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Sources imprimées

* * *

1963

Bouchard, Maurice. Rapport de la Commission d'enquête sur le commerce du livre dans la province de Québec. S.l., s.n., 1963. 250 p.


PREMIÈRE PARTIE

LE MANUEL SCOLAIRE DESTINÉ AUX ÉCOLES PUBLIQUES
[p. 16]

CHAPITRE I

PROCÉDURES D'APPROBATION
ET MODALITÉS D'ACHAT DES MANUELS SCOLAIRES

SECTION I

Étapes de la procédure d'approbation

Il est bien connu que, dans le domaine de l'enseignement public, la Province de Québec s'est donné un système qui est, peut-être du point de vue pédagogique, l'un des plus centralisés qui existe au Canada. Le choix des manuels scolaires, la mise en forme des programmes d'enseignement et des directives pédagogiques, aux divers degrés de l'enseignement de langue française, sont sous le contrôle absolu du Département de l'instruction publique. Tous les programmes scolaires, tous les ouvrages didactiques s'y rapportant doivent être approuvés par le Comité Catholique. En pratique, les décisions prises par le Comité Catholique sur ce sujet sont automatiquement sanctionnées par l'État.

Pour toutes les questions se rapportant à la création de nouveaux programmes scolaires, à la revision [sic] de programmes déjà existants et à la sélection des manuels devant être utilisés pour l'application de ces programmes, le Comité Catholique a mis sur pied une série d'organes de travail dont il importe de bien comprendre l'agencement si l'on veut saisir les problèmes qui se posent dans la production des manuels scolaires.

[p. 19]

TABLEAU I

Organes chargés de l'étude et de l'approbation des programmes et des manuels scolaires pour le secteur catholique du D.I.P.

I

Sous-comités

religion - français - mathématiques - histoire et géographie bienséance - etc

II

Sous-commissions de coordination de l'enseignement primaire et secondaire

III

Commission du Comité Catholique

IV
[p. 20]

Lorsque le Comité Catholique décide de créer ou de reviser [sic] un programme dans une matière quelconque, c'est à un sous-comité formé, en principe, de spécialistes en cette matière que l'on confie la tâche de déterminer le contenu du programme. Le projet élaboré par le sous-comité est ensuite proposé à la sous-commission de coordination de l'enseignement primaire ou secondaire, selon le cas. Il sera retourné au sous-comité pour correction, si la sous-commission l'exige. Quand le projet est agréé par la sous-commission, celle-ci le transmet à la Commission du Comité Catholique chargée de préparer les délibérations du Comité Catholique sur cet ordre de questions.

Une fois le programme approuvé par le Comité Catholique, ce sont les mêmes organismes, composés des mêmes personnes, qui étudient les manuels et les acheminent vers l'étape finale de l'approbation par le Comité Catholique. Cette caractéristique est importante à retenir pour apprécier les désordres constatés par la Commission d'Enquête dans l'ensemble de ce système et pour en imputer la responsabilité.

Les sous-comités sont formés d'enseignants et de fonctionnaires ayant déjà enseigné, recrutés à tous les palliers [sic] de l'enseignement, y compris le niveau universitaire. La très grande majorité, cependant, viennent des degrés primaire et secondaire publics. Leur nomination est faite par le Surintendant de l'instruction publique, à la suggestion des membres des sous-commissions ou de fonctionnaires du D.I.P.(1) Aucun terme d'office n'est prévu. Le travail du sous-comité est piloté par un président qui reçoit ses instructions du secrétaire du D.I.P.
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(1) Appendice E-III-25, pp. 9 à 11.

[p. 21]

C'est d'ailleurs le même secrétaire qui fait le lien entre le Comité Catholique et les sous-comités, entre les comités et la sous-commission de coordination, entre cet organisme et la Commission du Comité Catholique. Chaque sous-comité élabore ses propres méthodes de travail. À notre connaissance, aucun délai maximum ou minimum n'a jamais été déterminé pour aucune des phases de ce système d'approbation des programmes et des manuels. Nous avons relevé un cas où le manuel fut approuvé quatorze jours après que l'éditeur eut annoncé l'envoi des exemplaires au secrétariat du D.I.P. D'autres éditeurs ont appris deux ans après avoir déposé un projet de manuel, que celui-ci avait été refusé. Aucun canevas de travail n'a été suggéré aux divers comités pour en assurer le bon fonctionnement. Par exemple, nous avons constaté que les membres d'un sous-comité ne sont pas tenus de se renseigner sur les sources bibliographiques utilisées pour la rédaction d'un ouvrage. Autre considération importante, les membres de ces divers sous-comités sont généralement chargés de responsabilités multiples et souvent majeures dans le système d'enseignement. L'examen des manuels scolaires est donc un travail qui se fait par dessus tout le reste, sans études préalables par des spécialistes oeuvrant à temps complet.

La sous-commission de coordination, comme l'indique cette désignation, a pour fonction d'évaluer les rapports qui émanent des sous-comités et de les modifier éventuellement eu égard à la coordination des divers enseignements à l'intérieur du primaire ou du secondaire et entre les deux niveaux. Cette sous-commission joue un rôle clef dans l'approbation des programmes et des manuels. Un projet qui est reçu favorablement par la sous-commission, est presque toujours sanctionné par le Comité Catholique. L'étape ultérieure de la Commission n'a pas pour objet, en effet, d'examiner le contenu d'un

[p. 22]

projet particulier, mais bien de préparer les délibérations du Comité Catholique sur les rapports émanant de la sous-commission de coordination. Celle-ci est formée de membres recrutés parmi les fonctionnaires du D.I.P., les personnes engagées dans les sous-comités et les éducateurs en général. Ils sont nommés par le Comité Catholique.(1) Ce qui a été dit plus haut sur l'absence de normes de fonctionnement dans les sous-comités s'applique aussi bien aux sous-commissions. Quant à la Commission Catholique, elle est composée de membres du Comité Catholique. L'ensemble de cette organisation opère régulièrement de septembre à juin, les activités étant généralement interrompues durant les mois d'été. Un éditeur qui, par exemple, soumet un manuscrit vers la mi-mai court le risque que la procédure concernant l'approbation de l'ouvrage proposé ne soit guère mise en train avant les mois d'automne et que les décisions ne soient prises avant le début de l'année suivante.

