Dépôt de Livres soit fermé et que par là même les libraires soient mis en position de vendre les livres d'école de 25 à 30 pour cent au-dessus des prix raisonnables. Mais ces 25 à 30 pour cent, c'est le public qui les paierait et ce sont les libraires qui les empocheraient, de sorte que pour protéger les libraires comme ils le demandent, il faudrait sacrifier "l'intérêt général," qui en souffrirait assurément.

La cinquième allégation ne prête guère aux objections. «Que la librairie, dans le pays,» ait «besoin qu'on l'aide ... en lui accordant la même liberté qu'à toutes les autres branches de commerce,» cela est si bien admis de tous, que ce négoce jouit actuellement de la même liberté que toutes les autres branches de commerce et que personne ne songe à la priver de cette liberté, par même le Département de l'Instruction publique, qui achète des libraires tous les livres qu'il fournit aux municipalités scolaires.

Quant à la dernière partie de cette allégation, exposant que le Dépôt de Livres leur enlève «d'un seul coup une clientèle qui est le fruit de dix, vingt et trente années de travail,» elle est erronée, pour ne pas qualifier cette assertion du mot qui la caractérise. D'abord, le Département de l'Instruction publique, nous ne saurions trop le répéter, achète des libraires tous les livres qu'il vend, en sorte que ses opérations ne diminuent pas, ne peuvent pas diminuer la clientèle des libraires. En second lieu, même en supposant que le Département n'achetât pas ces livres des libraires, ils [sic] n'en serait pas moins exact de dire que l'assertion que nous réfutons est fausse, puisqu'il est faux d'affirmer qu'un établissement qui ne fait que 1.87 pour 100 du commerce de livres de la province enlève la clientèle des libraires.

Nous ne nions pas que la librairie canadienne, ainsi que l'expose la sixième allégation, ait aidé à l'éducation en propageant des bons livres; mais nous nions que cela «nécessite

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de leur part des sacrifices pécuniaires.» Avec toutes les bonnes qualités que nous voulons bien leur reconnaître, nos libraires n'ont pas la bosse du dévouement développée au point de perdre de l'argent pour aider à propager de bons livres. S'ils ont rendu des services à la cause de l'éducation, c'est pour la bonne raison qu'ils y trouvent grassement leur affaire. Pour s'en convaincre, il suffit de leur offrir en vente la propriété d'un bon livre d'école, mais dont l'usage n'est pas encore très-répandu: ils vous répondront de suite que le livre est probablement excellent, mais qu'ils ne pourraient l'acheter sans s'exposer à perdre de l'argent. C'est là tout leur dévouement à la cause de l'éducation. Si vous désirez en avoir la preuve, demandez aux auteurs de nos meilleurs livres classiques comment ils ont été traités par les libraires. Demandez à M. Montpetit, par exemple, combien la maison J.B. Rolland & fils lui a payé le droit d'auteur d'une série de livres de lecture dont la compilation et la rédaction ont coûté des années travail, d'étude et de recherches, et vous verrez ce qu'il faut penser du dévouement de certains libraires à la cause de l'éducation et de leurs prétendus sacrifices pécuniaires!...

Pourtant, on a attaché un privilège exorbitant à la propriété de ces livres, puisque le Conseil de l'Instruction publique a passé une résolution ou fit une convention défendant virtuellement l'usage des autres livres de lecture dans les écoles durant une période dix ans, afin de mieux assurer la vente et la propagation des livres formant la série de M. Montpetit. Si ce n'est pas là un monopole exorbitant, nous ne savons pas ce que signifie ce mot. Cependant, il n'est pas à notre connaissance que la maison J.B. Rolland & fils ait protesté contre ce monopole, comme nous informe qu'elle proteste aujourd'hui contre le Dépôt des Livres... Ab uno disce omnes.

Après avoir examiné la pétition des libraires et signalé les assertions pour le moins erronées dont elle est remplie,

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nous allons essayer de démontrer l'utilité, la nécessité même du Dépôt de Livres. Pour cela, nous nous plaçons à un point de vue différent de celui des libraires, qui évitent de discuter le mérite de cette mesure et de «rechercher les intentions de ses auteurs.» Si la loi en vertu de laquelle le Dépôt de Livres a été établi, si les intentions de ceux qui l'ont établi étaient bonnes, il nous semble qu'ils est fort à propos de faire connaître cela au public, qui n'a pas à s'occuper des petites affaires des libraires, mais uniquement de ses intérêts bien entendus.

