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Sources imprimées

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1948

Bray, Alain de. Les manuels scolaires. Coll. "Les conférences pédagogiques". Montréal, Centre de psychologie et de pédagogie, [1948]. P. 29-44.

"LES MANUELS SCOLAIRES

LA PÉDAGOGIE MODERNE

On peut parfois trouver mieux que le manuel pour l’enseignement de certaines matières scolaires; on peut également réagir contre l’abus qu’on en fait. Mais on n’arrivera jamais à le supprimer complètement. Il est donc à propos de travailler à l’amélioration de cet instrument pédagogique dont on ne saurait se passer. La question de la révision des manuels scolaires n’est pas nouvelle, elle est peut-être aussi vieille que leur existence; mais de nos jours elle prend une tournure plus radicale, elle aspire à des transformations profondes plutôt qu’à de simples retouches. D’ailleurs, le manuel, étant l’outil didactique le plus employé, ne saurait échapper au mouvement scientifique qui s’empare de la didactique elle-même. C’est de cet aspect scientifique de la révision des manuels scolaires que nous voudrions vous parler dans cette causerie, car il ne suffit pas de rafraîchir les gravures d’un livre de classe, de lui donner une couverture nouvelle ou d’en changer les caractères d’imprimerie pour s’écrier avec enthousiasme: «Voici un manuel nouveau et bien au point». Ce serait beaucoup trop simple pour être scientifique. D’ailleurs les instituteurs ne se trompent pas sur la valeur de tels remaniements; au contraire, ils en sont cruellement déçus après avoir espéré l’avènement du chef-d’œuvre didactique qu’on semblait leur promettre.

On entend souvent dire que le manuel n’a qu’une importance très secondaire à l’école, que c’est le maître qui compte le plus dans une classe. On fait le procès de l’enseignement livresque comme étant nuisible à la formation de l’enfant. On va même jusqu’à dire qu’un bon maître se passe facilement de manuels. Tout cela peut être vrai, quand on ne considère que le professeur. Mais l’écolier, lui, a besoin de livres pour étudier ce que son maître lui enseigne, pour maîtriser les connaissances qui forment le fond de l’instruction. Pour que l’enfant apprenne, il lui faut un instrument d’étude en rapport avec sa nature, ses intérêts et ses besoins; en un mot, il lui faut un manuel dont il puisse se servir. Ne faisons pas le procès de nos manuels scolaires en nous basant sur le professeur et son enseignement; nous n’aurions alors qu’une idée incomplète de la valeur didactique de nos manuels, et il serait aisé de les trouver tous bons. Basons-nous plutôt sur l’enfant, considérons le point de vue apprentissage plutôt qu’enseignement, et nous aurons des critères de validité plus certains.

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Si nous feuilletons la plupart de nos livres de classe, nous ne pouvons nous empêcher d'y remarquer certains points qui, sans amoindrir la valeur du travail de ceux qui ont composé les manuels, montrent toutefois qu’il y a encore beaucoup à faire dans le domaine didactique. Voici quelques-uns de ces points.

Pourquoi, par exemple, les grammaires destinées aux écoliers suivent-elles l'ordre établi par l’Académie pour les diverses parties du discours? S’il s’agit de la grammaire comme science, l’ordre établi a sa raison d’être. Mais l’écolier de la quatrième ou de la cinquième année a-t-il réellement besoin d’un manuel de science? Ne lui faudrait-il pas plutôt un livre qui lui enseigne à maîtriser sa langue maternelle en suivant les étapes correspondant au mode de comprendre de son cerveau d'enfant? L’article doit-il passer avant le nom ou le pronom venir avant le verbe? Mystère; tant qu’on n’aura pas étudié sérieusement la question d’une façon purement didactique. On pourrait en dire autant des manuels autres que la grammaire. Ils ressemblent souvent à ces statues figées depuis des siècles dans la même pose, qui prouve qu’elles n’ont pas de vie.

Pourquoi la plupart des règles ou des genres de problèmes semblent-ils avoir à peu près la même importance, si l’on en juge par le nombre d’exercices qui les accompagnent? Est-ce que les règles de «foudre» et de «feu» ont la même importance que celles de l’accord de l’adjectif avec le nom?

Pourquoi les grammaires du cours élémentaire contiennent-elles un si grand nombre de règles, dont quelques-unes semblent avoir une portée pratique assez douteuse? Les écoliers assimilent-ils vraiment une bonne partie de ces règles ou, au contraire, se trouvent-ils désemparés devant une telle abondance de notions formant une agglomération tellement compliquée et diffuse qu’ils n’y distinguent même plus ce qu’ils avaient entrevu auparavant?

Pourquoi certaines explications données dans les manuels sont-elles si peu claires pour l’élève qu’il n’y comprend rien ou presque? Je suis peut-être naïf, mais il me semble qu’un manuel, fait pour des élèves, devrait être écrit dans un style à leur portée, sans que le maître soit obligé d’expliquer l’explication d’une règle ou d’un problème.

Ce sont là quelques-unes des questions, parmi bien d’autres, que se posent ceux qui considèrent d’une part l’enfant qui apprend, l’écolier, et d’autre part son outil d’apprentissage, le manuel.