Quant à la publicité concernant les programmes d'enseignement en vigueur chaque année et concernant les manuels canadiens et étrangers qui s'y rapportent, on s'en tient au strict minimum. Les décisions du Comité Catholique sur les programmes sont généralement prises à la fin du printemps et sont consignées dans les procès- verbaux de cet organisme. Ces procès-verbaux sont disponibles pour les éditeurs qui les réclament. On ne fait aucune publicité dans les journaux ou dans les revues destinées aux enseignants.
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(1) Appendice E-III-25, pp. 11 et 12.

[p. 23]

SECTION II

Défauts du système d'approbation des programmes
et des manuels scolaires

Le reproche majeur qu'on peut faire à notre système d'approbation des programmes et des manuels scolaires c'est d'être bien abrité contre une critique active et responsable. Toutes les personnes, laïques ou religieuses, qui ont contribué aux décisions du Comité Catholique dans le cours de la procédure que nous avons décrite, ont été en mesure d'infléchir ces décisions en faveur de leurs propres intérêts ou d'autres intérêts particuliers sans risque de sanction. Et ceci, pendant des périodes fort longues. Le fonctionnement interne du D.I.P., comme on le sait, échappe à la vigilance parlementaire. Les fonctionnaires, et les personnes de l'extérieur qui y travaillent, peuvent fausser la marche normale de tous les mécanismes, tout en bénéficiant du couvert honorable et prestigieux du Comité Catholique.

La Commission d'Enquête a relevé un nombre étonnant de conflits d'intérêts aux divers échelons du système. Le cas le plus répandu est celui de personnes, religieuses ou laïques, qui étaient membres de l'un [sic] ou de plusieurs des organismes décrits plus haut, en même temps qu'elles étaient pécuniairement intéressés, soit comme auteurs, soit comme membres d'une entreprise d'édition, ou d'une Communauté religieuse éditrice, soit comme collaboratrices ayant droit à des redevances, soit enfin à plusieurs de ces titres . On eut été en droit d'espérer que les responsables du fonctionnement d'un système, si bien abrité contre la critique, aient eu la précaution élémentaire d'exclure, par des règles internes absolument strictes, toute possibilité de conflit d'intérêts. La seule disposition qui ait été prévue en ce sens est un

[p. 24]

palliatif d'efficacité douteuse et bien tardif qui, d'ailleurs, ne s'attaque pas directement au fait même du conflit d'intérêts. Il s'agit de la décision suivante consignée au procès-verbal de la séance du 14 décembre 1960 du Comité Catholique.

    Page 53 B

    Présence des auteurs dans les sous-comités

    Après avoir longuement étudié cette question,

    la Commission générale recommande que soient maintenues les directives communiquées aux membres des sous-comités par M. le Surintendant, en date du 19 novembre 1959.

    Ces directives se lisent comme suit.

    1- Un membre d'un sous-comité qui soumet un projet de manuel au sous-comité dont il est membre ne doit pas assister aux réunions au cours desquelles son projet est étudié.

    2- Un membre d'un sous-comité, auteur d'un projet de manuel ou d'un manuel, ne doit pas être présent au sous-comité lorsqu'une décision doit être prise concernant le projet d'un autre auteur, dans la même matière et pour le même degré.

    [p. 25]

    3- Un membre d'un sous-comité faisant partie d'un-groupe tel que: communauté religieuse, maison d'éditions, équipe de collaborateurs, etc, doit se soumettre aux directives des paragraphes 1 et 2, toutes les fois qu'un projet de manuel est soumis par le groupe ou par l'un des membres du groupe, dont il fait partie.

    4- Les mêmes règles s'appliquent aux sous-commissions.

    Adopté.

Les situations de conflit d'intérêts relevées par la Commission d'Enquête sont trop évidentes et trop nombreuses pour que les faits portés à notre connaissance ne soient pas signalés en détail.

Étant donné l'ampleur du problème, la base de travail plutôt étroite de la Commission d'Enquête, la lenteur du D.I.P. à fournir les renseignements exigés et l'urgence de faire rapport sur l'ensemble des problèmes relatifs au commerce du livre, nous ne prétendons pas avoir fait une analyse complète des conflits d'intérêts au D.I.P. En ce qui concerne les communautés religieuses, il est fort possible qu'une étude complète nous eût obligé de remonter très loin dans le temps. Il nous a paru suffisant d'établir les faits à partir de 1945, c'est-à-dire, sur une période couvrant près de deux décennies.

[p. 26]

Cette analyse des situations de conflit d'intérêts est établie à partir de deux séries de documents. D'une part, nous avons obtenu du Surintendant de l'instruction publique la liste complète des personnes qui ont fait partie des organismes indiqués plus haut depuis 1945. D'autre part, nous avons demandé aux éditeurs de manuels scolaires de remplir un questionnaire pour chacun des manuels qu'ils avaient publiés.

Dans les deux tableaux qui suivent, nous n'avons pas pu indiquer les redevances attribuées par les communautés religieuses à leurs membres comme auteurs. Dans la plupart des cas, on n'indiquait aucune redevance. Pour celles qui nous étaient signalées, nous avons jugé qu'il s'agissait d'un pur artifice de comptabilité. Contentons-nous de noter ici que les prix fixés par les communautés enseignantes furent souvent aussi élevés, sinon plus élevés, que ceux des éditeurs laïcs. Les redevances et les profits réalisés par ces communautés dans l'édition scolaire sont donc, dans l'ensemble, comparables à ceux que nous signalons pour les maisons laïques.(1)
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(1) Il convient de souligner qu'il y a quelques heureuses exceptions. Les Soeurs de la Congrégation Notre-Dame, par exemple, fixent pour leurs éditions des prix qui correspondent à 2 fois le coût de fabrication. Compte tenu des escomptes importants qu'elles doivent accorder, il faut admettre qu'elles ne retirent guère d'avantages pécuniaires de leur activité d'édition.