Ceux qui, comme nous, s'occupent depuis longtemps d'enseignement et connaissent ce qui se passe dans nos écoles, savent fort bien que la principale cause du peu de progrès qui s'est opéré a été la difficulté, l'impossibilité presque complète où l'on était de se procurer les cartes, les globes et les appareils nécessaires pour donner un enseignement efficace, s'adressant à la fois aux sens et à l'intelligence. Ainsi, encore aujourd'hui, la plupart de nos écoles sont dépourvues de cartes géographiques ou n'en ont que d'impropres à l'enseignement. Avec ce dévouement dont ils se vantent, nos libraires n'importaient pas de cartes ou n'importaient que des vieilleries qu'ils achetaient presque au prix du papier de rebut, mais qu'ils revendaient comparativement fort cher. Des globes, des planisphères, il ne faut pas parler. On considérait, ainsi que l'on considère encore aujourd'hui dans nos plus grandes librairies, comme une affaire de luxe d'en garder un pour orner la vietrine [sic]. Cela ne payait pas, et bien plus dévoués à leurs bourses qu'à la cause de l'éducation, nos libraires nous condamnaient à la nécessité d'enseigner la géographie sans ces appareils d'une nécessité indispensable. Pourtant, enseigner la géographie sans cartes et sans globes, c'est à peu près aussi facile que de tailler de la pierre avec des ciseaux de plomb.

Les libraires qui, alors comme aujourd'hui, se croyaient "en position de réclamer quelque considération pour leurs

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intérêts particuliers,» ne voulaient pas entreprendre le commerce de ces articles. Les besoins de l'enseignement le réclamaient cependant d'une manière impérieuse et dans leurs rapports, M. Chauveau et M. Ouimet signalèrent à plusieurs reprises la nécessité de combler cette lacune. Voyant que toutes ces représentations n'aboutissaient à rien, et bien convaincu d'ailleurs que cette réforme ne pouvait s'opérer que par l'interventions de son département, M. Ouimet réussit après beaucoup de difficultés à obtenir les fonds nécessaires pour établir en connexion avec le département un magasin où les municipalités scolaires pussent se procurer à des prix raisonnables les cartes, les globes et toutes les autres fournitures dont elles auraient besoin. L'établissement de ce magasin était absolument nécessaire et la preuve, c'est que durant les deux années qu'il a existé, les municipalités y ont acheté au-delà de deux mille cinq cents cartes géographiques et de soixante globes terrestres, ainsi qu'il est constaté par des renseignements que nous avons puisés à bonne source.

Chose singulière! c'est que dans les commencements du Dépôt de Livres, les libraires qui en demandent aujourd'hui la suppression avec le plus de zèle ne protestèrent nullement contre l'établissement de cette institution. Il faut croire qu'à cette époque ceux-là ne se croyaient pas encore «en position de réclamer quelque considération pour leurs intérêts particuliers.» Les méchants disent que ces messieurs, la maison Rolland & fils, par exemple, avaient intérêt à ne rien dire, parce qu'ils avaient une belle aubaine et étaient les fournisseurs presqu'exclusifs, voire même les agents du Dépôt à Montréal. Mais nous avons peine à le croire. C'est probablement une médisance ou une calomnie, - les hommes sont si méchants! - nous n'en savons rien personnellement et nous laissons à ceux qui savent de dire si c'est réellement une médisance. On n'a jamais pu savoir.

Quoiqu'il en soit, le Dépôt de Livres a donné déjà des

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résultats qui dépassent ce que pouvait faire espérer le sage emploi du capital limité mis à la disposition du Surintendant; les livres d'école se vendent à bien plus bas prix, leur confection matérielle est plus soignée et les municipalités y achètent les articles qu'elles ne pouvaient se procurer ailleurs. C'est autant de gagné pour la cause de l'éducation, pour l'amélioration de l'enseignement. Ces résultats justifient parfaitement les mesures prises par M. Ouimet pour opérer une réforme dont le besoin se faisait sentir depuis si longtemps et ils expliquent assez pourquoi les libraires prennent bien le soin de déclarer dans la pétition qu'ils ne veulent «pas discuter le mérite de cette mesure.»