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Il serait difficile d’améliorer notre didactique sans transformer son principal auxiliaire, le manuel. Cette question est à l’honneur depuis quelques années. Il a même semblé qu’on ait donné le branle au mouvement. Sans doute, ce mouvement est-il très ample, ou pénible; on n’en perçoit encore que de faibles oscillations. D’autres pays nous ont devancés dans le domaine des tansformations [sic]

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didactiques. La tentation est forte parfois de s’emparer des méthodes étrangères et de les acclimater chez nous. A priori, ce procédé paraît plus rapide; mais l’est-il réellement? Vu les différences parfois très marquées qui existent entre les peuples, mêmes voisins, l’implantation de systèmes étrangers entraînerait nécessairement une foule de retouches ou de mises au point qui feraient perdre à l’oeuvre originale sa valeur didactique. Il semble, d’autre part, que notre fierté professionnelle serait en quelques [sic] sorte blessée de se voir réduite au rôle de copiste alors qu’elle aspire naturellement à celui de créatrice. D’ailleurs ne pouvons-nous pas trouver, chez nous, ce qu’il nous faut pour mener à bonne fin une entreprise même aussi vaste que celle de la transformation des manuels? Ce qui nous manque le plus, c’est une conception plus scientifique de la question, une connaissance plus exacte de la technique dans la composition des livres de classe. Si nous n’avons pas encore de pédotechniciens tout formés, un travail de ce genre marquerait certainement une étape très importante de leur apprentissage. Pour la façon de procéder, nous pourrions nous renseigner à l’étranger, là où l’on a déjà produit quelque chose de très bien. La science est universelle; il n’y a que ses produits qui soient régionaux. Voyons ce que la didactique expérimentale peut nous offrir pour la solution de ce problème.

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Le problème didactique de la composition d’un manuel scolaire paraît se présenter sous trois faces: Quoi enseigner? Comment l’enseigner? Quand l'enseigner?

Savoir exactement ce qu’on veut faire apprendre aux écoliers avant de composer un manuel. La matière est abondante, mais quelle en est la partie que l’on doit enseigner aux diverses catégories d’enfants qui fréquentent nos écoles? Ne pèche-t-on pas par excès en voulant montrer beaucoup de choses, faire acquérir un grand nombre de notions? Je me demande toujours à quoi serviront les règles de la suppression et de la répétition de l’article à un élève qui finira son cours en sixième ou en septième année. Si elles sont essentielles, très bien. Mais qu’on le prouve. On répondra qu’on ne connaît pas l’avenir, que l’enfant poursuivra peut-être ses études. Un bon test d’habileté mentale nous renseignerait assez fidèlement sur les aptitudes intellectuelles de notre élève et nous indiquerait le degré auquel il atteindra d’après sa capacité. D’ailleurs, si l’enfant venait à poursuivre ses études, ne serait-il pas encore temps de lui enseigner ces règles compliquées? Sans tomber dans le pragmatisme absolu, il faut tout de même admettre que l’enseignement doit avoir un but utilitaire. Il est nécessaire de tenir compte de ce que [sic] l’enfant aura besoin dans la vie réelle avant de tracer des programmes et de composer des manuels.

Mais comment arriver à composer des manuels répondant aux exigences de la vie réelle? C’est là le rôle de l’enquête: renseigner sur ce que demande la vie. Je me représente mal un compositeur de manuels, si savant soit-il, assis à son bureau de travail, consultant grammaires, arithmétiques, histoires, géogra-

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phies, etc. et pigeant par-ci par-là ce qui lui semble convenir le mieux à l'enseignement primaire. Malgré lui, il sera porté à faire entrer dans son manuel en formation le plus de faits ou de règles possible. Le champ des connaissances humaines où il puise est si vaste qu’il se dira, en lisant chaque page des auteurs qu’il consulte: «Mais ceci est important; on ne peut l’omettre dans un manuel scolaire.» A plus forte raison, si, au lieu d’être pédagogue, il est avant tout grammairien, mathématicien ou géographe. L’enquête, elle, est insensible à tous ces penchants bien humains; elle est froidement objective. Prenons, par exemple, le cas de la grammaire. Comment une enquête peut-elle nous indiquer les règles à enseigner ou à omettre?

Il est important de savoir d’abord où faire les recherches. Le langage est parlé ou écrit. Il existe entre ces deux formes d’expression des différences qu’il serait utile de connaître; mais une enquête sur le langage parlé est trop difficile. Alors quels textes allons-nous prendre ? Ceux des écrivains célèbres ou ceux de n’importe qui? Personnellement, je crois que les journaux nous offrent le meilleur champ d’activité. Il s’agit de composer une grammaire pour l’école primaire ou, en d’autres termes, de définir un idéal vers lequel doit tendre tout homme moyen dans l’apprentissage de sa langue maternelle. Si nous consultons les écrivains éminents, n’allons-nous pas porter cet idéal trop loin et le rendre inaccessible à la moyenne? Le quotidien est écrit pour le peuple, dans un style correct, mais à la portée de la plupart des gens. Le quotidien a aussi l’immense avantage de traiter d’une foule de sujets et de fournir ainsi un échantillon assez représentatif des divers genres de style. Quant aux écrits de toutes provenances, lettres, billets des parents, etc., je n’ose pas dire que tous serviraient au recensement des fautes de grammaire, mais au moins une bonne partie d’entre eux.

Alors, si nous recherchions les règles de grammaire employées dans les divers articles des quotidiens de la ville de Montréal ou de la province de Québec, ou encore des quotidiens français d’Amérique, nous pourrions ainsi établir la fréquence d’emploi de chaque règle. Le travail de recherche terminé, nous pourrions comparer entre elles les diverses règles et les classer selon cette fréquence. Si une règle se rencontre cinq cents fois quand une autre n’apparaît qu’une fois, il est clair que la première mérite une attention plus grande que la seconde, parce qu’on aura plus d’occasions de l’employer. Ainsi, deux règles figurent au programme de sixième année: celle de l’accord du verbe avec des sujets de différentes personnes et celle de foudre. Il paraît évident, même sans enquête, que la première a une fréquence d’emploi de beaucoup supérieure à l’autre. On peut même dire que la règle de foudre devrait disparaître des manuels de l’école primaire, puisque, même en temps de guerre, on ne rencontre pas ce mot au masculin.

Pour entreprendre une recherche de ce genre, il n’est pas besoin d’être pédotechnicien. Il faut cependant très bien connaître la grammaire, afin de ne rien laisser passer; il faut surtout beaucoup de patience. Le travail est considérable;

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il semble même impossible pour un individu qui n’y pourrait consacrer que quelques heures de temps à autre. Mais imaginons ce qu’un groupe assez considérable d’instituteurs parviendrait à compiler pendant une journée de six heures, et nous verrons que la tâche est relativement facile.

