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Sources imprimées

* * *

1944

xxx. Règlements du comité catholique du conseil de l'instruction publique de la province de Québec refondus en 1944. S.l., s.n., n.d. 134 p.

"Règlements concernant les instituteurs

[...]

73. - Il est du devoir de chaque instituteur:

[...]

8. De ne permettre que l'usage des livres autorisés; [14]

[...]

Devoirs des inspecteurs d'écoles

[...] 14. Transmettre un rapport de leurs visites aux secrétaires-trésoriers des municipalités scolaires visitées. [27]

[...]

Dans ces rapports, ils doivent particulièrement appeler l'attention des commissaires ou des syndics d'écoles

1. Sur

[...]

b) L'emploi des livres de classe autorisés,

[...]

XV. Le manuel. - En parlant de la leçon et de la manière de la donner, le livre n'est guère intervenu. À l'école primaire, surtout aux cours des cinq premières années, le maître doit se dispenser du manuel pendant la leçon, sauf pour la lecture. L'enseignement se donne comme expliqué plus haut, c'est l'unique moyen de pénétrer dans l'intelligence des enfants de cet âge. On explique comme si le manuel n'existait pas et on fait rendre compte de la leçon dans les propres termes de l'élève, sans s'occuper du manuel. Mais la leçon terminée, le maître prendra le manuel et fera constater qu'il résume toute la substance de ce qui a été enseigné; au besoin il expliquera les mots et les phrases qui pourraient offrir quelque difficulté à l'élève. Puis l'enfant pourra ensuite se servir de son manuel comme aide-mémoire, afin d'aider à graver dans sa mémoire des idées qui pourraient lui échapper et les termes précis dans lesquels se moulent les idées qui ont pénétré son intelligence.

[p. 112]

Par là on voit l'usage qu'il faut faire du manuel. Les directions suivantes, qui résument et précisent toute la théorie de l'emploi du livre de classe, doivent être scrupuleusement observées par le personnel enseignant.

1. L'enseignement purement livresque est partout prohibé.

2. L'usage du manuel est absolument interdit aux cours [sic] des trois premières années, sauf les livres de lecture. À ce stage de leur développement, les enfants ne savent pas lire suffisamment pour tirer profit d'un livre, et son usage ne peut avoir d'autre effet que de substituer la culture de la mémoire des mots à la culture de l'esprit par les idées.

3. Après la troisième année, on utilise le manuel pour atteindre deux objectifs: a) comme aide-mémoire, après la leçon apprise par l'enfant sans le livre, suivant ce qui a été expliqué plus haut; b) comme auxiliaire, parce que le manuel bien fait apporte des applications qui fournissent à l'élève une matière sur laquelle il pourra occuper son activité pendant la classe, entre les leçons, ou à domicile.

En toute éventualité, le livre ne doit arriver que pour confirmer, consolider, synthétiser l'enseignement oral.

Dans ces limites, le livre est utile et nécessaire à l'élève et au maître: à l'élève, qui y trouve le condensé de ce qu'il a appris pour se le graver davantage, et des applications qui lui permettront de faire un travail personnel; au maître, pour lequel il sera un guide et un aide pour interpréter le programme, préparer ses leçons et fournir les applications à ses élèves.

Le manuel est nuisible lorsqu'il remplace l'enseignement oral; quand on le suit servilement d'une leçon à l'autre; quand il se borne au par coeur qui ne permet pas de rendre compte d'une définition, d'une règle ou d'un fait, sans employer les mots mêmes d'un livre; lorsqu'il emprisonne dans les formules sans pénétrer dans l'idée.

L'utilité du livre varie selon les spécialités. Dans la lecture il est évidemment indispensable. En catéchisme, après la troisième année, il est nécessaire, pour que le texte en soit confié à la mémoire, mais le texte expliqué, compris par l'élève, avant que la formule soit logée dans la mémoire. En histoire, le manuel n'est qu'un aide-mémoire, un moyen de recherche et de contrôle. En mathématiques et en grammaire, le tableau noir et la leçon orale sont presque tout. En géographie et dans les leçons de choses, le livre ne peut avoir d'utilité qu'après l'étude de la carte ou l'observation des objets, et son importance est bien secondaire.

Mais encore une fois, et c'est le point à retenir, toute étude dans un manuel, pour être profitable, suppose et exige des explications suffisantes et de nombreuses interrogations de contrôle.

Le livre ne devient l'ami de l'enfant que quand celui-ci le comprend bien, quand il lui sert d'auxiliaire pour retrouver les choses dont le maître lui a parlé. Il l'ouvre alors avec plaisir et se plaît à chercher et à apprendre la leçon qui lui a été expliquée.

Mais il importe que les élèves, après avoir étudié le texte, ne soient pas forcés de le réciter mot à mot. Sans doute, le maître sera nécessairement amené à exiger le texte exact, littéral, quand il s'agira d'une définition qui ne comporte pas d'à peu près, d'une formule qui doit rester gravée dans la mémoire, des résumés de l'histoire, des prières, des leçons de catéchisme et des morceaux qui servent d'exercices de diction. Pour le reste, il acceptera volontiers tout ce qui reproduira la pensée du manuel, sous quelque forme que l'enfant l'exprime. Il encouragera même les écoliers à dire les choses à leur façon, se contentant de redresser avec douceur les incorrections de langage et les termes impropres.

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XVI. La culture de la mémoire. - La mémoire est une faculté précieuse qu'il faut savoir cultiver chez l'enfant; mais elle doit l'être en vue d'aider et de compléter la formation intellectuelle. Ce but fait comprendre qu'on ne doit jamais développer la mémoire sensible qui retient les mots, les dates, les formules, sans cultiver en même temps la mémoire intellectuelle qui se grave les idées, les époques, les principes ou les règles. L'une aidera l'autre; l'idée fera trouver le mot et vice versa. C'est pourquoi ce principe est un axiome en pédagogie: Faire comprendre avant de faire apprendre. La formule, comme telle, ne pénètre pas dans l'esprit; et, s'il s'agit de l'enseignement religieux, elle ne peut atteindre l'âme; une pure formule est à jamais incapable de sauver une âme.

On s'assurera donc toujours que l'idée est comprise, avant de confier à la mémoire le mot qui l'exprime; que le sens est saisi et exprimé par l'enfant dans son propre langage, avant de faire apprendre la formule ou le texte qui le concrétise. Le chemin est plus long, mais c'est le seul qui permet de pénétrer dans l'intelligence.

Quand donc on proscrit le pur par coeur, on n'entend pas négliger la mémoire; on condamne la culture exclusive de la mémoire sensible ou animale, pour faire place à une culture qui atteint la mémoire dans toute sa puissance.

Cette direction s'applique à l'enseignement de toutes les matières, même dans les récitations de mémoire, le texte du catéchisme et des prières.

C'est à cette condition seulement que la mémoire de l'homme peut être cultivée avec fruit.

[...]

[p. 114]

XXII. Cahiers à l'usage des élèves. - Les principaux cahiers qui peuvent être en usage dans la classe sont:

Le cahier d'écriture;
Le cahier de dessin;
Le cahier cartographique;
Le cahier de rédaction;
Le cahier des devoirs journaliers;
Le cahier de compositions;
Le cahier de roulement;
Le cahier d'honneur.

Le maître s'entendra avec l'inspecteur sur le nombre de cahiers dont les élèves doivent se servir, car, si tous sont utiles, quelques-uns ne le sont pas autant que les autres.

Chaque élève cependant doit être pourvu d'un cahier spécial et distinct pour l'écriture, le dessin et les devoirs journaliers. Ces trois cahiers seront requis dans toutes les écoles. Et si l'on s'en tient à ce nombre, les devoirs de cartographie et de rédaction, ainsi que les compositions, trouveront place dans le cahier de devoirs journaliers, avec les autres exercices. Mais le maître, le cas échéant, se rappelant que ces trois spécialités exigent un mode particulier de correction, aura soin de retenir de temps à autre par devers lui les cahiers de devoirs journaliers.

Quant au cahier de roulement où chaque jour un élève différent inscrit les devoirs de la journée, et au cahier d'honneur qui est destiné à recevoir les meilleurs travaux des élèves, il y a moins d'inconvénients à s'en dispenser; bien que le second soit un puissant moyen d'émulation et que le premier permette, par un simple coup d'oeil, de juger non seulement du niveau intellectuel de toute une classe, mais encore de la manière dont le programme est compris et mis à exécution."

[p. 118]

1944
Bouchard, Télesphore-Damien. L'enseignement de l'histoire - Discours prononcé au sénat le 21 juin 1944. Saint-Hyacinthe, L'imprimerie Yamaska, [1944]. 30 p.

"L'enseignement de l'histoire

M. l'orateur,

Je solliciterai de mes honorables collègues, qui sont plus familiers avec la langue anglaise qu'avec la langue française, l'autorisation de parler pendant quelques minutes dans ma langue maternelle avant de faire mes remarques principales sur la motion de l'honorable sénateur pour la division de Sorel. Si, par chance, mes paroles présentent quelque intérêt et ne sont pas suffisamment comprises par quelques-uns de mes auditeurs, cela ne leur fera perdre qu'un peu de temps vu que je répèterai [sic] mes remarques en anglais.

Une des principales lacunes que l'on a mentionnées comme existant dans les diverses histoires du Canada des provinces anglaises, serait le fait qu'on laisse ignorer que la langue française est officielle dans les deux Chambres de notre parlement fédéral.

Au cours de mes remarques sur la résolution de l'honorable sénateur de la division de Sorel, je n'ai pas l'intention de m'arrêter sur la critique des manuels en existence dans les provinces anglaises. Je n'ai certes pas les informations voulues pour rendre un jugement valable sur ces manuels et je crois que, dans une matière épineuse comme celle-là, il vaut

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mieux laisser aux citoyens de chaque province le soin de signaler eux-mêmes les faiblesses de leur propre enseignement de l'histoire canadienne.

Si, au début de mon allocution, .je parle en français, c'est que, me levant pour la première fois dans cette honorable chambre pour prononcer un discours, je désire d'abord rendre hommage à ma langue maternelle et signaler ensuite ce fait important de la légalité de la langue française dans un parlement d'allégeance britannique.

Qu'il me soit permis de dire que je n'implique pas du fait que la langue française est officielle dans ce pays, qu'elle y serait obligatoire; je ne suis pas de ceux qui voudraient imposer chez nous, aux Canadiens d'origine anglaise, l'obligation de parler notre langue de manière à ce que, sans s'imposer aucun sacrifice d'étude, ils puissent comprendre tout ce qui se dit dans nos parlements. La loi constitutionnelle, et c'est juste, ne va pas plus loin que de rendre les deux langues principales de ce pays facultatives dans nos parlements. Ceux qui désirent comprendre tout ce qui se dit ici, dans la chambre des communes et dans les chambres de la province de Québec, restent dans la nécessité d'étudier les deux idiomes. J'admets, et par là je ne me rends qu'à l'évidence, que les Canadiens d'origine française ont beaucoup plus besoin pour leur développement économique que les Canadiens d'origine anglaise d'apprendre une langue seconde: l'anglais est parlé sur ce continent par tout près de 150 millions de population alors que nous sommes à peine 5 millions ayant la langue française comme langue maternelle. A chacun de décider si c'est son intérêt d'apprendre les deux langues. Tout Canadien en viendra à cette conclusion s'il désire nécessairement comprendre les deux langues officiellement parlées dans nos deux Chambres fédérales;

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autrement il devra attendre la publication du Hansard pour savoir ce qui s'y est dit.

Au cours de mes remarques, je reviendrai sur cette question pour signaler certains de ses à-côtés produits par une mauvaise interprétation de l'histoire du Canada telle qu'on l'a enseignée et que l'on continue de l'enseigner dans les écoles de ma province.

Estimant que la parole a été donnée à l'homme pour communiquer ses idées à ses semblables plutôt que pour glorifier le coin de terre sur lequel le hasard l'a fait naître, que cette parole est en somme le simple véhicule de la pensée et que, en honnête compagnie, comme disaient les gens du Grand Siècle, il est séant de parler le langage compris de tous, je prendrai la liberté de continuer mon allocation dans la langue anglaise.

Je me soucie fort peu de l'opinion des gens à l'esprit étroit qui ne manqueront pas de me blâmer sévèrement d'avoir fait le gros de mon premier discours en anglais; de ces mesquines attaques, j'en ai vu bien d'autres au cours de ma longue carrière. Cette langue je la parlerai en observant, mais bien malgré moi le conseil d'un évêque de mon jeune temps, monseigneur Laflèche, qui disait: «Parlez l'anglais, mais parlez-le mal». Nos éducateurs comprirent ce qu'ils devaient nécessairement entendre de ces paroles «Enseignez l'anglais, mais enseignez-le mal». Non seulement ils comprirent le conseil, mais ils le suivirent fidèlement, à partir de nos petites écoles à aller jusqu'à nos universités.

C'est une mauvaise philosophie tirée de l'histoire mal enseignée de notre pays qui a inspiré à ceux, à qui nos anciens gouvernants avaient confié l'éducation des masses, cette fausse mentalité qui a fait qu'après avoir quitté ma petite école, où elle n'avait

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pu encore pénétrer, je n'ai appris pratiquement rien de l'anglais dans mes classes d'études secondaires; le peu que j'en sais, c'est ce que j'ai pu m'assimiler à la lecture des journaux et des livres anglais qu'il m'a été possible de lire pour me tenir au courant des événements du jour et de la marche des idées contemporaines. Aussi je m'excuse à l'avance des blessures que j'e pourrai infliger aux oreilles de mes honorables auditeurs, habitués à entendre parler la belle langue de Shakespeare tel [sic] qu'elle doit être par ceux qui en connaissent tous les secrets.

* * *

M. l'Orateur,

La motion qui est devant la chambre a pour objet principal de trouver les moyens de mettre dans les mains de nos enfants de toute langue ou croyance un manuel où seraient relatés les principaux faits de notre histoire du Canada, conformément à la vérité, sous leur aspect véritable, et avec une interprétation qui tendrait à créer un réel esprit canadien dans toutes les parties de ce grand pays ouvert à toutes les espérances. Bien qu'il puisse exister des divergences d'opinions au sujet des meilleurs termes à employer dans son texte, afin d'avoir plus de chances de lui donner tout son effet, je crois que nous sommes unanimes sur la nécessité d'obtenir son but ultime: l'unité canadienne.

En cette chambre, il n'y a aucun doute que nous sommes tous sincèrement pour l'unité du pays; nous savons que les Canadiens ont tout à gagner à être unis. Mais pouvons-nous faire la même affirmation pour tous ceux qui sont en dehors de ces murs, même s'il semble y avoir unanimité dans les déclarations

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publiques de fidélité à l'allégeance canadienne et d'un désir sincère d'unité entre nos groupements ethniques distincts.

Je suis certain que c'est le manque d'unité dans l'esprit de notre peuple sur les questions nationales et quelques-unes des actions des générations montantes aussi éloignées du concept d'unité que les deux pôles magnétiques opposés, qui a amené mon honorable collègue à inscrire cette résolution sur l'ordre du jour, dans son ardent désir de servir son pays.

Au cours de mon bref exposé, j'espère pouvoir démontrer qu'on doit le féliciter pour avoir amené cette question en temps opportun devant cette chambre et devant le pays.

De même que mon collègue de la division de Sorel, je crois que le temps est venu depuis longtemps d'améliorer l'enseignement de l'histoire du Canada dans les écoles de la province de Québec. Il faut juger un arbre à ses fruits et je regrette d'être obligé de déclarer que les résultats obtenus à date sont loin d'être satisfaisants. En réalité, ils sont plutôt décourageants pour ceux qui pensent et qui persistent à croire que nous pourrions édifier un vaste pays où les descendants de deux grandes nations et de deux grandes cultures pourraient vivre et prospérer dans la paix et dans l'harmonie.

C'est en exposant ouvertement la situation actuelle dans ma province, en montrant notre histoire telle qu'elle est à s'écrire et qui procède de l'histoire faussée que la génération passée et la nôtre ont apprise dans nos écoles, que je démontrerai jusqu'à quel point il y a urgence d'apporter un changement radical dans cet enseignement. L'histoire du Canada ne doit pas servir d'instrument à la propagande subversive dans les mains de ceux qui ont pour but

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d'amener la rupture du système confédératif et de renverser notre forme de gouvernement démocratique. Je m'aperçois que plusieurs d'entre nous sont étonnés de ces déclarations émanant d'un homme qui a été dans la politique active depuis plus de quarante ans. Je ne suis pas un visionnaire, loin de là, mais je pense que l'éternelle vigilance est le prix de la sûreté, comme on l'a dit, il y a longtemps. C'est pour avoir oublié cette règle que les grandes nations démocratiques sont maintenant plongées dans la plus terrible guerre des annales de l'humanité.

