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Sources imprimées

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1941

Magnan, Jean-Charles. Programme général à l'usage des écoles moyennes et régionales d'agriculture - Guide technique, pédagogique et administratif pour l'enseignement agricole du degré intermédiaire. Québec, Ministère de l'agriculture, 1941. 111 p.

"Les manuels.

Les manuels ne doivent être que des résumés des matières enseignées; bien faits, ils font gagner du temps et rendent de grands services au maître. Cependant, le [p. 37] meilleur est encore celui préparé par le maître lui-même qui y résume la matière enseignée et l'adapte aux conditions locales.

En raison de la perte de temps occasionnée et du peu d'instruction des fils de cultivateurs, les cours dictés par les professeurs et copiés par les élèves ne sont pas recommandables. Pour l'usage des élèves, il faudrait des cours préparés, polygraphiés et rédigés en langage simple. Les textes de ces écrits ne doivent pas être appris par coeur, mais raisonnés, étudiés et compris par les auditeurs. Ils constituent la quintessence de chaque matière enseignée." (p. 38)

1941.10
Laurendeau, André. "Nos écoles enseignent-elles la haine des Anglais? - A propos des manuels d'histoire du Canada", L'action nationale, 18(oct. 1941):104-123.

"On mène contre l'enseignement de l'histoire du Canada, tel qu'il se pratique dans nos écoles, une sourde campagne. Elle s'est exprimée d'abord par l'intermédiaire d'un hebdomadaire montréalais qui se spécialise dans la primeur des mensonges pernicieux. On y parlait de culture systématique des préjugés, d'antibritannisme honteux, etc. Bref, le type classique de la diffamation sournoise, à quoi l'on doit répondre par le silence.

Mais depuis ce temps, la calomnie, obéissant aux lois décrites par le Basile de Beaumarchais, après avoir sifflé dans les marécages, a soudain éclaté au grand jour et trouvé des parrains dont l'autorité personnelle est autrement impressionnante. Ainsi, le 24 avril dernier l'honorable Hector Perrier faisait en Chambre une critique apparemment nuancée des manuels d'histoire du Canada; et dans son livre Ton histoire est une épopée, publié vers la même époque, l'abbé Arthur Maheux ne craignait pas d'écrire: «Commentés par des rigoristes, tels manuels instillent, lentement et sûrement, la haine». L'honorable Perrier est Secrétaire de la Province, c'est-à-dire qu'il remplit chez nous quelques-unes des fonctions d'un ministre de l'Instruction publique. M. l'abbé Maheux occupe la chaire d'histoire du Canada dans l'une des

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deux grandes universités canadiennes-françaises. On peut dire que l'accusation porte désormais l'estampille officielle; elle est lancée non seulement contre les auteurs des livres incriminés, mais contre toutes les maisons d'éducation utilisant ces manuels et coupables de laisser prêcher la haine à notre jeunesse.

Les termes dont s'est servi l'honorable Secrétaire de la Province sont on ne peut plus modérés. Au Canada, affirmait-il en substance, «chaque race apprend à peu près exclusivement la contribution de son propre groupe et ce qui concerne les autres groupes est ignoré. Comment alors, dans ces conditions, former une véritable unité nationales?»» M. Perrier souhaitait qu'un jour notre pays tout entier possède un manuel unique d'histoire du Canada. Les Anglais apprendront ainsi à notre sujet des choses qu'its ignorent. Quant à nous, nous verrons que «si nous avons dû lutter pour garder nos droits, nous les avons gardés grâce aux institutions britanniques qui nous ont donné plus de liberté que partout au monde, et que c'est grâce à elles que nous avons maintenu intactes la beauté et la grandeur de nos origines canadiennes-françaises»». En d'autres termes, nos manuels (je n'ai pas à m'occuper de ceux de langue anglaise) ont le tort de ne point adopter le ton de la Propagande: c'est un bel hommage à leur rendre. Mais malgré la retenue des mots, la critique est radicale. Car s'il faut changer nos manuels, c'est qu'ils ne sont pas bons; et si on les condamne au nom de l'unité nationale, c'est apparemment qu'ils sont des agents de désunion.