Quand nous aurons découvert ainsi les règles les plus employées dans le langage ordinaire, il sera beaucoup plus facile de composer une grammaire à la fois simple et pratique. Nous aurons fait le partage entre l’essentiel, l’utile et le superflu.

Malheureusement, le travail ne sera pas terminé. Il restera à savoir quand et comment enseigner chacune des règles. Les recherches deviendront plus compliquées et surtout beaucoup plus longues. Heureusement que la didactique expérimentale viendra à notre secours et que le pédotechnicien sera là pour nous guider.

La fréquence d’emploi d’une règle marque son importance relative, mais n'indique pas sa facilité d’apprentissage. Parce que deux règles sont en usage autant l’une que l’autre, cela ne veut pas dire qu’elles doivent figurer au même endroit dans le manuel, bien qu’elles s’apparentent parfois au point de trouver illogique de les séparer. Tels sont, dans l’arithmétique, le premier et le deuxième cas du tant pour cent, et dans la grammaire, les règles du participe passé avec «être» ou «avoir». Nos livres de classe actuels ressemblent beaucoup plus à des traités qu’à des manuels; on y a observé une disposition d’une logique très correcte, mais c’est précisément cette logique adulte qui ne s’accorde pas toujours avec celle de l’enfant et peut même devenir pour lui un facteur de confusion. Un bon manuel doit faciliter à l’élève l’apprentissage des notions nouvelles en respectant les conditions de cet apprentissage. Il y a là une question de maturation mentale qu’on oublie trop souvent. Celle du corps se voit plus aisément, et on ne force pas un enfant à accomplir telle tâche physique avant l’âge requis, parce qu’on s'aperçoit qu’il en est incapable. L’esprit lui aussi, est sujet à une maturation qu’il faut respecter. S’il est absurde de vouloir apprendre à sauter au bébé qui vient de faire ses premiers pas, toute logique que puisse paraître la relation entre ces deux mouvements, il est aussi absurde de vouloir faire apprendre telle notion à l’élève qui n’a pas atteint le développement mental voulu, bien que cette notion nouvelle nous paraisse intimement liée avec la précédente.

Il existe un âge requis pour l’apprentissage de l’accord de l’adjectif ou de la multiplication des fractions comme pour le fait de manger seul avec une cuiller ou de lacer ses chaussures. On dira sans doute qu’il est difficile de déterminer ces différents âges, puisque les enfants montrent des différences marquées. La chose

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n’est pas facile, je l’avoue; mais elle est d’autant plus importante que, sans une connaissance au moins approximative des divers degrés de maturité mentale en rapport avec les apprentissages, on risque non seulement de perdre son temps et celui de l’élève, mais, ce qui est pire, on s’expose à déclencher chez celui-ci un mécanisme d’opposition qui peut s’étendre bien au-delà de la tâche actuelle, qui peut dégénérer en dégoût pour toute étude.

En plus de ne pas respecter le phénomène de la maturation mentale, quelques-uns de nos manuels scolaires, toujours en voulant grouper les règles qui s’apparentent logiquement, ne tiennent pas assez compte des éléments très différents que comporte l’apprentissage de deux notions paraissant semblables. Supposons pour un instant que les règles du participe passé avec «être» et avec «avoir» puissent s’enseigner au même moment. Est-ce que les éléments de base sont les mêmes dans les deux cas? L’apprentissage de la première de ces règles suppose que l’élève sait reconnaître l’auxiliaire en question, qu’il sait trouver le participe passé et le différencier de l’infinitif pour les verbes de la première conjugaison, qu’il sait trouver le sujet et en voir le genre et le nombre, qu’il connaît la règle d’accord de l’adjectif. Nous voyons quelle série d’éléments l’élève doit différencier avant de les intégrer en un tout applicable à l’accord du participe passé avec «être». Si on force l’enfant à apprendre l’autre règle avant que la première soit suffisamment assimilée, on introduit des éléments nouveaux et très différents des premiers, tels que l’accord avec le complément direct, sa place par rapport au participe, etc. Il se produit alors un phénomène de désorganisation. L’introduction d’éléments nouveaux dans un schéma mal intégré tend à le détruire et à produire de la confusion. L’enfant ne recueille que des miettes de savoir sans en voir la relation. Et la confusion va s’accentuant à mesure que d’autres éléments s’accumulent.

On a accoutumé à désigner par l’épithète de paresseux ces malheureux élèves qui ne réussissent pas, comme on l’espère, les tâches assignées; mais se demande-t-on parfois si la tâche convient à leur développement mental et si elle a été abordée avec les précautions voulues? Un échec entraîne souvent un autre échec, et l’insuccès a autant d’effets néfastes que la réussite en a de bons. Ne rencontre-t-on pas des enfants blasés intellectuellement à 12 ou 14 ans? Dans leur langage ces élèves disent qu’ils sont tannés; et peut-on les en blâmer? Il y a bien les moyens coercitifs: réprimandes, punitions de toutes sortes, sur lesquelles on compte parfois pour faire déclencher un ressort secret. De même qu’un cheval, sous la morsure du fouet, peut donner un coup de collier extraordinaire pour porter une charge trop lourde, de même l’élève peut lui aussi, s’il sent la menace planer au-dessus de sa tête, fournir un effort magnifique. Mais cet effort ne peut pas durer, parce qu’il est anormal. Vouloir le faire durer serait le plus sûr moyen d’inspirer du dégoût pour toute tâche scolaire. Il vaut certes mieux respecter les capacités de l’enfant; et, pour cela, il faudrait sur chaque tâche coller une éti-

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quette indiquant l’âge auquel elle convient et le procédé à suivre pour la réussir. Sur ce dernier point, certains livres de cuisine font preuve d’une meilleure didactique que quelques-uns de nos manuels scolaires.