Le problème d'un manuel uniforme d'histoire du Canada peut paraître de peu d'importance aux esprits superficiels, mais si nous allons au fond des choses nous réaliserons sans difficulté sa nécessité primordiale. Personne ne contestera que les opinions, même les croyances bien assises, portant sur les questions nationales et religieuses prennent presque toujours source dans nos écoles et le plus souvent dans l'enseignement de l'histoire.

Je démontrerai que l'histoire du Canada est défectueuse chez nous en vous lisant quelques extraits des idées que l'on s'efforce d'inculquer dans les cerveaux malléables des jeunes, et en vous indiquant les tendances subversives que nous trouvons chez un nombre étonnant de nos hommes instruits de moins de quarante ans, tendances créées par la façon dont on enseigne l'histoire du Canada dans nos écoles publiques.

Je n'ai'pas l'intention de m'arrêter longuement sur l'enseignement actuel de l'histoire dans les écoles de la province de Québec et comme je l'ai dit précédem-ment, je ne risquerai pas une discussion sur ce qu'il y a de bon et de mauvais dans les manuels en usage dans les provinces de langue anglaise; en ce

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cas, comme dans plusieurs autres, je crois qu'il est opportun pour tout le monde de suivre les conseils du vieux philosophe: "Medice cura te ipsum" Médecin, guéris-toi toi-même.

Si dans chaque province, nous voyons à guérir nos propres maux, la nation en général ne s'en portera que mieux. Je ne veux pas dire qu'une conférence des autorités en la matière ne soit pas à souhaiter, loin de là. Je crois que cette réunion recommandée par la résolution qui est devant nous, est nécessaire. Je voudrais seulement souligner qu'à cette phase du problème les profanes en histoire, comme j'en suis un, devraient se contenter de déplorer les déficiences de l'enseignement de l'histoire dans leur domaine respectif.

Que la résolution de notre collègue soit adoptée ou non sous sa forme présente ou telle que modifiée dans certaines de ses conclusions, qu'elle ait son plein effet telle qu'adoptée par la chambre haute, ou qu elle demeure dans les archives du sénat comme lettre morte, je crois qu'elle pourra aider ceux qui s'efforcent d'édifier une réelle unité canadienne chez les deux plus importants groupes de nos conci-toyens, fondateurs et principaux constructeurs de ce pays, Canadiens de descendance française, et d'origine britannique.

Le problème d'un manuel uniforme d'histoire du Canada apparaît simple aux plus âgés, à ceux qui ont beaucoup étudié et ont réalisé qu'ils vivent dans un monde nouveau. La plupart d'entre eux ont été amenés à voir les grands avantages qui se produiraient pour les deux races et les deux religions, si notre, population était imbue de l'idéologie moderne et nord-américaine sur les bonnes relations qui doivent exister entre peuples d'origine et de croyances

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différentes. Ils voient dans un enseignement plus exact de l'histoire du Canada un moyen efficace d'atteindre cet objectif: le manuel de faits essentiels accepté par chaque province tendrait nécessairement à aplanir la route de la bonne entente.

Mais, en réalité, la question est plutôt complexe quand nous avons à considérer que nous sommes loin, dans toutes les parties de ce grand pays, d'avoir mis de côté le vieil esprit de clocher de l'ancien continent. En réalité, quelques-uns parmi nous s'efforcent de reconstituer au pays un des petits royaumes provinciaux qui existaient en France au temps jadis, tandis que d'autres inconsciemment inspirés par un esprit colonial latent mais invétéré, ne veulent pas réaliser: que nous sommes depuis près d'un quart de siècle une nation véritable, et que le rejeton du grand arbre est lui-même devenu un chêne majestueux. Il n' y a pas à s'étonner que nous ne considérions pas du même oeil les problèmes importants au sujet desquels devrait se réaliser l'unité d'opinion chez ceux qui ont droit de réclamer la diversité dans les domaines où non seulement elle peut, mais en réalité doit exister. C'est quand nous avons des distinctions à faire entre les choses au sujet desquelles l'unité devrait exister et les sujets sur lesquels la diversité est permise sans nuire à l'intérêt commun, que nous pouvons voir la complexité du problème actuellement soulevé en cette chambre.

Un homme bien intentionné doit concéder qu'il se produit des heurts d'une certaine gravité entre Canadiens d'origines française et anglaise. La différence de religion et de langue est, bien qu'il ne devrait pas en être ainsi, un champ fertile ou les semeurs de discorde travaillent nuit et jour, mais la plupart du temps dans l'ombre. Ils oublient que le fondateur de nos deux religions a dit: «Soyons tous frères» et que

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sur les armoiries du Commonwealth des nations britanniques nous voyons encore inscrits les mots suivants: «Dieu et mon droit».

Notre collègue de Sorel a vu dans l'enseignemeint présent et passé de l'histoire du Canada dans nos écoles de langue française et anglaise, une des causes primordiales de ces différends, et à mon sens, il a parfaitement raison dans ses conclusions.

Le peu que j'ai appris à l'école depuis mon enfance jusqu'à l'obtention de mon baccalauréat n'a pas aidé, loin de là, à m'inculquer l'esprit canadien que mes études postscolaires et les réalités de la vie m'ont inspiré. J'ai fait mes études classiques comme externe et j'étais moins sujet que les pensionnaires au bourrage de crâne sur les questions de langue et de religion. C'est probablement pour cette raison qu'à ma sortie du séminaire, une des étapes les plus décisives de mon existence, je fus assez heureux d'avoir comme premier patron un Canadien d'origine écossaise que vous n'auriez pas reconnu comme tel en vous en tenant à son français impeccable. A son bureau, j'appris que les Canadiens d'origine britannique n'avaient pas tous le pied fourchu ni des cornes sur la tête, mais étaient animés des mêmes bons sentiments que les Canadiens de descendance française.

Pourquoi, auparavant, avais-je été porté à croire ces stupidités? Pourquoi, comme mes jeunes camarades, étais-je nourri de préjugés contre ceux qui ne parlaient pas ma langue et ne fréquentaient pas la même église? Depuis mon enfance, j'avais appris que tout ce que le Canadien-français a eu à souffrir provenait du fait qu'il était de descendance française ou catholique.

En citant deux ou trois paragraphes d'une des histoires du Canada les plus en usage dans nos écoles

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du Québec, cette histoire étant bien caractéristique de ceux qui ont formé les opinions du Canada français sur les questions de races, je montrerai la raison qui m'avait induit à fuir autant que possible la société des Canadiens d'autre origine racique [sic] et je prouverai clairement que l'une des plus importantes matières scolaires pour la formation de l'esprit national, -est loin d'avoir été enseignée comme elle devrait l'être dans notre province française.

Comme je veux donner à mes auditeurs l'occasion de vérifier l'exactitude de mes citations, je les renverrai au manuel intitulé: «Histoire du Canada», par les Frères des Ecoles Chrétiennes, approuvé par le conseil de l'instruction publique pour les écoles primaires, cours élémentaire, le 11 mai 1910, troisième édition.

Je lis à la page 72, au paragraphe 134: «Sans tenir compte de l'acte de capitulation, les Anglais abolirent les lois françaises pour les remplacer par celles d'Angleterre; tous les Canadiens furent obligés sous peine de bannissement de prêter le serment du test ou de suprématie, dont la formule hérétique révoltant leur conscience de catholiques.»

Paragraphe 135: «Le général Murray nommé gouverneur général, (1763) adoucit la rigueur des nouveaux règlements et n'exigea point le serment du test.»

Il convient de noter que ces deux paragraphes contradictoires apparaissent sur la même page (72) et se suivent.

A la page suivante (73) nous lisons sous le titre: «Le clergé canadien» paragraphe 2: «Le clergé dirigea le courage et le bon vouloir des Canadiens encore inexpérimentés; il les aida à supporter l'oppression

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et l'injustice, et leur inspira cette loyauté qui contraignit l'Angleterre à rendre au Canada français toutes les franchises reconnues par le traité de Paris.»

Vous me permettrez de souligner que ce traité de Paris, que l'auteur cite comme un document dans lequel l'Angleterre avait consenti les privilèges les plus importants aux Canadiens, est le même traité dont on dit à la page faisant face, que tous les Canadiens furent obligés sous peine de bannissement de prêter le serment du test ou de suprématie, dont la formule hérétique révoltait leur conscience de catholiques.

Comment se fait-il que l'auteur ait pu trouver du bon dans un traité où, à la page suivante, il n'a vu que du mal pour les Canadiens?

Au paragraphe 137 de la page 74, on peut lire: «le général Murray fut rappelé en 1766; Guy Carleton qui le remplaça, adopta à l'égard des Canadiens français la conduite sage et impartiale de son prédécesseur.»

De ce paragraphe et du paragraphe 135 que j'ai déjà cité, un homme ayant le moindre bon sens conclurait que sous les deux premiers gouverneurs généraux, les Canadiens français avaient été passablement bien traités. Ecoutons ce que l'historien de nos écoles publiques écrit d'eux dans son appréciation de leur conduite. A la page 75, nous lisons un paragraphe faisant face exactement au paragraphe 137 que je viens de citer:

1. «Depuis 1763, les Canadiens avaient à se plaindre d'un gouvernement qui ne rendait pas justice à leurs droits. Les emplois publics étaient donnés à une foule d'aventuriers qui ignoraient la langue

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française; le serment du test les éloignait de toute participation aux affaires de l'Etat; leur religion même était à peine tolérée.»

Si les gouverneurs eurent quelque chose à dire auprès du gouvernement de la colonie, comment concilier ce jugement inconsidéré avec celui que l'auteur vient de porter à savoir, que Murray n'exigea pas le serment du test, qu'il adoucit la sévérité des nouveaux règlements et qu'il avait adopté à l'égard des Canadiens français une conduite sage et impartiale, comme le fit son successeur Guy Carleton?

Maintenant, avant de fermer cette Histoire du Canada, parcourons la page 79 intitulée: «Récit - l'Anglicisation».

Nous verrons là l'appréciation générale de l'auteur sur les premières décades d'années du même régime anglais et l'esprit qui anime tout le livre. Voici le premier paragraphe, dans toute sa crudité:

«Le but poursuivi par la politique de l'Angleterre dans les premiers temps de son administration au Canada, fut d'angliciser la nation franco-canadienne, de lui ravir sa religion, sa langue et ses coutumes nationales.»

Il faut admettre qu'à la fin du récit, après dix- sept lignes du genre de celles que j'ai citées, l'élève peut lire:

«L'Angleterre finit par accorder aux Canadiens français tous les privilèges dont jouissent aujourd'hui les peuples libres et indépendants.»

Il est évident que l'auteur devait nécessairement insérer ces deux lignes dans son manuel, parce que même un enfant de dix ans n'aurait jamais pu comprendre comment il se pouvait qu'après tant d'années

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de tyrannie et d'oppression, sa race et sa religion fussent aussi libres et prospères qu'il les voyait dans son milieu.

Le premier point que je voudrais prouver au cours de mes remarques fut que notre histoire n'est pas écrite comme elle devrait pour ceux qui croient que l'harmonie entre les deux grandes races qui vivent dans ce pays est possible et même très désirable au Canada. J'ai donné un exemple caractéristique de notre histoire du Canada telle qu'elle est enseignée dans les écoles du Québec. Les déclarations contradictoires que j'ai citées démontrent clairement que cet enseignement ne peut être conforme aux faits et qu'il est donné avec l'intention de remplir la jeunesse de préjugés contre nos compatriotes de langue et de croyance différentes. Cela est anticanadien, voire antichrétien. Le fondateur du christianisme n'a jamais demandé de soulever les hommes les uns contre les autres à cause des divergences de races et de langues.

La seconde proposition que je voudrais prouver, c'est que ceux qui ont enseigné notre histoire canadienne dans le but de nous diviser sur les questions de race et de religion ont jusqu'aujourd'hui atteint leurs fins à tel point qu'ils ont compromis la paix à l'intérieur du pays. C'est en imprégnant les esprits des générations présentes et passées des élèves de nos écoles et de nos collèges d'une histoire du Canada faussée et en interprétant d'une manière encore plus fausse les événements qui se sont passés réellement, que nous en sommes rendus à ce point. Il y a parmi nous des Canadiens de descendance française qui, à l'encontre de l'oiseau du désert qui enfouit sa tête dans le sable mouvant pour ne pas voir le danger, sont consentants à ouvrir les yeux en face d'une situation sérieuse. Nous pensons que le temps est arrivé,

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et prions Dieu qu'il ne soit pas trop tard, de mettre fin à une propagande subversive intensifiée par l'état de guerre dans lequel nous sommes plongés depuis maintenant plus de quatre ans; cette propagande peut nous donner à brève échéance le régime des émeutes et peut-être la guerre civile avant longtemps.

Je ne puis accepter les vues de certains de nos concitoyens haut placés qui prétendent qu'il vaut mieux fermer les yeux sur les activités subversives se produisant dans le secret ou à ciel ouvert, chez ceux animés par la haine de race insidieusement distillée dans les esprits des Canadiens français par un enseignement erroné de l'histoire du Canada, travaillent actuellement à ruiner les institutions gouverne- mentales. Je persiste à croire que la grande majorité de mes compatriotes aiment leur pays tel qu'il existe d'après la constitution et ne désirent pas un changement d'allégeance, mais cette majorité est composée de citoyens paisibles et respectueux des lois et leur seul tort est de ne pas s'occuper des activités de ceux qui dans l'ombre ou ouvertement, sabotent nos libres institutions. Les vers sont à ronger les racines de l'arbre de nos libertés; seul l'observateur averti peut voir que les feuilles se dessèchent, mais si le propriétaire prudent ne trouve pas sous peu moyen d'enrayer la destruction qui se poursuit sous terre, avant longtemps le tronc tombera sur le sol.

La fausse philosophie dont on a imprégné l'esprit des Canadiens- français par l'enseignement tendancieux de l'histoire du Canada, a conduit nombre d'entre nous à désirer une forme indépendante de gouvernement. N'apercevant que les torts que lui ont montré, sous les couleurs les plus vives possible, les historiens improvisés et imaginatifs, [ils] ont semblé ne pas voir les avantages que nous a valu notre association avec le gouvernement britannique. Changer

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la forme d'un gouvernement n'est pas tâche facile; aussi nos séparatistes ont fait appel à toutes les forces qui peuvent le plus attirer les masses: religion, race et cupidité. Le nouvel état serait catholique, français et corporatiste, pour que le travailleur catholique et français puisse devenir maître de ses propres destinées religieuse, sociale ou économique.

L'histoire nous enseigne que presque toutes les révolutions ont commencé avec l'influence des sociétés secrètes. Aussi, bien qu'il y eût de nombreuses prédications contre les sociétés secrètes, il y en eut une de fondée vers 1928, avec la bénédiction du clergé catholique canadien français, sous le nom d'Ordre Jacques-Cartier, et ayant son bureau chef à Ottawa. Des Canadiens, français éminents furent invités à se joindre au mouvement, le but pratique et avoué de la société n'étant pas une révolution, mais tendant à permettre aux Canadiens français d'obtenir leur juste part des emplois dans le service civil. Plus, tard, lorsque l'Ordre de Jacques-Cartier décida de se répandre en dehors de la capitale, les activités de l'Ordre devaient être employés à restreindre ce qu'on appelait les placements étrangers dans le commerce local, quand ce commerce n'appartenait pas aux Canadiens français. L'antisémitisme fut aussi appelé à la rescousse pour aider au recrutement des membres. Finalement, les officiers les plus haut placés donnèrent dans le plus grand secret le mot d'ordre d'envahir le domaine politique et de contrôler les sociétés patriotiques, les gouvernements et les administrations publiques de tous genres.

L'appel fut bien accueilli et presque toutes les sociétés Saint-Jean-Baptiste, les syndicats catholiques, les commissions scolaires des villes, les conseils municipaux, les chambres de commerce junior sont sous l'influence directe de cette société secrète. C'est

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grâce à son organisation occulte, que l'union Nationale se hissa au pouvoir en 1936 pour nous donner le gouvernement le plus pauvre et le plus tyrannique que nous ayons connu dans l'histoire de notre province; ce gouvernement essuya une éclatante défaite après trois années d'existence, le peuple ayant ouvert les yeux sur les turpitudes de la campagne de diffamation entreprise contre le parti libéral par les ennemis de la démocratie.