[p. 27]

tableau2
tableau2 (suite)
tableau2 (suite)
tableau2 (suite)
tableau2 et 3 (suite)
tableau2 et 3 (suite)

[p. 31]

Toutes les personnes indiquées dans le tableau II ont reçu des sommes variables, en redevances sur des ouvrages approuvés par des organismes dont ces mêmes personnes faisaient partie. Pour apprécier l'importance d'un conflit d'intérêts particulier, il faut considérer deux facteurs: d'une part le montant des sommes versées en redevances sur les ouvrages de l'auteur, d'autre part les fonctions officielles de l'auteur.

Sous l'aspect de l'importance des sommes perçues en redevances, deux auteurs sont particulièrement en évidence, MM. Pierre Dagenais et Jean-Marie Laurence. Dans le groupe de $100, 000 et plus on compte en outre, M. Gérard Filteau, M. l'abbé Alexandre LaRue, et Mlle Cécile Rouleau.

Du côté des fonctions officielles, ii faut signaler que quatre fonctionnaires permanents au D.I.P. sont impliqués dans le Tableau II:

    M. Roland Vinette, secrétaire catholique du D.I.P.

    Mlle Cécile Rouleau, directrice de la revue "L'Enseignement primaire" et "L'Instruction publique"

    M. Gérard Filteau, inspecteur d'écoles, puis conseiller technique au D.I.P.

    M. Jean-Marie Laurence, directeur général adjoint au Service des Écoles Normales du D.I.P.

    Une analyse des redevances versées sur les ouvrages dont les auteurs se trouvaient en conflit d'intérêts

[p. 32]

permet de constater, en outre, que sur un grand total de $1, 416, 565 distribués en redevances, près d'un million de dollars, soit 70% du total, l'ont été aux auteurs et collaborateurs d'ouvrages édités par le Centre de Psychologie et de Pédagogie.

Le cas de M. Gérard Filteau

Pour donner un exemple des abus de tous genres auxquels peuvent conduire ces situations de conflits d'intérêts, et de la façon dont ils peuvent fausser les mécanismes de décisions nous avons cru utile d'examiner de près le cas d'un auteur membre d'un sous-comité, celui de M. Gérard Filteau.

M. Filteau fut inspecteur des écoles de la région de Shawinigan de 1930 à 1960. En 1955, il devint président du sous-comité d'histoire et le resta quand ce sous-comité fut fusionné en 1956 avec celui de géographie. Il continue, aujourd'hui encore, d'assumer cette responsabilité. En 1960, il a été promu officier permanent au D.I.P. où il agit comme conseiller technique.

Voici quelques renseignements concernant les ouvrages didactiques publiés par cet auteur au Centre de Psychologie et de Pédagogie.

Titre Année de
l'édition
Exemplaires
vendus
Pourcentage
du profit
Année
d'approbation
Éditeur
Le système scolaire de la Province de Québec 1954 5 059 25 % C.P.P.
Histoire générale (8e et 9e) 1956 220 801 25 % 1956 C.P.P.
Organisation scolaire 1956 13 963 25 % 1954 C.P.P.
Histoire générale (10e) 1957 85 007 29.5 % 1954 C.P.P.
Histoire générale (11e) 1960 52 691 19.2 % 1960 C.P.P.

Redevances totales: $ 192 562.00
[p. 33]

Pour bien établir que les auteurs présents dans les sous-comités étaient en mesure de biaiser, en leur propre faveur, les mécanismes prévus pour l'approbation des manuels scolaires, nous avons relevé, dans les dossiers du D.I.P., une série de documents(l) relatifs aux travaux du sous-comité d'histoire à partir de 1955. Ces documents montrent également le rôle du secrétaire catholique du D.I.P. dans l'enchaînement des faits et des décisions qui favorisent les intérêts de M. Gérard Filteau.

7 février 1955 Le Surintendant du D.I.P. annonce qu'il a été décidé de procéder à une revision [sic] du programme d'histoire. À ce moment, le secrétaire catholique du D.I.P. est M. B.-0. Filteau, oncle de M. Gérard Filteau.
12 mars 1955 Procès-verbal d'une réunion du sous- comité d'histoire. M. Gérard Filteau est alors président de ce sous-comité.
20 juin 1955 M. Gérard Filteau adresse à M. B.-0. Filteau la copie. d'un projet de programme d'histoire du Canada pour la 8e année préparé par le sous-comité d'histoire.
9 novembre 1955 M. Gérard Filteau envoie à M. Roland Vinette, qui a succédé à M. B.-0. Filteau comme secrétaire catholique, le programme d'histoire du Canada pour la 9e année recommandé par le sous-comité le 5 novembre.

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(1) Appendice F-III-1
[p. 34]

10 janvier 1956 M. Gérard Filteau écrit à M. Roland Vinette. Il lui envoie le programme d'histoire générale pour les 8e et 9e années que le sous-comité a élaboré. M. Filteau fait remarquer que ce projet suit les grandes lignes du programme des High Schools, et est inspiré du manuel "Our Old World Background" avec des adaptations nécessaires à notre caractère de Canadiens français. Le projet porte déjà le titre: "L'Héritage du Vieux Monde".
15 mars 1956 M. Roland Vinette reçoit une lettre datée de ce jour dans laquelle le Frère Achille, des Frères de l'Instruction Chrétienne, se déclare disposé à préparer un manuel d'histoire générale pour les 8e et 9e années.
14 avril 1956 Soit trois mois après que le sous comité d'histoire eut déposé son projet d'histoire générale pour les 8e et 9e années, M. Louis-Philippe Boisseau, gérant général du Centre de Psychologie et de Pédagogie, écrit à M. Roland Vinette lui annonçant l'envoi de 60 exemplaires d'un projet de manuel de M. Gérard Filteau ayant pour titre "Notre Civilisation, héritage du Vieux Monde".
19 avril 1956 M. Roland Vinette écrit au Frère Achille et lui apprend que le secrétaire du D.I.P. vient de recevoir un manuscrit d'histoire générale pour les 8e et 9e années.