L’amélioration des conditions d’apprentissage dans les tâches scolaires est un travail très délicat qui ne peut s’accomplir que lentement. Quand on entend dire qu’un système pédagogique a mis dix ou quinze ans à s’établir on ne doit pas s’en étonner, si l’on comprend l’importance de la didactique et la prudence que demande tout travail réellement scientifique. Cependant n’allons pas nous effrayer outre mesure; le travail est long, mais il est possible.

Voilà une besogne pour laquelle le pédotechnicien est l’artisan tout désigné, et même le seul qui puisse la mener à bonne fin. Le travail relève à la fois de la didactique, de la psychologie et de la statistique. Mais l’instituteur y a aussi son rôle à jouer. Il ne doit pas se désintéresser du travail du pédotechnicien, parce qu’en définitive ce sont ses élèves et lui-même qui en bénéficieront. De plus, le pédotechnicien, dans une recherche de ce genre, ne peut rien sans l’aide de l’instituteur, le seul en contact permanent avec les élèves pour observer leurs réactions. L’un et l’autre, bien que par des moyens différents, visent au même but.

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En quoi la pédagogie moderne peut-elle nous aider à résoudre un problème aussi complexe? On s’est depuis longtemps rendu compte du besoin de méthodes nouvelles, mais quelques centres seulement se sont décidés à entreprendre la besogne d’une manière scientifique. Certains ouvrages didactiques nous renseignent sur les deux facteurs de l’apprentissage dont nous parlions tantôt: le degré de maturation mentale et l’intégration des éléments.

Pour déterminer le degré de maturation mentale requis par les tâches scolaires, on a généralement recours à la courbe d’apprentissage. La recherche des éléments de base se fait ordinairement par l’analyse des facteurs dont dépend la réussite dans une nouvelle tâche.

Dans un bref aperçu nous essaierons d’indiquer en quoi consistent ces deux procédés, mais nous tâcherons surtout de montrer qu’il est possible de les appliquer chez nous, sans bouleverser l’école. Mais avant de présenter ce modeste essai, nous tenons à revenir sur la nécessité de former des techniciens de l’enseignement. Malgré toute sa bonne volonté, un instituteur ne peut entreprendre de tels travaux; il lui manque le temps, la liberté et la préparation spéciale. Ce n’est pas avec des moyens de fortune qu’on réussit ordinairement de grandes oeuvres. Si l’on se décide à donner à nos manuels scolaires une haute valeur didactique, on ne peut se contenter d’à peu près; le caractère scientifique dont se revêt la pédagogie moderne ne le permet plus.

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Si l’on enseignait la règle de trois à des enfants de 8 à 14 ans, on constaterait une corrélation entre l’âge et la réussite. La représentation graphique de

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cette corrélation produirait une courbe indiquant que plus l’enfant vieillit plus il a de chance de comprendre la règle étudiée. Mais à un moment donné la courbe ne monte plus; elle a atteint un plateau. L’âge a beau augmenter, les résultats obtenus restent sensiblement les mêmes. Voici, très brièvement, et même très grossièrement expliqué, ce qu’on entend par courbe d’apprentissage. Grâce è de telles courbes, on parvient à déterminer l’âge minimum auquel un enfant peut réussir une tâche scolaire; au-dessous de cet âge, on l’expose à un échec d’où naîtront probablement la confusion et le manque d’intérêt. La courbe indique aussi le moment le plus favorable à la réussite de la tâche donnée, ou âge optimum, au-dessus duquel l’apprentissage ne se fait pas plus aisément. Le point d’inflexion de la courbe, là où commence le plateau indique approximativement cet âge optimum.

Il serait trop long de décrire toutes les précautions à prendre pour obtenir des courbes utilisables. D’ailleurs la statistique nous enseigne les étapes à suivre pour arriver à des résultats significatifs. Qu’on me permette de ne pas entrer dans plus de détails. Ce qu’il suffit de remarquer c’est que, se basant sur des recherches scientifiques, on éliminerait plusieurs causes d’erreur dans la distribution des tâches contenues dans nos manuels scolaires.

De telles recherches sont-elles possibles chez nous? Pourquoi pas? Il n’est pas nécessaire, dès le début, de dresser des courbes d’apprentissage pour tous les points de la grammaire ou de l’arithmétique. Visons d’abord au pratique; tenons-nous en à ce qu’une enquête nous aura indiqué comme étant d’usage courant. Celui qui s’attaquerait aux règles élémentaires de l’accord de l’adjectif ou du verbe ne risquerait certainement pas d’entreprendre un travail inutile. Prenons donc le cas de l’accord du verbe et essayons d’en découvrir les âges minimum et optimum d’apprentissage.

Cet accord doit-il être enseigné à des enfants de 8, 9 ou 10 ans? La question est encore trop vague pour faire l’objet d’une recherche. S’il s’agit de l’accord avec un ou plusieurs sujets? avec des sujets de même personne ou de personnes différentes? etc. Délimitons donc avec précision le ou les points à enseigner. Prenons au hasard un certain nombre de classes où les âges varient de huit à dix ans. L’enseignement de cet accord terminé, attendons quelque temps, six semaines environ, et soumettons les élèves à un examen objectif, de préférence à un test analytique. Si nous ne gardons que les résultats de 80% et plus, par exemple, nous pourrons compter les élèves de chaque âge qui ont compris l’accord en question. Établissons la courbe fournie par le nombre de ces résultats en fonction de l’âge; le point indiquant que 75% des enfants obtiennent un résultat de 80% dans l’accord enseigné nous donne, en abscisse, l’âge minimum d’apprentissage; le point d’inflexion de la courbe, l’âge optimum. Ces deux âges indiquent approximativement quand commencer l’apprentissage de ces règles.