Cette société est propriétaire de journaux publics et clandestins. La Boussole est son organe connu. L'Emerillon est sa revue clandestine. Examinons si les activités de cette organisation secrète auraient pu être tolérées si l'enseignement de l'histoire du Canada dans nos écoles publiques n'avait pas préparé notre population à recevoir favorablement tout ce qui tend à nous séparer de nos concitoyens de langue anglaise.

Ici, je dois faire une déclaration. Je suis sincèrement convaincu qu'il y a soixante-quinze pour cent des membres de cet ordre, se chiffrant suivant les plus récentes informations, au nombre de dix-huit mille, qui sont de bons citoyens britanniques ne soupçonnant aucunement où les conduisent les fanatiques de toute espèce qui sont les vrais chefs de cette société secrète. Peut-on s'imaginer tout le mal qui peut être accompli par ces agents très actifs de destruction au sein d'une population plus ou moins passive comme l'est celle de ma province.

Dans un vieil exemplaire de l'organe clandestin, l'Emerillon, remontant à septembre-octobre 1937, je lis ceci au sujet de la situation dans le centre de l'Ontario:

«A noter l'enchaînement de nos groupes qui menacent d'encercler le centre de l'Ontario, et, par suite,

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d'étouffer ceux qui redoutent, et avec raison, notre «french domination» pour un avenir plus ou moins rapproché. Nos masses françaises du nord, surtout, finiront par peser si lourdement sur celles du centre et du sud de l'ancien Haut-Canada, que, de part et d'autre, l'on songera peut-être à une scission, en vue d'ériger une nouvelle province en grande majorité française.

Comme je viens de le souligner, cela était publié en 1937, pendant la guerre civile d'Espagne, au cours de laquelle les nazis allemands et les fascistes italiens se préparaient à détruire les peuples libres et à mitrailler leurs populations civiles. Et n'allez pas croire que ce rêve inspiré par les études indigestes des Canadiens français sur notre histoire constitue un cas isolé loin de là. Nous avons parmi nous un nombre assez considérable, bien que ne représentant pas encore la majorité de ceux qui croient possible et dans notre intérêt de créer, non seulement une province française en Ontario, mais un état indépendant, catholique et français. Ce n'est pas là une idée nouvelle, mais les progrès du totalitarisme en Europe au cours des 20 dernières années qui ont précédé la dernière guerre mondiale, ont donné un nouvel essor à ces mouvements réactionnaires tendant à nous faire retourner à l'état social et économique du Moyen Age.

Il n'y eut pas que des jeunes gens désireux de se mettre en vedette devant l'opinion publique pour favoriser ces opinions. Le chargé d'affaires lui-même de la délégation apostolique au Canada, son excellence Monseigneur Mozzoni, recommanda un état intégralement catholique. Voici les termes qu'il employa, tels que je les ai retrouvés, dans une publication à grande circulation, Les Semaines Sociales du Canada, quinzième session, Saint-Hyacinthe, 1937:

«Les politiciens pourraient nous parler de la grandeur

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et de la prospérité du pays sous telle ou telle forme de gouvernement; cela ne nous intéresse qu'indirectement. Ce que nous voulons, ce que nous travaillerons à réaliser de toutes nos forces, c'est un Etat intégralement catholique, parce que seul un tel pays représente l'idéal du progrès humain, et parce qu'un peuple catholique a le droit et le devoir de s'organiser socialement et politiquement selon les enseignements de sa foi.»

En 1937, comme aujourd'hui, nous étions dans un pays libre et tout le monde avait droit à ses opinions, mais je suis heureux de dire qu'il n'y a pas un pays dans le monde entier où la religion soit plus libre que dans la province de Québec. La grande majorité de mes compatriotes est entièrement satisfaite des présentes institutions gouvernementales et ne réclame pas de changement. Ce que nous voulons, c'est la paix et l'harmonie entre nos peuples d'origine différente, et si j'ai cité ces mots, c'est pour démontrer qu'il existe un malaise, non seulement chez les masses en raison de leurs connaissances erronées de l'histoire du Canada, mais aussi chez les esprits dirigeants pour que nous nous tenions les yeux ouverts sur les courants souterrains qui produisent de tels remous à la surface troublée des eaux de notre vie nationale.

En 1944, la situation est passée de mal en pis. Un nombre toujours plus considérable de jeunes gens ont quitté l'école avec cette déformation d'esprit procédant d'un mauvais enseignement de l'histoire du Canada et la propagande secrète a augmenté en intensité.

Sous le régime de l'Union Nationale, le premier rejeton politique de l'Ordre de Jacques-Cartier, on adopta en notre province des règlements pour réduire l'enseignement de l'anglais dans nos écoles et aussi une loi pour donner préséance au texte français dans

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nos statuts quand la constitution place le français et l'anglais sur un pied d'égalité. Pas un seul Canadien français doué d'un jugement sain n'avait jamais réclamé un tel changement car nous étions satisfaits que l'esprit de la loi, tel qu'établi par une version ou par l'autre, constitua le meilleur guide pour aider à l'interprétation de la loi; le décret de nos isolationnistes causa une telle commotion dans les centres anglais de notre province, que ceux qui l'avaient fait insérer dans les statuts furent contraints de le rappeler eux-mêmes.

Le mouvement contre l'enseignement de l'anglais dans nos écoles primaires avait pris une telle ampleur que les pères de familles s'aperçurent que leurs fils et leurs filles n'enregistraient aucun progrès dans la langue anglaise.

Un jour, un de mes voisins vint me rendre visite. Il voulait faire apprendre l'anglais à un de ses garçons et il était découragé du peu de progrès qu'il faisait, bien qu'il fût un enfant assez intelligent. Il ne savait pas pourquoi, à l'école que fréquentait son garçon, l'anglais était enseigné par un professeur qui pouvait à peine dire yes ou no, quand l'un des frères venant des Etats-Unis était très familier avec la langue anglaise. Je lui dis que c'était probablement parce que les bons frères ne voulaient pas que leurs élèves apprennent l'anglais. Par la suite, il revint chez moi et me raconta l'histoire que voici:

Un de ses cousins venant d'une ville de l'Ontario était professeur dans la même communauté et il était venu lui rendre visite à Saint-Hyacinthe. Mon ami lui avait dit qu'il semblait que les professeurs de l'école que fréquentait son fils aîné ne paraissaient pas disposés à voir leurs élèves apprendre l'anglais, quand il était si nécessaire pour les Canadiens français

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d'apprendre cette langue. Son cousin fut étonné et il dit qu il ne comprenait pas cela et que le même soir il procéderait à une enquête sur ce sujet; il irait rencontrer les frères et discuter la question avec eux. Mon ami me raconta que le jour suivant il vint le voir; il avait complètement changé d'idée au sujet de l'enseignement de l'anglais. La figure radieuse, comme s'il avait réalisé l'un des objectifs les plus ardemment désirés de sa vie, il commença à dire: «Que penseriez-vous, mon cher cousin, si dans 50 ans, il ne restait plus dans la province de Québec un seul citoyen pouvant parler anglais?» Mon ami, complètement stupéfié, répondit: «Etes-vous devenu fou?» «Non, répondit-il, les ordres viennent d'en haut.» Et il mentionna le nom d'un membre du haut clergé maintenant décédé. Empêcher par tous les moyens les Canadiens français d'apprendre l'anglais, pour leur plus grand détriment, constitue une des activités secrètes de nos isolationnistes. Ils ne veulent pas nous voir rencontrer des Canadiens de langue anglaise, naturellement, parce que quand vous parlez à quelqu'un, les préjugés inspirés par la propagande disparaissent.

Pour se faire une idée de l'Ordre de Jacques-Cartier sur cette question. lisons quelques-uns des conseils donnés par l'un des éditeurs de l'Emerillon aux XC, c'est-à-dire aux commanderies de l'Ontario:

«BIEN DE L'ORDRE»

10e. - Prendre la direction de tous mouvements patriotiques, organisations, fêtes, etc. En exclure tout ce qui sent la Bonne-Entente, et ne sert qu'à nous reléguer en deuxième place.

REVEIL ECONOMIQUE

2e. - Observer que le déclin économique a commencé en même temps que les méthodes anglaises ont

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été enseignées chez nous. L'abus de l'anglais commercial nous a fait perdre nos qualités françaises.

3e. - Nous sommes la seule race à copier les autres: résultats des échecs partout. L'Anglais fait des affaires comme Anglais; le Juif comme Juif.

4e. - Notre programme scolaire anglifie et abêtit. Qui doit apprendre la langue d'un voisin arrogant excite l'arrogance du voisin. Mais en même temps celui qui va s'anglicisant va se défrancisant. Education de valets, donnée, hélas trop souvent par des valets.»

Et maintenant, au sujet de la discipline de l'Ordre, je citerai le paragraphe 2 des conseils:

«2. - Les mots d'ordre n'ont pas à être discutés. C'est le bien général qui les inspire. Ne rien changer de leur sens à moins d'en demander autorisation à Ottawa.»

Ces mots d'ordre étant les instruction de la chancellerie, le Conseil Suprême, sont transmis aux commandeurs et des commandeurs aux initiés dans les conseils municipaux, les directorats de chambres de commerce, commissions scolaires syndicats ouvriers, sociétés patriotiques et autres.

Dans l'édition de l'Emerillon de mai-juin 1937 où j'ai puisé ces extraits, il y a un long article pour promouvoir l'adoption d'un drapeau national pour les Canadiens français: fond bleu royal, grande croix blanche et fleurs de lis aux quatre coins. Dans cet article, l'auteur rappelle à ses lecteurs que l 'Ordre a réussi à changer le nom du pont du Hâvre en celui de pont Jacques-Cartier, et celui de Fletcher Fields en celui Jardins Jeanne Mance. Il y a trois semaines, alors que la guerre redoublait d'intensité, l'Ordre a en outre réussi à décider les autorités de l'Université

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de Montréal à bénir virtuellement ce drapeau comme le vrai Labarum de l'Etat catholique français inexistant en le hissant au mât de l'édifice de dix millions de dollars érigé avec l'argent du gouvernement. Cet argent appartient, pourtant, non seulement à ceux qui prônent la séparation de notre province, mais surtout aux Canadiens, fidèles à leur régime politique et au Commonwealth des nations britanniques. On faisait cela au sommet de la montagne située au centre de la plus grande ville du Canada et en présence de milliers et de milliers de citoyens attirés là par la bénédiction par un prêtre catholique éminent, du vieux drapeau de Louis XV comme drapeau national des Canadiens d'origine française. Evidemment, il y a nombre de gens qui jouent avec le feu sans s'en douter.

La déformation d'esprit de certains de nos compatriotes est allée tellement loin que ceux qui veulent corriger certains faits de notre histoire qui ont été présentés sous un faux jour, se voient affublés de l'étiquette de traîtres à leur race et à leur religion. Un de nos historiens les plus éminents, l'abbé Arthur Maheux, un membre de la Société Royale du Canada, professeur d'histoire du Canada à l'Université Laval, a écrit il y a un an ou deux, un livre intitulé: «Pourquoi sommes-nous divisés». Ce livre faisait suite à un autre intitulé: «Nos débuts sous le régime anglais».

Parce que l'abbé Maheux voulait être honnête avec les faits véritables, parce que sa philosophe de l'histoire du Canada est orientée dans le sens que nous devrions entretenir des relations de bon voisinage avec nos compatriotes d'origine différente, il a été, au cours de ces dernières années, l'objet d'une campagne d'injures sans précédent de la part de nos séparatistes et isolationnistes de tout acabit. Ce prêtre si respectable fut honni comme un traître à sa race parce qu'il

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disait la vérité, et la campagne de terreur contre lui est allée si loin que récemment une réunion où il devait adresser la parole fut contremandée à trois reprises au cours de la semaine précédant sa conférence. La conférence eut lieu toutefois, mais sous la protection de la police municipale, provinciale et fédérale.

Une des organisations les plus actives et les plus bruyantes de l'Ordre de Jacques-Cartier est celle des jeunes Laurentiens. Au cours du mois de mai dernier, ils ont publié un manifeste et afin de vous donner une idée de ce que nos réactionnaires pensent de l'abbé Maheux, un vrai Canadien, je vous citerai à la page 7 du manifeste ces mots stupides: «un chat est un chat; l'abbé Maheux un éteignoir.»

Et maintenant, pour vous faire connaître le but réel de toutes les organisations politiques, religieuses et soi-disant patriotiques contrôlées en sous-main par l'Ordre de Jacques-Cartier, laissez-moi vous lire quelques paragraphes du message du Président général de ces jeunes Laurentiens, intitulé: «Nos raisons pour une Révolution. - Je vous dirai que c'est notre devoir d'avoir la situation en main. Je vous dirai plus, il est urgent de former des chefs. Des chefs, c'est la seule raison d'être de notre mouvement. Pour une révolution qui sera la nôtre pour les véritables intérêts du peuple Canadien français. Et cette révolution que nous voulons sera pratique, efficace, calme et bonne, parce qu'elle réclame des hommes purs, fondamentalement catholiques et français. C'est la révolution de l'Espagne libérée, du Portugal organisé, de la France de Pétain.»

La paternité de l'association est facile à retracer et à relier à l'Ordre de Jacques-Cartier, quand nous lisons à la page 12: «Et surtout de la discrétion. N'allez pas commettre l'erreur de vous prononcer en

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tant que jeune laurentien. Nous formulons cet appel à l'individu et non au membre»

Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de m'attarder davantage sur le sujet pour convaincre mes honorables collègues qu'un enseignement erroné de l'histoire du Canada dans notre province a déjà fait tout le tort que pouvaient désirer ceux qui favorisent la désunion en ce pays entre peuples d'origine et de langue différentes. Leur objectif ultime n'est pas uniquement la division du peuple sur les questions de langue et de religion, mais la rupture de la confédération, l'abandon de l'idéal nord-américain et plus humain d'une grande nation composée de peuples de croyances religieuses différentes et d'origines diverses pour revenir au vieux concept européen des petites nations de même religion et d'ascendance racique [sic] identique.

Comme je l'ai démontré, le terrain est assez bien préparé pour une attaque de flanc sur nos institutions politiques. Les travailleurs clandestins out déjà réussi à détruire le parti libéral-conservateur québécois, l'ancien groupement des libéraux conservateurs avec les "castors" ou ultra-montains de la vieille école, a rendu cette tâche facile aux leaders de nos fascistes déguisés. Les déclarations contre la guerre, la démocratie et le libéralisme n'ont pas encore réussi à renverser le parti libéral de Québec. Nous ne savons pas encore quel effet produiront les efforts des ennemis jurés du libéralisme pour susciter des mécontentements an cours de la guerre. Le Bloc populaire dont le leader dans la province de Québec est l'un des ex- présidents des Jeunes Canada mouvement de Jeunes laurentiens, est l'instrument politique bien connu de l'Ordre de Jacques-Cartier; il se pourrait qu'au dernier moment, si les amants de la liberté n'ouvrent pas les yeux en temps utile, ils verront jusqu'à quel point

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les activités souterraines ont miné nos institutions libres.

Certains me blâmeront publiquement d'avoir fait connaître mes vues sur l'histoire du Canada telle qu'enseignée dans nos écoles de Québec et spécialement d'avoir dévoilé ce qui se passe chez nos classes dirigeantes et populaires au sujet de la situation politique en levant le rideau où les acteurs s'exercent à répéter ce que plusieurs pensent devoir être une comédie, mais qui dans mon opinion, peut bien aboutir à une tragédie nationale. En face d'un orage qui s'annonce, j'aime à faire face au vent et non pas à lui tourner le dos. Je ne suis pas un pessimiste, mais quand j'entends les grondements lointains du tonnerre, je réalise que les nuages menaçants sont susceptibles de monter sur ma tête.

Je voterai en faveur de la résolution de mon collègue de Sorel, telle qu'amendée ou dans sa forme présente. Elle ne peut avoir qu'un effet national salutaire, car elle a déjà fourni l'occasion de suggérer d'importantes réformes dans les manuels scolaires existant actuellement dans toutes les provinces.

