Marc-Adélard Tremblay, conseiller discret et ami fidèle

Marc Laplante


L'enquête sur les familles salariées du Québec

L'étude à l'Anse-des-Belliveau en Nouvelle-Écosse

Références bibliographiques


Ma contribution au présent ouvrage en hommage à Marc-Adélard Tremblay sera un témoignage de l'amitié qui nous réunit depuis plus de trente ans. Ce sentiment est né durant des projets de recherche qui m'ont initié aux différents aspects de la profession de chercheur et d'universitaire. Je rappellerai comment Marc-Adélard, le professeur, le chercheur et l'homme affable, a su me transmettre des façons d'être et de faire sans jamais s'imposer ni m'en imposer ! Je reconnais volontiers que ces apprentissages ont largement influencé mes choix professionnels par la suite.

Étudiant en sciences sociales à l'Université Laval de 1956 à 1960, j'ai obtenu une maîtrise en sociologie puis j'ai travaillé comme assistant de recherche jusqu'à mon départ pour le doctorat à l'automne 1961. J'ai vécu intensément ces années passées à Laval, formé par d'excellents professeurs et entouré d'un petit nombre de confrères et consoeurs réunis dans un réseau serré d'échanges d'idées et d'émotions. Mes racines intellectuelles se trouvent rue des Remparts et rue de l'Université, dans la vieille ville de Québec. Quand je partis vers de nouveaux horizons, mon lien privilégié avec Laval fut Marc-Adélard Tremblay. Connaissant maintenant ses oeuvres et les équipes qu'il a formées pour les réaliser, je ne saurais prétendre à une contribution scientifique à cette impressionnante production. Mais je rappellerai deux études qui se placent au début de la carrière de Marc-Adélard : l'enquête pour les Caisses populaires Desjardins et une étude à l'Anse-des-Belliveau, en Nouvelle-Écosse. J'aimerais dire comment, à l'occasion de ces deux projets, l'action formatrice de Marc-Adélard a débordé largement ses salles de cours.

L'enquête sur les familles salariées du Québec

Engagé comme assistant de recherche pour l'enquête des Caisses populaires dès l'été 1958 (un an après ses débuts), j'ai travaillé en étroite collaboration avec Gérald Fortin et M.-A. Tremblay. Gérald m'a vraiment initié à la recherche quantitative ; avec Marc-Adélard, j'ai découvert comment on pouvait satisfaire à la fois aux exigences de la recherche universitaire et aux attentes d'une entreprise du milieu. J'aurai souvent l'occasion par la suite de me rappeler cette expérience.

L'équipe de recherche, animée par M.-A. Tremblay, fut pionnière au Québec sous plusieurs aspects : la sociologie de la consommation n'était pas un sujet vedette à cette époque ; l'étude de la famille en tant que ménage et unité de consommation et de comportements économiques venait bousculer des idées acquises sur cette institution et risquait de la révéler sous de nouveaux jours. Elle le fit, en réalité, en montrant notamment l'endettement des familles et en annonçant des faits sociaux qui allaient s'amplifier énormément par la suite comme la « transmission » de la pauvreté d'une génération à l'autre ; de plus, cette enquête introduisait presque la recherche quantitative, la préoccupation de mesures, l'analyse empirique de la causalité, etc., et l'exercice se faisait avec un très gros projet. J'ai appris énormément sur le Québec de 1959 puisque cette enquête nous a permis d'entrer dans près de 1500 familles pour étudier des questions nouvelles comme l'endettement, le crédit à la consommation, les valeurs liées à l'éducation, au travail, aux loisirs, etc. Après cette longue et riche expérience, j'ai cherché souvent à ouvrir ainsi des voies de recherche et d'enseignement en m'engageant comme un « défricheur » dans des études de sociologie des médias de masse, de l'éducation permanente, du temps libre, etc.