A leur point de vue, ils ont raison; mais au point de vue des intérêts publics, le gouvernement aurait grandement tort d'accepter cette manière de voir. Des démarches semblables ont été tentées pendant longtemps dans le Haut-Canada contre le People's Depository; mais le gouvernement s'est bien donné garde de s'y laisser prendre. Mettant l'intérêt public au-dessus de celui des libraires, comme c'était son devoir de le faire, il a maintenu le dépôt de livres établi par le Dr Ryerson et consacré pendant vingt ans plus de $800,000.00 au soutien de cette institution. Comme l'hon. M. Chauveau l'a observé dans l'un de ses rapports, c'est en grande partie à l'existence du People's Depository qu'il faut attribuer les progrès de l'instruction dans cette province. Les sommes votées pour ce dépôt, et elles sont votées chaque année, ont quelquefois ont atteint le chiffre énorme de $79,000.00. Malgré cela, le gouvernement a [sic] toujours rentré dans ses fonds et le bilan du People's Depository pour la période comprenant vingt années de son existence, accusait en 1878 un excédant de plus de $60,000.00 de recettes sur les dépenses, sans compter que les progrès réalisés ont été extraordinaires.

Et bien que la moyenne des ventes faites à ce dépôt

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ait excédé $40,000.00 par année, trois fois et demie [sic] le montant des ventes annuelles du Dépôt de Québec, le commerce de la librairie s'est développé, a progressé dans la province d'Ontario trois fois plus que dans celle de Québec, où il n'y avait pas de dépôt de livres maintenu par le Département de l'Instruction publique, ce qui montre à l'évidence que le dépôt de livres, au lieu de nuire au commerce de livres, ne peut faire que l'aider et contribuer à le développer. Tandis que nos libraires en imprimaient beaucoup moins et n'en importaient que pour $221,554.00 en 1877, ceux d'Ontario importaient pour $496.729.00 de livres, ou plus du double. Voilà tout le mal que le People's Depository a fait aux libraires d'Ontario, sans compter le bien qu'il a fait aux écoles. Si nos libraires croient prendre le public par les sentiments en demandant la suppression d'une semblable institution, ils se trompent grandement. Ce que le peuple veut, ce sont de bons livres, des fournitures d'école à des prix raisonnables, et tant que les libraires n'auront pas démontré qu'ils peuvent lui procurer ces avantages, le gouvernement, et dans tous les cas la chambre, si elle est fidèle à son devoir, leur permettra bien de «réclamer quelque considération pour leurs intérêts particuliers,» car il serait cruel de refuser cette satisfaction à de braves gens, mais elle exigera le maintien d'une institution aussi nécessaire et aussi avantageuse que celle du Dépôt de Livres. Autrement, pendant que les libraires ne cesseront de prier, comme ils le disent à la fin de leur requête, le peuple ne cessera de payer, ce qui le mettra aussi lui [sic] «dans la position de réclamer quelque considération pour ses intérêts particuliers.»

Sic vos nos vobis mellificatis apes.

Il est une autre considération qui prime peut-être toutes les autres: c'est que nos libraires n'ont pas les connaissances voulues pour juger de la valeur des livres, et par conséquant [sic] s'appliquer à ne répandre que les meilleurs.

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Ces hommes sont fort honorables, sans doute, mais il est de notoriété publique qu'ils n'ont aucune instruction littéraire. Pour eux, un livre n'est qu'un amas de feuilles de papier attachées sous une couverture et ils ne peuvent en apprécier la valeur qu'en calculant le produit que rapportera la vente. C'est à peu près toute la connaissance qu'ils ont de la valeur des livres. A ce sujet, nous citerons une anecdote qui en dit plus que tout le reste.

Un jeune homme venant de terminer son cours classique se présente un jour chez un libraire pour acheter le Syllabus. Le Syllabus? demande le libraire avec surprise. Oui, monsieur, le Syllabus, une toute petite brochure. Notre libraire bouleverse tous les rayons, fouille tous les coins de sa boutique pour trouver la malencontreuse petite brochure, mais en vain, il ne l'avait point.

Consterné de ne pouvoir obliger son jeune acheteur, le libraire se recueille un instant et trouve une idée lumineuse. Non, dit-il, je n'ai pas le Syllabus, mais j'ai autre chose qui est peut-être préférable. Puis, sortant une brochure: Tenez, dit-il, voici un excellent petit livre; ça se vend comme du sucre, et je suis sûr que cela remplacera avantageusement ce que vous me demandez; c'est le Guide du Jeune Amoureux, j'en vend [sic] tous les jours.