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J'arriverai tantôt à la question de savoir si nos manuels sont des agents de désunion. Pour l'instant, demandons-nous si les Canadiens français ont le droit d'enseigner l'histoire selon leurs propres points de vue (pourvu que ce soit dans les bornes de la justice et de la vérité). Il nous apparait que oui, et que c'est même l'une des formes essentielles de notre particularisme. Si nous avons droit à l'existence, nous avons droit à notre histoire: il nous est permis de nous raconter à nous-mêmes cette existence, de prendre notre histoire particulière comme sujet d'étude; si nous avons droit à notre présent, nous avons droit aussi à notre passé, comme y ont droit également les Anglo-Canadiens. S'il est vrai que l'Acte de 1867 a consacré une longue évolution - l'évolution de notre peuple vers l'autonomie, je ne dis pas vers l'indépendance totale, - la réforme partielle, en apparence inoffensive, proposée par M. Perrier va droit contre l'esprit de 1867. Un pédagogue anglo-canadien affirme même que la réalisation d'un tel projet ferait plus de mal que de bien à l'unité canadienne: imaginez quelles récriminations élèveraient contre tel ou tel passage les Canadiens de l'une ou l'autre origine ethnique; on a dit, et c'est vraisemblable, que le manuel unique deviendrait «un véritable nid à chicane». Ou bien l'on viderait l'histoire de toute substance, et nos enfants se trouveraient devant un schéma exsangue, sans efficacité, sans enseignements.

Au surplus, si l'on se met à réclamer des manuels «uniques» au nom de l'unité nationale, on se prépare à aller loin. Car l'enseignement de

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l'histoire n'est point le seul agent de différenciation entre Anglais et Français du Canada. Ainsi les conceptions de morale sociale,1 avec leurs conséquences politiques et économiques, diffèrent d'un groupe ethnique à l'autre, et nous en apprenons les rudiments à l'école. Pour cimenter l'unité nationale, imposerait-on le manuel unique de morale sociale? J'y vois certaines objections, et sans doute aussi M. Perrier. Et ce n'est là qu'un exemple choisi entre mille. En d'autres termes, celui qui propose une modification doit prévoir les répercussions que celle-ci entraînerait logiquement: quand on touche aux fondations, c'est tout l'édifice qui tremble.

M. l'abbé Maheux, lui, va à la fois moins loin et beaucoup plus loin. Moins loin car, bien que sa thèse y conduise, il ne propose point le manuel unique d'histoire du Canada. Mais il se montre plus explicite: là où M. Perrier se contentait de laisser entendre, il affirme: «Commentés par des rigoristes, tels manuels instillent, lentement et sûrement, la haine». Le premier membre de la phrase n'en restreint guère la portée: «commentée par des rigoristes», n'importe quelle science devient dangereuse; un exalté trouverait le moyen, à partir d'un théorème ou d'une thèse d'ontologie, d'«instiller» la haine. Si le professeur de Laval a pris la peine d'écrire cette phrase, c'est qu'il en veut aux manuels eux-mêmes, c'est qu'à son opinion les auteurs ont pris soin d'y déposer, si je puis dire, de la graine de fanatisme. M. l'abbé Maheux veut
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[Note infrapaginale] 1 V.g. sur la question de la famille, maintes fois abordée ici quand nous défendions l'autonomie provinciale.

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seulement laisser entendre que les dits manuels s'avancent masqués et qu'en prenant bien soin de ne point le laisser voir, ils se dressent comme autant d'«obstacles . . . sur la route de la bonne entente entre les deux groupes canadiens».

«Tels manuels», écrit notre auteur. On aimerait savoir lesquels, comme on aimerait savoir à quels «livres mis entre les mains de la jeunesse» M. Maheux en a, et qui, chez nous, réclamera jamais «une école de nationalisme du type japonais», ou «une campagne de haine à l'Angleterre, genre italien».1 Ces dénonciations omnibus, surtout quand on croit pouvoir compter sur des lecteurs anglo-canadiens, manquent d'élégance, de justice et de précision.

Car l'attaque n'a jamais été précédée ou suivie, à ma connaissance, d'une analyse un peu serrée des manuels. On se contente de leur faire, en gros, un procès de tendances. Estimant que le sujet en vaut la peine, nous avons conduit l'été dernier une enquête auprès des collèges classiques de la province, des commissions scolaires de Montréal et de Québec. Il s'agissait de savoir quels manuels sont actuellement en usage dans nos écoles.
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[Notes infrapaginales]
1 Ton histoire est une épopée, page 3.

2 Voici le résultat de notre enquête: toutes les écoles de la Commission scolaire de Montréal et de Québec utilisent l'Histoire du Canada, cours élémentaire et intermédiaire par Viator, ainsi que l'Histoire du Canada de Lamarche et Farley. Sur les 23 collèges qui nous ont répondu (nous avions écrit à 28), pour leurs classes supérieures, dix-huit se servent du manuel Lamarche et Farley, quatre de celui de Rutché et Forget, un des deux à la fois; pour l'enseignement élémentaire, on se sert tantôt de l'Histoire du Canada de Viator, et tantôt de celle des Frères des Écoles Chrétiennes.

