Marc-Adélard Tremblay et la recherche féministe : une alliance très possible1

Hélène Guay et Josée Thivierge 2


Notes

Références bibliographiques


Si le sens de la continuité caractérise la carrière de Marc-Adélard Tremblay, son intérêt pour des problématiques nouvelles marque tout aussi profondément son itinéraire intellectuel. La curiosité et l'ouverture d'esprit font partie depuis toujours du cheminement personnel de ce pionnier. Notre propos, celui de deux étudiantes et collaboratrices à l'occasion, éclaire une facette peu connue de son travail, celle de son rapprochement de la recherche féministe. Cela n'est sans doute pas un hasard. Louise Vandelac (1990) ne soulignait-elle pas récemment que les études féministes constituaient le secret le mieux gardé des universités québécoises et canadiennes ? Récemment, M. Tremblay a entrepris une démarche vers la perspective féministe, et à plusieurs égards, les trois axes qui ont caractérisé sa carrière, soit l'enseignement, la participation à des équipes de recherche multidisciplinaires et la recherche-action, côtoient et rejoignent les préoccupations des chercheures qui adhèrent à la perspective féministe à l'Université Laval.

Notre vision, bien que personnelle, témoigne à coup sûr de la réalité d'une certaine partie de la population étudiante du milieu des années 80. Nous représentons les derniers groupes d'étudiants, le fait que nous soyons deux étudiantes et non deux étudiants n'est bien sûr pas un hasard, qui ont suivi les cours de M. Tremblay. Ces hommages de circonstance à une personne amicale et authentique nous permettent de souligner très sommairement l'itinéraire intellectuel d'un professeur dont nous voulons faire ressortir l'ouverture d'esprit et le cheminement vers les études féministes.

Un des premiers éléments à souligner est sans doute l'attitude et le compor-tement tranquillement non sexistes qui ont caractérisé l'ensemble des relations professionnelles et personnelles du professeur avec ses étudiantes au cours des années 80. Lors de notre arrivée au Département d'anthropologie de l'Université Laval, M. Tremblay avait déjà apporté une contribution plus que significative à sa discipline et à l'ensemble des sciences sociales au Québec. Combien de fois n'avons-nous pas découvert son nom dans une publication consultée, et ce, sur des sujets très divers ? Au départ, c'est d'ailleurs le désir de bénéficier de sa longue et vaste expérience qui nous a amenées à travailler avec lui. M. Tremblay possède plusieurs cordes à son arc, ayant touché à de multiples domaines de recherche au cours de sa carrière. Ce n'est en effet pas tous les jours qu'un même professeur peut vous encadrer aussi bien pour un mini-projet de recherche sur la mentalité régionale au Saguenay-Lac-Saint-Jean ou pour une étude du système de parenté en milieu insulaire québécois et, par la suite, diriger votre mémoire de maîtrise sur l'effet d'un projet de développement rural sur le travail agricole des femmes au Rwanda ou encore concernant les femmes inuites, le développement économique et les processus de socialisation enfantine. Tout en nous laissant une grande autonomie, M. Tremblay savait orienter efficacement nos travaux, mais surtout nous transmettre sa confiance inébranlable dans notre capacité à terminer avec succès le travail entrepris.

M. Tremblay a toujours eu un grand respect pour le travail d'autrui et le souci d'y rendre justice. Pensons ici aux travaux qu'il a réalisés avec l'assistance de Josée Thivierge sur l'oeuvre de l'amérindianiste Jacques Rousseau (1986). Soulignons également les bilans-synthèses qu'il a produits, notamment ceux portant sur l'anthropologie au Québec (1983) et à l'Université Laval (1989), sur les études amérindiennes au Québec (1982) sur les études nordiques en collaboration avec Carole Lévesque (1993), chercheure bien connue pour son intérêt pour l'étude des femmes autochtones, sur la recherche psychosociale en santé mentale avec Charlotte Poirier (1989) et, enfin, sur les études sur l'alcoolisme en collaboration avec Gisèle Labrie (1977).

