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Le Maître de français

1893 (fév.)-1894 (fév.)

Identification

Le Maître de français est une revue pédagogique mensuelle qui a paru durant treize mois en se spécialisant dans l'enseignement du français langue seconde.

Historique

Sur la page couverture, le titre de la revue est suivi de cette définition: "Revue mensuelle destinée à propager une méthode nouvelle pour l'enseignement des langues vivantes dans les écoles, et à l'usage de toutes les personnes qui étudient ou désirent étudier le français". Ce texte est suivi de sa traduction en anglais, puis du sommaire. La revue est publiée à Montréal, par Louis Tesson.

Tesson a conçu une méthode d'enseignement du français et a visiblement créé Le Maître de français pour transmettre sa méthode sous forme de leçons. Or, Tesson est également auteur de poèmes, de romans et de nouvelles, comme l'explique un article publié dans le premier numéro, aussi désire-t-il donner à sa publication la portée d'une revue littéraire. Cette ambition se traduit dans la table des matières, qui comporte des sections intitulées «Petite histoire de la littérature française», «Bégaiements poétiques», «Médaillon littéraire». Très présent dans sa revue, Tesson y publie ses romans en plusieurs sections, en plus de signer, dans chaque numéro, une chronique sur l'actualité. Un troisième volet, plus léger, vient compléter les aspects scolaires et littéraires de la revue; il est constitué de capsules intitulées «Mots pour rire», «Fantaisies», «Petite correspondance» ou encore «La Mode au jour le jour».

Dès le deuxième mois de publication, le prix de l'abonnement annuel passe de un à deux dollars (avec un supplément de 15 cents pour les corrigés des exercices). On annonce pour bientôt une réduction de tarif pour les étudiants et pour les écoles, mais elle ne sera jamais mise en application, pas plus que la réduction promise dans l'avant-dernier numéro. Les difficultés financières du journal se laissent également deviner à travers l'espace grandissant occupé par la publicité. Dans le premier numéro, les annonces publicitaires occupent une page et s'étendent de plus en plus, jusqu'à totaliser douze pages dans le dernier numéro. De plus, elles surprennent par leur diversité puisqu'elles mettent de l'avant aussi bien des écoles de langue qu'un importateur de fromages!

Lors de la deuxième publication, en mars 1893, on remercie le public pour l'accueil réservé à la revue. Ce numéro se caractérise par beaucoup d'enthousiasme et d'optimisme: le nombre de pages a été augmenté, le nombre d'abonnés et d'annonceurs semble répondre aux attentes; les professeurs d'écoles de langues vivantes ont mis la revue entre les mains de leurs élèves et ont trouvé les exercices utiles. Par ailleurs, sept leçons sont publiées dans ce numéro, alors que les suivants n'en offriront qu'une à la fois. On déplore néanmoins la question «commerciale», soit la nécessité de recourir à des annonceurs publicitaires.

Le Maître de français a des correspondants canadiens à Ottawa et Toronto, et des branches américaines dans des villes comme Boston, Chicago et New-York. Dans l'avant-dernier numéro, la direction annonce avec fierté que la revue entre dans sa deuxième année, et qu'elle "ambitionne de devenir une bonne et grande revue française en Amérique", qui pourrait bientôt compter 150 pages, soit quadrupler son contenu. La population est invitée à s'abonner, et tout particulièrement les Canadiens français vivant dans des régions anglophones ou aux Etats-Unis, afin que leurs enfants n'oublient pas leur langue maternelle. Ce dernier sursaut ne semble pas avoir porté fruits puisque la revue s'éteint avec le numéro suivant, en février 1894, sans explications ni mot d'adieu.