Marc-Adélard m'a fait confiance et m'a donné assez de responsabilités pour que cette recherche devienne aussi mon projet et me permette d'appliquer des enseignements reçus : j'ai coordonné le travail d'une équipe d'intervieweurs à travers le Québec durant l'été 1959 ; à partir de mai 1960, je fus assistant de recherche au moment où commençait l'analyse des données. Faut-il rappeler qu'à cette époque l'informatique en était à ses premières heures au Québec et que plusieurs opérations étaient plutôt mécanographiques. Durant 15 mois, nous avons eu tout le temps de voir s'organiser les résultats. Comme j'étais en première ligne, près des « machines », j'ai pu connaître un des grands plaisirs de la recherche : trouver (!), confronter les résultats aux hypothèses. Gérald Fortin, en toute rationalité, refroidissait parfois mes empressements à conclure, mais il relançait aussi l'analyse et intégrait plusieurs résultats en reconstruisant les grandes variables de l'enquête. Et Marc-Adélard rédigeait après avoir animé nos séances de discussions sur les résultats accumulés et leurs significations. Je me souviens toujours de belles soirées de l'été 1961 à sa maison toute neuve de Sainte-Foy ou aux Éboulements à discuter finalement de la nouvelle société québécoise déjà engagée, avant le mot, dans sa révolution tranquille. Il suffisait pour cela de quelques conclusions de l'enquête, plus définitives que les autres, qui faisaient surgir des nouvelles interrogations sur l'avenir du Québec et qui nous amenaient à situer nos découvertes à côté de bien d'autres travaux sortis de cette Faculté des sciences sociales de Laval presque en même temps (en sociologie de l'éducation, en sociologie religieuse, etc.).

Durant ces mois comme assistant de recherche, Marc-Adélard me considéra de plus en plus comme un collègue. J'ai connu sa famille et j'ai partagé avec elle des soirées et des fins de semaine ; nos échanges ont dépassé l'étude en cours pour toucher à mes projets personnels de formation, à son itinéraire de chercheur, au métier d'enseignant universitaire, etc. J'ai découvert, en sa présence, un univers professionnel qui m'a servi par la suite de cas de référence en plusieurs occasions.

Bien qu'inscrit à New York à l'automne 1961, mon lien avec ce projet, par Marc-Adélard et Gérald, ne fut pas rompu : pendant deux ans, j'ai reçu d'eux des chapitres du futur livre pour relecture et commentaires et même, dans certains cas, pour écriture en première version. Chaque visite au Québec comprenait un pèlerinage à l'Université Laval et de belles rencontres pour terminer l'ouvrage.

Toute cette aventure intellectuelle aurait pu finir quand le livre (Tremblay et al., 1965) fut remis à l'éditeur. Mais les Caisses Desjardins avaient décidé de donner une suite à leur enquête sous forme d'une série d'émissions réalisées avec Radio-Canada. Marc-Adélard et Gérald ont accepté d'agir comme conseillers scientifiques, mais le projet exigeait un « recherchiste » attaché à l'équipe de production. J'ai accepté cette tâche à la demande de Marc-Adélard et je suis reparti à travers tout le Québec, à l'automne 1963, chargé de trouver tous les cas illustrant les grandes conclusions de chacun des chapitres de notre rapport de recherche. À quatre ans d'intervalle, je revisitais le Québec en passant des centaines d'heures à interroger partout des familles de toutes catégories sociales. Mentalités, valeurs, attitudes et opinions avaient bougé au Québec durant ces quatre ans : la révolution tranquille, avec certains événements moins tranquilles, était en cours ; nous l'avions pressentie comme une force encore souterraine en 1959 mais sa réalité a transpercé souvent le petit écran quand la série Familles d'aujourd'hui a pris l'affiche pour 13 semaines à Radio-Canada en janvier 1964. Ayant étudié en sociologie des médias de masse à New York, j'ai pu me joindre à cette réalisation dès sa conception et ensuite au tournage, au montage et à l'écriture des textes. Une fois de plus, nous étions associés à la réalisation d'une « première » : l'adaptation d'une recherche scientifique à une série télévisée qui a eu, en son temps, le même impact sur le grand public que celui de la sortie du rapport de recherche sur l'institution financière Desjardins.