Je m’excuse de donner un aperçu aussi sommaire de la courbe d’apprentissage. Cette illustration ressemble au dessin que l’on fait de deux cercles et de

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trois traits pour représenter un chat; il y manque un grand nombre de détails intéressants. Le seul but de cet exposé est de démontrer qu’une recherche sur les âges d’apprentissage, même si elle exige de la patience et de la prudence, n’est pas une impossibilité.

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Disons maintenant quelques mots des éléments de base dans l’apprentissage. Les chances de réussite dans une tâche scolaire ne sont plus calculées ici en fonction de l’âge, mais de la préparation immédiate de l’élève et de la gradation des difficultés. Reprenons l’exemple de l’accord du verbe. Quand l’enfant est-il prêt à commencer cet apprentissage? Quand il est capable de trouver le verbe et son sujet. Cela peut avoir l’air d’une lapalissade; pourtant certains enfants n’en sont pas encore à ce stage de différenciation quand ils apprendront la règle d’accord. Comme gradation des difficultés, signalons simplement une série d’adaptations nouvelles qui produisent de la confusion si on les présente dans un ordre quelconque, sans se soucier du travail d’intégration qu’elles exigent de l’élève. Ainsi, le sujet peut être placé immédiatement avant le verbe, ou distancé par un ou plusieurs mots; il peut être un nom ou un pronom; le nombre de ce pronom peut être évident comme dans il, ils, ou masqué comme dans qui. En cherchant bien, et sans s’écarter des règles élémentaires, on trouverait sans doute une vingtaine de difficultés auxquelles l’enfant doit faire face au cours de l’apprentissage. Ce qui est plus compliqué encore, c’est d’ordonner ces difficultés pour qu’elles se présentent en une suite logique. Je crois que l’analyse des éléments influencerait la courbe au point de faire baisser sensiblement les âges minimum et optimum.

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Comment des recherches sur ces deux facteurs d’apprentissage, âges et éléments, pourraient-elles nous aider dans la composition des manuels scolaires? L’étude des âges favorables nous garderait de présenter des tâches à des enfants n’ayant pas assez de maturation mentale pour les accomplir; elle remplacerait l’ordre logique par l’ordre pédagogique. L’analyse des éléments indiquerait les exercices nécessaires à la préparation d’une nouvelle tâche et la gradation des difficultés au cours de l’apprentissage.

Il n’est pas besoin d’examiner longtemps certains de nos livres de classe pour s’apercevoir qu’ils ne sont pas toujours écrits pour que les élèves les comprennent aisément. Quand le maître est obligé d’expliquer la plupart des mots d’une définition ou d’une règle, peut-on dire que le manuel est écrit dans un style à la portée des enfants? On dira que chaque science a son vocabulaire particulier. D’accord, il existe des mots irremplaçables parce qu’ils ont un sens précis consacré par l’usage. Aussi ne s’agit-il pas de ces mots-là, mais de ceux dont on se sert dans l’explication d’une règle ou l’exposé d’un fait. En parcourant diffé-

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rentes grammaires on se rend compte que la même règle peut s’expliquer de plusieurs façons, de même qu’un fait d’histoire peut se conter de bien des manières, sans que le fond en soit modifié. La même chose peut donc être dite d’une façon claire ou obscure, agréable ou sèche. Certains auteurs de manuels font parfois preuve d’une richesse de vocabulaire qui, malgré sa précision, ne fait souvent que nuire à la simplicité dont l’enfant a besoin pour bien comprendre ce qu’on lui expose. On entend dire quelquefois qu’il serait absurde de composer un manuel d’histoire, de grammaire ou d’arithmétique dans un langage fautif et enfantin. Le mot enfantin n’a pas nécessairement un sens péjoratif. On rencontre des auteurs qui s’appliquent à écrire dans un style à la portée de l’enfant les ouvrages qu’ils leur destinent. On ne peut que les en féliciter, surtout si l’on comprend bien toute la difficulté qu’ils éprouvent à simplifier ainsi leur langage. Le choix des mots dépend de l’âge de l’enfant à qui l’on s’adresse. Le langage varie, se perfectionne et se développe avec les années. Cette évolution est conditionnée par plusieurs facteurs individuels, mais il existe quand même des moyennes sur lesquelles on peut se baser. Serait-il donc impossible de composer des manuels destinés aux enfants de sept ans écrits avec des mots qu’ils comprennent, exception faite, bien entendu, des quelques mots consacrés dont nous parlions plus haut? Lorsque ces enfants auront douze ans et que leur vocabulaire se sera étendu, les manuels dans lesquels ils étudieront pourront employer un style plus riche ou plus abstrait que les enfants alors seront capables de comprendre. Mais le fait d’employer le même langage avec des élèves de différents âges, langage qui est parfois au-dessus de celui de l’adulte moyen, constitue une grave erreur pédagogique. On prétextera peut-être que l’école doit enrichir le vocabulaire de l’enfant en lui enseignant beaucoup de mots nouveaux dont il ne comprend pas la signification immédiatement, mais qui lui serviront plus tard. J’avoue n’avoir jamais rien compris à ce principe pédagogique voulant que la non-assimilation doive, on ne sait par quel phénomène, engendrer de l’intégration. N’est-il pas à craindre plutôt qu’un tel dosage massif de mots nouveaux, dans la grammaire ou le catéchisme, finisse par dégoûter l’enfant, non seulement de l’étude du vocabulaire, mais également de celle de la grammaire ou du catéchisme?

Pour en revenir à l’idée de manuels écrits dans le langage des enfants, faisons remarquer qu’il y aurait là matière à une recherche aussi intéressante qu’utile, bien que longue. Il s’agirait de trouver les mots que les enfants de tel âge comprennent. On voit tout de suite que non seulement les manuels scolaires en bénéficieraient, mais encore les journaux, les livres, les annonces, etc. destinés aux enfants. Mais laissons pour l’instant ce projet qui nous entraînerait dans des considérations techniques en dehors de notre sujet.