[p. 35]

20 avril 1956 M. Roland Vinette accuse réception de la lettre de M. Boisseau. M. Vinette assure M. Boisseau qu'il pressera le sous-comité d'histoire de faire rapport au plutôt.
20 avril 1956 M. Roland Vinette écrit à M. Gérard Filteau pour le prier, à titre de président du comité d'histoire, de faire rapport rapidement sur son projet de manuel d'histoire générale.
28 avril 1956 Procès-verbal d'une séance du sous-comité d'histoire sur le projet "L'Héritage du Vieux Monde". Présents: M. Gérard Filteau, président et secrétaire, Rév. Frère Damase, é.c. [sic: lire f.i.c.], Mlle Dolorès La Salle, Soeur M. Joseph de la Providence, s.n.j.m.

Extrait du procès-verbal

"Vu le très court espace de temps dont les membres du sous-comité ont disposé pour l'examen du volume (12 jours?), ils n'ont pu en indiquer tous les points faibles (...) même si leur travail n'est pas terminé, ils croient pouvoir recommander le projet de manuel "L'Héritage du Vieux Monde" à la bienveillance des distingués membres de la sous-commission".

12 octobre 1956 Lettre de M. Gérard Filteau annonçant à M. Roland Vinette que le sous-comité d'histoire a recommandé,

[p. 36]

                     à sa séance du 6 octobre, un projet de programme d'histoire générale pour la 10e année.
22 mars 1957 M. Roland Vinette reçoit de M. Louis-Philippe Boisseau, gérant du Centre de Psychologie et de Pédagogie, 65 exemplaires d'un projet de manuel d'histoire générale pour la 10e année, rédigé par M. Gérard Filteau et portant le titre "Le Canada et les Amériques dans le Monde moderne".
6 mai 1957 "Le Canada et les Amériques dans le Monde moderne". L'ouvrage est accepté au sous-comité d'histoire, compte tenu de corrections suggérées par le sous-comité lors de réunions tenues le 5 et le 11 avril.
15 mai- 1957 Le manuel de M. Filteau pour la 10e année est approuvé par le Comité Catholique.
13 mars 1958 M. Roland Vinette répond à M. l'abbé Louis Martel(l) qui s'était proposé pour la rédaction d'un manuel d'histoire générale pour la 11e année. M. Vinette signale à M. l'abbé Martel qu'un autre auteur est au travail pour la préparation de ce manuel. (l'auteur en question est encore M. Filteau, dont le manuel sera approuvé par la suite).

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(1) Appendice F-III-2
[p. 37]

Ces documents nous permettent d'établir les faits suivants relatifs à l'approbation des trois manuels de. M. Filteau.

C'est l'oncle de l'auteur du manuel qui a décidé de reviser [sic] le programme d'histoire générale. L'auteur des trois manuels était président du sous-comité qui a élaboré le nouveau programme et qui a approuvé les manuels. Il n'y eut aucune procédure susceptible de favoriser une saine concurrence entre plusieurs auteurs, aucune publicité quant aux programmes élaborés sauf que les procès-verbaux du Comité Catholique sont des documents publics et aucun délai pour l'envoi des manuels par d'autres auteurs.

Bien au contraire, certains actes posés par le secrétaire du Comité Catholique avaient pour conséquence d'exclure la concurrence. Il est à remarquer que le secrétaire du Comité Catholique a répondu au Frère Achille un mois après la réception de sa lettre, et cela, pour l'informer qu'il venait de recevoir un manuscrit d'histoire générale pour les 8e et 9c années.

Il est certain que cette intervention a eu pour résultat d'écarter un concurrent. Nous en avons la preuve dans la lettre(l) que le Frère Achille Gingras a adressée au secrétaire de notre commission:

A M. C. St-Germain,

Le 16 août 1963.
Faisant suite à notre conversation téléphonique de ce jour, je dois vous avouer qu'à deux reprises, au moins, j'aurais aimé présenter au public les mêmes volumes que M. Filteau.
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(1) Appendice F-III-I
[p. 38]

Dans les deux cas, je me suis aperçu avec étonnement que j'arrivais trop tard puisque dès la parution du programme, ou à peu près, les textes de M. Filteau étaient déjà prêts.

Dans le premier cas, c'est M. Roland Vinette qui m'a prévenu charitablement de la chose par lettre; dans le second, ce fut M. le chanoine Tremblay, de vive voix.

Dans les deux cas, je dus suspendre mon travail: comment lutter contre un "Monsieur" du Gouvernement?

Signé Frère Achille Gingras
Visiteur provincial des Frères de l'Instruction Chrétienne.

Ajoutons qu'une intervention semblable de M. Vinette a été faite dans le cas de l'ouvrage d'histoire générale pour la 11e année de M. Filteau. Cette fois, c'était M. l'abbé Louis Martel qui se présentait comme concurrent. Le 13 mars 1958, M. Roland Vinette informait M. l'abbé Martel qu'un autre auteur était au travail pour la préparation de ce manuel.

Enfin, il convient de remarquer qu'en ce qui concerne l'ouvrage d'histoire générale des 8e et 9e années, le Centre de Psychologie et de Pédagogie a envoyé 60 exemplaires du projet de manuel de M. Gérard Filteau seulement trois mois après que le sous-comité d'histoire eut recommandé le programme relatif à ce manuel. Et pour l'histoire générale de la 10e année, la même institution a envoyé 60 exemplaires de l'ouvrage de M. Filteau seulement cinq mois après la recommandation du programme par le sous-comité.

[p. 39]

Il faut aussi noter que le manuel d'histoire générale des 8e et 9e années a été approuvé par le sous-comité d'histoire seulement quatorze jours après que le Centre de Psychologie et de Pédagogie eut annoncé à M. Vinette l'envoi du nombre d'exemplaires requis.