Orientation

Le public auquel s'adresse la revue est mal défini. Comme Le Maître de français est centré sur l'enseignement du français langue seconde, on pourrait s'attendre à ce que ce journal soit principalement destiné à une clientèle non francophone. De fait, les leçons sont traduites en anglais et les articles publiés dans le premier numéro donnent une part égale au français et à l'anglais. Dans la publication suivante, le français domine et il est précisé que la revue s'adresse «aussi» aux francophones. À partir du cinquième numéro, la page titre et le sommaire ne sont plus traduits en anglais. La revue semble constamment osciller entre un public francophone et anglophone: dans l'avant-dernière publication, on se glorifie du patronage des Français, des Belges, des Suisses, des Canadiens français et anglais, ainsi que des Américains qui ont bénéficié des cours de langue...

La vocation de la revue est tout aussi floue et polyvalente. Dans le premier numéro, il est précisé que Le Maître de français s'adresse aux enseignants, aux élèves du primaire, aux étudiants universitaires, mais aussi aux voyageurs désireux d'apprendre le français. Dans le numéro suivant, la revue semble s'engager dans une voie plus spécialisée en annonçant que la méthode est destinée aux écoles primaires et secondaires. Cette orientation scolaire est confirmée par la structure des leçons qui sont publiées: chacune comprend un tableau, un texte de lecture et des exercices. On peut aussi constater qu'il s'agit d'une revue spécialisée dans une discipline scolaire à travers des articles consacrés à la langue française ou à la grammaire et par les concours de compositions qui sont offerts.

Il faudra attendre l'avant-dernière publication, en janvier 1894, pour connaître, écrit en toutes lettres, le mandat élargi que s'était fixé la revue: faire connaître les écrivains francophones, donner une large place à l'actualité, ne pas s'engager dans des controverses politiques ou religieuses, éviter que les descendants français au Canada deviennent des Anglo-saxons. Pour ce qui est du premier aspect, la vocation littéraire de la revue est évoquée à maintes reprises. Ainsi, pour justifier la maigreur du numéro paru en août, un avis signale que la plupart des revues littéraires ferment leurs portes l'été, ce qui n'est pas le cas du Maître de français. Plusieurs chroniques littéraires sont publiées tous les mois, elles consistent généralement en des biographies d'auteurs français (Madame de Sévigné, Chateaubriand, Bernardin de Saint-Pierre, etc.). De son côté, Tesson contribue amplement à cette vocation littéraire par la publication de son roman Céleste, études de mœurs acadiennes, sous forme de suppléments de seize pages ajoutés à six numéros.

La littérature et l'actualité semblent constituer deux pivots importants de cette revue qui s'adresse aux «lecteurs de français en général, par la publication de bonne littérature, bonne à tous les points de vue, et d'articles d'actualité sérieux ou badins, mêlant suivant le précepte d'Horace, l'agréable à l'utile». C'est encore Tesson qui se charge de l'actualité, dans des chroniques auxquelles il refuse de donner une tournure politique, car le Québec est son pays d'adoption. Ces chroniques se veulent distrayantes et peuvent prendre des dimensions hors du commun, comme celle publiée en décembre 1893, qui s'étend sur onze pages; il y aborde tout d'abord la réforme de l'Académie française, puis parle de la situation politique aux État-Unis et en Europe, puis raconte une anecdote qui se transforme en biographie de Jeanne d'Arc, pour finalement traiter, à travers bien des digressions, de l'éducation des filles.

Pour des raisons de survie, la revue s'adresse à un auditoire aussi large que possible, auditoire qu'elle ne veut pas effrayer. L'accent est mis sur l'absence de prétention du journal, comme le laissent paraître les titres de rubriques («Petite histoire de la littérature», «Petite correspondance» ). Tout en s'inscrivant dans la lignée des revues pédagogiques, Le Maître de français semble avoir été principalement créé dans un but narcissique, afin de permettre à Tesson de promouvoir sa méthode d'enseignement et ses talents d'écrivain.

Bibliographie

Beaulieu, André et J. Hamelin. La Presse québécoise des origines à nos jours, t. 3 (1880-1895). Québec, Les Presses de l'Université Laval, 1977, p. 288.

Martine Nachbauer     

Page modifiée le : 16-05-2016
 

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