Nous voulons insister sur la nécessité d’une collaboration étroite entre le spécialiste en telle matière, la grammaire par exemple, et le pédotechnicien, dans la composition d’un manuel scolaire. Comme nous l’avons déjà dit, un grammairien

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qui aurait à coeur de fournir un excellent manuel aux élèves de 4e ou de 5e année peut cependant ne leur offrir qu’un ouvrage de second ordre au point de vue didactique. D’un autre côté le pédotechnicien n’est spécialisé en aucune des matières scolaires; ce n’est donc pas lui seul non plus qui peut écrire une grammaire, encore moins un livre d’histoire ou un catéchisme, du moins pour ce qui concerne le fond. C’est ici qu’apparaît le besoin de collaboration de l’un et de l'autre. Supposons que l’on veuille composer un catéchisme. Il est évident que la matière à enseigner est du domaine exclusif du théologien; mais, pour ce qui regarde le travail purement didactique, la présence du pédotechnicien est nécessaire. Bien qu’il ne soit pas question, comme pour les branches-outils, de tout soumettre à l’enquête pour déterminer scientifiquement la portée pratique et l’âge optimum d'apprentissage des diverses notions, il n’en reste pas moins vrai qu’il faut respecter les intérêts, les besoins et la capacité d’assimilation des enfants. Un pédotechnicien averti peut indiquer les chances de succès qu’on est en mesure d’attendre dans l’enseignement de tel point particulier de la religion.

Pour délimiter le sujet, tenons-nous en à la simple présentation du texte à faire étudier, sans tenir compte de la distribution des difficultés. Autrement dit, n’envisageons que la question du vocabulaire dans un manuel de catéchisme. Il faut d’abord s’arrêter sur un point trop souvent négligé: à quel âge s’adressera ce manuel? Si on veut qu’il serve indifféremment à des enfants de 6 ou de 15 ans, c’est commettre une erreur didactique dès le début; et je ne crois pas qu’un pédotechnicien puisse s’intéresser au travail. Alors disons, pour toute fin pratique, que l’on veuille composer un manuel de catéchisme à l’usage des élèves de la sixième année, soit de 11 ans environ. Le théologien, se basant sur ses connaissances pédagogiques, détermine la matière à enseigner, la divise en chapitres, la fragmente en numéros, etc. La seconde partie de son travail consiste à présenter chaque numéro d’une manière intelligible pour l’enfant de sixième année. Cette épreuve est soumise au pédotechnicien que [sic] en analyse la valeur au point de vue didactique: vocabulaire, tournures de phrases, longueur des numéros, etc. Il change au besoin ce qui lui semble peu conforme à l’âge des enfants. Enfin le théologien et le pédotechnicien revoient ensemble chaque point en particulier pour que le fond reste intact après les corrections didactiques. Le manuel est prêt, non pas à être publié, mais prêt à être essayé. C’est une épreuve qui doit prouver ce qu’il vaut. Et nous verrons qu’il lui faudra subir encore plusieurs transformations avant de pouvoir s’appeler réellement un « manuel scolaire».

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C’est l’élève, en définitive, qui nous dit ce que vaut un livre de classe. Si ce livre lui aide à obtenir de bons résultats, c’est qu’il a de la valeur. Seulement faut-il s’entendre sur le sens du mot résultats. Parce qu’on a posé cinq ou six

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questions sur une partie du programme, surtout si ces questions, par leur manque de clarté, sont des devinettes, peut-on dire que les réponses obtenues prouvent quelque chose? Sans plus insister sur ce point, rappelons que tant que nous n’aurons pas de réels instruments de mesure, tels que les tests objectifs, nous devons nous contenter de résultats presque sans valeur didactique.

Ceci nous amène à dire quelques mots des tests scolaires. On a parfois l’impression qu’un test n’est qu'un examen dans lequel l’élève répond par une croix ou un numéro au lieu d’une phrase ou d’un mot. On va même jusqu’à trouver les tests trop simples, préférant les examens compliqués, bourrés de difficultés, emberlificotés à dessein, qui révèlent avec éclat la paresse des élèves. Si c’est ce qu’on attend des tests, on a raison d’être déçu. Le test sert à faire le point à mesure que l’on avance dans les études. Il indique comment va l’apprentissage de telle partie du programme, où se trouvent les points faibles, non dans le seul but de les constater, mais surtout d’y remédier.

On distingue généralement trois genres de tests de rendement scolaire: le simple test de contrôle qui indique ce qui est su et ce qui ne l’est pas; le test analytique, plus précis, qui scrute chacune des parties de tel apprentissage; enfin, le test diagnostique, plus précis encore, qui s’attaque à un point particulier, bien délimité, pour découvrir non seulement les faiblesses, mais les causes de ces faiblesses. Metton [sic] de côté toutes considérations techniques sur la fabrication de ces tests, sur l’emploi des critères de validité, etc. Disons seulement quelques mots de l’usage des tests diagnostiques et de leur application dans la composition d’un manuel scolaire.

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Malgré toutes les précautions qu’on ait pu prendre pour composer un excellent manuel de grammaire, par exemple, l’apprentissage des règles présentera toujours quelques difficultés; les élèves commettront toujours des erreurs. Mais un pédagogue ne doit pas se contenter de constater les erreurs commises et les considérer comme un effet de la fatalité. Il doit les analyser sérieusement en vue de les éliminer le plus possible; il en fera donc le diagnostic pour en dépister les causes. Par rapport au manuel, les causes d’erreurs peuvent être de deux sortes: soit extrinsèques, comme un manque d’attention de la part de l’élève, une migraine, etc.; soit intrinsèques, comme un manquement dans la distribution des tâches, une mauvaise gradation des difficultés, etc. L’analyse des résultats indiquera si les erreurs ont pour cause l’élève ou le manuel. Mais auparavant il faut des tests pour dépister les erreurs et les diagnostiquer. Voici un exemple. Supposons qu’on veuille tester les connaissances d’une classe sur la règle du participe passé avec «avoir». Un test analytique, portant sur toutes les espèces de cas possibles,:en éliminant les effets du hasard, dira ce que chaque élève sait ou ne sait pas. Il s’agit maintenant de diagnostiquer. Délimitons les points sur lesquels doit