Le jeune étudiant fit comme nous, il tira l'échelle...

Sans doute que nos libraires ne sont pas tous des vendeurs de Guides du jeune amoureux, mais ils n'ont pas l'instruction voulue pour juger sainement d'u n livre. Et s'ils ne sont pas capables d'apprécier la valeur littéraire d'un livre ordinaire, comment pourraient-ils juger de celle d'un livre d'école. Pour cela, il faut des connaissances spéciales, et c'est au manque de ces connaissances chez les libraires et les secrétaires-trésoriers des municipalités scolaires qu'il faut imputer le fait qu'il y a tant de mauvais livres, pédagogiquement parlant, en usage dans nos écoles. Le secrétaire-trésorier, qui bien souvent sait à peine lire et écrire difficilement, se présente chez le libraire pour acheter les

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livres classiques nécessaires aux écoles de sa paroisse. Comme pour lui tous les livres sont également bons, il a accepté tout ce qu'on lui offre, et le libraire ne manque pas de lui vendre les mauvais livres, les ouvrages arriérés, qui coûtent moins chers [sic] que les bons et dont la vente est plus lucrative.

Le libraire et le secrétaire sont de bonne foi, nous le croyons sincèrement; mais cela n'empêche pas que nous, instituteurs, qui sommes obligés d'enseigner avec de tels livres, nous ne pouvons que difficilement donner une médiocre instruction. A ce point de vue, nous pouvons dire qu'une grande partie des reproches qu'on adresse au corps enseignant est méritée par les libraires.

On ne saurait tolérer un pareil état de choses et il importe d'y mettre fin au plus tôt. Eh bien, le Dépôt de Livres est précisément l'institution voulue pour atteindre ce but. Toutes les commandes sont adressées au Département de l'Instruction publique et là on est en état d'indiquer aux municipalités les livres qu'elles doivent acheter et ceux qu'elles ne doivent pas employer; en sorte que les livres achetés au Dépôt sont toujours mieux appropriés au progrès de l'enseignement. C'est un puissant moyen de répandre les meilleurs ouvrages et cette considération d'elle [sic] seule justifierait le maintien du Dépôt de Livres. Nous la signalons spécialement à l'attention du gouvernement et des chambres.

Nous attirons aussi leur attention sur un autre fait qui a bien son importance. Il y a pour environ $25,000 de livres au Dépôt. Qu'adviendra-t-il de ces marchandises si on ferme le Dépôt de Livres? Il faudra les vendre au rabais, à l'encan ou autrement, et ce sera bien beau si on réalise $10,000. Il y aura perde de $15,000. Or de quel droit les libraires voudraient-ils imposer une telle perte à la province? Et de quelle grâce un gouvernement qui s'est servi de l'économie comme marche-pied pour monter au

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pouvoir pourrait-il ainsi sacrifier $15,000 au caprice des libraires? C'est une fantaisie qui coûterait un peu cher au pays, sans compter qu'elle ferait une brèche assez large à la sincérité des ministres. Quand on veut réellement l'économie, on ne sacrifie pas ainsi $15,000 de gaîté de coeur.

Enfin, il serait fort étrange de mettre l'opinion intéressée d'une vingtaine de libraires au-dessus de l'opinion intéressée, de l'opinion éclairée de M. Chauveau et de M. Ouimet, qui ont tant insisté sur la nécessité d'établir un dépôt de livres, etc., en rapport avec le Département de l'Instruction publique. Ces messieurs connaissent mieux que tous les vendeurs de livres ce que requiert l'amélioration de l'enseignement et s'ils ont tant insisté pour obtenir l'établissement d'un dépôt de livres, c'est que bien mieux que personne ils en voyaient l'utilité et la nécessité.

Car il ne faut pas s'imaginer que c'est par plaisir que M. Ouimet a opéré cette réforme demandée depuis si longtemps par son prédécesseur. Pour le Surintendant, l'opération du Dépôt de Livres est un surcroit [sic] de besogne et de responsabilité, l'occasion d'une foule d'ennuis et de désagréments que personnellement il serait enchanté de voir cesser. Mais s'il n'en fait pas autant parade que les libraires qui lui créent des misères, M. Ouimet est sincèrement dévoué au progrès de l'instruction; il veut réformer notre organisation scolaire, la rendre plus efficace, ainsi que l'attestent ses actes et ses rapports officiels, et s'il n'a pas hésiter [sic] à s'imposer la tache [sic] ardue, pleine de responsabilité et fort ingrate d'établir un dépôt de livres dans son département, c'est pour la bonne raison qu'il compte se servir de cette institution pour aider aux autres réformes qu'il est bien résolu d'opérer. On ne saurait tout faire d'un seul coup; mais lorsqu'on aura par l'intermédiaire du dépôt, introduit les meilleurs livres de classe et les appareils nécessaires dans les écoles, le reste s'obtiendra facilement. Qu'on donne le temps d'organiser complètement le Dépôt de Livres, de lui donner tous les développements dont il