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Les faits une fois connus, nous nous sommes posé la question suivante: quels épisodes de notre histoire pourraient donner lieu à une prédication anglophobe, hypocrite ou flagrante? C'est d'abord à notre avis, le moment même de la conquête anglaise et des premières années qui l'ont suivie; puis la rébellion de 1837-38, crise la plus aigue [sic] du régime anglais; puis, la question de loyauté au régime politique actuel s'étant déjà posée, le jugement porté sur la Confédération canadienne; l'épisode de Riel et le ministère Mercier; enfin la conscription de 1917. Tels sont, il me semble, les moments où Anglais et Français du Canada se sont heurtés le plus violemment, ont pu, les uns à l'égard des autres, manifester le plus d'animosité. Un écrivain qui désirerait soulever les haines de race choisirait précisément ces points-là, et les exploiterait ouvertement ou de façon détournée. C'est là que l'antibritannisme fleurirait le plus à son aise.

Que disent les manuels sur ces épineuses questions? Quelles leçons notre jeunesse reçoit-elle ? Nous demandons aux lecteurs de nous suivre dans nos recherches: ils seront ensuite à même de réfuter
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[Note infrapaginale] Tels sont donc les cinq manuels en usage dans la grande majorité des institutions québécoises: l'Histoire du Canada, cours moyen, des Frères des Écoles Chrétiennes (que, pour la rapidité de l'exposition, nous désignerons par les initiales F.E.C.), l'Histoire du Canada, cours élémentaire et intermédiaire, des Clercs de Saint-Viateur (Viator I et II), l'Histoire du Canada par les RR. PP. Paul-Émile Farley et Gustave Lamarche, C.S.V. (Lamarche-Farley), enfin un manuel d'un type spécial, où les auteurs «se sont moins préoccupés de conter que de grouper les faits, d'en montrer la genèse et la subordination», le Précis d'Histoire du Canada du P. Joseph Rutché et de Mgr Anastase Forget (Rutché-Forget).

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les accusations lancées contre l'enseignement historique au Canada français.

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I. LA CONQUETE ANGLAISE

a) Les horreurs de la guerre

La conquête du Canada fut marquée par des dévastations systématiques. Garneau les rappelle synthétiquement: outre la destruction presque totale de Québec, «(les côtes de Beaupré, l'île d'Orléans et, sur la rive droite du fleuve, trente-six lieues de pays, contenant dix-neuf paroisses . . . (furent) dévastées»; «les habitants de ces campagnes, qui avaient perdu leurs maisons, leurs meubles, presque tous leurs bestiaux.... (durent), en retournant sur leurs terres avec leurs femmes et leurs enfants, s'y cabaner à la façon des sauvages» etc.1 En 1760, Murray remonte le fleuve pour opérer la jonction de son armée avec celles d'Amherst et d'Haviland. Chemin faisant, «Murray avait reçu la soumission de quelques paroisses, et en avait incendié d'autres, comme celle de Sorel, où il y avait un petit camp retranché ... A Varennes, il fit publier qu'il brûlerait les campagnes qui ne rendraient pas les armes, et que les Canadiens incorporés dans les bataillons réguliers, s'ils ne se hâtaient d'en quitter les rangs, subiraient le sort des troupes françaises
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[Note infrapaginale] 1 F.-X. Garneau, Histoire du Canada, 5e édition, tome II, pp. 257-58. L'abbé Groulx rapporte les mêmes faits avec plus de détails dans ses Lendemains de conquête, pp. 22 à 26. Il y eut des scènes navrantes. On évoque malgré soi la destruction du Palatinat par les armées de Louis XIV, au siècle précédent.

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et seraient transportés avec elles en France» etc1. Dans les deux cas, il s'agissait d'affamer le pays et surtout de désorganiser l'armée de Montcalm et de Lévis en forçant les miliciens canadiens à réintégrer leurs foyers. La méthode se révéla efficace à la longue, mais inspira à Wolfe, dans une lettre au général Amherst, la remarque suivante: «Vos ordres ont été exécutés; nous avons fait beaucoup de mal et répandu la terreur des armes de Sa Majesté dans toute l'étendue du golfe. Mais nous n'avons rien ajouté à sa gloire».