Il se pourrait que sous la poussée de l'autonomie provinciale, il n'y ait pas d'entente entre les représentants des différents gouvernements pour nommer un comité chargé de rédiger le manuel uniforme qu'on suggère, mais il faut espérer que les représentants, d'accord sur cette réforme, trouveront une association progressive qui s'attaquera au problème et verra au moins à éliminer des manuels d'histoire du Canada tout ce qui tend à diviser le peuple de ce pays et à n'enseigner aux jeunes que les faits authentiques.

Nous devons édifier la mentalité des nouvelles générations sur des bases différentes de celles qui ont prévalu jusqu'aujourd'hui, et parlant pour ma province,

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j'espère que le jour viendra où les citoyens anglais, et français, réaliseront qu'ils ont tout à gagner à être de bons voisins, si nous ne pouvons êtres [sic] frères pour atteindre la perfection évangélique. Laissez-moi vous avouer que j'aurais voulu vous brosser un autre tableau de la véritable situation dans Québec. Je l'ai fait parce que j'ai pensé qu'il était de mon devoir de vous présenter la situation véritable, persuadé qu'il est maintenant devenu dangereux de se flatter de choses qui n'existent pas. L'histoire du passé et du présent ont fait connaître les misères du peuple durant les émeutes et les révolutions, et c'est pour préserver mes concitoyens de ces menaces que je les avertis de ne pas prêter l'oreille aux appels insidieux des réactionnaires et des politiciens de troisième ordre. Nos institutions représentatives et notre association avec les autres nations du Commonwealth nous ont donné la paix intérieure et la prospérité. Nous devons nous tenir aux côtés de ceux qui sont prêts à tous les sacrifices pour les maintenir dans leur intégrité. C'est là que nous trouverons la salut et le bonheur." [p. 30]

1944
Duhamel, Roger. Un manuel d’histoire unique. Montréal,s.n., 1950. 11 p.

"Texte du mémoire soumis au Conseil de l’instruction publique par la Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal.

* * *

UN MANUEL D'HISTOIRE UNIQUE

Depuis quelques semaines, l’on entend beaucoup parler d'adopter au Canada un seul manuel d'histoire qui serait enseigné dans toutes les écoles de notre pays, de l'Atlantique au Pacifique. Au Sénat comme à l'Assemblée législative de Québec, des représentants ont clairement exprimé leur appui à cette proposition.

Une polémique se poursuit dans les journaux entre ceux qui s'opposent à cette uniformisation arbitraire, qui équivaudrait à une espèce de caporalisme intellectuel, et ceux qui voient dans un manuel conçu dans un esprit bonne-ententiste, la solution de tous les problèmes nationaux.

1. Cette tentative d'uniformisation dans le domaine de l'enseignement de l'histoire fait partie d'un plan beaucoup plus général qui vise à effacer les caractères distinctifs des deux nationalités dont l'association a donné naissance à la Confédération. Depuis

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plusieurs années déjà, il est facile de relever les signes d'un projet bien élaboré qui trouve toujours des adeptes fervents pour surveiller son exécution. Le but précis, inutile de nous faire d'illusions à cet égard, c'est de supprimer les différences fondamentales entre les Canadiens de langue française et de langue anglaise. Cette ambition, jamais abandonnée, on la retrouve dans les domaines les plus variés, qu'il s'agisse de mesures de sécurité sociale, de finance, d'administration publique, de politique économique et surtout d'enseignement. Car, en effet, l’on se rend compte que c'est par l'éducation, c'est-à-dire, par les générations montantes, que l'on parviendra à écarter des distinctions gênantes pour ceux qui rêvent d'une centralisation généralisée. Devant ces assauts répétés et coordonnés contre notre nationalité, une mise en garde vigoureuse s'impose. L'on procède contre nous à des empiétements souvent minimes en eux-mêmes, mais dont l'ensemble ne laisse pas d'être impressionnant. La moindre abdication de notre part en entraîne fatalement une autre et constitue ainsi un encouragement aux adversaires opiniâtres du fait catholique et français. L'offensive actuelle livrée contre l'enseignement de l'histoire n'est qu'une étape dans cette longue lutte.

2. Au reste, la centralisation en matière d'enseignement ne date pas d'hier. L'on se souvient qu'en 1898, à la troisième réunion de la Dominion Educational Association  tenue à Halifax, le Dr Harper récla-

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ma un bureau fédéral d'éducation, soutenant que seule une école nationale, c'est-à-dire neutre et vidée de toute signification, réussirait à nous donner un esprit national. Cette association présenta un mémoire au premier ministre canadien d'alors, sir Wilfrid Laurier. Mais grâce à son louable esprit de vigilance, le Comité catholique du Conseil de l'Instruction publique soumit une contre-résolution qui fit échouer le vœu du Dr Harper. Ce dernier ne se tint pas pour battu. En 1901, au congrès d'Ottawa, il revint à la charge et il échoua de nouveau grâce à l'action énergique du surintendant d'alors, M. Boucher de la Bruère. Il en fut de même pour la proposition du Dr Robbins en faveur d'un bureau central d'examens et de celle du Dr Roddick pour l'établissement d'un bureau médical fédéral. La deuxième phase de cette campagne, ce fut en 1919, quand on fonda, à l'instigation du major Ney, le National Council of Education dont la raison d'être était de réclamer un bureau et des subsides fédéraux. Ce sont MM. Delâge et Parmelee et le R. P. McMahon, S.J., qui menèrent une lutte victorieuse contre ce projet. Au Sénat canadien, le sénateur Pope réclamait la même année une école nationale et en 1920, le député Edwards favorisait un bureau fédéral. Différents clubs neutres, comme le Kiwanis et le Rotary, se livraient à une lutte ardente à leurs réunions publiques. En 1922, le National Council of Education, réuni en congrès à Toronto,

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proposait une fois de plus un bureau national qui ne fut pas agréé, grâce à l'opposition de M. David. En 1923, le même major Ney organisait la National Conference on Education and Citizenship qui, par un tour de passe-passe, revendiqua cette fois un bureau inter- provincial. En 1926, à Montréal, cette proposition fut vouée à l'échec. Beaucoup plus récemment, en 1942, à Victoria, la Canadian and Nfwfoundland Education Association, digne héritière de la Dominion Educational Association, exprima son approbation d'un bureau et de subsides fédéraux. Mais l'année suivante, à Québec, le secrétaire de la province, M. Hector Perrier, par un vigoureux discours, parvint à déjouer la manœuvre.

Voilà, dans ses grandes lignes et très schématiquement résumée, l'histoire des débats souvent acrimonieux qui se sont livrés depuis plus d'un demi-siècle autour de l'enseignement. Il est donc difficile de plaider ignorance et de ne pas être parfaitement au courant des visées tenaces des centralisateurs.

3. Or, voici que la question rebondit de nouveau. Dans un discours public prononcé à Montréal, à l'hôtel Windsor, devant la Chambre de Commerce des Jeunes, le sénateur Athanase David a voulu démontrer les avantages d'un manuel unique d'histoire du Canada. Peu de temps après il proposait au Sénat une résolution relative à la préparation d'un manuel

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d'histoire canadienne dont voici le texte: «Cette Chambre, reconnaissant que l'enseignement de l'histoire est, pour tout pays, un élément fondamental du patriotisme, et désireuse d'intensifier le développement d'un patriotisme canadien, de l'alimenter et de l'éclairer, émet le vœu que, lors de la conférence interprovinciale qui sera tenue à Ottawa, dans un avenir prochain, il plaise aux délégués représentant les neuf provinces de la Confédération, de nommer un comité composé des historiens les mieux reconnus en chaque province pour leur compétence et leur impartialité, et que mission soit donnée à ce comité de préparer un manuel d'histoire du Canada qui puisse être accepté et adopté par les gouvernements provinciaux, dans les écoles relevant de leur juridiction et sous leur contrôle direct ou indirect. »

Quelques jours plus tard, un débat s'élevait à l'Assemblée législative de Québec et le secrétaire provincial, contrairement à son discours d'il y a quelques mois, paraissait très favorable à la  réalisation du vœu du sénateur David.

4. Une telle proposition soulève des objections diverses. Il en est une d'abord, d'ordre pédagogique, qui ne peut manquer de frapper toute personne mêlée aux choses de l'enseignement. Il va de soi qu'un manuel, dans quelque matière que ce soit, doit être adapté aux sujets auxquels il s'adresse. Pour prendre un exem-

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ple dans un domaine absolument neutre, on concevrait assez mal qu'un manuel de mathématiques fût exactement le même, qu'il s'adressât aux étudiants chinois, argentins ou canadiens. Et pourtant, deux et deux font toujours quatre, sous toutes les latitudes. Mais la pédagogie la plus élémentaire exige que l'enseignement tienne compte des différences ethniques et même régionales entre les étudiants. Ainsi, un enseignement destiné aux ruraux ne peut convenir exactement aux citadins et vice versa. Ces diversités naturelles ne sont pas des sources de division, mais s'harmonisent dans un ensemble sagement conçu. D'un point de vue pédagogique, la proposition David est tout simplement une aberration pénible, insoutenable à l'examen le plus superficiel.

5. Il y a aussi l'aspect constitutionnel du problème et le sénateur Rupert Davies, dans son plaidoyer au Sénat en faveur de la motion David, n'a pu s'interdire de se demander si le Sénat n'empiète pas sur les droits des provinces en proposant la formation d'un comité d’historiens chargés de rédiger un manuel qui soit acceptable à toutes les provinces du pays et imposé à toutes les écoles sous la juridiction des gouvernements provinciaux. Cette inquiétude et cette hésitation du sénateur Davies sont parfaitement justifiées. L'article 93 de la Loi de l'Amérique du Nord britannique est bien précis à cet égard et reconnaît expres-

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sément que l'éducation relève exclusivement de la juridiction provinciale. C'est dire que pour donner suite à k proposition David, il faudrait soit amender la constitution, comme on l'a fait pour la loi de l'assurance-chômage, soit obtenir l'adhésion de toutes les provinces, comme le fait s'est produit pour le transfert à Ottawa de certaines sources fiscales de revenus. Nous imaginons assez mal que le gouvernement de Québec consente à abandonner au pouvoir central sa juridiction sur l'une des matières les plus importantes et les plus vitales pour l'élément canadien de langue française. De toute façon, il est indispensable de surveiller les développements actuels et de barrer la route aux centralisateurs, conscients ou non.

6. Et nous en venons ainsi à l'objection fondamentale, à l'objection de principe, contre la motion David. On veut tout simplement édulcorer notre histoire de tous les faits qui n'ont pas l'heur de plaire aux Anglo-Canadiens. M. Perrier lui-même, lors du débat à l'Assemblée législative, a dû reconnaître que la plupart des manuels en usage dans les écoles des provinces anglo-canadiennes passaient fort rapidement sur le régime français. Souhaite-t-on que nous procédions nous aussi à une semblable «épuration»? Nous comprenons bien que l'étudiant de langue anglaise de Vancouver ou de Halifax n'ait pas les mêmes motifs que nous de s'intéresser à Champlain, à Maisonneuve,

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à Laval et à Frontenac. Est-ce une raison suffisante pour nous priver d'une source d'inspiration quotidienne et de la compréhension profonde des lignes de force de notre destin national? Que nos manuels d'histoire soient perfectibles, nous n'en disconvenons nullement. Mais à ceux qui nous accusent de prêcher la haine de l'Anglais, nous répondons qu'ils font preuve d'une ignorance absolue, car nos manuels, s'ils peuvent errer sur certains détails, (car la science historique n'est au mieux qu'une approximation), jamais ils ne se sont permis de falsifications délibérées, ni des propos outranciers à l'égard d'étrangers dignes de considération. Nos manuels n'ont pas attendu les pseudo-découvertes d'un historien à la petite semaine pour enseigner aux enfants que le gouverneur Murray a été un loyal ami des Canadiens français. A vouloir tout uniformiser, on aboutit à la grisaille, à l'indifférence, en un mot à la niaiserie sentimentale, et on prive une nationalité des vigoureuses leçons de son passé.

7. Nous aurions bien tort de négliger à cet égard l'exemple des autres pays. Cette lubie du manuel unique n'a jamais vu jour à l'étranger. On n'enseigne pas l'histoire anglaise de la même manière à Londres qu'à Edimbourg. L'étudiant d'Atlanta n'apprend pas le récit de la guerre de Sécession de la même façon que l'étudiant de New-York. L'étudiant de Berne

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n'a pas les mêmes vues sur la réforme que son confrère de Fribourg. Pourquoi en est-il ainsi? Pour cette très simple raison que ces pays, si homogènes soient-ils, n'ont jamais jugé sage d'effacer les particularismes légitimes et d'attenter au passé d'aucun groupe. En agissant ainsi, ils n'ont pas compromis l'union nationale. Au contraire, ils l'ont intelligemment servie. Les Américains du sud et du nord, de l'est et de l'ouest, sont unis par un même amour de la patrie. Les deux religions et les trois nationalités qui fleurissent en Suisse n'ont jamais été des germes de discorde et de division. Elles ont, au contraire, favorisé l'éclosion d'un admirable patriotisme. Pourquoi donc au Canada, écarterions-nous ces exemples séculaires pour nous engager dans une voie arbitraire où nous perdrions inévitablement nos raisons de vivre?

8. Les causes profondes de la désunion nationale que déplorent tous les véritables Canadiens, nous ne les trouvons pas dans l'enseignement, mais dans le fait que ces véritables Canadiens ne sont pas la majorité au Canada. Trop de nos concitoyens anglo-canadiens prolongent une allégeance sentimentale à l'endroit de leur pays d'origine. Le jour où ils décideront que leur première loyauté appartient au Canada, comme l'ont fait les Canadiens français depuis la cession du pays, nous n'aurons plus besoin de songer à rédiger un manuel d'histoire ni chair ni poisson, car ce jour-là,

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l'union nationale ne sera pas la généreuse utopie qu'elle a toujours été jusqu'ici, mais une belle et vigoureuse réalité. Quand nos associés de la Confédération accepteront le fait capital de notre présence au Canada, quand ils consentiront à nous traiter comme des égaux et à nous rendre justice, quand ils seront résolus, par exemple, à ne pas brimer nos minorités scolaires dans les provinces anglaises, quand ils ne chercheront pas toujours à nous isoler de la communauté nationale, quand, enfin, ils auront décidé que le fair play britannique tant vanté n'est pas un vain mot, mais une conception de vie, nous n'aurons pas besoin de saboter notre histoire pour vivre en harmonie et en paix.

9. Nous avons cru opportun de vous soumettre ce bref mémoire, car le Conseil de l'Instruction publique possède, tant par le prestige de ses membres que par la juridiction qui lui est conférée, l'autorité voulue pour sauvegarder les bases de notre système éducatif et pour donner, le cas échéant, le coup de barre nécessaire pour s'opposer à des empiétements préjudiciables à notre nationalité. La Société Saint-Jean-Baptiste de Montréal s'en tient à la position prise, lors du 21e congrès de l'Association d'éducation du Canada et de Terreneuve, par le secrétaire provincial, M. Hector Perrier, quand il disait: «Québec ne veut pas vivre en marge de l'évolution sociale, économique ou éducationnelle. Nous devons, cependant, dégager deux


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principes directeurs dont nous ne voudrons jamais nous départir. Premièrement, Québec réclame l’autonomie complète dans l'enseignement, c'est-à-dire, le respect des prérogatives provinciales, non seulement des prérogatives québécoises, mais de celles de toutes les provinces. Québec logera toujours une protestation formelle à toute ingérence du pouvoir central, ou plutôt, pour dire toute ma pensée, de la bureaucratie fédérale. Deuxièmement, Québec veut rechercher la solution des problèmes scolaires, non dans la centralisation et l'uniformité, mais dans une collaboration généreuse et une saine émulation entre les provinces.»

Nous vous soumettons donc respectueusement ce mémoire qui n'a pour but que d'attirer votre attention vigilante sur un point que nous jugeons essentiel. Nous voulons croire que vous le prendrez en bonne considération et que vous ne négligerez rien pour y donner suite. Il exprime, croyons-nous, l'opinion de la grande majorité des Canadiens français, celle aussi de tous les véritables Canadiens.

Montréal, le 6 juin 1944

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* * *

Imprimerie populaire, Limitée
430 est, rue Notre-Dame
Montréal"

1944.05
xxx. "Manuels scolaires", Relations, 41(mai 1944):113-114.