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est susceptible, et l'on sera étonné des résultats de cette institution, qui sont déjà sensibles. Certes s'il fallait supprimer toutes les institutions qui causent du mécontentement à certaines personnes intéressées à les faire disparaître, on serait bien en peine d'indiquer celles dont l'existence pourrait être maintenue.

Pour nous, qui savons par expérience le bien que fait le Dépôt de Livres, nous ne pouvons nous résoudre à croire que le gouvernement et la chambre se laisseront surprendre par le [sic] menées d'une vingtaine de libraires aussi incompétents qu'intéressés, se laisseront aveugler au point de contrecarrer les louables efforts, de nullifier [sic] le travail, le trouble et les sacrifices que le Surintendant s'est imposé pour établir l'excellente institution du Dépôt de Livres. Après tout, c'est l'opinion éclairée et désintéressée du Surintendant qui doit faire autorité en pareille matière et ce serait faire insulte au bon sens comme à sa position que de ne pas partager son avis.

TROIS MAITRES D'ECOLE"

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[On peut consulter le texte intégral de cette publication dans le site Notre mémoire en ligne].

1880.06.01
xxx. Province de Québec - Aux honorables Membres de l'Assemblée Législative de la Province de Québec. S.l., s.n., [1880]. [4] p.

"La Requête des Soussignés, Marchands-Libraires, Imprimeurs, Relieurs et Éditeurs de la Province de Québec, expose respectueusement:

Que, depuis de longues années ils ont, par un travail énergique et persévérant et au grand avantage de l'instruction publique, réussi à faire de la publication de livres classiques, une industrie régulière, à donner à notre littérature nationale un essor considérable et à mettre sur un bon pied le commerce de libraire;

Que, dans le but de populariser et mettre à la portée de toutes les bourses, les livres élémentaires d'enseignement, ils ont dépensé des sommes considérables et souvent même risqué leurs économies et le fruit de leurs labeurs;

Qu'ils ont ainsi créé en Canada cette branche importante de la librairie qui consiste dans les livres et fournitures d'écoles;

Que, grâce à cet esprit d'entreprise de Vos Requérants, à la forte impulsion qu'ils ont donnée à l'importation et à la publication des livres en Canada, l'établissement et la mise en opération d'un système d'instruction publique a été une oeuvre comparativement aisée à accomplir dans la Province de Québec;

Que Vos Requérants ont été, ils ne craignent pas de le dire, les auxiliaires les plus efficaces de nos premiers surintendants de l'éducation; qu''ils ont pusissamment aidé à la formation du Département de l'Instruction Publique de cette Province, et ont largement contribué à ses succès;

Qu'une loi a été passée par la Législature de Québec (40 Vict., chap. 22, sect. 29, 30 et 31, amendée par la 41e Vict., chap. 6, sect. 23) en 1876, autorisant la création d'un dépôt de livres et de fournitures d'écoles, dans le but de permettre au Surintendant de l'Instruction Publique d'approvisionner lui-même les élèves et les écoles;

Que cette loi a été une législation hâtive, adoptée presque sans examen, à la fin d'une session, et qui n'a jamais reçu des représentants du peuple un assentiment suffisamment raisonné;

Que cette loi menace de détruire, ou du moins, d'amoindrir considérablement et de paralyser la librairie canadienne; et cela, sans aucune nécessité et sans que cette loi ait l'effet de procurer au public aucun avantage équivalent;

Que la librairie étant l'une des sources nécessaires à l'alimentation de l'instruction publique et l'un des moyens essentiels à la diffusion des connaissances, c'est nuire au développement de l'éducation que de paralyser ce moyen et de tarir cette source;