Parmi les ouvrages de M. Gérard Filteau, celui qui a pour titre "L'Héritage du Vieux Monde" a retenu l'attention de la Commission d'Enquête. Le 10 juillet dernier, M. Peter Morson, représentant de Palm Publishers, nous adressait une lettre dans laquelle il accuse M. Gérard Filteau de plagiat(l). Selon M. Morson, l'ouvrage dont s'est inspiré M. Filteau pour écrire "L'Héritage du Vieux Monde'' a pour titre "Our Old World Background". Cet ouvrage, qui a été publié en 1950 par la maison Laidlaw Brothers, River Forest, Ill., est utilisé comme manuel dans les écoles catholiques américaines et canadiennes de langue anglaise.

Nous avons comparé les deux ouvrages(2). Les titres des divers chapitres, leur agencement et leur succession correspondent parfaitement d'un ouvrage à l'autre. Nous avons de plus relevé un nombre considérable de paragraphes du texte de M. Filteau, qui sont une traduction littérale du texte anglais.

Ajoutons que les éditeurs américains avaient commis l'imprudence de ne pas enregistrer de copyright au Canada. M. Filteau l'a fait pour son ouvrage(3), dès la première édition, sans référence aucune au texte de l'ouvrage américain(4). Il ne le cite d'ailleurs jamais.
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(1) Appendice F-III-3
(2 Appendice F-III-4 et F-III-5
(3) Appendice F-III-1
(4) Appendice F-III-5

[p. 40]

Nous avons demandé à M. Filteau de s'expliquer sur ce point et sur les avantages qu'il avait comme président du sous-comité d'histoire et de géographie. Voici un extrait des notes sténographiées d'une entrevue avec M. Filteau aux bureaux du Ministère des Affaires culturelles à Québec le 9 août dernier(l).

                     Extraits des notes sténographiées du témoignage de M. Gérard Filteau le 9 août 1963 à Québec
Commission: M. Filteau, nous avons reçu, de la part d'une maison d'édition de langue anglaise, une plainte à l'effet que votre "Histoire générale" pour les 8e et 9e années est le plagiat d'un ouvrage de cette même maison.
M. Filteau: C'est le même programme.
Commission: Vous avez travaillé sur la base de cet ouvrage?
M. Filteau: Je le connaissais, comme j'en connais bien d'autres. Maintenant, vous pouvez comparer, je ne pense pas que vous puissiez...
Commission: Quand on étudie le rapport entre les deux ouvrages on voit que plusieurs paragraphes sont à toutes fins pratiques des traductions.
M. Filteau: . . . . . . . . . . . . .

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(1) Notes de l'audience accordée à M. Filteau. Appendice E-III-15
[p. 41]

Commission: Il est difficile de penser, M. Filteau, que c'est une pure coïncidence.
M. Filteau: Non, ce n'est pas une pure coïncidence, je l'avais entre les mains.
Commission: Vous avez travaillé avec le manuel de cette maison d'édition, couramment tout en rédigeant votre ouvrage?
M. Filteau: Oui, je regardais dedans pour m'inspirer.
Commission: Combien de temps s'est-il écoulé entre le moment où vous avez présenté votre ouvrage au sous-comité d'histoire et le moment où il a été approuvé?
M. Filteau: Il a été approuvé en mai 1956. Il a dû être déposé en mars, aux environs de mars.
Commission: Combien de temps s'est -il écoulé entre le moment où il a été déposé et le moment ou le sous-comité d'histoire et de géographie l'a recommandé?
M. Filteau: En autant que je me rappelle, le sous-comité a fait rapport au début de mai, dans le courant du mois de mai.
Commission: Vous diriez deux mois donc?
M. Filteau: Possiblement, deux mois.
Commission: En fait, l'approbation du sous-comité s'est faite à l'intérieur d'une semaine, d'après les documents officiels qui existent encore. Est-ce que vous pouvez confirmer?
[p. 42]

M. Filteau: À l'intérieur d'une semaine?
Commission: Oui.
M. Filteau: Si je me rappelle bien, il y avait eu des copies de remises aux membres du sous-comité avant l'envoi officiel.
Commission: Ces copies n'étaient pas celles de l'éditeur?
M. Filteau: Je crois qu'on a procédé de la même façon que pour la géographie. M. Gérard [sic: lire Pierre] Dagenais soumettait des tranches de ses manuels au fur et à mesure; l'envoi officiel se faisait par "malle" dans les derniers temps, mais le manuel était étudié d'avance.
Commission: Est-ce que vous connaissez un individu n'appartenant à aucun des sous-comités et sous-commissions du D.I.P. qui aurait soumis un manuel par tranches?
M. Filteau: Ça élimine Dagenais votre question?
Commission: Oui.
M. Filteau: Non. Je n'en vois pas qui nous ont soumis des projets par tranches.
Commission: Ne croyez-vous pas que l'acceptation d'un projet soumis par tranches confère à l'auteur des avantages que n'ont pas ceux qui soumettent leur ouvrage en une seule fois?
M. Filteau: Je ne dis pas non, pour le cas où il y a deux ou trois concurrents.

[p. 43]

Commission: Dans le cas de votre ouvrage, il n'y avait pas de concurrent?
M. Filteau: Non.
Commission: Il n'y avait aucun manuel d'histoire générale européen qui pouvait convenir ici?
M. Filteau: Dire qu'il n'y en avait pas serait exagéré. Mais, surtout en histoire, les manuels sont faits pour la France.
Commission: Mais votre ouvrage, c'est la même chose que le manuel américain.
M. Filteau: Mais qui a été fait pour l'Amérique.
Commission: Je comprends, mais les États-Unis, ce n'est quand même pas le Canada français? Dans le cas qui nous préoccupe, le plan du manuel tel que décidé par le D.I.P. était donc conforme à l'enseignement américain?
M. Filteau: Oui, le plan de cette partie-là du programme d'histoire est sensiblement le même que dans les écoles catholiques anglaises.
Commission: C'est votre sous-comité qui a proposé ce programme au Comité Catholique?
M. Filteau: Oui.
Commission: Est-ce que vous avez élaboré le programme à l'aide de l'ouvrage américain?
[p. 44]

M. Filteau: Oui, c'est-à-dire, que nous nous sommes servis du programme des écoles de langue anglaise, qui est la copie exacte de la table des matières de mon ouvrage.