"L'uniformité et la gratuité des manuels scolaires sont des questions distinctes, mais que deux catégories de gens tiennent à confondre: les doctrinaires qui veulent rendre populaire l'uniformité regardée comme moyen de couler dans un moule unique les manifestations de la vie intellectuelle et autre, et les entrepreneurs en politique qui y voient une source intarissable de gros contrats d'impressions. En fait, aux États-Unis, un tiers des Etats qui ont légiféré sur l'uniformité ne subviennent pas aux frais des livres. En droit, ces deux problèmes méritent respectivement considération sérieuse et doivent être situés à leur place.

L'uniformité absolue des manuels scolaires, qui ne tolérerait qu'un manuel pour une matière dans toute la province, qui ne tiendrait pas compte des milieux urbain et rural, des psychologies féminine et masculine, du niveau des différents groupes d'élèves sousdoués ou surdoués, cette uniformité - qui est plutôt l'unicité - serait vite jugée par une saine tradition fondée sur l'expérience et surtout par les découvertes de la pédagogie moderne. L'idée rétrograde de l'unicité des livres irait à l'encontre des conclusions tirées en divers pays, aux États-Unis et dans d'autres provinces canadiennes, d'après lesquelles il faut offrir aux éducateurs un choix de quelques bons manuels pour la même matière dans le même degré; cette latitude tient compte des mentalités diverses et des particularismes régionaux ou locaux, rend possibles les initiatives non gouvernementales et organise l'amélioration des manuels sur les données de l'expérience.

En fait, notre législation scolaire consacre l'uniformité des manuels, puisque l'article 221, paragraphe 4, du Code scolaire (édition 1940) exige «que dans les écoles sous contrôle on ne se serve que de livres autorisés, qui doivent être les mêmes pour toutes les écoles de la municipalité». Cet article qui rend obligatoire l'autorisation officielle des manuels et l'uniformité à l'intérieur d'une même municipalité est conforme à la législation de trente-cinq des principaux Etats américains, où toutefois une liberté encore plus grande est souvent prévue en faveur des high schools.

La loi est catégorique: nous avons l'uniformité des manuels depuis 1899, plus stricte qu'ailleurs. Si la loi n'est pas observée, que le département de l'Instruction publique y voie!

Que veut-on de plus? Imposer l'uniformité aux maisons indépendantes qui, chez nous comme ailleurs, ne sont pas sujettes à ce règlement du Code scolaire? Mais l'enseignement, et donc les manuels, constituent l'originalité de ces institutions. Les parents sont libres d'y envoyer leurs enfants; s'ils les y envoient de préférence aux écoles ordinaires, c'est que l'originalité de leur enseignement et donc celle de leurs manuels leur agréent.

Que veut-on de plus? Se singulariser en Amérique au point de rendre obligatoire par décret l'unicité des manuels et de la méthode d'enseignement? Alors qu'on prenne la véritable enseigne, celle du totalitarisme fasciste.

LA GRATUITÉ des manuels scolaires est tout autre chose. Dissipons d'abord l'équivoque: il n'est pas d'imprimeur qui cède pour rien les livres qu'il imprime. La "gratuité" des manuels scolaires signifie donc tout simplement la distribution de manuels déjà payés par les contribuables de la municipalité ou de la province.

La distribution "gratuite" des livres de classe peut se faire de deux manières: a) on donne aux élèves les livres dont ils ont besoin; b) on prête aux élèves des manuels qu'ils cèdent ensuite à d'autres élèves. Cette dernière solution, moins coûteuse, est condamnée par les hygiénistes et avec tant de raison qu'on abandonne peu à peu cette méthode là où elle était utilisée. D'ailleurs, la remise à neuf des volumes chaque année s'avère très coûteuse et les pédagogues reconnaissent qu'un livre usagé perd beaucoup de son attrait pour l'enfant.

Quelle que soit la méthode employée, la gratuité des livres développe chez l'enfant et la famille la tendance à toujours compter sur l'État pour tout. Le sens de la responsabilité diminue, tout comme pour l'ouvrier qui se sert exclusivement des outils du patron, et l'on perd l'occasion précieuse, utilisée de plus en plus par les éducateurs, de former les enfants à l'achat coopératif.

[p. 113]

Ces inconvénients sérieux d'ordre éducatif ont empêché le principe de la gratuité de s'étendre à tous les accessoires de la vie scolaire: cahiers, plumes, crayons, etc., et même à tous les livres scolaires; dans la plupart des cas, il n'atteint qu'une partie seulement des manuels. Ils ont aussi fait que cette gratuité s'est présentée partout comme une initiative locale qui s'est ensuite généralisée; c'est que sur place le degré d'éducation des parents se discerne et l'organisation se contrôle plus aisément.

Malgré ces inconvénients, la gratuité des manuels scolaires peut être une excellente mesure; notre Code scolaire l'a adoptée en principe. L'article 221, par. 15, prévoit que la municipalité «doit fournir, à même le fonds scolaire de la municipalité, des livres aux enfants pauvres qui fréquentent les écoles sous leur contrôle». Le département de l'Instruction publique alloue même régulièrement une somme d'argent pour fournir des manuels aux indigents des municipalités pauvres. Mais l'article 222 surtout stipule expressément: «Il est loisible aux commissaires de fournir en tout ou en partie les livres de classe à tous les enfants qui fréquentent les écoles sous leur contrôle, à même le fonds scolaire de la municipalité»

Un octroi partiel du département de l'Instruction publique encouragerait peut-être les municipalités à se prévaloir de la permission du Code; il pourrait être accordé à condition, par exemple, qu'elles assument d'abord le coût des manuels pour tout enfant au delà du troisième des familles ayant quatre enfants ou plus, aux études. On laisserait ainsi des responsabilités à la famille, on stimulerait la persévérance scolaire, on n'obérerait pas le budget et on pratiquerait enfin une politique familiale.

Mais si le principe de la gratuité des manuels figure au Code scolaire, pourquoi n'a-t-il reçu aucune application même sur le plan local? C'est que les Commissions scolaires étaient souvent aux prises avec des déficits ou des états financiers qui les empêchaient de régler des problèmes autrement plus importants: construction d'édifices convenables, recrutement de professeurs masculins pour les garçons des campagnes, versement de salaires décents aux professeurs.

De même, si les circonstances ou l'opinion créent chez nos gouvernants une tendance définitive à la générosité en matière de finance scolaire et s'ils peuvent véritablement allouer un million et demi de plus - ce que coûterait chez nous la gratuité complète des manuels - en faveur de l'éducation dès septembre prochain, qu'on me permette de suggérer, avec instance, que l'on attribue immédiatement ce million et demi à la hausse des salaires des 9,000 institutrices rurales; ce qui permettrait de relever ces salaires d'environ 200 dollars en moyenne chacun. L'on commencerait ainsi à régler une situation depuis trop longtemps lamentable et l'on satisferait vraiment le désir de la population qui a, sur ce sujet, une opinion unanime. L'on ferait cesser les protestations indignées mais légitimes des institutrices et de ceux qui s'occupent de leur sort et l'on ferait disparaître en même temps le mauvais renom que la province s'attire par là à l'étranger. Surtout, ce qui est pressant, l'on ferait cesser la pénurie du personnel enseignant pour les milieux ruraux, pénurie due moins au manque d'institutrices qu'à leur refus légitime d'aller épuiser leur santé pour un salaire vraiment insuffisant; plus de mille institutrices qualifiées ont fourni leur nom à leur association, prêtes à retourner dans l'enseignement quand les salaires y seraient plus convenables.

Qu'on nous comprenne bien: fournir gratuitement des manuels scolaires, c'est bien, à certaines conditions, mais rajuster les salaires de l'enseignement, fournir des instituteurs, laïques ou religieux, aux fils de cultivateurs, bâtir des écoles, fournir au département de l'Instruction publique les services permanents essentiels dont l'absence le paralyse, etc., c'est mieux et ça presse. Quand Relations, en 1941, a parlé de la fréquentation scolaire obligatoire, des conditions étaient suggérées qui devraient rendre la loi opérante: la loi vint sans tenir compte de rien et régla tout sur le papier. Le rôle du législateur est de procéder avec ordre, sincérité et désintéressement, n'envisageant que l'amélioration du sort de notre demi-million d'écoliers et par là même l'honneur et la valeur humano-chrétienne de la nation." (p. 113-114).

1944.06
xxx. "Un manuel unique d'histoire", Relations, 42(juin 1944):141-142.

"Certaines gens rêvent d'un manuel unique d'histoire, qui inculquerait à tous les Canadiens un même patriotisme.

Le moyen d'obtenir l'unité nationale, est-ce par un récit identique de notre passé?

Plusieurs pays, où règne une grande liberté d'enseignement de l'histoire - et de tout le reste - ont réalisé une profonde unité d'action et de pensée. L'Angleterre et l'Écosse possèdent chacune leur système d'éducation. On ne raconte pas l'odyssée des Stuart à Édimbourg comme on le fait à Oxford. Pourtant, Écossais et Anglais s'entendent parfaitement pour former le Royaume-Uni. Chez nos voisins, l'instruction relève de chaque État. Les quarante-huit parties contractantes n'ont jamais éprouvé le besoin d'imposer une conception unique de leur histoire. Les Sudistes ont leur version de la guerre de Sécession, qui n'est pas la version de des Nordistes. Mais Nordistes et Sudistes, Californiens et Bostonnais, se rejoignent dans le commun amour de leur patrie.

En Suisse, deux religions se rencontrent, trois cultures s'affrontent, vingt-cinq cantons et demi-cantons y découpent un pays qui tiendrait entre Québec et Montréal et se partagent une population de quatre millions, le tiers du Canada, un peu plus que l'Ontario ou le Québec. La Suisse a vingt-cinq systèmes d'éducation, et chaque département y organise à sa façon l'enseignement de l'histoire, comme de toutes les autres matières. D'un canton à l'autre la cloison est étanche: de Berne à Fribourg, rien ne passe. Et cela se conçoit: comment parler de la Réforme dans Berne la protestante comme on le fait dans Fribourg la catholique? Chacune en parle à sa guise et laisse sa voisine en paix. Malgré cela, avec cela, la Suisse a réalisé son unité nationale et l'amour d'un Suisse pour sa patrie n'a pas d'égal au monde.

Grand comme l'Europe, le Canada voit fleurir chez lui un sain régionalisme. Les côtes de l'Atlantique, les rives du Saint-Laurent, les plaines de l'ouest, les Rocheuses et le Pacifique marquent et façonnent les habitants de ces régions immenses et diverses. On compte chez nous autant de systèmes d'éducation que de provinces. La culture, surtout, et la religion nous distinguent. Canadiens des deux races ont des manières différentes d'envisager les événements, l'histoire d'hier comme celle de demain. Le geste de Jacques Cartier plantant sa croix à Gaspé, au nom du Roi du ciel avant tout prince de ce monde, nous sépare beaucoup plus que la déportation des Acadiens, pardonnée depuis longtemps.

La vérité est une: il n'y a qu'une histoire, mais il est plusieurs façons de l'interpréter. Il est oiseux de se demander si plusieurs historiens de formation, de mentalité, de culture, de race, de langue et de religion différentes pourraient jamais s'entendre sur le sens des principaux événements de leur passé. Il est chimérique d'espérer que nous gagnions un jour les représentants de l'autre culture à la seule interprétation possible, selon nous, de tel ou de tel fait. Il serait triste de songer que nous devrions une fois de plus sacrifier à la bonne entente ce que nous avons de plus cher après notre foi, notre patrimoine historique, qui nous donne la fierté d'être ce que nous sommes et, continuant les gestes de nos pères, de marcher vers le progrès. Resterait une dernière alternative de compromis mutuels et de sacrifices réciproques. Sur l'autel de l'unité nationale, Canadiens des deux races devront-ils immoler une partie de leur passé? Solution bâtarde qui ferait de tous une race hybride.

Imitons les Écossais et les Anglais, les Nordistes et Sudistes étasuniens, les Suisses de culture française, allemande ou italienne. Gardons nos opinions et respectons celles des autres. Prenant notre parti de voir le voisin différer d'avis, ne cherchons pas - le cas est-il fréquent chez les nôtres? - à imposer de force nos façons de penser: réalisons l'unité dans la diversité.

Cela ne suffit pas. Il faut qu nous délimitions notre commune patrie et que, dans cette patrie bien définie, Canadiens des deux races se sentent chez eux partout. Tant que Canadiens anglais ou français n'éprouveront pas que leur patrie, c'est le Canada, tout le Canada, rien que le Canada, l'unité nationale est impossible.

[p. 141]

Le Canadien français sentira que sa patrie, c'est tout le Canada, quand il pourra vivre, sans craindre pour sa foi ou sa langue, dans le Canada tout entier, et qu'il aura sa juste part à l'administration de son pays. Le Canadien anglais éprouvera que sa patrie, c'est rien que le Canada, quand il ne sera plus tiraillé entre deux allégeances et deux amours. Le Suisse de culture allemande, française ou italienne, n'est pas allemand, français ou italien: il est suisse. Le Canadien de culture française n'est pas français: il est canadien. Quand le Canadien de culture anglaise cessera-t-il d'être citoyen de l'Empire, pour devenir Canadien?

Pour hâter la venue de ce jour, on pourrait canadianiser bien des choses et nous donner un drapeau canadien, une nationalité canadienne, une politique internationale canadienne, une vraie Cour suprême canadienne aux arrêts sans appel, et - puisque nous en avons une - une armée canadienne, pas des tronçons d'armée dispersés parmi les troupes impériales, mais une armée canadienne, commandée par des Canadiens, dont les membres, entraînés et payés par nous, ne seraient plus versés, à la proportions de dix contre un, dans la R.A.F., dont ils forment presque le tiers et qui en retire la gloire, sans en solder les frais.

Ces changements, et bien d'autres, qui découlent du Statut de Westminster, contribueraient à nous rendre plus fiers, plus patriotes, plus canadiens. Et l'on ne verrait pas le fils de M. L.-O. David, auteur des Patriotes de 1837, présenter au Sénat le projet bizarre - nous ne disons pas saugrenu - d'un manuel unique d'histoire. Et cet autre sénateur, ordinairement mieux inspiré, ne citerait pas en exemple Mein Kampf, qui a uni l'Allemagne, en la régimentant [sic]. Le Canada n'a que faire de ces méthodes totalitaires, que nous prétendons combattre ailleurs.

Vienne enfin ce jour, et tous les Canadiens, réunis dans le respect mutuel de leurs droits et dans l'amour unique de leur patrie, auront réalisé leur unité nationale." (p. 141-142).

1944.06
Godbout, Archange. "Enquête sur l'enseignement de l'histoire au Canada français", Culture, 5, 2(juin 1944):156-168.

"A voir les assauts répétés que subit notre enseignement de l'histoire, on est à se demander s'il ne constitue pas vraiment un obstacle à l'unité nationale. Il y a lieu surtout de rechercher si l'enseignement de l'histoire exerce le rôle qui lui convient dans la formation de l'homme. Il a semblé à Culture qu'il ne serait peut-être pas hors de saison d'inviter les professeurs, les premiers intéressés et non les moins compétents, à exposer leur point de vue. C'est le résumé de cette consultation que notre revue livre aujourd'hui au public.

Cinquante institutions, choisies parmi les plus représentatives, ont été invitées à se prononcer sur des interrogations précises. Trente-six ont répondu1 et, - il est bon de le signaler, - à deux ou trois exceptions près, avec un souci d'exactitude et une abondance de détails, qui montrent quelle importance elles attachent à l'enseignement de l'histoire.

Plusieurs correspondants sont des vétérans de l'enseignement, d'autres sont en réalité les porte-parole de leur institut ou de leurs collègues. Une maîtresse générale des études écrit:

«Les réponses présentées dans notre modeste rapport sont pour ainsi dire la résultante d'un travail accompli en collaboration. En effet, plusieurs maîtresses du cours primaire, supérieur et du cours secondaire ont été invitées à émettre sur le sujet leur opinion personnelle, d'après les données de leur propre expérience, notamment en ce qui concerne l'appréciation du manuel».
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[Note infrapaginale] 1 - Voici les noms de ces institutions:
Collèges classiques: Assomption; Chicoutimi; Gaspé; Mont-Laurier; Montréal: Petit Séminaire, Brébeuf, Grasset, Sainte-Marie, St-Ignace, St-Laurent, Ste-Croix; Nicolet; Québec: Petit Séminaire, Jésuites; Rimouski; Sherbrooke; Saint-Jean; Sainte-Thérèse; Trois-Rivières: Séminaire, Collège Saint-Antoine; Valleyfield (20)
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Congrégations de Soeurs: Chicoutimi: Servantes du Coeur Immaculé de Marie; Lachine: Soeurs de Sainte-Anne; Montréal: Ecole normale de la Congrégation N.-D., Collège Marguerite Bourgeoys; Nicolet: Soeurs de l'Assomption; Québec: Soeurs de la Charité; Sillery: Collège Jésus-Marie; St-Hyacinthe: Présentation de Marie; Trois-Rivières: Ursulines, Filles de Jésus (10).