Que vouloir ne faire dépendre l'approvisionnement de 239 808 élèves, de 1980 écoles municipales et de toutes les institutions d'enseignement supérieur que d'un seul dépôt de livres, situé à Québec, c'est mettre les municipalités et les maisons d'éducation dans l'impossibilité d'approvisionner régulièrement les écoles et leurs élèves;

Que l'influence officielle exercée par le Département de l'Instruction Publique sur le s municipalités scolaires ne les laisse pas libres de s'approvisionner ailleurs qu'au dépôt, et que seuls les grands avantages offerts par les libraires contrebalancent, dans une certaine mesure, cette influence, et déterminent un certain nombre de municipalités à se soumettre à la pression officielle et à s'approvisionner où elles trouvent leur intérêt à le faire; cette influence privant ainsi les libraires d'une portion considérable d'affaires qui leur viendraient dans le cours ordinaire du commerce;

Que cette compétition du Département de l'Instruction Publique entrave les libraires dans toute nouvelle entreprise et paralyse l'initiative privée;

Qu'ainsi Vos Requérants voient avec peine le fruit de plus d'un demi-siècle de travail sur le point d'être détruit, l'essor donné aux sciences et aux lettres arrêté, et eux-mêmes menacés de perdre le fruit très légitime de toute une vie de labeurs et de sacrifices;

Que les profits réalisés par le commerce de la librairie sont très modérés et sont dûs surtout à la connaissance de leur branche de commerce et à l'expérience des libraires qui leur permet de réaliser de grandes économies dans la publication et la vente des livres, et que le montant représentant ces profits sera plus qu'absorbé par le coût d'entretien du dépôt et le paiement de ses employés, en sorte qu'il n'y aura pas économie réelle en faveur du public;

Que ce système de dépôt a l'effet de créer, au nom de l'Etat, un monopole odieux au profit de quelques individus, de créer une nouvelle source de dépenses et une cause de dilapidation des deniers publics, de transformer le bureau de l'instruction publique en un magasin ou boutique, de faire de son surintendant un marchand-libraire n'ayant ni les aptitudes, ni les connaissances, ni l'expérience requises pour ce genre d'affaires, et employant la plus grande partie d'un temps largement rétribué à même le trésor, à faire à une portion importante du public, une compétition ruineuse sans aucun profit pour le public, employant toute son énergie à détruire inutilement une branche importante du commerce canadien, surtout la branche destinée à l'alimentation de l'instruction publique qu'il est chargé de protéger;

Que, en effet, toute la politique de Monsieur le Surintendant de l'Education paraît se résumer dans les mots suivants qui se trouvent dans son dernier rapport, daté 3 décembre 1879, en tête de la page XX: «Si donc les marchands de livres d'école gênent le gouvernement dans cette mission, que les marchands de livres d'école disparaissent.»

Que cette proposition césarienne, qui trouverait mieux sa place dans l'ukase d'un tyran que sous la plume d'un employé public, est basée sur le faux principe de l'omnipotence de l'Etat;

Qu'une saine politique consiste à harmoniser les divers éléments sociaux et à sauvegarder également tous les intérêts; que l'Etat n'a pas le droit de sacrifier ainsi toute une classe de citoyens sous prétexte d'intérêt public; qu'à plus forte raison, il n'a pas le droit de le faire gratuitement et sans qu'il en résulte aucun bien pour le public; qu'il ne pourrait le faire, dans tous les cas, qu'en indemnisant les particuliers pour leurs intérêts sacrifiés, indemnités qui se chiffreraient, dans le cas actuel, par des sommes énormes que la province n'a ni les moyens, ni la volonté de dépenser;

Que la mission dévolue au gouvernement par Monsieur le Surintendant n'est qu'accessoire à celle d'une autorité encore plus haute, qui est revêtue de la mission d'enseigner, et qui ne peut approuver l'injustice et l'arbitraire de la proposition de Monsieur le Surintendant;

Que Monsieur le Surintendant, s'il était mieux informé, saurait que «les marchands de livres d'école,» bien loin d'avoir jamais gêné le gouvernement dans sa mission d'instruire le peuple «le mieux et le plus vite possible,» l'ont toujours non seulement secondé puissamment et efficacement, mais même l'ont devancé dans l'accomplissement de sa tâche;

Que bien loin de poursuivre cette mission d'instruire le peuple le mieux et le plus vite possible, Monsieur le Surintendant et ses aides travaillent, en détruisant la librairie canadienne, à détruire les principaux éléments nécessaires à l'éducation du peuple;