Des études terminées en agronomie (1948) et l'obtention d'une maîtrise en sociologie rurale (1950) précèdent la rencontre de M. Tremblay avec l'anthropologie et ont certainement favorisé chez lui l'émergence d'une perspective où la science anthropologique voisine d'autres visions du monde. Jeune étudiant à Cornell, M. Tremblay participe déjà aux travaux d'une équipe interdisciplinaire qui étudie l'effet des facteurs socioculturels dans l'épidémiologie des maladies mentales dans une communauté acadienne de l'est du Canada. Sa thèse de doctorat porte d'ailleurs sur cette problématique. Dans cette équipe, psychiatres, psychologues, économistes, sociologues, historiens et anthropologues culturels comparent leurs données d'études. L'axe de l'anthropologie médicale fut donc la porte d'entrée de M. Tremblay dans la discipline. Il marque également la période de maturité du chercheur poussé par une volonté de continuité peu commune. C'est donc surtout par la lunette de l'anthropologie médicale que nous présentons sa démarche vers la perspective féministe.

Après son arrivée à l'Université Laval, M. Tremblay collabore à une étude sur l'instabilité du travailleur forestier, à laquelle participent les Départements d'économie, de relations industrielles et de sociologie. En 1963, avant la réforme des hôpitaux psychiatriques, et à une époque où la culture médicale n'est pas vraiment réceptive à l'étude de l'influence des facteurs socioculturels dans l'étiologie de la maladie, M. Tremblay participe à une étude évaluative sur l'efficacité de la réadaptation d'ex-patientes et ex-patients psychiatriques. Toujours à cette époque, il dirige une équipe réunissant des sociologues, des criminologues, des éducatrices et éducateurs ainsi que des anthropologues dans le champ de l'alcoolisme et des autres toxicomanies. Il participe également aux travaux de la Commission Castonguay-Nepveu, qui allait proposer une restructuration du système de dispensation des soins de santé au Québec.

M. Tremblay s'intéresse à l'analyse du changement social et culturel, mais on peut également affirmer qu'il y prend lui-même une part active. Sa contribution tant sur le plan de la recherche fondamentale que sur celui de la recherche-action en fait un chef de file de la recherche en sciences sociales au Québec.

Rappelons que l'un des objectifs de la Faculté des sciences sociales lors de sa fondation était de préparer des spécialistes de l'action et de l'intervention sociale. Depuis 1963, M. Tremblay agit comme un des responsables de l'enseignement et de la recherche en anthropologie appliquée à l'Université Laval. La création récente du prix Weaver-Tremblay par l'Association de l'anthropologie appliquée rend compte de l'importance de son intervention dans ce domaine.

Les études de M. Tremblay sur le changement social l'ont par ailleurs conduit, dans le domaine de la santé, à travailler sur des thèmes très actuels pour la société québécoise d'hier et d'aujourd'hui. De l'étude des habitudes de toxicomanies chez les travailleurs forestiers à une critique du système de santé mentale en passant par l'étude de l'effet de la présence des femmes en médecine, il y a toute une vie intellectuelle et une continuelle préoccupation d'ancrer les recherches de façon à éclairer certains éléments du changement social au Québec.

Après une interruption pour remplir des fonctions administratives, la plus récente participation de M. Tremblay aux travaux de recherche d'une équipe multidisciplinaire dans le domaine de la santé se fait à l'intérieur du projet Femmes médecins ou médecine au féminin ? Ce projet, dirigé par Maria De Koninck, première titulaire de la Chaire d'étude sur la condition des femmes à l'Université Laval, avec l'aide de la cochercheure Renée Bourbonnais et des cochercheurs Pierre Bergeron et Marc-Adélard Tremblay ainsi qu'avec l'assistance de la coordonnatrice des activités scientifiques, Hélène Guay, bénéficie de subventions du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH). Conçu dans une perspective féministe, il englobe la sociologie, l'anthropologie et l'épidémiologie, tout en intégrant un regard biomédical à cette même perspective. Dès l'élaboration de la demande de subvention, l'intervention d'organismes du milieu dans la définition de la problématique a été considérée comme essentielle, tant par l'organisme subventionnaire que par les chercheures et chercheurs. C'est ainsi que le Comité des femmes médecins de la Corporation professionnelle des médecins du Québec et le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) sont devenus des partenaires très actifs dans le déroulement de la recherche et ont participé également à son financement. La Régie de l'assurance-maladie du Québec (RAMQ) et l'Association pour la santé publique sont aussi associées à la recherche.