Ces notes évoquent quelque peu le climat de travail de sous-comités dont font partie des auteurs de manuels scolaires. Elles permettent de préciser les avantages que ceux-ci détiennent ipso facto sur des concurrents possible.

Le premier de ces avantages est celui d'une approbation certaine du manuel de l'auteur impliqué. Participant d'abord à l'élaboration du programme, cet auteur éventuel est le premier saisi des possibilités de marché qui s'ouvrent. Sa contribution au programme l'aide directement à jeter les bases de son ouvrage et lui permet de l'écrire en bonne part avant même l'acceptation officielle du programme. Étant membre du sous-comité, il est en mesure de lui soumettre son ouvrage tranche par tranche, au fur et à mesure qu'il l'écrit. Lorsque le manuel est achevé et déposé officiellement au D.I.P. par l'éditeur la recommandation du sous-comité est, dans ces conditions, acquise sans délai.

Ainsi, l'auteur membre d'un sous-comité est certain d'arriver bon premier sur le marché et de s'en emparer définitivement. Les directeurs d'écoles et les commissions scolaires, en raison des implications financières, évitent les changements de manuels non justifiés par des raisons majeures. Un manuel concurrent qui paraîtrait l'année suivante n'aurait guère de chance de trouver un marché valable.

[p. 45]

D'ailleurs, la possibilité d'une concurrence significative est sérieusement restreinte. Il y a d'abord le fait que le Comité Catholique, en règle générale, n'approuve pas plus de trois manuels pour un enseignement particulier. Une fois que sont approuvés les trois premiers manuels soumis, il ne s'en présente jamais d'autres. Le marché est occupé et personne ne prend le risque de solliciter une approbation exigeant qu'un des trois manuels déjà approuvés cesse de l'être. Un seul cas d'exception a été porté à notre connaissance. Il s'agit d'un manuel de mathématiques rédigé par M. H. Colas. Et le Comité Catholique a résolu le problème en augmentant à quatre le nombre de manuels approuvés pour cette matière. Aussi longtemps qu'un programme n'est pas modifié, on ne remplace pas, en général, un manuel déjà approuvé. Comme s'il était impossible d'en produire de meilleurs. À ce point de vue, la politique actuelle présente les pires inconvénients d'un système à manuels uniques, sans en offrir les avantages.

Il n'était pas du ressort de la Commission d'Enquête sur le Commerce du Livre d'examiner les conséquences académiques du désordre signalé. Toutefois, nous nous étonnons

    qu'on en soit arrivé à constituer des programmes d'enseignement à même les tables des matières de manuels américains;

    que la personne la plus immédiatement concernée dans l'élaboration de ce programme ait, quelques mois après l'adoption officielle de ce programme, soumis un manuel s'avérant en bonne part une traduction directe du texte américain présenté ensuite comme une oeuvre originale;

    [p. 46]

    que les officiers permanents du D.I.P. aient été en mesure de constater les faits et aient concouru, par leurs fonctions mêmes, à obtenir que tout ce désordre soit couvert par les approbations officielles du Comité Catholique;

    enfin que l'auteur ait, par le suite, encaissé des redevances en argent qui sont sans proportion avec le mérite de sa contribution en s'assurant d'avance du marché, grâce à sa position de président du sous-comité d'histoire.

Le cas de "L'Élève"

Toujours au chapitre des conflits d'intérêts dans l'édition, nous estimons nécessaire de dénoncer les tendances, qu'ont certains éditeurs à rechercher la protection de personnalités bien placées pour défendre leurs intérêts.

Outre le cas évident du Centre de Psychologie et de Pédagogie, nous croyons utile de mentionner, comme exemple, le réseau d'influences que la maison Fides a réunies dans son comité pour l'orientation de la revue scolaire dont elle est l'éditeur.

[p. 47]

Noms des éducateurs du Comité pédagogique de "l'Élève" Fonctions dans le système d'enseignement public Argents reçus de Fides depuis 1951
Mlle Cécile Rouleau Directrice et rédactrice en chef de la revue officielle du D.I.P.: "l'Enseignement primaire" et " l'Instruction publique" (juillet 1941 à maintenant)

Sous-commission du programme des écoles élémentaires, 1949-1963

Sous-commission du programme des écoles secondaires, 1950-1963

Sous-comité d'hygiène, culture physique et bienséances, secondaire, 1953 et 1955-1963

$ 4 096.18
(1951-1954)
(1960-1963)
M. Trefflé Boulanger Directeur des études à la C.E.C.M. de 1942 à 1963

Membre de la sous-commission des écoles élémentaires depuis 1949

$ 9 596.18
(1951-1963)
Mgr Irénée Lussier, P.D. Visiteur ecclésiastique à la C.E.C.M. de 1949 à 1955

Membre de la sous-commission des écoles élémentaires de 1949 à 1955

$ 10 435.77
(1951-1963)
M. l'abbé Jean Saint-Louis Visiteur ecclésiastique à la C.E.C.M. depuis 1955

Membre de la sous-commission des écoles élémentaires

$ 1 500.00
(1960-1963)
M. Jean-Marie Laurence Sous-comité du français, élémentaire 1950-1961

Sous-comité du français, secondaire 1953-1960

Directeur général adjoint du service des écoles normales du D.I.P. 1956-1960

Directeur de l'enseignement du français 1960-1962

$ 14 596.18
(1951-1958)
[p. 48]

Dans une audience semi-publique tenue à Montréal le 7 août dernier(l), le Révérend Père Paul-Aimé Martin, C.S.C. , directeur général de Fides, a déclaré que ces personnes jouaient le rôle d'aviseurs pédagogiques, que ce comité pédagogique se réunissait une ou deux fois chaque année. Le Père Martin a tenu à souligner, de plus, que Mgr Lussier agissait aussi comme censeur religieux jusqu'en 1955, et M. Jean-Marie Laurence, comme rédacteur en chef. Notons toutefois que le contrat à ce titre de M. Laurence avec Fides est daté du 12 octobre 1956 et qu'il reçoit des argents depuis 1951.