Voilà donc un beau sujet pour le fanatisme. Que vont devenir toutes ces horreurs sous la plume des auteurs de manuels

Viator I. Rien.

Viator II. «Pour se venger de cet échec (débarquement manqué à les Anglais avaient pillé la côte de Beaupré, l'île d'Orléans et les campagnes de la rive sud, incendiant les églises et au delà de mille quatre cents fermes». C'est tout.

F.E.C. «Les campagnes furent ravagées. Dans l'île d'Orléans et sur les côtes voisines, on ne voyait plus une seule maison debout, ni une personne vivante. Des femmes et des enfants étaient détenus comme prisonniers dans les camps. Les curés restés dans leurs paroisses furent les premiers maltraités: on hacha celui de Saint-Joachim à coups de sabre».

Lamarche-Farley. «Wolfe faisait entreprendre la dévastation méthodique des campagnes. Jusqu'à plus de soixante milles au-dessous de Québec, on dévasta les terres et les villages, parfois avec l'inhumanité la plus révoltante». Plus loin, pour expliquer la détresse extrême de la colonie en 1760: «La guerre elle-même, la réquisition du bétail au profit de l'armée ennemie, l'incendie d'un grand nombre de fermes de miliciens en service, surtout aux environs de Sorel [par Murray, mais les auteurs ne le disent pas], avaient ruiné les colons depuis longtemps appauvris par les friponneries de l'intendant Bigot».

Rutché-Forget. Rien.
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[Note infrapaginale] 1 F.-X. Garneau, op. cit., pp. 277-8.

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L'exposé est donc partout rapide et, quand on songe à ce qu'il aurait pu devenir dans un livre inspiré par la haine, assez sobre. Aucun antibritannisme là-dedans. Wolfe est partout traité comme un héros, et quant à Murray, nous verrons tout à l'heure ce que les manuels en disent. Leurs reproches les plus véhéments ne vont point contre l'envahisseur, mais contre Bigot et sa clique, c'est-à-dire contre des Français.

b) Le régime militaire

Une fois la conquête terminée, le pays fut dirigé par des militaires, jusqu'à la conclusion du traité de Paris. L'instant est grave et lourd d'embûches: l'ennemi d'hier est devenu le maître d'aujourd'hui et c'est l'un des capitaines vainqueurs, Murray, qui occupe les fonctions les plus importantes.

Garneau est sévère pour ce régime dit militaire, et l'abbé Maheux (Ton histoire est une épopée, pp. 27-29) parait croire que les historiens canadiens continuent de porter le même jugement. Cela est-il vrai ?

Viator I et II. Pas de commentaires.

F.E.C. Cette formule en passant: «Sous le despotisme du gouvernement militaire ...»1

Lamarche-Farley. « Nos premiers historiens jugèrent avec sévérité ce premier genre d'administration, et le regardèrent comme une violation des capitulations de Québec et de Montréal. En réalité les habitants ne subirent que l'inévitable; et le Régime militaire, en dépit de son nom, n'imposait
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[Note infrapaginale] 1 A noter que ce manuel date de 1916, Viator I de 1916 et Viator II de 1915. Tous trois devraient être remis à jour, car il s'est fait bien des découvertes historiques depuis vingt-cinq ans!

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rien de vraiment odieux.» Cela est amplement démontré par les faits rapportés.

Rutché-Forget. Commence par la même remarque que Lamarche-Farley. Puis: «Les Canadiens eux-mêmes ont reconnu l'équité de ce régime militaire ...» Sans doute il y eut des difficultés à surmonter, mais «on ne peut appeler tyrannique un (tel) régime . . . » etc. Enfin: «Comme il arrive souvent en pareil cas, les militaires qui gouvernaient le Canada avaient acquis, dans la longue lutte, le respect et l'estime de ce peuple de braves qu'ils avaient combattu » ...

Un manuel «unique» pourrait-il être plus objectif ?

c) Nomination de Mgr Briand

Dès le début du régime anglais se posa le problème religieux. Un petit peuple catholique entrait dans un empire agressivement protestant. Le vainqueur permit l'exercice du culte. Mais accepterait-il, malgré son antipapisme, la nomination d'un évêque par Rome? Il commença par refuser. La question était capitale, car l'absence d'évêques, donc, à plus ou moins brève échéance, l'extinction du clergé, signifiait la mort du catholicisme au Canada. Nos historiens, surtout Chapais et Groulx, ont bien vu l'ampleur et les répercussions possibles du conflit - comme l'avaient fait du reste les contemporains, qui défendirent leur cause avec énergie et persévérance. Ils l'emportèrent enfin: Londres permit officieusement à M. Briand de se faire sacrer évêque.