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porter l’investigation. Pourquoi tel ou tel élève ne sait-il pas la règle d’accord du participe passé avec «avoir»? Les causes peuvent être multiples. D’abord on doit se demander s’il ignore toute la règle ou une partie seulement. Il faut donc auparavant référer au test analytique pour que le diagnostic ne vise que les points faibles et ne prenne pas trop de temps. Une cause d’erreur, que nous avons remarquée dans quelques examens, consiste à demander de faire l’accord avec des noms dont le genre est mal connu, tels, que escalier, érable, argent; presque inévitablement l’enfant met le participe passé au féminin, non parce qu’il ne connaît pas la règle, mais parce qu’il considère ces mots comme étant du féminin. Un test doit éviter ces facteurs d’erreurs. Maintenant, qu’est-ce qui a pu manquer au cours de l’apprentissage? Mettons de côté, si vous le voulez bien, l’élément paresse; il est plutôt un effet qu’une cause. Est-ce l’exposé de la règle qui manque de précision ou de clarté? Il faut alors voir si l’enfant a mal saisi le sens de certains mots, si c’est un fait isolé ou si d’autres enfants sont dans le même cas. Est-ce un manque de différenciation? La confusion peut provenir du défaut d’intégration d’une règle étudiée précédemment, comme celle du participe passé avec «être»; l’élève est alors incapable de faire la distinction entre les deux. Est-ce un manque de base? L’enfant éprouve peut-être de la difficulté à reconnaître le complément direct. Enfin est-ce un manque de gradation dans les difficultés ? Si on a enseigné la règle tout d’un trait, sans établir d’étapes, tout est mêlé.

Nous pourrions dresser une longue liste de facteurs dont l’analyse révélerait la ou les causes d’un échec. Un test diagnostique doit éviter d’en oublier, car le facteur omis pourrait être celui qui nous indiquerait où se trouve le bobo. Mais nous semblons loin de notre sujet, les manuels scolaires. Pas du tout. L’analyse des causes d’erreurs amène le didacticien à remanier son manuel. Les corrections peuvent être légères: création d’une étape intermédiaire, changement de quelques mots dans une définition ou un énoncé. Parfois elles sont plus graves: nouvelles recherches sur la courbe d’apprentissage de telle règle.

Un manuel scolaire ne peut jouir de la confiance des instituteurs, vu les progrès de la didactique moderne, qui est réellement une science, s’il ne leur fournit pas toutes les garanties d’un travail sérieux, attestant la compétence de son auteur.

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Nous avons essayé de répondre, sans doute incomplètement, maladroitement peut-être, aux trois questions que nous jugeons essentiel de nous poser avant d’entreprendre la délicate tâche de composer un livre de classe: quoi enseigner? c’est-à-dire délimiter le contenu du manuel pour qu’il soit suffisamment complet, mais pratique; quand l’enseigner? en d’autres termes, respecter l’évolution mentale de l’enfant et tenir compte des étapes d’un apprentissage; comment l’ensei-

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genr [sic]? faciliter surtout par un choix de mots, d’expressions, de tournures, en rapport avec la compréhension de l’enfant, l’absorption efficace et utilisable du contenu d’un manuel.

Une telle précision dans un manuel scolaire peut paraître exagérée. Mais quand on songe aux précautions que l’on prend pour produire un canon ou un avion, aux essais qu’on leur fait subir, aux transformations radicales qu’on y opère, avant de les déclarer efficaces et de les fabriquer en série, on n’a pas le droit, si on compare les fins de ces engins de mort aux services que doit rendre un instrument de didactique, de refuser à ce dernier ce qu’on accorde aux autres. Le but de la science est d’édifier, non de détruire. Nous avons à édifier un système d’éducation pour la génération qui monte; pourquoi la priverions-nous des progrès de la science ?"

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1948

Bruchési, Jean. Canada - Réalités d'hier et d'aujourd'hui. Montréal, Bernard Valiquette, c1948. 406 p.

"Pour éviter de connaître la même déception que Valéry - déception d'autant plus concevable que le Canada, vu d'un certain angle, offre l'image d'un "pays hybride" - nous nous garderons de confondre l'histoire avec les histoires, les livres d'histoire avec les manuels d'enseignement, les historiens avec les professeurs d'histoire ou avec les romanciers. A ce propos, tout en reconnaissant qu'il importe, dans un pays comme le Canada, de faire servir l'enseignement de l'histoire à la production, à la conquête d'une vie nationale véritable, il serait dangereux de prétendre y arriver au moyen d'un manuel unique, uniforme, de l'Atlantique au Pacifique. [p. 358] Neuf manuels anglais sur dix, autorisés dans les écoles publiques élémentaire et secondaires du pays, peuvent ignorer que le français est langue officielle à Ottawa et passer sous silence l'article 93 de la constitution relatif aux écoles minoritaires établies avant 1867; la majorité des manuels anglais peuvent consacrer quatre ou cinq pages seulement sur 230 ou 240, à l'histoire du régime français, passer très rapidement sur les luttes parlementaires qui se sont déroulées entre 1791 et 1837; le grand nombre des manuels français, en usage dans les écoles françaises de même nature, peuvent négliger plus ou moins l'histoire des huit provinces anglaises, et l'étude de l'histoire même, au Canada français, peut avoir trop souvent une tendance marquée vers un régionalisme étroit: ce n'est pas le manuel unique qui apportera le correctif nécessaire, mais bien plutôt, l'exacte notion - grâce à un enseignement mieux ordonné - de ce que doit être la vie nationale au Canada, basée elle-même sur la réalité des droits et des devoirs de chacun». (p. 359)

1948.10.30
xxx. "M. Eugène Issalys", Le devoir, 30 oct. 1948, p. 36.