En restant dans le sillage de Marc-Adélard Tremblay au début de ma vie professionnelle, j'ai apprécié son savoir-faire et son aptitude à travailler avec une équipe pour entreprendre des projets novateurs.

L'étude à l'Anse-des-Belliveau en Nouvelle-Écosse

J'ai vu et connu l'anthropologique Marc-Adélard Tremblay sur le terrain, à l'Anse-des-Belliveau en Nouvelle-Écosse, durant les étés de 1962 et 1963. Je l'assistais pour reprendre, en partie, l'étude réalisée dans ce même village en 1952 lors du projet Stirling County de l'Université Cornell sous la direction du professeur A.H. Leighton. Comment l'institution familiale avait-elle traversé cette décennie ? Les résultats de cette étude ne paraîtront qu'en 1971 (Tremblay et Laplante, 1971).

Ce projet fut pour moi la seule occasion d'être initié au métier d'anthropologue ; mais quelle initiation ! Inoubliable la cérémonie d'introduction au « Moose and Goose Club », tellement enivrante en fait que, semble-t-il, j'en suis venu à exécuter une célèbre danse navajo que Marc-Adélard nous avait très bien décrite et expliquée en salle de cours quelques années auparavant...

Cette recherche en Acadie a cimenté une collaboration déjà vieille de quelques années mais surtout une amitié qui ne s'est jamais démentie par la suite. Et, professionnellement, sans autre participation à ses travaux en anthropologie, j'ai eu parfois le privilège de lire ses écrits avant publication et de suivre ainsi le développement d'une oeuvre considérable, comme en témoigne le présent ouvrage.

Mais, ici et là, quelques petits projets nous ont encore réunis qui avaient, comme trait dominant, d'être toujours hors des sentiers battus. Ainsi, Marc-Adélard s'est-il amené en 1976 avec une demande de la Télé-Université qui préparait alors un cours sur l'Histoire du Québec d'aujourd'hui. Une équipe d'historiens et de didacticiens cherchait un moyen d'évaluer les changements que ce cours pouvait entraîner chez ceux et celles qui le suivraient. Idéalement, il aurait fallu un instrument de mesure administrable avant et après le cours pour répondre au souhait des responsables de ce projet. Cette tâche s'est vite montrée impossible en considérant le contenu et la nouveauté de cet enseignement à distance. Mais nous avons accepté ensemble d'élaborer un exercice que les futurs étudiants pourraient faire en fin de formation, à titre d'essai de synthèse. Cet instrument prit nom de Jeux des cartes d'identité : un ensemble de 64 thèmes, regroupés par sous-ensembles, devait amener l'étudiant à se prononcer personnellement sur sa compréhension de la québécité et à évaluer parallèlement comment le « Québécois moyen » reconnaissait son identité. Utilisé durant quelques années, ce test est resté expérimental, mais il nous a donné, à Marc-Adélard et à moi, de nombreuses heures d'échanges pour mettre en commun nos deux contributions à la connaissance de la société québécoise.

Entreprendre, en 1976, la construction d'une mesure de l'identité québécoise pourrait apparaître aujourd'hui comme un projet insensé mais la hardiesse de certains projets de Marc-Adélard Tremblay était déjà connue. J'ai aimé partager de telles expériences avec lui.

Références bibliographiques

CIBLE.GIFTremblay, M.-A. et Marc Laplante, 1971. Familles et parenté en Acadie. Ottawa, Musées nationaux du Canada, Musée National de l'Homme, publication d'ethnologie, no 3.

CIBLE.GIFTremblay, M.-A., G. Fortin, . avec la collaboration de Marc Laplante, 1965. Les comportements économiques des familles salariées du Québec. Québec, Les Presses de l'Université Laval.


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