Mais la lutte avait été chaude. On avait été en butte à des préjugés religieux - explicables sans doute, si l'on se replace dans l'atmosphère de l'époque, - et nos auteurs de manuels sont tous des clercs catholiques. Comment réagiront-ils ?

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Viator I et II et F.E.C., sauf erreur, passent l'affaire sous silence.

Lamarche-Farley résument la question en vingt lignes, sans insister le moindrement sur nos difficultés et sur la longueur du délai. A peine a-t-on l'impression d'un vrai conflit.

Rutché-Forget. Même attitude. Les auteurs montrent bien le principe en jeu.

d) Murray

Sir James Murray, premier gouverneur anglais du Canada, vient d'être «réhabilité» par l'abbé Maheux. Mais la question se pose: l'avions-nous maltraité tant que cela ? Une réhabilitation s'imposait-elle? Murray fut-il la victime posthume des animosités de races? Nos manuels « instillent»-ils la «haine» à son endroit? Voyons plutôt:

Viator I. «Murray s'attira l'affection des Canadiens français par ses bons procédés, son esprit de justice et son zèle à soulager la misère qui avait suivi la guerre. Il aimait les Canadiens et écrivit dans un rapport au roi que c'était la race la plus brave et la meilleure du globe». Il fut combattu ici par une poignée de fanatiques anglais, mais «le roi approuva sa conduite».

Viator II. L'auteur se résume ainsi: «Le gouverneur Murray, qui aimait les Canadiens, les exempta du serment du test et permit l'usage des lois françaises en certains cas». Citation de Murray faite plus haut.

F.E.C. Les ordres donnés a Murray furent des «mesures déloyales», mais celui-ci «permit l'usage des lois françaises et n'exigea point le serment du test et la remise des armes». Accusé d'avoir favorisé les Canadiens, il se défendit en dénonçant les Anglais sectaires de la colonie.

Lamarche-Farley. «Heureusement, Murray comprit mieux que Londres les besoins de la colonie; if sut ménager autant que possible les justes réclamations des habitants.» Citations tirées de la correspondance de Murray, et sympathiques aux Canadiens.

Rutché-Forget. «Murray eut beaucoup d'égards pour les Canadiens.» Il maintint une «noble attitude», il «plaida la cause des Canadiens avec une loyauté qui lui fait le plus grand honneur, dénonça les vils marchands anglais, et mena en somme une politique «de conciliation». Il reconnut même la nécessité de la langue française.

[p. 114]

Nous nous attendions à du dénigrement: nous trouvons de l'enthousiasme. De qui se moque-t-on ici? ...

II. LES PATRIOTES DE 1837-38

Dans le Haut-Canada, cette guerre civile eut surtout des motifs politiques. A ces causes, s'ajoutèrent chez nous des raisons d'ordre économique (à cause de la «politique des terres» pratiquée par l'oligarchie anglaise, nous étions «embouteillés» dans les vieilles seigneuries), d'ordre social et culturel; comme l'abbé Groulx et M. Gérard Filteau l'ont prouvé, nous étions un peuple gouverné «contre lui-même». Aussi la lutte prit-elle bientôt une allure «raciale».

Jamais un écrivain sectaire ne pourrait imaginer un plus bel instrument de division. Voyons comment nos manuels jugent ces événements:

Viator I. Après avoir montré la justice de la cause des Canadiens, en lutte contre les Gouverneurs et l'oligarchie, l'auteur regrette les violences de Papineau et du «très petit nombre» de ceux qui «n'écoutèrent pas les sages conseils du clergé, et se révoltèrent».

Viator II. En dit à peu près autant, et conclut qu'on peut admirer le courage des Patriotes, mais que «l'insurrection armée était illégitime et téméraire».

F.E.C. met en relief les responsabilités gouvernementales; rappelle cependant le mandement de Mgr Lartigue contre les Patriotes, et appelle les projets de ceux-ci des «projets insensés et séditieux».

Lamarche-Farley se résument eux-mêmes en ces termes: «L'insurrection de 1837-38 fut le fait de l'infime minorité de la population. Elle était injustifiée et vouée à l'inévitable insuccès. Cependant Downing Street et la Clique du Château portent une large part des responsabilités de cette guerre civile».

Rutché-Forget portent à peu près la même condamnation en insistant particulièrement sur les fautes des Patriotes.