"Eugène Issalys est né en France en 1884. Il fit ses études, d'abord à Rodez, chez les Clercs de Saint-Viateur, puis à Lyon et à Toulouse.

Venu au Canada en 1903, il se destine d'abord à l'enseignement. Il s'inscrit pendant plusieurs années à la Faculté des lettres de l'Université de Montréal sous Louis Arnould et Augustin Léger.

En 1911 il entra au service de la librairie Beauchemin où, sous la direction de son président, M. Emilien Daoust, il travailla à la création d'une collection de livres de récompense d'auteurs canadiens, et d'une autre de manuels d'enseignement primaire et secondaire.

En1914, il répondit à l'appel aux armes de son pays et fit toute la guerre de 1914-18, au front de mars 1915 à avril 1919.

Rentré au Canada en 1919, il reprit sa place à la Librairie Beauchemin. En 1928, il prit effectivement le poste de directeur des éditions qu'il détient depuis.

En 1937 le gouvernement français le nommait officier d'Académie et en 1944 le gouvernement de la province de Québec le nommait membre du Conseil de l'Instruction publique.

Il fut l'un des fondateurs et le premier président de la Société des Editeurs canadiens du livre français."

1948.12
Goulet, Gérard, "Livres pour enfants", Relations, 96 (déc. 1948):374-375.

"Catéchisme en images, Texte du P. Jacques Tremblay, s.j. Dessins d'Andrée de Groot, des Ateliers d'Art sacré de Paris. - Montréal, Granger frères, 1948. 144 p., 32 cm.

Qui ne se souvient du Catéchisme en images de la Bonne Presse? Pour l'époque, c'était un immense progrès dans la pédagogie catéchistique. Mais depuis longtemps on désirait le renouvellement d'un texte trop abstrait et d'illustrations un peu ternes. C'est fait, et c'est une réussite. Même titre modeste, mais tout est rénové, et la méthode, et le texte, et les planches. Travail de haute qualité vraiment.

Ce catéchisme est un exposé doctrinal organique développant les trois grands mystères de notre religion: le mystère de la Sainte Trinité, le mystère de l'Incarnation et celui de la Rédemption. L'Évangile y apparaît comme la continuation et le perfectionnement de la loi naturelle et de la loi mosaïque. On fait connaître le Christ, dans sa vie, ses mystères, son enseignement, dans sa survie par l'Esprit-Saint et par l'Église avec ses moyens de salut, en particulier les sacrements, opérant dans le temps l'oeuvre d'amour de la Trinité sainte. Enfin, la grandiose réalité du Corps mystique montant à la suite du Christ glorieux, après le dernier jugement, dans la gloire du Père.

Et tout cela dit d'une manière claire, nette, délicate quand il le faut, parfois sur un ton de conte charmant, souvent dans des formules d'une transparente plénitude qui satisferont même les plus doctes et les plus âgés. On sent partout le souci d'être pratique, d'orienter vers une pratique aimée de la religion, joie de vivre. Louons aussi la typographie qui nous présente un texte aéré, bien divisé, où il sera facile de conduire l'élève en lui révélant le sens de quelques expressions un peu abstraites laissées ici ou là pour exercer sans doute la sagacité du maître.

En regard de la page de doctrine, un beau décor biblique ou évangélique aux couleurs gaies où l'on retrouve transposé, et en parfaite harmonie avec lui, le texte écrit devenu mouvement, film parlant, scène gracieuse ou forte, souvent d'une grande beauté. Il y a dans ces illustrations quelque chose de la sincérité, de la fraîcheur naïve, de la fantaisie pieuse et simple des vieux imagiers qui mettaient leur coeur dans les enluminures des psautiers et des livres d'heures. Les plus jeunes ne les apprécieront [p. 374] peut-être pas toujours à leur juste valeur, mais ils éprouveront la purifiante influence de ce grand art.

Souhaitons à ce beau catéchisme la plus large diffusion. Nos enfants ne pourront pas dire plus tard qu'il n'y eut personne pour leur rompre le bon pain de l'Évangile. Excellent cadeau de jour de l'an."

1948.12.09
xxx. "Catéchisme en images. Dessins d'Andrée S. De Groot, des ateliers d'Art sacré de Paris. Texte du Père Jacques Tremblay, S.J. Montréal (Librairie Granger frères, Ltée, 54 ouest, rue Notre-Dame)", Semaine religieuse de Québec, 61, 15 (9 déc. 1948):240.

"Album 12 x 9, de 144 pages, 68 dessins en deux couleurs. Prix: $1.25, par la poste:$1.35; relié: $2.00.

La Librairie Granger nous présente une nouveauté depuis longtemps attendue par ceux qui s'intéressent à l'enseignement de la religion aux enfants. Texte et images sont deux oeuvres originales, créées l'une en fonction de l'autre et parfaitement harmonisées. La théologie commande les illustrations: le texte souvent n'a qu'à interpréter pour que la doctrine reçoive son compte. L'artiste, à son tour, consacre tout son effort à fixer l'oeil et l'esprit sur le sens théologique du sujet, au lieu de les détourner vers les détails accessoires; mise en scène ou costumes des personnages.

Le trait noir cernant l'ocre, ou le bleu azur, ou le rouge, sur fond blanc, soixante-huit tableaux en couleur, absolument neufs dans leur conception et leur exécution, s'offrent aux éducateurs et aux parents qui les expliqueront à leurs enfants, pour leur commun profit et leur commune joie. Ils ne manqueront pas d'être inspirés par l'unité de la composition, que dégagent la sûreté gracieuse du trait, le délié du mouvement, encore sensibles même quand on rencontre, ici ou là, surabondance d'objets ou de personnages."

Page modifiée le : 17-05-2016
 

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