C'est à partir des recommandations de la sous-commission des écoles élémentaires que le Comité Catholique prend une décision quant à l'approbation des revues scolaires. Toutes les personnes mentionnées plus haut ont été membres de cette sous-commission, en même temps qu'elles faisaient partie du comité d'aviseurs pédagogiques de "L'Élève", et qu'elles étaient rémunérées, comme tels et à d'autres titres..

Nous ne voulons pas, comme commissaire, effectuer un jugement moral quant à l'attitude des personnes en cause. Notre rôle se limite à celui d'établir l'existence de conflits d'intérêts, d'en mesurer les effets et, si possible, d'en imputer la responsabilité. Dans ce cas de "L'Élève", il est clair que les personnes mentionnées ont été et, dans certains cas, sont encore en conflit d'intérêts.

Dans une entrevue avec M. Trefflé Boulanger le 12 août dernier(2), celui-ci admettait que son rôle se limitait à participer aux rares réunions du comité des aviseurs pédagogiques et reconnaissait, à grand regret d'ailleurs, le conflit d'intérêts dans lequel il s'était placé.
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(1) Appendice E-III-10
(2) Appendice E-III-18

[p. 49]

Mlle Cécile Rouleau, pour sa part, nous déclarait, dans une entrevue à Québec le 9 août dernier(l), qu'elle s'était toujours étonnée de recevoir des sommes de Fides pour ses services à "L'Élève".

Nous nous sommes demandé dans quelle mesure la présence des aviseurs pédagogiques de "L'Élève" dans la sous-commission des écoles élémentaires avait pu favoriser l'approbation de cette revue. Les faits suivants puisés dans les archives du D.I.P. nous permettent dans une certaine mesure, de répondre à cette question.

Renseignements tirés du dossier du sous-comité des revues pédagogiques dans les archives du D.I.P.(2)

Au tout début de l'année 1952, il fut demandé au sous-comité des revues pédagogiques d'apprécier la valeur pédagogique des revues "L'Élève", "Le Maître", "Feuilles volantes" et "L'École". Ce sous-comité, présidé par Mgr N.-A. Labrie, était composé en outre des personnes suivantes: Soeur Marie de l'Ascension, s.p.m.; M. Hégésippe Tremblay, inspecteur; M. Julien Ruel, inspecteur; Frère Antonio Jacques, c.s.v. Lors d'une réunion tenue le 10 mars 1952, ce sous-comité décide "d'obtenir l'appréciation de la valeur pédagogique de ces revues par les différents sous-comités du programme des écoles élémentaires".

En application de cette décision, le Surintendant du D.I.P. écrit, le 18 mars 1952, à tous les membres de la sous-commission des écoles élémentaires pour solliciter de leur part une opinion sur les quatre revues en question.
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(1) Appendice E-III-14
(2) Les documents sont déposés en appendice F-III-6

[p. 50]

Les personnes suivantes reçoivent cette lettre: Frère Damase, i.c., Frère Cyrille, é.c., Soeur Marie Amélie, s.s.a., Mlle Jeanne Davignon, M. Michel Mcmanus, M. Trefflé Boulanger, M. l'abbé Irénée Lussier, M. l'abbé Camille Faucher, M. Charles Bilodeau, Mlle Cécile Rouleau, M. C.-J. Miller, M. Michel Savard, M. J.-P. Labarre, Mgr Albert Tessier, Frère Éphrem, é.c., M. J. Wilfrid Caron, Frère Gérard, f.m., M. Richard Bergeron, M. Lucien Gignac.

Les réponses écrites à ce sondage s'échelonnent entre le 20 mars et le 9 avril. On peut classifier les personnes consultées en trois groupes:

ler groupe: Membres de la sous-commission ayant exprimé des réserves plus ou moins sévères.

    Frère Éphrem, é.c. Selon lui, les revues sont plus ou moins valables. Par un usage abusif, elles risquent de rendre un très mauvais service à la cause de l'éducation dans la Province.

    Frère Cyrille, é.c. Suggère la création d'un organisme de contrôle de ces revues.

    Soeur Marie Amélie, s.s.a. Demande plusieurs modifications à ces revues.

    Frère Gérard, f.m. "Ces revues sont peu acceptables, elles aident trop et ne guident pas assez".

    M. C.-J. Miller. La méthode d'enseignement de ces revues est nettement insuffisante. Les revues devraient posséder le plus possible les qualités exigées des manuels approuvés.

    [p. 51]

    M. Wilfrid Caron. Ces revues nuisent à la personnalité du maître dans son enseignement.

    Mlle Marie-Jeanne Davignon. Ces revues peuvent aider présentement(1). Elles peuvent nuire en temps normal. Le problème serait plus grave encore si ces revues avaient tendance à remplacer les manuels.

2e groupe. Membres de la sous-commission s'étant abstenus d'exprimer une opinion, ou n'ayant pas exprimé de critiques.

    M. Michel Savard. Il demande au Surintendant de le dispenser du travail nécessaire pour apprécier ces revues.

    Mlle Cécile Rouleau. Elle demande de s'abstenir de tout commentaire en marge de ces instruments de travail, à titre de directrice de la revue .... et trouve très délicat de porter un jugement.

    M. Trefflé Boulanger. Ces revues peuvent remplacer les manuels qui manquent temporairement de la 3e à la 7e année.

3e groupe. Membres de la sous-commission des écoles élémentaires ayant exprimé une opinion favorable.
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(1) A l'époque on ne disposait pas encore de manuels pour l'enseignement de certaines matières; ce qui explique le "présentement" de Mlle Davignon.
[p. 52]

    M. J.-P. Labarre. Appréciation favorable aux quatre revues.

    M. Jean-Marie Laurence. Appréciation favorable pour les revues "L'Élève" et "Le Maître" de Fides; réserves pour "Feuilles volantes".

4e groupe. Membres de la sous-commission des écoles élémentaires n'ayant pas exprimé d'opinion par écrit.