[p. 115]

Loin d'être au delà de la vérité, nos manuels restent timidement en deçà. La plupart se montrent incomplets dans l'étude des causes. Non seulement ils ne sont pas « antibritanniques», mais par peur de l'antibritannisme, et sans doute parce que les plus importantes études sur la tragédie de 1837 furent publiées après eux, sans doute aussi à cause de l'attitude prise à l'époque par le haut clergé, ils n'osent pas ou ils ne peuvent pas décrire l'ensemble de la situation.

Est-ce à dire que cédant au goût du jour pour les réhabilitations nous allons canoniser les Patriotes et glorifier toutes leurs attitudes? Non. «Il y a lieu de condamner, mais il y a lieu de changer la formule de la condamnation; et il y a lieu de juger avec plus de modération, plus de nuances que dans le passé.»1 Nous sommes loin en tous cas de l'anglophobie «lentement et sûrement» instillée. . .

III. -LA CONFEDERATION

Aprement discuté dès avant son instauration, le régime politique actuel n'a pas encore rallié tous les suffrages. S'il faut en croire les divers et considérables personnages qui dénoncent le séparatisme québécois, notre province renfermerait un lot imposant de citoyens déloyaux au système fédératif. Doit-on tenir nos manuels d'histoire responsables de cet état d'esprit? Comment racontent-ils la naissance du régime de 1867?
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[Note infrapaginale] 1 Une heure avec l'abbé Groulx à propos de '37, l'ACTION NATIONALE, juin 1936. Lire également l'Histoire des Patriotes de Gérard Filteau, dont la presse n'a pas suffisamment parlé.

[p. 116]

Viator I. Rapporte sèchement les événements, sans commentaires; son récit donne toutefois du régime une idée favorable.

Viator II. Idem. «Les rivalités de races et les préjugés politiques furent mis de côté».

Lamarche-Farley étudient les causes et la marche des événements, et remarquent qu'il s'agit d'un «compromis pour unir deux nationalités différentes de langue et de religion dans un État unique, tout en sauvegardant pour chacun ses légitimes aspirations».

Rutché-Forget. «L'idée de la Confédération surgit du bon sens et de la logique même des chefs canadiens». «L'A.A.B.N. est une des plus belles chartes démocratiques, équilibrant dans une merveilleuse harmonie les intérêts des provinces avec celui de l'ensemble du pays».

Il n'y a pas, dans les manuels, de mot d'ordre séparatiste; il y a même exactement le contraire.

IV. L'AFFAIRE RIEL ET MERCIER

Lisez-vous l'Histoire de la province de Québec de Robert Rumilly? L'auteur vient de consacrer les tomes v et vi - les meilleurs - de cette histoire à Riel et à Mercier. Vous comprendrez en les parcourant ce que l'affaire Riel représente dans notre histoire politique. Elle détermina une crise violente en dressant l'une contre l'autre les provinces de Québec et d'Ontario; encore un peu, et elle devenait le tombeau de la Confédération. On assista à un débordement de haine. Et la réaction canadienne- française s'exprima dans la personne d'un chef: Honoré Mercier.

On sait que l'origine du conflit se trouve dans l'injuste traitement infligé aux Métis par les fonctionnaires et les politiciens d'Ottawa. C'est cet aspect surtout qui a frappé les auteurs des manuels d'histoire du Canada. Lisons-les plutôt:

[p. 117]

Viator I. Récit sec, qui ne dit rien.

Viator II. Signale avec assez de sévérité, mais en passant, les félonies subies par les Métis. Je n'ai pas trouvé d'allusion à l'exécution de Riel.

F.E.C. Exposé favorable aux Métis; les événements sont rapportés à la course, sans commentaires. Sur Mercier: les élections «soulevèrent une tempête d'agitations politiques, à cause de la pendaison de Riel», et Mercier fut élu. Cette exécution «occasionna aussi d'excessives récriminations aux élections fédérales».

Lamarche-Farley exposent plus longuement, et avec sympathie la cause des Métis. Puis: «Honoré Mercier ... profita de l'exécution de Louis Riel pour soulever la population».

Rutché-Forget manifestent plus de pitié pour les malheurs de Riel: «Québec fut indigné de ce traitement». S'il y a quelque part mention de Mercier, le passage m'a échappé.

Nous sommes loin de la fièvre qui s'empara des populations canadiennes, loin de la commotion profonde subie par le Québec quand la pendaison de Riel fut accomplie, loin du cri de rage, de pitié et de dignité: «On a tué mon frère Riel», lancé par Honoré Mercier, et qui lui valut d'être, l'espace d'un moment, le chef national du Canada français! Disons-le brutalement: nous sommes loin de la vérité historique totale! Il n'y a pas de mauvaise foi bien entendu, pas de falsification, mais l'événement est réduit, diminué, à des proportions électorales. Les auteurs ont voulu demeurer impassibles: en cette circonstance, n'y ont-ils pas trop bien réussi?