Que le dépôt établi en vertu de la loi de 1876 et l'usage qu'en fait Monsieur le Surintendant de l'Education, au détriment de la librairie canadienne, n'est justifié par aucun fait analogue ni par l'exemple d'aucun pays; qu'il est la mise en pratique d'un système radicalement vicieux, justifié par aucun bon résultat;

Que Vos Requérants, tout en admettant l'a-propos, pour le département de l'Instruction publique, de posséder un dépôt de livres rares, de globes, de cartes, de modèles perfectionnés et de toutes fournitures d'école améliorées, que le commerce régulier n'offre pas encore en vente, réprouvent et dénoncent comme injuste et odieuse, la prétention de M. le Surintendant, de faire, au moyen des deniers et de l'influence de l'Etat, compétition à une branche régulière de commerce;

Que le seul principe admissible comme base d'une saine législation universellement reconnu et journellement mis en pratique, en Canada comme ailleurs, c'est que l'Etat ne doit jamais entrer en antagonisme ou en compétition avec le particuliers et ne doit accomplir que ce qui est au-dessus des forces, des moyens, de l'initiative et de l'esprit d'entreprise des particuliers;

Que les bons résultats que la législature avait en vue en adoptant cette loi: savoir établir l'uniformité dans l'enseignement primaire, diminuer le prix des livres et des fournitures d'écoles; pourvoir un plus grand nombre d'élèves des manuels nécessaires, faire connaître les meilleurs modèles de livres et de fournitures d'école; améliorer la qualité des livres et fournitures, créer l'enseignement du dessin et répandre l'enseignement agricole, peuvent être obtenus plus facilement et sans l'établissement du système d'approvisionnement par le dépôt, et de fait, étaient déjà obtenus ou en vue de l'être; que la compétition naturelle entre les libraires et leur esprit d'entreprise avaient déjà produit en partie ce résultat et ne pouvaient manquer de le réaliser complètement; que partant, la création de système d'approvisionnement par le Département de l'Instruction publique, et l'usage que l'on en fait en compétition avec le commerce régulier de librairie n'au aucune utilité quelconque;

Que ce dépôt de livres, bien loin d'avoir amélioré la qualité des livres et fournitures d'école, a produit l'effet contraire, les directeurs du dépôt ayant, dans le but de montrer des listes de prix plus bas que ceux des libraires, acheté des livres et fournitures d'une qualité tellement inférieure, qu'aucune maison de commerce bien posée ne voudrait encourir le discrédit de les offrir en vente comme livres et fournitures convenables;

Que jusqu'à présent, ce dépôt de livres n'a servi qu'à présenter le spectacle odieux et immoral d'un monopole établi au profit de quelques employés du Département de l'Instruction publique ou d'autres départements, et de quelques membres du Conseil de l'Instruction publique;

Qu'en effet, la plupart des ouvrages dont monsieur le Surintendant et ses employés forcent la vente, quelquefois à des prix de 25% à 30% plus chers que les prix réguliers du commerce sont des ouvrages faits par ses employés;

Que, vu les faits qui se sont produits à l'occasion de ce dépôt de livres, il n'est guère possible d'arriver à une autre conclusion, que celle qu'il a été établi dans le but de favoriser, au détriment du public, les intérêts privés de quelques-uns des employés du Département de l'Instruction publique;

Que ces employés annoncent la publication de séries complètes de livres dont la supériorité est plus que douteuse et qu'ils entendent imposer au public au moyen de l'influence qu'ils exercent sur Monsieur le Surintendant, et de celle que ce dernier exerce sur les chambres et le gouvernement; et surtout, au moyen de l'arbitraire que Monsieur le surintendant prétend exercer par l'autorité de sa position, en se faisant le seul juge des livres, au mépris de l'autorité et de l'action du Conseil de l'Instruction publique;

Qu'ainsi, ces employés publics passent une notable partie d'un temps déjà très grassement payé par l'Etat à faire, à leur bénéfice privé et pour leur compte personnel, des livres qui, la plupart du temps, ne sont que des imitations ou des compilations d'un mérite secondaire, et que, grâce au dépôt, ils vendent en opposition au commerce régulier de librairie; en sorte qu'ils sont payés par le peuple de la province pour faire une compétition injuste et ruineuse à une portion du peuple de la province;

Que la plupart des livres et fournitures d'école avaient atteint, avant le dépôt, un bon marché tel que, à qualités égales, le dépôt ne peut les fournir à un moindre prix dans perte d'argent;