Instituts de Frères: Arthabaska: Frères du Sacré-Coeur; Iberville: Frères Maristes; Montréal: Ecole normale Saint-Gabriel; Québec: Ecole normale Laval, Ecole normale de Mérici, Académie Commerciale (6).

[p. 156]

Même remarque nous arrive d'un collège classique: «Mes professeurs ont un peu tardé à me remettre leurs avis et suggestions. Et j'ai pris moi-même quelque temps à colliger ces résultats».

On aurait donc tort de mésestimer une voix qui est l'écho de tout notre corps enseignant.

ENQUÊTE

1. - Quel MANUEL d'histoire utilisez-vous? Quelles qualités et quels défauts lui reconnaissez-vous ?

Fait remarquable, l'Histoire du Canada des Clercs de St-Viateur est de beaucoup préférée à tous les degrés de l'enseignement primaire et secondaire. Le cours primaire d'histoire est utilisé durant la 4e et la 5e année; le cours intermédiaire de la 6e à la 9e année et au début du cours classique; le cours supérieur Farley-Lamarche, enfin, aux dernières années du cours d'étude. Une couple de collèges font dissidence, préférant pour leurs basses classes l'Histoire du Canada des Frères des Ecoles Chrétiennes.

Si le manuel de Viator a conquis à peu près tous les suffrages, c'est qu'il se recommande, dans le cours supérieur surtout, par d'éminentes qualités. On se plait à lui reconnaître «une objectivité évidente et patiemment voulue»; «le souci de faire connaître tout le Canada et non pas seulement la patrie canadienne-française»; de joindre à la narration «une appréciation autorisée des faits»; tout cela exposé avec clarté et sous un vêtement typographique agréable à l'oeil. Les sommaires et les résumés permettent de fixer des synthèses faciles à retenir, tandis que les cartes nombreuses invitent à suivre les explorateurs et les expéditions guerrières. Au dire d'une institutrice «les nombreuses lectures et sujets de devoir poussent les élèves à des études personnelles et à des recherches intéressantes».

Il n'existe pas, on en convient, de tableau sans ombre. «La Domination anglaise, fait-on remarquer, est moins attrayante que la Domination française». «La période qui suit la confédération, surtout, est trop superficielle». «Certaines questions, en particulier, la question des écoles, des universités dans les provinces anglaises, devraient être exposées en synthèse, au lieu d'être éparpillées selon l'ordre chronologique. Mais, surtout, elles devraient être traitées avec un peu plus d'ampleur». «Deux erreurs, souligne un professeur, sont à reprocher au manuel Farley-Lamarche:

[p. 157]

1. «Il parle toujours de «régime anglais»; 2. il considère le fédéral comme source des pouvoirs concédés aux provinces (p.384). Donc 1. il sous-estime l'indépendance canadienne et le Statut de Westminster; 2. il parle du pacte, de la Confédération, mais fait du fédéral un Parlement supérieur, source et concession-naire de pouvoirs aux législatures provinciales. D'où ambiguité [sic] quant à notre autonomie».

Certains ont signalé la sécheresse, l'aridité de ce manuel: « Aucun sentiment, même patriotique, aucune image, pas une seule phrase qui ne soit ordinaire». Reproche plus grave et communément formulé est la carence, en ce manuel, de vues synthétiques: «Il ne montre pas suffisamment l'enchaînement des événements et ne dégage pas assez les causes et les conséquences des principaux fait».

Pour combler cette lacune, bon nombre d'institutions ont recours au Précis d'Histoire du Canada de Rutché et Forget, jugé en général, «trop sec», «trop abstrait» pour en faire un manuel, mais recommandable par ses «beaux aperçus synthétiques».

Hâtons-nous d'ajouter que tant vaut le professeur, tant vaut la classe. Tout manuel de classe, note judicieusement une institutrice, n'a qu'une perfection relative. C'est un instrument auquel le maître doit faire rendre sa pleine valeur, en le complétant, en le vivifiant, en l'enrichissant de sa culture personnelle, en l'adaptant au niveau intellectuel de ses élèves à leur milieu, au genre de profession auquel ils se préparent

2. - Quel BUT poursuivez-vous par votre enseignement?

«Mon but unique, dans l'enseignement de l'histoire, affirme un professeur, est de donner la notion aussi exacte que possible de ce qui s'est passé», quitte à «porter une attention plus particulière à ce qui nous touche de plus près»; un autre voudra «faire connaître le passé, pour mieux comprendre le présent et éclairer l'avenir».

Certains, émerveillés par les traits glorieux exhumés du passé, s'efforcent de « faire revivre l'histoire nationale en la présentant comme une leçon de fierté et une leçon de foi», ou encore de «rendre leurs élèves fières d'être canadiennes et les convaincre qu'elles n'ont rien à envier aux autres races».

La plupart - et cela d'ailleurs est conforme à la consigne - y cherchent des leçons: «Le but de notre enseignement c'est de faire connaître les traits principaux de notre histoire et d'en tirer des leçons d'ordre moral religieux et national». Cicéron voyait déjà l'histoire sous cet angle lorsqu'il

[p. 158]

lui décernait le titre de magistra vitae. La discipline qu'on demandera à l'histoire sera surtout patriotique et, sans trop préciser ce que signifie chez nous le mot patrie, on écrira: «Nous étudions le «fait canadien-français» en vue de former le citoyen canadien-français» ou bien: «Par l'histoire nous espérons former des citoyens canadiens-français, patriotes convaincus», ou encore: «Le but est d'utiliser l'enseignement de l'histoire comme le grand éducateur de notre vie (avenir) nationale».

Les buts éducationnels assignés à l'enseignement de l'histoire sont ainsi récapitulés par un préfet d'études: «Formation générale par l'une des plus éducatrices de toutes les disciplines intellectuelles, à la fois concrète et idéaliste, scientifique et littéraire, positive et philosophique, apte à développer toutes les facultés, comme aussi à préparer à l'action par l'expérience, le stimulant et l'esprit de continuité du passé, qui explique le présent et contient l'avenir».

«Formation du patriotisme et, pour une part, du civisme; pour aider, servir sa patrie, il faut la connaître telle qu'elle est actuellement et surtout telle que le passé l'a faite et exige qu'elle soit... C'est le passé qui a créé la Patrie, c'est-à-dire: le sol où l'on vit, le cadre politique qui l'entoure, surtout la communauté de race, d'idéal, de valeur de civilisation et de culture, etc., toutes choses qui ne s'expliquent bien que par l'histoire

«Et notre incomparable passé peut être la source des plus nobles enthousiasmes, des plus généreux dévouements à la Patrie».

Notre passé canadien-français, tous l'admettent, est suffisamment rempli de gestes héroïques et de figures d'épopée pour nous remplir d'un légitime orgueil et nous rassurer sur l'avenir. Il ne serait pas inutile pourtant d'estimer la mesure de notre taille et de nous dire que cette mesure est, elle aussi, un héritage du passé. Faillite de la colonisation française, stagnation industrielle, esclavage économique, stériles querelles de partis, décadence des moeurs, fainéantise, alcoolisme, etc., etc., Toutes ces déficiences, tous ces vices devraient être étudiés dans notre histoire en eux-mêmes et par comparaison avec les peuples qui grandissent. L'histoire trop belle est une histoire faussée, qui pourra n'avoir pour résultat que d'endormir un peuple sur les lauriers de ses grands morts.

Au reste, l'histoire du Canada n'est pas que l'histoire de la race cana-dienne-française, et il serait grand temps de définir à quelle divinité s'adresse l'encens de notre patriotisme.

[p. 159]

3. - Croyez-vous mériter le REPROCHE «de créer la rancune et la haine» chez vos élèves?

Quand on considère que nos professeurs d'histoire sont en majeure partie des prêtres et des religieux, il est inouï qu'on puisse les accuser en bloc de manquer de justice et de charité. En fait, cette question a provoqué une dénégation formelle, sans exception aucune.

«Si notre enseignement créait la rancune et la haine, écrit un maître, il faudrait s'en prendre aux faits plutôt qu'à leur interprétation». «Serait-ce une raison pour passer sous silence les tentatives faites pour anéantir ce que nous avons de plus cher: religion, langue, nationalité?» Et alors est-il possible que «maîtres et élèves réagissent autrement qu'en catholiques et en canadiens-français?»

Quelques textes feront voir que même en ces circonstances, nos éducateurs sont à la hauteur de leur tâche:

«Bien que je n'aie jamais eu pour méthode, écrit l'un, de taire les choses, qu'elles soient défavorables ou non aux différents groupements ethniques qui peuplent le Canada, je m'efforce assez d'expliquer les mobiles des individus ou des collectivités, d'en faire la psychologie avec un plein souci de justice et d'honnêteté, pour être convaincu de ne pas mériter le reproche de créer la rancune et la haine chez mes élèves».

Ailleurs, même son de cloche: «Nos professeurs tâchent de montrer la précieuse collaboration des autres races à l'édification du Canada, et l'avantage pour notre pays d'unir les qualités ethniques et culturelles de deux grandes races. A propos de certains événements litigieux, ils tiennent compte des idées de l'époque, du milieu historique et psychologique où vivaient les personnages, voire même des aspects accidentels de la morale, mais sans jamais appeler bien ce qui fut mal, ni mal ce qui fut bien».

Les instituteurs anglo-canadiens sont-ils plus soucieux d'impartialité à l'égard de leurs compatriotes français? Et pourtant, il y a mieux encore. Un professeur de collège se donne ce brevet: «J'enseigne à respecter les autres races dans ce qu'elles ont de respectable et à imiter les vertus de nos voisins. J'insiste sur nos défauts ...»; et telle porte-parole d'une de nos premières communautés enseignantes signe cette déclaration: «Il n'est pas rare que nous signalions à l'admiration des élèves un législateur, un gouverneur, un général anglais».

Les faits passés existent. Soit. Mais ont-ils l'influence qu'on leur attribue? Plus d'un souscrirait, j'en suis sûr, à cette réflexion d'une institutrice

[p. 160]

école normale: « S'il y a de la haine au coeur de certains canadiens, ce n'est vraiment pas l'école qui l'y a fait naître. Elle s'est souvent éveillée au contact de faits vécus, non de faits appris».

4. - Ne serait-il pas opportun de créer des cours de civisme, à l'exemple de la France et des Etats-Unis? Ce cours de civisme, ayant pour objet, entre autres, de former le citoyen patriote, ne garantirait-il pas à l'histoire son. objectivité, en permettant de ne plus faire de l'enseignement de l'histoire, comme telle, une façon de développer le patriotisme de l'élève?

Avant d'exposer les réponses données à cette question, il n'est pas inutile de souligner que les cours de civisme n'ont rien de commun avec l'Instruction civique, de C.-J. Magnan. Le civisme est tout simplement le dévouement à la chose publique ou, si l'on veut, le patriotisme en action. Le citoyen, doué de civisme, s'emploiera donc de tout son pouvoir à la grandeur et à la prospérité de sa patrie. Cela suppose évidemment qu'il aime sa patrie, qu'il connaisse l'étendue de ses devoirs envers sa patrie, qu'il sache surtout ce qu'il doit appeler du nom de patrie.

Or, certains mettent «une distinction essentielle entre citoyen et patriote». Pour eux le Canada n'est pas la patrie: «On peut être bon citoyen, affirment-ils, sans reconnaître que sa patrie s'étend de l'Atlantique au Pacifique». A quelle entité va donc l'amour dû à la Patrie?

A moins de rester platonique, l'amour doit se résoudre en action. Et l'on se rend compte qu'en pays démocratique, où le peuple participe au gouvernement, l'influence du citoyen devient considérable. Mais quels sont ses devoirs? A qui les doit-il? Quel mobile puissant le portera à les remplir? Autant de questions auxquelles un cours de civisme devrait répondre.

Plusieurs professeurs, tout en admettant l'utilité d'un cours de civisme, se retranchent derrière l'étendue actuelle des programmes. «Nos élèves, remarque quelqu'un, ne sont pas des Pic de la Mirandole». Personne ne le conteste. Tenons compte seulement de l'échelle des valeurs. La collaboration de tous à la grandeur de la patrie compense amplement l'ignorance d'une page de géographie, voire même d'histoire.

D'autres estiment que l'objectivité réclamée par l'histoire peut se concilier avec la culture du patriotisme. L'un va même jusqu'à dire: «Jamais les cours de civisme, les plus perfectionnés soient-ils, ne pourront remplacer la leçon du plus parfait civisme que nous offre l'histoire nationale». Signalons

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l'équivoque, qui a assez duré, entre patrie et race canadienne-française. Ne remplaçons rien. La question reste: Le Canada est-il notre patrie? Que lui devons-nous?2

A peu d'exception près, les professeurs d'histoire se sont prononcés en faveur des cours de civisme. Les uns, cependant, à la suite de M. Esdras Minville (Enseignement Secondaire ... 1944, p. 394), les voudraient greffés, pour ainsi dire, sur les autres matières enseignées, tandis que les autres, qui sont la grand majorité, en feraient une matière spéciale. Citons l'abbé Tremblay, de Chicoutimi: «J'applaudirais chaleureusement l'institution de cours de civisme. J'ai même projeté et suggéré la rédaction d'un petit manuel du citoyen canadien, comme il en existe aux Etats-Unis. Je voudrais bien que cette oeuvre se réalisât le plus tôt possible et par des éducateurs compétents, avant que les des hommes «intéressés» le fassent au profit d'une propagande».

«S'il y avait des cours exprès de civisme, l'enseignement de l'histoire du Canada serait certainement plus libre de demeurer objectif et moins soupçonné de ne pas l'être».

Plus d'un sera peut-être heureux d'apprendre que l'expérience a été tentée chez les Soeurs de Ste-Anne à Lachine: La Soeur Marie-du-Bon-Secours (Lic. Péd., Lic. Phil., M.A., Maître en Hist. du Can. de l'U. de M.) écrit: «Ayant eu l'avantage de suivre des cours de civisme de Me F. Chaussé aux sciences sociales, en 1935-36, je me fais un devoir de donner ces notions à mes élèves, qui se montrent très intéressées. Je trouve ces notions indispensables pour la formation du citoyen patriote».

5. Les AUTRES PROVINCES et les AUTRES NATIONALITÉS DU DOMINION reçoivent-elles leur juste part dans votre enseignement?

Il faut convenir que chez nous les élèves des écoles primaires et des écoles modèles ne sont guère renseignées sur les provinces soeurs, puisque leurs manuels, - ceux de Viator, les plus en usage, - se ferment à la confédération.

Par contre, le cours supérieur de Farley, au dire de tous les professeurs, à une exception près, est suffisamment complet, si l'on tient compte surtout des commentai-res personnels du chargé de cours.
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[Note infrapaginale] 2. - Nous recommandons sur la question: P. Georges Simard, O.M.I., «Le Canada d'aujourd'hui et de demain», dans Revue de l'université d'Ottawa, 1938; Alexander Brady et F. R. Scott, Canada after the war, et surtout l'Encyclique de S. S. Pie XI, sur l'Education de la Jeunesse (texte dans l'Act. Pop., 1930).

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Voici, du reste, les réflexions pertinentes d'un préfet d'études, réflexions qui traduisent assez exactement la pensé de tous:

Les autres provinces et les autres nationalités reçoivent leur juste part dans notre enseignement, compte tenu de leur importance numérique et surtout historique; compte tenu aussi de cette obligation très légitime de mieux connaître, mais sans exclusivisme, nos frères par le sang, la religion et la communauté d'aspirations plus particulières.

L'histoire du Canada de Farley et Lamarche, comme aussi la géographie, contribue à mieux faire connaître ces provinces, ces groupes différents, en particulier les minorités canadiennes-françaises des autres provinces. Mais, il va de soi qu'il est bien difficile de parler de l'histoire de ces provinces avant leur existence, pour la plupart assez récentes (v.g. les provinces de l'ouest), ou d'accorder la même importance à des provinces qui ont joué un rôle inégalement important par suite de leur âge et de leur développement.

N'oublions pas que le groupe français est au Canada depuis plus de trois cents ans, et qu'il a vraiment fondé le Canada. Et puis, c'est le nôtre.