V. LA CONSCRIPTION (celle de 1917)

Le sujet est si cruellement actuel qu'il n'est pas nécessaire de résumer les événements. On sait quel fossé fut alors creusé entre le Québec et l'Ontario, et comment des rancoeurs endormies s'y réveillèrent

[p. 118]

furieuses. Le ton adopté par les historiens est extrêmement froid, et le récit, simplifié. Mais comme il s'agit d'événements contemporains, on comprend leur prudence et leur réserve:

Lamarche-Farley constatent l'opposition de la province de Québec à cette mesure, aussi calmement que s'il s'agissait de l'homme dans la lune. Sur le mouvement de Bourassa: «Le groupe nationaliste répétait que la guerre européenne était due aux fautes de l'Europe et que nous n'avions pas à nous en mêler».

Rutché-Forget: «Le gouvernement Borden se décida pour la participation à la guerre de 1914. Afin d'atteindre les 500,000 hommes promis, il proposa et fit même adopter la conscription».

* * *

La cause est entendue, croyons-nous. Il n'y a pas d'incitations à la haine dans nos manuels d'histoire du Canada. On pourrait leur faire d'autres reproches, du moins aux manuels élémentaires: il serait désirable qu'on les écrivît en meilleur français, qu'on en corrigeât quelques parties. A l'aide d'une documentation plus fraîche; et surtout, puisqu'ils s'adressent à des imaginations juvéniles, nous désirons qu'ils ressemblent moins, désormais, à des abréviations, à des "catéchismes historiques", qu'ils ne consistent pas en de plates énumérations ou en des récits trop dépouillés. Il y a tant de belles histoires à raconter aux moins de 14 ans, et qui sont escamotées; tant de belles images à faire valoir, et qui sont absentes. Initier les très-jeunes à l'histoire de leur pays, cela ne signifie point résumer tant bien que mal les doctes chercheurs, être le remplisseur attitré des mémoires enfantines, mais plutôt extraire de la réalité passée ce qui parle

[p. 119]

au coeur, exalte et nourrit l'imagination, fortifie la volonté et répond aux exigences naissantes de l'esprit. Ce qu'il faut reprocher aux trois premiers manuels, ce n'est point d'inspirer la haine, c'est de ne pas assez inspirer l'amour!

L'histoire selon Lamarche-Farley et Rutché-Forget s'adapte mieux à l'âge et aux besoins intellectuels de l'élève. Ces manuels marquent sur la plupart de leurs prédécesseurs des progrès indéniables. Telle partie semblera timide, incomplète, mais l'ensemble a de la cohérence, et pose dans l'esprit des jalons solides. Quand on les possède, on commence à comprendre la signification de l'histoire du Canada. Leurs tendances sont saines. Elles inspirent le goût de l'indépendance canadienne, et encore que les auteurs cèdent parfois à l'optimisme juridique, celui qui a bien assimilé ces synthèses n'aura pas une âme de colonial. Rutché et Forget terminent leur exposé par un chant d'espoir; Lamarche et Farley donnent posément, dans leur manière qui est sereine et dialectique, une leçon de patriotisme où les devoirs essentiels sont rigoureusement définis, et conformes aux principes élaborés par le cardinal Villeneuve en son discours de juin 1935.

«Chaque race apprend à peu près exclusivement la contribution de son propre groupe et ce qui concerne les autres groupes est ignoré» (L'honorable Perrier). Rien ne justifie cette plainte. Quand ils étudient le régime anglais, Lamarche-Farley et Rutché-Forget consacrent de longs chapitres a la fondation, au développement du Haut-Canada, à l'établissement des autres provinces,

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etc., et leurs livres ont raison de s'appeler des histoires du Canada. Bien sûr, ils s'intéressent davantage au passé français, mais cela est conforme aux nouvelles méthodes pédagogiques (qui prescrivent d'étudier d'abord et surtout la réalité concrète qui nous entoure); et d'ailleurs M. Perrier, à moins de dénationaliser les Canadiens français - ce qu'il se défend d'entreprendre, - pourra-t-il empêcher les jeunes hommes de notre culture de se tourner plus volontiers vers les hauts faits de notre nationalité, de préférer à l'histoire de nos associés celle où ils sont personnelle-ment engagés et dont ils se sentent immédiatement solidaires ?