    M. Michel McManus, M. l'abbé Irénée Lussier, M. l'abbé Camille Faucher, M. Charles Bilodeau du D.I.P., Mgr Albert Tessier, M. Richard Bergeron, M. Lucien Gignac.

À la suite de cette consultation, le sous-comité des revues pédagogiques conclut le 25 mars que les revues pouvaient être tolérées à condition qu'elles se limitent aux matières pour lesquelles il n'y a pas de nouveaux manuels approuvés et pour le temps où ces manuels font défaut.

Le 8 mai, le secrétaire du D.I.P. informe les membres du sous-comité des revues pédagogiques que le Comité Catholique a décidé que "les revues soient tolérées pour l'année 1952-53 ... et que l'étude du problème soit continuée".

Sur les douze personnes qui ont répondu par écrit au sondage demandé par le Surintendant de l'Instruction publique, sept ont exprimé des réserves plus ou moins sévères. Aucune de ces sept personnes ne faisait partie du groupe des cinq aviseurs pédagogiques de "L'Élève". Deux seulement de ces douze personnes favorisaient "L'Élève", dont M. Jean-Marie Laurence, l'un de ces aviseurs.

[p. 53]

M. Boulanger a exprimé une position qui a été reprise dans la décision du sous-comité des revues pédagogiques recommandant l'approbation de "L'Élève" et dans celle du Comité Catholique approuvant cette revue. Les deux autres aviseurs de "L'Élève" se sont abstenus.

Il faut bien dire, dans ce cas de "L'Élève", comme d'ailleurs dans celui des auteurs de manuels scolaires, que le Comité Catholique n'a jamais envisagé le problème des conflits d'intérêts et qu'il n'a jamais donné d'instruction à l'effet d'en éliminer toute possibilité. Nous discuterons en détail la question de la responsabilité des conflits d'intérêts au chapitre III.

SECTION III

Conflits d'intérêts dans la distribution des manuels scolaires

À plusieurs reprises, au cours de l'enquête, des libraires et des éditeurs de manuels scolaires ont protesté auprès de la Commission d'Enquête contre le fait que des inspecteurs d'écoles et des directeurs d'études attachés à certaines commissions scolaires sont directement intéressés comme actionnaires dans le Centre de Psychologie et de Pédagogie(l).

Comme aucun cas particulier n'a été soulevé d'une manière précise, et comme il était fort onéreux pour la Commission d'Enquête de préciser le statut de toutes les personnes liées au Centre de Psychologie et de Pédagogie, nous ne sommes pas en mesure de vérifier le bien-fondé de cette accusation.
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(1) Appendices E-III-4; E-III-20

[p. 54]

Quoiqu'il en soit, pour éviter que semblable problème se pose, il devrait être exclu, en principe, qu'une coopérative d'auteurs comme le Centre de Psychologie et de Pédagogie ait des membres autres que ses propres auteurs(l). Il est évident que par le truchement de "membres associés" une institution comme le C.P.P. peut organiser, dans le système scolaire, tout un réseau de protecteurs favorables à la diffusion des ouvrages de cette maison. Semblable résultat serait injuste pour l'ensemble des autres éditeurs.

Les commissions scolaires qui ont des Services d'achat de manuels scolaires, de livres de bibliothèques scolaires et de récompenses scolaires devraient également être plus sensibles aux conflits d'intérêts qui peuvent survenir à l'intérieur de ces services. Il est important que les commissions scolaires prennent des dispositions pour éviter que ces services d'achat emploient des personnes intéressées comme auteurs ou liées d'une façon ou de l'autre au commerce d'édition ou de librairie.

Sinon, l'on s'expose à tout espèces d'abus semblables à celui qui nous a été signalé dans le cas de M. Paul Leblanc, auteur connu sous le pseudonyme Paul Des Marins. La Commission des Écoles Catholiques de Montréal nous a fourni au sujet de M. Leblanc des renseignements détaillés qui démontrent clairement que celui-ci a profité de sa position d'acheteur officiel de cette institution pour vendre ses ouvrages(2).

Durant la période 1955-1962, M. Paul Leblanc était responsable à la Commission des Écoles Catholiques de Montréal du choix des livres pour les récompenses sco-
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(1) Appendice F-III-13a, Règlements du C.P.P., chapitre II, p. 2, nos 6, 7 et 8
(2) Appendice F-III-7

[p. 55]

laires. M. Leblanc est par ailleurs auteur de trois romans pour les jeunes, intitulés: "Josette, la petite Acadienne", "Traqués sans merci", "L'ânesse inconsolable".

D'après les chiffres fournis par M. L.-R. Vincent, acheteur à la Commission des Écoles Catholiques de Montréal, celle-ci a acheté ces trois titres, durant la période 1955-1962, selon les quantités et les valeurs suivantes:

Exemplaires Valeurs
Josette, la petite Acadienne 15 240 $ 8 484.47
Traqués sans merci 13 090 7 403.27
L'ânesse inconsolable 9 735 9 176.00
Total 38 065 $25 063.74

Monsieur Leblanc était, en outre, auteur d'albums pour les petits. La Commission des Écoles Catholiques en a achetés pour les montants suivants durant la période 1958-1962:

Exemplaires Valeurs
La nappe, la poule et le bâton 10 010 $12 618.00
Le barillet, le rossignol et la sirène 8 685 11 025.65
Le petit jardinier du roi 9 230 11 757.00
Le château de cristal 10 025 13 158.75
[p. 56]

Le sabre de vertu                           9 850           13 297.50
Le ruban bleu 9 505 12 831.75
Les trois présents volés 2 580 1 935.00
Besson et Bessonne 2 580 1 935.00
La légende du roitelet 2 580 1 935.00
Total 65 045 $ 80 493.75

Ainsi, comme auteur, M. Paul Leblanc a vendu ses ouvrages, qu'il achetait par ailleurs au nom de la Commission des Écoles Catholiques de Montréal, pour une somme de $105, 557.49.

[p. 57]

Page modifiée le : 17-05-2016
 

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