On n'aurait peut-être pas tout à fait tort d'ajouter avec une institutrice, d'avoir fait au-delà de son devoir: «Il n'y a pas à se demander ce que font les autres provinces: on nous ignore, nous, les gens de Québec».

6. - L'HISTOIRE ÉCONOMIQUE, SOCIALE, CULTURELLE est-elle traitée à l'égal de l'histoire politique et militaire?

Des instituteurs ne saisissent peut-être pas toute l'importance de ces aspects de l'histoire, aussi croyons-nous devoir consigner ici cette réflexion d'un de leurs collègues:

L'histoire politique et militaire, et peut-être pour longtemps encore, est plus développée que l'histoire économique, sociale et culturelle. Je considère cependant, et cette conviction s'accentue chaque jour davantage, que, pour les leçons indispensables de civisme qui relèvent de l'histoire, il faut donner une insistance particulière aux faits sociaux. Aussi je prétends, et crois démontrer que l'histoire sociale principalement explique l'établissement et la survivance du groupement français au Canada: d'où une attention spéciale à l'organisation sociale, seigneuriale et paroissiale en Nouvelle-France; ce sont les paysans français établis et fixés au Canada qui ont fait notre peuple. Je tire des leçons équivalentes des données de l'histoire économique et culturelle, parce qu'elles contribuent également à «expliquer» notre caractère traditionnel, nos défauts ou nos qualités.

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Un bon nombre d'ouvrages ont paru, ces dernières années, sur l'histoire du Canada envisagée à ces points de vue, mais les manuels n'ont pas emboîté le pas. Un professeur de collège croit pouvoir écrire: «Notre manuel est fort incomplet et vague sur les questions économiques, sociales, culturelles et religieuses. Par contre, les récits de bataille surabondent, surtout au cours de la période française. Par exemple, une page et demie consacrée à Dollard, deux pages à Madeleine de Verchères et une demi- page à Marie de l'Incarnation ...»

Et, pour la période anglaise: «De 1760 à nos jours, la documentation fait défaut à certains endroits. L'histoire politique prend peut-être le pas sur l'autre».

Une excuse existe. L'imagination de l'enfant est plus captivée par l'exploit de Salaberry que par l'évolution de la culture du blé; aussi, quelques professeurs inclineraient-ils à renvoyer en philosophie l'étude de l'histoire économique et sociale.

Peu nous chaut. Ce qui importe, c'est que nos petits Canadiens connaissent leur pays.

7. - Que pensez-vous DU MANUEL «UNIFORME» pour tout le Dominion?

Notre enquête sur l'enseignement de l'histoire était amorcée avant que le «manuel uniforme» ne suscitât des altercations politiques. Raison de plus pour nous y intéresser. Qu'on veuille bien cependant remarquer que nous ne nous ferons ici comme ailleurs que le simple rapporteur des idées communiquées par notre professorat.

A considérer la réaction unanime de nos correspondants contre le manuel «uniforme», il faut au moins conclure que l'idée n'est pas mûre.

Ce n'est pas qu'on considère le projet comme tout à fait désavantageux pour notre nationalité. Un opposant a pris soin de le noter: «Ce sont les Canadiens français probablement qui retireraient le plus d'avantages du manuel «uniforme»: ils connaîtraient leurs voisins et surtout its en seraient mieux connus».

Mais on a été épouvanté par la transformation radicale que la majorité anglaise - elle agira ici comme ailleurs - fera subir à nos manuels:

On ne voit pas comment l'histoire un peu détaillée du régime français pourrait intéresser les élèves de la Colombie britannique, par exemple; et les détails des origines de cette province nous intéressent moins et ont moins d'importance pour nous que la fondation de Montréal. L'histoire de l'Eglise catholique,

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capitale pour nous, peut-elle intéresser les élèves des institutions protestantes des autres provinces? On peut dire la même chose des luttes scolaires, civiles et religieuses dans le Bas-Canada sous le régime anglais. En somme, la raison fondamentale de notre opposition à un manuel unique est la suivante: l'histoire commune des provinces du Canada commence seulement en 1867; avant cette date, les différentes régions du Canada ont une histoire particulière qui n'a pas la même importance et le même intérêt pour tout le pays. Pour l'étude de cette période, un manuel adapté à la province de Québec serait insuffisant pour les autres provinces, et vice versa.

Loin de tendre à l'uniformité, on pousse au contraire à une plus grande disparité: « Même les manuels de langue française devraient être un peu différents selon les provinces, ou les groupements de provinces, afin de permettre une étude plus complète de l'histoire régionale, celle du Manitoba, par exemple, ou celle des Provinces Maritimes».

Ces réflexions ont leur poids, surtout si l'on tient compte des considérations suivantes: «Ce n'est pas ce manuel «uniforme» qui réglera nos différends, car ils ne dépendent pas de l'enseignement de l'histoire»; et ceci : «Je ne connais pas de pays qui ait fait par ce moyen «l'unité nationale».

Le manuel «uniforme» supposé admis, il faudra compter avec la résistance de l'âme canadienne-française chez ceux qui considèrent que «ce projet va à l'encontre de toutes nos résistances pour la conservation de notre caractère ethnique et religieux depuis 1760». «Les Canadiens français, professeurs et élèves, continueront longtemps - ils le font depuis trois cents ans - à juger à travers le prisme de leur personnalité».

Les faits parleront aussi différemment aux deux races du Canada: la bataille des Plaines d'Abraham sera toujours pour l'une une défaite, et pour l'autre, une victoire.

Un instituteur, et non des moindres, prophétise ainsi, sur la destinée du manuel unique: «Condamnés» à absorber une formule officielle d'histoire du pays, les élèves s'en désintéresseraient vite. . , et les professeurs, soucieux d'instruire et de former leurs élèves, s'émanciperaient de cette chose banale et donneraient un cours d'histoire à leur gré. Pour ma part, je ne m'attacherais certainement pas à répéter une erreur imprimée au nom de la «bonne entente», ou à subir les silences fautifs d'un manuel trop incomplet, fût-il couvert par la solennité des sceaux officiels».

Déjà avant la guerre, l'«Association d'éducation du Canada et de Terre-Neuve» avait pris l'initiative de faire accepter par tout le Canada le

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manuel d'histoire «uniforme». Les mises en garde qui précèdent feront voir à nos gouvernants combien grosse de contradictions, et peut-être de conflits, est la mesure préconisée. On ne voit pas cependant, en vertu de quel principe on empêcherait l'Etat, tant provincial que national, de mettre la main sur nos manuels, surtout si on les considère comme des manuels de civisme; Sa Sainteté Pie XI n'affirmait-il pas dans une Encyclique récente que «l'Etat peut exiger et, dès lors, faire en sorte que tous les citoyens aient la connaissance nécessaire de leurs devoirs civiques et nationaux, puis un certain degré de culture intellectuelle, morale et physique, qui, vu les conditions de notre temps, est vraiment requis par le bien commun" (Encyclique sur l'Education chrétienne de la Jeunesse, édit. Act Soc. Pop., p.21.).

8. - L'enseignement de l'histoire donne-t-il, dans votre établissement quelque importance à l'HISTOIRE DE L'ANGLETERRE, DES ETATS-UNIS, de l'AMÉRIQUE LATINE et des PEUPLADES INDIGÈNES du continent?

Oui, répond une voix, par la formule égocentrique que voici: « L'importance que ces pays et ces peuples méritent par rapport à notre propre pays et à notre propre race». Ce qui est expliqué par une autre, de cette sorte:

L'enseignement de l'histoire du Canada doit avoir pour corollaire l'enseignement: A) de l'histoire de la France qui s'est occupée du Canada pendant 200 ans; B) de l'histoire de l'Angleterre à laquelle notre politique est liée depuis 1760; C) de l'histoire des Etats-Unis, pays qui nous domine économiquement depuis près d'un siècle; D) de l'Amérique latine, qui prend à l'heure actuelle une importance singulière à cause du panaméricanisme et des projets de rapprochement que laissent entrevoir nos hommes politiques; E) on ne peut parler des travaux de nos missionnaires et de nos explorateurs sans accorder une large attention aux peuples indigènes alliés ou ennemis.

En dépit de cette aspiration d'étudier l'histoire du monde en fonction de l'histoire du Canada, ou si l'on veut, de la race canadienne-française, le manuel rêvé n'existe encore qu'à l'état de projet. On se réjouira, nous n'en doutons pas, de cette confidence d'un docteur en histoire:

Je puis vous dire qu'on a compté sur moi pour la rédaction d'un manuel nouveau d'histoire universelle fait pour les collèges canadiens, et dans lequel

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on tiendrait compte des «desiderata» exprimés. En gros, le plan esquissé et en voie de réalisation était le suivant: moins d'histoire de France (car nous nous servions et nous nous servons encore, comme manuel d'histoire «universelle», des simples «manuels d'histoire» - française et universelle à la fois - qui ont cours dans les établissements secondaires de France); plus d'histoire d'Angleterre, surtout depuis le XVIe siècle; ce qui nous mène tout droit à une vue de l'histoire des Etats-Unis, depuis l'époque coloniale jusqu'à nos jours; et enfin une vue générale de l'histoire de l'Amérique dite «latine», c'est-à-dire de tous les Etats distincts, en Amérique, du Canada et des Etats-Unis. Bien entendu, il aurait été tenu compte des races indigènes des «trois» Amériques. Je n'ai malheureusement pas été capable de mener la tâche à bonne fin... Dans mes cours d'histoire moderne et contemporaine, j'ajoute les classes nécessaires pour compléter notre programme actuel que j'ai toujours trouvé inadapté à notre condition de peuple américain.

L'initiative constatée ici se retrouve chez la plupart des professeurs d'histoire du cours classique. Ils suppléent à l'insuffisance des manuels par des leçons puisées à l'Histoire générale d'Achard aux cours de Malet-Isaac, de Guiraud-Aimond, quelquefois même à des hebdomadaires comme le New York Times. Ils se trouvent ainsi en mesure de renseigner suffisamment leurs élèves sur l'ossature et le prodigieux destin des deux colosses qui se disputent actuellement notre allégeance politique, ou au moins économique, la Grande-Bretagne et les Etats-Unis.

Pour ce qui est de l'Amérique latine, «comment les professeurs s'en seraient-ils inquiétés, souligne un éducateur, quand notre «intelligentia» [sic] vient à peine de la découvrir»? C'est l'avis quasi unanime: «L'Amérique latine n'a pas encore l'importance qu'elle mérite et qu'elle devra avoir dans l'avenir». Il en sera parlé, espérons-le, en dehors du cours de géographie.

Tout le monde chez nous connaît les Hurons, leurs cousins les Iroquois, et quelques tribus Algonquines, non parce que ces peuples ont possédé jadis le pays que nous occupons, mais parce que nos missionnaires les ont évangélisés. Aussi sont-ils aujourd'hui assez négligés. Quant aux Indigènes des Amériques centrale et mérédionale [sic], remarquables à plus d'un titre, «l'auteur de Un monde était leur empire est, sauf erreur, le premier à en avoir parlé». Le dédain qui atteint les « sauvages» que nous avons dépouillés, s'étend à tout le nouveau monde: «Je ne crois pas qu'il faille donner tant d'importance à l'histoire des peuplades indigènes du continent. C'est une question que je laisserais à l'étude des spécialistes».

[p. 167]

CONCLUSION

Voilà, en un raccourci peut-être trop dense, les résultats d'une enquête qu'on a qualifiée «très intéressante et très opportune». Sans «remettre périodiquement tout en question», il n'est pas sans utilité pour les éducateurs de faire de temps à autre leur examen de conscience professoral afin de satisfaire à des exigences nouvelles. «Le questionnaire que vous avez adressé aux professeurs d'histoire, nous confie une institutrice, m'a fait prendre connaissance avec plus de précision du but de mon enseignement». Notre enquête n'eût-elle provoqué que ce travail d'introspection, qu'il y aurait lieu d'être satisfait.

Un regret nous reste, c'est d'avoir été forcé de négliger d'intéressants aperçus, par exemple sur la valeur d'humanité de l'enseignement historique. Nous y reviendrons peut-être quelque jour.

Les données ici rassemblées donnent une excellente idée des programmes et de la méthode dans l'enseignement de l'Histoire chez les canadiens-français. Si, comme le notait quelqu'un, «la préparation du professeur n'est pas toujours suffisante", on n'a rien à reprocher à sa bonne volonté.

Dans la plupart des maisons d'éducation, nous l'avons signalé au passage, l'histoire prend une teinte patriotique: auteurs et instituteurs ont à coeur de magnifier la race. De là, de sourdes hostilités avec ceux qui rêvent d'une «patrie canadienne». La guerre, héritage de millénaires de barbarie, finira ici, comme ailleurs, nous l'espérons du moins, par calmer ses fureurs."

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1944.10.28
Lebel, Maurice. "La composition française - «Comment raconter»", Le devoir, 28 oct. 1944, p. 8

"Le R.P. Philippe Deschamps, C.S.V., professeur de Seconde au collège Bourget (Rigaud) et professeur de méthodologie du français à l'Ecole de Pédagogie de l'université Laval (Québec), vient de publier le livre du maître de la composition française pour les classes de Quatrième et de Troisième. Ce manuel, intitulé Comment raconter, est le quatrième de la série que l'auteur prépare méthodiquement depuis une quinzaine d'années sur la composition française au cours classique. Le Père Deschamps, en effet, a eu l'heureuse idée de composer, pour les élèves et les professeurs de nos collèges, une série d'ouvrages, où il présente l'enseignement de la composition française d'une façons méthodique et graduée en rapport avec le développement intellectuel de l'élève. Ainsi, après avoir publié Comment Décrire pour les classes de Sixième et de Cinquième, l'auteur publie aujourd'hui Comment raconter pour les classes de Quatrième et de Troisième. Et nous aurons bientôt, espérons-le, le dernier volume pour les classes de Seconde et de Première.

Songez à ce qu'était, il y a à peine vingt ans, l'enseignement de la composition française dans nos collèges. Aucun manuel gradué à l'usage des élèves. Quelques leçons de grammaire française. De rares explications de textes. L'éloquence ampoulée des faux discours patriotiques. L'étude de gros manuels de préceptes littéraires, appris en vase clos, pour ainsi dire, sans rapport avec les textes et la pratique. Mais, par bonheur, la situation a beaucoup changé depuis quinze ans. Pour sa part, le Père Deschamps a bien vu les défauts de notre enseignement de la composition. Aussi a-t-il entrepris énergiquement de remédier, dans la mesure du possible, à cette fâcheuse situation, en composant des ouvrages spécialement destinés aux maîtres et aux élèves de la province. Voilà qui est autrement intelligent et constructif que les critiques stériles de nos nombreux réformateurs en chambre et les juvénales bâclées des éminents pédagogues de l'Ordre ou du Jour. On ne saurait trop souligner le rare mérite du Père Deschamps. Il aura contribué plus qu'aucun autre à la réalisation du voeu qu'il forme lui-même à la fin de la préface: «Puisse ce manuel aider nos professeurs de français à mieux remplir leur tâche, et nos élèves, à écrire convenablement leur langue maternelle et à l'aimer. Nous préparerons ainsi une génération d'écrivains qui feront, un jour, l'honneur de la littérature canadienne».

La préface du manuel, en plus de tracer le plan du livre, abonde en renseignements utiles sur la méthode à suivre dans l'enseignement de la composition française. Puis, l'auteur fait des «suggestions pratiques pour la distribution des textes en classe». Avouons que bien peu de manuels, même ceux qui sont le mieux faits, indiquent au professeur la façon de s'en servir pour en tirer le meilleur parti possible. Le père Deschamps, lui, ne craint pas, avec raison, de multiplier les conseils. «Avec le peu d'heures que nous consacrons», écrit-il «à l'étude du français dans nos classes de grammaire, il faudrait tout un semestre pour en arriver à la seconde partie du manuel: le récit... Il va sans dire que le maître, lui, doit posséder à fond toute cette théorie littéraire. C'est lui qui dirige l'élève dans son travail et qui lui fournit les explications nécessaires. Mieux le devoir sera préparé, mieux les élèves répondront ... Quant à l'exercice de rédaction, il ne faut pas oublier qu'il doit suivre l'étude du texte. Le but de cette étude est d'amener l'élève par son travail personnel à s'assimiler les procédés de style et de composition du modèle". On ne saurait mieux dire. Le manuel, si bien fait soit-il, n'est pas tout. Encore faut-il que le maître, intelligent et cultivé, sache s'en servir.