Nulle part la haine n'est «instillée», comme le montrent les larges extraits donnés plus haut. On dira peut-être qu'étant nationalistes, nous sommes des témoins suspects. Mais outre que nous avons référé aux textes, ii reste ceci, que nous ne croyons pas à l'efficacité du ressentiment; et nous estimons le patriotisme une vertu trop pure pour être liée à des passions troubles: si nous avions trouvé des semences de mépris, nous l'aurions dit. La haine, écrivait tel folliculaire fasciste, flambe mieux que l'amour: voilà ce que nous n'admettrons jamais. La haine peut causer d'énormes remous, être un outil redoutable aux mains du démagogue: mais elle est le signe de quelque chose qui finit, et non d'une naissance joyeuse et légère. Il n'est pas nécessaire d'abaisser l'adversaire pour se grandir: c'est une méthode de pygmée; et l'Anglo-Canadien n'est point un ennemi, mais un concitoyen contre qui nous devons souvent nous mettre en garde,

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parce qu'il est fort, qu'il défend admirablement ses intérêts, et nous avons les nôtres - mais avec qui nous devons loyalement chercher à nous entendre. Nous ne cherchons pas la «bonne entente» obtenue aux dépens de la dignité nationale, mais une juste entente. Tel est le but que se sont évidemment fixé, parfois en concédant trop, les auteurs que nous venons d'analyser.

Il se peut que chez les jeunes à qui il révélait l'histoire de notre pays, M. l'abbé Maheux ait noté des sursauts d'indignation: le contraire nous étonnerait, et c'est oublier les lois élémentaires de la psychologie que de s'en indigner.

On leur a montré la naissance héroïque de la Nouvelle-France. Ils se sont passionnés pour cette poignée obscure de conquérants. Ils ont maudit Versailles quand Versailles oubliait ses devoirs. Ils ont assisté frémissants et pleins d'angoisse aux guérillas iroquoises. Tout à coup s'est levée la menace anglaise. Quand on a 16 ans, comment ne pas se redresser orgueilleusement à la réplique de Frontenac à Phipps, aux raids foudroyants de d'Iberville, au sacrifice de Dollard et des Seize - cette brigade du suicide? Et puis, ç'a été l'expansion téméraire à travers un continent. Enfin les six glorieuses dernières années de la domination française, qui ressemblent à un scénario magnifique: il n'y manque rien, ni la défaite empanachée, ni que la suprême bataille américaine fut une victoire française; et la tragédie s'engloutit entre les murs consumés de Montréal, tandis que le capitaine, pour ne pas les livrer, brûle ses drapeaux. Vous voudriez empêcher des cerveaux de 16 ans,

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quand on leur a parlé avec un certain accent - sans laide rancoeur, mais gonflé de fierté, de tendresse et de foi, - vous voudriez leur interdire d'être empoignés par tant de grandeur et par tant de malheur? Vous escomptez qu'ils se détacheront brusquement des Français vaincus, je veux dire de ceux qui restent et dont nous descendons? Vous n'êtes pas humain. Des garçons de tempérament ne sauraient assister indifférents à une joute de gouret, et même quand ils n'ont aucune raison d'adopter une équipe plutôt qu'une autre, ils se découvrent des préférences, ils s'échauffent, et ils crient . . . Et par ces clairs matins de Carillon, de Sainte-Foy ou de Saint-Denis, vous les voulez objectifs, secs, glacés, arides comme sont les historiens dits scientifiques, insensibles comme ne sont pas les historiens scientifi-ques? Non, en dépit de vous, its se passionneront. Et si vous offrez à leur fièvre un autre aliment, ils se passionneront à rebours, pour Amherst, pour Craig, ou qui sait, pour Colborne! Ils sont jeunes, ils ont de l'ardeur, un cerveau non encore habitué, un cerveau non encore stratifié: vous ne les retiendrez pas de se donner.

C'est cette impulsion primitive qu'il faudra affiner, transmuer peu à peu en idées fécondes, orienter vers les conquêtes positives, et détourner des bourbiers croupissants de la haine. Et c'est à quoi veulent s'appliquer, avec des moyens de fortune, nos meilleurs éducateurs: ne les détournez pas de leur oeuvre."
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1941.12
Brouillette, Benoît. La géographie dans l'enseignement secondaire - Pédagogie et programme", L'enseignement secondaire, 21, 3(déc. 1941):186-194; 4(janv. 1942):314-324.


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