Que Vos Requérants se font fort de prouver:

1º Qu'une partie des livres et fournitures du dépôt sont de beaucoup inférieurs en qualité à ceux qui se vendent dans le cours régulier du commerce, et que quelques-uns de ces articles sont tels qu'aucun libraire jaloux de l'honneur de sa maison, ne voudrait les offrir en vente;

2º Que la baisse des prix sur quelques articles, telle qu'annoncée par M. le Surintendant, n'est pas due à une économie réelle produite par le dépôt, mais est faite aux dépens du trésor et annoncée dans le but de justifier le fonctionnement du dépôt;

3º Que les marchandises offertes par les libraires ont, sur celles offertes par le dépôt, une supériorité telle qu'elle compense surabondamment la différence des prix;

4º Que la plupart des ouvrages offerts, par le dépôt et qui sont l'oeuvre des employés du Département de l'Instruction publique, etc., se vendent à des prix plus élevés qu'ils ne se vendraient dans le cours régulier du commerce;

5º Que, dans la province d'Ontario, la création d'un dépôt a été nécessitée par le fait que les libraires de cette province étaient, lors de la création de ce dépôt, absolument incapables d'approvisionner les écoles;

6º Que le dépôt d'Ontario n'a jamais été employé à faire une compétition indue aux libraires, et encore moins à favoriser les spéculations des employés publics;

7º Que le dépôt d'Ontario est maintenant aboli;

8º Que les effets en magasin, actuellement possédés par le dépôt de la province de Québec sont, en grande partie, de qualité tout à fait inférieure;

9º Que, tout en ayant manqué de pourvoir les écoles d'une quantité notable d'objets qu'elles ne pouvaient se procurer chez les libraires, le dépôt est loin de représenter les sommes qu'il a coûtées; qu'au contraire, il y a un déficit très considérable dans ses affaires; qu'il est frappé de discrédit et ne fait pas honneur à ses engagements; en sorte que c'est aux dépens du trésor public qu'il a baissé ses prix;

10º Que des intrigues et des menées indignes d'un département public, ont été mises en oeuvre pour induire les municipalités et le public en général à aller s'approvisionner au dépôt;

11º Que, sous l'effet d'une pression indigne de la part des employés du dépôt, plusieurs municipalités ont acheté quantité de livres et fournitures dont elles n'avaient pas besoin, qui les embarrassent aujourd'hui, les ont endettées inutilement, et que ces achats inutiles les ont empêchées de payer leurs instituteurs;

12º Que des colporteurs ont été envoyés dans les campagnes avec des fournitures de dépôt, afin d'en presser l'achat par les municipalités;

13ºQue certains secrétaires-trésoriers de municipalités scolaires ont été menacés par les employés du Département de l'Instruction publique, de la perte de leur allocation scolaire, s'ils ne s'approvisionnaient pas au dépôt;

14º Que plusieurs des employés du département et autres employés publics consacrent une partie notable de leur temps à faire pour leur compte personnel des livres, cartes, etc., destinés au dépôt, livres qui sont vendus par le dépôt et dont ils forcent la vente au nom du Département de l'Instruction publique; que les dits employés publics, dans un but de spéculation, vendent au dépôt les dits livres et autres objets en quantités extravagantes et dépassant de beaucoup la demande probable;

15º Que l'établissement et le fonctionnement du dépôt a nui considérablement au progrès et au développement de l'éducation, en paralysant l'esprit d'entreprise des libraires, imprimeurs et éditeurs, et en établissant une menace permanente de compétition de la part du département de l'éducation, compétition faite avec les deniers de l'Etat et que les libraires ne pourraient supporter;

C'est pourquoi, Vos Requérants prient humblement Votre Honorable Chambre de vouloir bien ordonner le rappel de la loi pourvoyant à l'approvisionnement des écoles et des élèves par le dépôt du Département de l'Instruction publique; que si le dit dépôt est conservé, sa nature et sa destination soient changées de manière à ne faire du dit dépôt qu'un musée renfermant les livres rares, fournitures, modèles, cartes, globes et autres objets pouvant servir à l'éducation; et qu'il soit défendu au Surintendant de l'Instruction publique de continuer son commerce et de vendre aucuns livres et fournitures d'école quelconques.

Et Vos Requérants ne cesseront de prier.

1er juin 1880."

Page modifiée le : 17-05-2016
 

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