Les chapitres sur le style et la versification, que l'auteur annonce pourtant dans sa préface, ne se trouvent pas dans le livre du maître, mais dans le livre de l'élève. On relève ici et là des citations, par exemple, de Jacques Rivière, de Miss H. N. Scott et du Dr. J. P. Hartog sans références précises au bas des pages. D'autre part, les chapitres sur la phrase et sur le paragraphe sont pratiques et excellents, bien qu'ils soient peut-être un peu trop courts; c'est la première fois que l'on aborde le sujet sous cet angle dans un ouvrage canadien et même, pourrait-on ajouter, dans un ouvrage français: on y trouvera des notions de stylistique fort judicieuses mais trop peu connues en général. Quant aux notes au bas et souvent même au milieu des pages, elles ne manquent certes pas de sel attique: fondées sur l'expérience et l'observation, elles valent souvent mieux que de longs cours de pédagogie.

Dans la partie centrale du livre (pp. 33-282), l'auteur traite du récit, qui est, d'après lui, «l'exercice par excellence pour développer l'imagination, former la sensibilité, cultiver le mode d'expression». Les élèves d'aujourd'hui, beaucoup mieux partagés que leurs aînés à cet égard, peuvent s'entraîner à écrire des récits romanesques simples, émouvants, voire humoristiques (les Anglais n'ont jamais eu le monopole de l'humour), ou encore des récits historiques, descriptifs, légendaires. C'est plus qu'il n'en faut pour devenir un romancier. Que de beaux modèles de récits ne trouve-t-on pas dans ce manuel! Sur trente-deux textes étudiés - le manuel est muni d'un Index des auteurs et d'un Index des textes étudiés - douze sont empruntés à la littérature canadienne-française. (Si nous ne nous aimons pas nous-mêmes, qui donc va nous aimer?) Par parenthèse, l'auteur analyse, ce qui ne manque pas de piquant, un extrait de La rue des Forges (1932) de M. Phyl. LaFerrière: l'esprit critique des élèves peut ainsi se développer dans le concret aux dépens d'un auteur canadien. Mais c'est peut-être faire du même coup trop d'honneur à Phyl. LaFerrière lui-même.

En appendice, on trouvera une étude de la lettre (pp. 285-324) et de l'analyse littéraire (pp. 327-346). L'auteur s'intéresse naturellement à la lettre d'ordre littéraire. Mais les beaux textes qu'il cite à cet égard sont peut-être de nature à dérouter quelque peu de jeunes élèves, car ils n'auront jamais à écrire des lettres de ce genre. D'ailleurs, on n'en écrit presque plus aujourd'hui: nous vivons à l'âge d'or de la T.S.F., des morceaux choisis, des résumés et des nouvelles: on vise à faire vite et court. Aussi peut-être eût-il mieux valu citer d'autres textes que ceux, par exemple, de Madame de Sévigné et de Jean-Jacques Rousseau. Les élèves se reconnaîtraient mieux dans des lettres d'auteurs contemporains et il en est de fort belles; ils deviendraient vite familiers avec le genre d'aujourd'hui. Quant aux lettres de reproches, ne nous arrive-t-il pas souvent de les jeter au panier après les avoir écrites? En affaires, en tout cas, la lettre de reproche tend de plus en plus à disparaître, car le client, paraît-il, a toujours raison.

Comment raconter ne saurait manquer de rendre de précieux services aux professeurs de français de nos diverses maisons d'enseignement. Si ces derniers s'assimilent lentement la méthode de l'auteur et s'ils suivent ses conseils judicieux, ils contribueront sans doute, leur culture personnelle aidant, à former des esprits clairs et cultivés, car on ne le répétera jamais trop souvent, la composition française reste et doit rester l'exercice de base, formateur et culturel par excellence de notre cours classique proprement dit. Ils contribueront aussi à préparer une génération d'écrivains français chez nous, et cela n'est pas peu dire. Le Père Deschamps, lui, aura fait plus que sa part pour hâter cette réalisation, en publiant ce livre du maître qui est à la fois utile, attrayant et bien fait. Il aura eu ainsi l'insigne honneur de servir la langue française que nous aimons tous passionnément. Maurice Lebel, professeur à l'Université Laval (Québec)."

1944.12
Bray, Alain de. "Les manuels scolaires", L'école canadienne, 20, 4(déc. 1944):165-168.

"On peut parfois trouver mieux que le manuel pour l'enseignement de certaines matières scolaires; on peut également réagir contre l'abus qu'on en. fait. Mais on n'arrivera jamais à le supprimer complètement. Il est donc à propos de travailler à l'amélioration de cet instrument pédagogique dont on ne saurait se passer. La question de la revision [sic] des manuels scolaires n'est pas nouvelle, elle est peut-être aussi vieille que leur existence; mais de nos jours elle prend une tournure plus radicale, elle aspire à des transformations profondes plutôt qu'à de simples retouches. D'ailleurs, le manuel, étant l'outil didactique le plus employé, ne saurait échapper au mouvement scientifique qui s'empare de la didactique elle-même. C'est de cet aspect scientifique de la revision [sic] des manuels scolaires que nous voudrions vous parler dans le présent article, car il ne suffit pas de rafraîchir les gravures d'un livre de classe, de lui donner une couverture nouvelle ou d'en changer les caractères d'imprimerie pour s'écrier avec enthousiasme: "Voici un manuel nouveau et bien au point". Ce serait beaucoup trop simple pour être scientifique. D'ailleurs les instituteurs ne se trompent pas sur la valeur de tels remaniements; au contraire, ils en sont cruellement déçus après avoir espéré l'avènement du chef-d'oeuvre didactique qu'on semblait leur promettre.

On entend souvent dire que le manuel n'a qu'une importance très secondaire à l'école, que c'est le maître qui compte le plus dans une classe. On fait le procès de l'enseignement livresque comme étant nuisible à la formation de l'enfant. On va même jusqu'à dire qu'un bon maître se passe facilement de manuels. Tout cela peut être vrai, quand on ne considère que le professeur. Mais l'écolier, lui, a besoin de livres pour étudier ce que son maître lui enseigne, pour maîtriser les connaissances qui forment le fond de l'instruction. Pour que l'enfant apprenne, il lui faut un instrument d'étude en rapport avec sa nature, ses intérêts et ses besoins; en un mot, il lui faut un manuel dont il puisse se servir. [p. 165]

Ne faisons pas le procès de nos manuels scolaires en nous basant sur le professeur et son enseignement; nous n'aurions alors qu'une idée incomplète de la valeur didactique de nos manuels, et il serait aisé de les trouver tous bons. Basons-nous plutôt sur l'enfant, considérons le point de vue apprentissage plutôt qu'enseignement, et nous aurons des critères de validité plus certains.

Si nous feuilletons la plupart de nos livres de classe, nous ne pouvons nous empêcher d'y remarquer certains points qui, sans amoindrir la valeur du travail de ceux qui ont composé les manuels, montrent toutefois qu'il y a encore beaucoup à faire dans le domaine didactique. Voici quelques-uns de ces points.

Pourquoi, par exemple, les grammaires destinées aux écoliers suivent-elles l'ordre établi par l'Académie pour les diverses parties du discours? S'il s'agit de la grammaire comme science, l'ordre établi a sa raison d'être. Mais l'écolier de la quatrième ou de la cinquième année a-t-il réellement besoin d'un manuel de science? Ne lui faudrait-il pas plutôt un livre qui lui enseigne à maîtriser sa langue maternelle en suivant les étapes correspondant au mode de comprendre de son cerveau d'enfant? L'article doit-il passer avant le nom ou le pronom venir avant le verbe? Mystère; tant qu'on n'aura pas étudié sérieusement la question d'une façon purement didactique. On pourrait en dire autant des manuels autres que la grammaire. Ils ressemblent souvent à ces statues figées depuis des siècles dans la même pose, qui prouve qu'elles n'ont pas de vie.

Pourquoi la plupart des règles ou des genres de problèmes semblent-ils avoir à peu près la même importance, si l'on en juge par le nombre d'exercices qui les accompagnent? Est-ce que les règles de "'foudre"' et de "'feu"' ont la même importance que celles de l'accord de l'adjectif avec le nom?

Pourquoi les grammaires du cours élémentaire contiennent-elles un si grand nombre de règles, dont quelques-unes semblent avoir une portée pratique assez douteuse? Les écoliers assimilent-ils vraiment une bonne partie de ces règles ou, au contraire, se trouvent-ils désemparés devant une telle abondance de notions formant une agglomération tellement compliquée et diffuse qu'ils n'y distinguent même plus ce qu'ils avaient entrevu auparavant ?

Pourquoi certaines explications données dans les manuels sont-elles si peu claires pour l'élève qu'il n'y comprend rien ou presque? Je suis peut-être naïf, mais il me semble qu'un manuel, fait pour des élèves, devrait être écrit dans un style à leur portée, sans que le maître soit obligé d'expliquer l'explication d'une règle ou d'un problème.

Ce sont là quelques-unes des questions, parmi bien d'autres, que se posent ceux qui considèrent d'une part l'enfant qui apprend, l'écolier, et d'autre part son outil d'apprentissage, le manuel.

* * *

II serait difficile d'améliorer notre didactique sans transformer son principal auxiliaire, le manuel. Cette question est à l'honneur depuis quelques années; on en a parlé. Il a même semblé qu'on ait donné le branle au mouvement. Sans doute, ce mouvement est-il très ample, ou pénible; on n'en perçoit encore que de faibles oscillations. D'autres pays nous ont devancé dans le domaine des transformations didactiques. La tentation est forte parfois de s'emparer des méthodes étrangères et de les acclimater chez nous. A priori, ce procédé paraît plus rapide; mais l'est-il réellement? Vu les différences parfois très marquées qui existent entre les peuples, même voisins, l'implantation de systèmes étrangers entraînerait nécessairement une foule de retouches ou de mises au point qui [p. 166] feraient perdre à l'oeuvre originale sa valeur didactique. Il semble, d'autre part, que notre fierté professionnelle serait en quelque sorte blessée de se voir réduite au rôle de copiste alors qu'elle aspire naturellement à celui de créatrice. D'ailleurs, ne pouvons-nous pas trouver, chez nous, ce qu'il nous faut pour mener à bonne fin une entreprise même aussi vaste que celle de la transformation des manuels? Ce qui nous manque le plus, c'est une conception plus scientifique de la question, une connaissance plus exacte de la technique dans la composition des livres de classe. Si nous n'avons pas encore de pédotechniciens tout formés, un travail de ce genre marquerait certainement une étape très importante de leur apprentissage. Pour la façon de procéder, nous pourrions nous renseigner à l'étranger, là où l'on a déjà produit quelque chose de très bien. La science est universelle; il n'y a que ses produits qui soient régionaux. Voyons ce que la didactique expérimentale peut nous offrir pour la solution de ce problème.

* * *

Le problème didactique de la composition d'un manuel scolaire paraît se présenter sous trois faces: Quoi enseigner? Comment l'enseigner? Quand l'enseigner?

Savoir exactement ce qu'on veut faire apprendre aux écoliers avant de composer un manuel. La matière est abondante, mais quelle en est la partie que l'on doit enseigner aux diverses catégories d'enfants qui fréquentent nos écoles? Ne pèche-t-on pas par excès en voulant montrer beaucoup de choses, faire acquérir un grand nombre de notions? Je me demande toujours à quoi serviront les règles de la suppression et de la répétition de l'article à un élève qui finira son cours en sixième ou en septième année. Si elles sont essentielles, très bien. Mais qu'on le prouve. On répondra qu'on ne connaît pas l'avenir, que l'enfant poursuivra peut-être ses études. Un bon test d'habileté mentale nous renseignerait assez fidèlement sur les aptitudes intellectuelles de notre élève et nous indiquerait le degré auquel il atteindra d'après sa capacité. D'ailleurs, si l'enfant venait à poursuivre ses études, ne serait-il pas encore temps de lui enseigner ces règles compliquées? Sans tomber dans le pragmatisme absolu, il faut tout de même admettre que l'enseignement doit avoir un but utilitaire. Il est nécessaire de tenir compte de ce que l'enfant aura besoin dans la vie réelle avant de tracer des programmes et de composer des manuels.

Mais comment arriver à composer des manuels répondant aux exigences de la vie réelle? C'est là le rôle de l'enquête: renseigner sur ce que demande la vie. Je me représente mal un compositeur de manuels, si savant soit-il, assis à son bureau de travail, consultant grammaires, arithmétiques, histoires, géographies, etc. et pigeant par-ci par-là ce qui lui semble convenir le mieux à renseignement primaire. Malgré lui, il sera porté à faire entrer dans son manuel en formation le plus de faits ou de règles possible. Le champ des connaissances humaines où il puise est si vaste qu'il se dira, en lisant chaque page des auteurs qu'il consulte: "Mais ceci est important; on ne peut l'omettre dans un manuel scolaire." A plus forte raison, si, au lieu d'être pédagogue, il est avant tout grammairien, mathématicien ou géographe. L'enquête, elle, est insensible à tous ces penchants bien humains; elle est froidement objective. Prenons, par exemple, le cas de la grammaire. Comment une enquête peut-elle nous indiquer les règles à enseigner ou à omettre?

Il est important de savoir d'abord où faire les recherches. Le langage est parlé ou écrit. Il existe entre ces deux formes d'expression des différences qu'il serait utile de connaître; mais une enquête sur le langage parlé est trop difficile. Alors quels textes allons-nous prendre? Ceux des écrivains [p. 167] célèbres ou ceux de n'importe qui? Personnellement, je crois que les journaux nous offrent un meilleur champ d'activité. Il s'agit de composer une grammaire pour l'école primaire ou, en d'autres termes, de définir un idéal vers lequel doit tendre tout homme moyen dans l'apprentissage de sa langue maternelle. Si nous consultons les écrivains éminents, n'allons-nous pas porter cet idéal trop loin et le rendre inaccessible à la moyenne? Le quotidien est écrit pour le peuple, dans un style correct, mais à la portée de la plupart des gens. Le quotidien a aussi l'immense avantage de traiter d'une foule de sujets et de fournir ainsi un échantillon assez représentatif des divers genres de style. Quant aux écrits de toutes provenances, lettres, billets des parents, etc., je n'ose pas dire que tous serviraient au recensement des fautes de grammaire, mais au moins une bonne partie d'entre eux.

Alors, si nous recherchions les règles de grammaire employées dans les divers articles des quotidiens de la ville de Montréal ou de la province de Québec, ou encore des quotidiens français d'Amérique, nous pourrions ainsi établir la fréquence d'emploi de chaque règle. Le travail de recherche terminé, nous pourrions comparer entre elles les diverses règles et les classer selon cette fréquence. Si une règle se rencontre cinq cents fois quand une autre n'apparaît qu'une fois, il est clair que la première mérite une attention plus grande que la seconde, parce qu'on aura plus d'occasions de remployer. Ainsi, deux règles figurent au programme de sixième année: celle de l'accord du verbe avec des sujets de différentes personnes et celle de foudre. Il paraît évident, même sans enquête, que la première a une fréquence d'emploi de beaucoup supérieure à l'autre. On peut même dire que la règle de foudre devrait disparaître des manuels de l'école primaire puisque, même en temps de guerre, on ne rencontre pas ce mot au masculin.

Pour entreprendre une recherche de ce genre, il n'est pas besoin d'être pédotechnicien. Il faut cependant très bien connaître la grammaire, afin de ne rien laisser passer; il faut surtout beaucoup de patience. Le travail est considérable; il semble même impossible pour un individu qui n'y pourrait consacrer que quelques heures de temps à autre. Mais imaginons ce qu'un groupe assez considérable d'instituteurs parviendrait à compiler pendant une journée de six heures, et nous verrons que la tâche est relativement facile.

Quand nous aurons découvert ainsi les règles les plus employées dans le langage ordinaire, il sera beaucoup plus facile de composer une grammaire à la fois simple et pratique. Nous aurons fait le partage entre l'essentiel, l'utile et le superflu.

Malheureusement, le travail ne sera pas terminé. Il restera à savoir quand et comment enseigner chacune des règles. Les recherches deviendront plus compliquées et surtout beaucoup plus longues. Heureusement que la didactique expérimentale viendra à notre secours et que le pédotechnicien sera là pour nous guider. Dans un prochain article, nous tâcherons de donner un aperçu du chemin qu'il nous faut encore parcourir."

Page modifiée le : 17-05-2016
 

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