Le fait que le plus récent projet de recherche subventionné auquel participe le professeur Marc-Adélard Tremblay soit réalisé dans une perspective féministe témoigne de l'alliance de ce dernier à la recherche féministe. Sa participation constitue dès lors certainement un des exemples de la percée de la théorie et de la pratique féministes à l'Université Laval. La création, en 1983, du Groupe de recherche multidisciplinaire féministe de l'Université Laval (GREMF) s'inscrit dans la démarche de changement social de la société québécoise depuis les débuts de la révolution tranquille. N'est-il pas saisissant de réaliser que la démarche intellectuelle de M. Tremblay, marquée surtout par l'enseignement, aspect que nous n'avons pas abordé dans cet hommage, la recherche multidisciplinaire et le transfert des connaissances, corresponde d'assez près aux trois objectifs du GREMF de l'Université Laval ? Lecteur assidu, et ce, depuis sa création, de la revue Recherches féministes, publication associée au volet recherche du GREMF, M. Tremblay apparaît comme un professeur d'avant-garde. Lors de la réunion du Conseil universitaire de l'Université Laval du 4 mai 1993, l'actuel recteur, Michel Gervais, n'a-t-il pas suggéré aux membres du Conseil qui s'opposaient à la création d'un diplôme de deuxième cycle en études féministes, de lire la revue Recherches féministes ? Cette dernière revue a d'ailleurs été décrite par le recteur comme l'une des plus innovatrices parmi les publications universitaires.

De la perspective fonctionnaliste à la perspective féministe, il y a toute une vie de travail. Au-delà du cumul des projets de recherche bien alignés les uns derrière les autres se dessine en somme le portrait d'une personne profondément engagée qui a la capacité de changer sa lunette selon les différentes réalités qui surgissent des processus d'accumulation des connaissances. En ce sens, à l'intégrité et à l'authenticité de la personne s'ajoute une capacité d'adaptation peu commune, qualité plus que souhaitable dans le monde universitaire. Il ne nous reste plus dès lors qu'à rendre hommage au professeur Tremblay et à le remercier pour sa détermination à promouvoir une place de plus en plus grande pour les femmes à l'Université Laval.

Notes

CIBLE.GIF1. Inspiré du titre de l'article d'Huguette Dagenais (1987).

CIBLE.GIF2. Les deux auteures tiennent à remercier Mmes Marie France Labrecque et Micheline Beauregard pour leurs suggestions et critiques constructives.

Références bibliographiques

CIBLE.GIFDagenais, H., 1987. « Méthodologie féministe et anthropologie : une alliance possible », Anthropologie et Sociétés. 11, 1, p. 19-44.

CIBLE.GIFTremblay, M.-A. et G. Labrie, 1977. « Études psychologiques et socio-culturelles de l'alcoolisme : inventaire des travaux disponibles au Québec depuis 1960 », Toxicomanies. 10, p. 85-135.

CIBLE.GIFTremblay, M.-A., 1982. « " Les études amérindiennes au Québec, 1960-1981 : état des travaux et principales tendances », Culture. 1, 1, p. 83-106.

CIBLE.GIFTremblay, M.-A. et G. Gold, 1983. La formation de l'anthropologie au Québec 1960-1981. dans Conscience et Enquête. Ottawa, Musée de l'homme, p. 52-94.

CIBLE.GIFTremblay, M.-A. et J. Thivierge, 1986. « La nature et la portée de l'oeuvre amérindienne de Jacques Rousseau », Anthropologie et Sociétés. 10, 2, p. 163-182.

CIBLE.GIFTremblay, M.-A., 1989. L'anthropologie à l'Université Laval : fondements historiques, pratiques académiques, dynamisme d'évolution. Laboratoire de recherches anthropologiques, Université Laval, Document de recherche no 6.

CIBLE.GIFTremblay, M.-A. et C. Poirier, 1989. « La construction culturelle de la recherche psychosociale en santé mentale : les enjeux scientifiques et sociopolitiques », Santé mentale au Québec. 14, 1, p. 11-34.

CIBLE.GIFTremblay, M.-A. et C. Lévesque, 1993. Les études québécoises en sciences sociales sur les peuples autochtones du Nord 1960-1989 : conditions socio-historiques de production et profil thématique. Laboratoire de recherches anthropologiques, Université Laval, Document de recherche no 10.

CIBLE.GIFVandelac, L., 1990. « Études féministes : le secret le mieux gardé des universités canadiennes », Interface. 11, 5, p. 22-26.


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